• Le mois des âmes du purgatoire

     
     

    Le mois des âmes du purgatoire

     

    Novembre : Le mois des âmes du purgatoire

     

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    Source : Livre "Mois des âmes du purgatoire ou méditations, prières et exemples pour le mois de novembre"

     

    PRÉFACE

    Le volume que nous présentons aujourd'hui à nos pieux lecteurs est le complément de notre ouvrage de la Communion des Saints, dont les deux premiers volumes ont été publiés l'année dernière.

    Après avoir montré dans la première et dans la seconde partie de cet ouvrage comment nous étions unis aux Anges et aux Saints qui nous attendent dans l'éternelle patrie, nous montrons dans la troisième comment nous le sommes aux saintes âmes qui souffrent dans le purgatoire.

    Les liens qui nous unissent à ces saintes âmes ne sont ni moins étroits, ni moins forts que ceux qui nous unissent aux anges et aux saints. Si dans les premiers nous avons des frères, des amis, des protecteurs qui nous aident dans nos besoins, qui nous consolent dans nos peines et dont nous implorons le secours dans les épreuves qui assombrissent notre vie, la protection dans les dangers qui nous menaçent ; dans les âmes du purgatoire nous avons aussi des frères, des amis qui doivent nous être d'autant plus chers qu'ils sont souffrants et malheureux. Nous montrons comment nous pouvons, en vertu de la communion des Saints, être à notre tour leurs protecteurs, les secourir et leur venir en aide.

    Tout en nous efforçant d'inspirer à nos lecteurs une tendre compassion pour ces âmes qui la méritent à tant de titres, nous nous sommes scrupuleusement attaché à ne rien avancer dans cet ouvrage qui ne soit exactement conforme à la doctrine de l'Eglise, à l'enseignement des Pères et des Docteurs sur le purgatoire, et pour atteindre ce but, nous avons puisé aux sources les plus pures en nous aidant pour la composition de cet ouvrage de ceux des auteurs qui nous offraient les garanties les plus sûres sous le rapport du dogme, et qui ont le mieux écrit sur le sujet que nous voulions traiter.

    Nous avons divisé les méditations de chaque jour en deux points, afin que les personnes qui n'auraient pas le temps de lire la méditation toute entière puissent se borner à un seul point.

    Nous devons à l'obligeante amitié du pieux auteur des Réflexions et Prières pour la communion, les prières de la messe, la Préparation et l'Action de grâces pour le jour de la commémoration des morts, ainsi que le Chemin de Croix en faveur des âmes du purgatoire dont il a bien voulu enrichir notre ouvrage.

    Nous avons été aussi heureux que reconnaissant de les y insérer, bien sûr que nos lecteurs partageront notre joie, en retrouvant les pensées et les pieuses affections d'un auteur qui a su mériter leur sympathie et leur estime.

    Daigne le Seigneur bénir notre travail et s'en servir pour procurer aux saintes âmes auxquelles nous nous intéressons si sincèrement, des suffrages plus abondants et un soulagement plus prompt et plus efficace.

    Après avoir sollicité la charité de nos pieux lecteurs en faveur des âmes souffrantes du purgatoire, qu'il me soit permis en terminant de la réclamer aussi pour moi-même.

    Dieu, par de longues et toujours croissantes infirmités, m'avertit que le jour n'est peut-être pas éloigné où j'aurai besoin pour moi-même des suffrages que j'ai demandés pour les autres.

    J'ose donc les demander à mes chers lecteurs, et les prier de ne pas me refuser un souvenir devant Dieu, lorsque la mort aura brisé la plume à laquelle ils ont fait un si sympathique accueil et glacé le cœur aux sentiments duquel ils ont bien voulu s'associer si souvent pour aimer et bénir le Dieu de l'Eucharistie.

    Qu'ils veuillent bien alors accorder à ma pauvre âme l'aumône d'une prière, d'une communion, et cette âme reconnaissante se souviendra éternellement de leur charité devant Dieu.

     

    PREMIER JOUR.

    Existence du Purgatoire.

     

    Rien de souillé ne peut entrer dans le royaume des Cieux.

    Ier Point. A peine le péché eut-il souillé de son souffle impur les délicieuses solitudes de l'Eden que la voix sévère du Créateur retentissant sous leurs frais ombrages, appela devant lui nos premiers parents et prononça contre eux ce terrible arrêt : " Vous êtes poussière et vous retournerez en poussière. "

    Chassés du jardin de délices où ils avaient été créés, dépouillés de leur innocence et de tous les biens dont la libéralité du Créateur s'était plu à les combler, Adam et Ève durent arroser des larmes de leur repentir cette terre que chacun de leurs descendants devait également tremper de ses pleurs avant qu'elle ouvrit son sein pour recevoir sa dépouille mortelle.

    Ils ne tardèrent pas à voir la mort frapper sa première victime, et l'innocent Abel tomber sous les coups du fratricide Caïn.

    Dieu, en brisant leurs cœurs par cette poignante douleur, voulut qu'avant de retourner dans la poussière d'où il les avait tirés, ils comprissent par la grandeur du châtiment quelle avait été la grandeur de leur faute.

    Depuis lors la mort n'a pas cessé de promener sa faux sur les enfants d'Adam ; depuis six mille ans toutes les générations humaines sont successivement tombées sous ses coups, et l'impitoyable moissonneuse ne coupe pas seulement les épis mûrs, elle coupe également ceux que n'a pas encore mûris le soleil de la vie. Si elle déracine le chêne couronné par la neige de nombreux hivers, elle fane également de son souffle glacé la fleur à peine éclose, elle appose son sceau sur la téte blonde de l'enfant comme sur le front chauve du veillard, et éteint la flamme de la vie dans le sein de l'adolescent, du jeune homme, de la jeune fille, qui se promettent de longs jours et sourient à l'avenir avec toutes les riantes illusions de la jeunesse, comme elle l'éteint dans celui de l'homme fait qui déjà a trempé ses lèvres au calice amer des déceptions humaines. Sourde et aveugle, la mort ne voit rien, n'entend rien : insensible à nos gémissements, aux cris de notre douleur, elle nous arrache sans pitié les êtres chéris que nous lui disputons en vain et continue, sans plus d'égards pour le grand que pour le petit, pour le riche que pour le pauvre, à infliger à l'homme le châtiment auquel l'a condamné la justice divine.

    Mais il est en nous une flamme immortelle, un souffle de vie que la mort ne peut pas éteindre ; son pouvoir ne s'étend que sur nos corps, nos âmes n'y sont pas assujetties ; elle peut rompre les liens qui la retiennent dans leur prison d'argile, mais elle ne peut les anéantir. Immortelles, indestructibles, elles survivent à la dissolution de ces corps, qui eux aussi ne resteront pas toujours sous l'empire de la mort, et à l'instant où les liens qui les unissent à eux sont brisés, elles entrent pleines de vie, mais d'une vie qui change de nature et de forme, dans les profondeurs de l'éternité.

    Mais le sort de toutes ces âmes que chaque jour la mort jette par milliers dans le sein de l'éternité est-il le même pour toutes ? La vie nouvelle qui commence pour elles est-elle également pour toutes une vie exempte de toute espèce de peine et parfaitement heureuse ? C'est en vain que l'impie, que celui qui a intérêt à nier les châtiments de l'autre vie répond affirmativement à cette question.

    La foi nous fait à nous chrétiens et enfants soumis de l'Eglise une réponse bien différente. Elle nous répond, il est vrai, que l'arrêt qui condamnait les malheureux enfants d'Adam à une mort éternelle a été effacé par le sang adorable du Rédempteur, que les portes du ciel qui nous avaient été fermées par le péché de notre premier père se sont rouvertes devant le glorieux vainqueur de la mort et de l'enfer, et que Jésus, Dieu et homme tout ensemble, en allant s'asseoir à la droite de son Père, a élevé dans sa personne divine l'humanité jusqu'au plus haut des cieux. Elle nous dit encore que par la grâce inestimable du saint baptême nous sommes devenus les enfants de Dieu, les frères, les cohéritiers de Jésus-Christ, et que tous "nous pouvons, si nous nous en rendons dignes par la sainteté de notre vie, partager un jour son héritage et son bonheur.

    Cependant elle enseigne aussi que rien de souillé ne peut entrer dans le royaume des cieux et que Dieu, qui est la sainteté même, ne saurait admettre en sa présence l'âme dans laquelle il découvre la plus légère tache. Hélas ! s'il en est ainsi, le ciel resterait-t-il donc à jamais fermé à cette multitude d'âmes qui entrent dans l'éternité en grâce avec Dieu, c'est vrai, mais toutes souillées encore de cette poussière de la terre qui s'attache même aux âmes les plus justes et coupables de fautes légères dont elles n'ont pas fait en ce monde une pénitence suffisante ? La foi vient encore nous résoudre cette question et nous rassurer par ses lumières et ses divines consolations.

    En effet, elle nous apprend, cette foi sainte dont les divins enseignements ont nourri notre enfance, qu'au moment où elle entre dans l'éternité, l'âme se trouve jetée au pied du tribunal redoutable du souverain juge, de ce juge qui sonde les replis les plus cachés du cœur de l'homme, dont rien ne peut mettre en défaut la divine perspicacité, ni fléchir l'inexorable justice, car le règne de la miséricorde est passé pour l'âme que Jésus a citée à son tribunal ; il n'est plus alors le Sauveur dont l'amour et la miséricorde ont enveloppé sa vie tout entière, mais le juge dont l'équité va lui demander compte de l'usage qu'elle a fait de ses grâces et des bienfaits dont il n'a cessé de la combler. Si l'âme qui paraît devant ce juste juge est exempte de toute souillure, Jésus se sent heureux, si je puis ainsi m'exprimer, d'exercer sa justice en la récompensant, et c'est avec une joie égale à l'amour qu'il a pour elle, qu'en lui décernant la couronne promise aux vainqueurs, il lui ouvre immédiatement les portes du ciel. Si cette âme au contraire parait devant lui coupable d'un seul péché mortel dont elle ne s'est pas repentie et qui ne lui a pas été remis par la grâce de l'absolution, l'arrêt de sa réprobation est prononcé à l'instant même ; il est irrévocable et reçoit à l'instant même sa terrible exécution. Mais si cette âme, sans être souillée de péchés mortels, parait à ce redoutable tribunal portant sur la robe de son innocence les souillures qu'y a laissées le péché véniel, péchés qui lui ont été remis quant à la coulpe, mais dont la peine lui reste à subir, soit qu'elle ait omis pendant sa vie d'en faire une pénitence suffisante, soit que la mort ne lui ait pas laissé le temps de la faire, Jésus, dans son infinie miséricorde, ne la repousse pas ; loin de là, il lui assure le ciel ; mais avant qu'elle puisse y entrer et être admise à jouir de son adorable présence, il faut qu'elle ait payé jusqu'à la dernière obole ce qu'elle doit à sa justice ; et le purgatoire, lieu de peine et d'expiation, lui ouvre alors ses brûlants abîmes. Là cette âme s'épure comme l'or dans le creuset, là la rouille et toutes les traces dupéché doivent s'effacer sous l'action terrible de ces flammes vengeresses qu'ont allumées et qu'attisent à la fois la justice et la miséricorde divines.

    La pensée du purgatoire est effrayante sans doute ; mais elle est aussi bien consolante. Hélas ! que serions-nous devenus si Dieu dans son infinie bonté n'avait trouvé le moyen de sauvegarder à la fois les droits de sa justice et ceux de sa miséricorde ?

    Combien peu auraient pu espérer le ciel si sa sagesse n'avait placé le purgatoire comme un jalon entre le ciel et l'enfer ? Ah ! sans cette magnifique invention de la justice de Dieu, mais j'ose aussi le dire, de son amour et de sa tendre compassion pour les pécheurs, le ciel eût été privé de la plus grande partie de ses habitants, car il est bien restreint le nombre des âmes qui quittent cette vie assez saintes, assez pures pour entrer immédiatement en possession du bonheur éternel, et à l'exception des petits enfants qui meurent avant d'avoir atteint l'âge de raison et perdu l'innocence de leur baptême, sur plusieurs milliers d'âmes, combien en trouverait-on qui en quittant la vie soient exemptes des plus légères souillures et assez pures pour prendre leur vol vers la céleste patrie sans rien avoir à démêler avec la justice de Dieu ? Il en existe, je le sais ; mais, je le répète, le nombre en est plus restreint qu'on ne le croit généralement.

    Mais l'existence de ce purgatoire, dont la pensée est si consolante pour notre faiblesse, est-elle certaine ? A cette question je réponds que l'Eglise a mis l'existence du purgatoire au nombre des dogmes de la foi, que l'Ancien et le Nouveau Testament attestent également cette vérité, et nous allons en apporter les preuves.

    IIe Point. Le dogme du purgatoire repose avant tout sur les saintes Ecritures. Ouvrons l'Ancien et le Nouveau Testament, nous voyons Judas Machabée prier avec tous ses soldats pour ceux qui ont été tués dans le combat. Puis il fait une collecte et l'envoie à Jérusalem pour faire offrir des sacrifices à la même intention ; car, ajoute le texte sacré, c'est une sainte et salutaire pensée de prier pour les morts afin qu'ils soient délivrés de leurs péchés.

    Cet exemple nous prouve que déjà avant la venue de Jésus-Christ les Juifs croyaient qu'il y avait des péchés que Dieu pardonne dans l'autre vie et que les vivants pouvaient contribuer par leurs prières, par leurs aumônes, par leurs sacrifices, à en obtenir le pardon aux morts. On trouve même dansle rituel des Juifs une prière que le chef de famille devait faire pour la délivrance des morts avant de se mettre à table.

    Jésus-Christ, pendant sa vie publique, confirme lui-même cette vérité par ses divins enseignements, et sans nommer le purgatoire, sans rien nous dire des peines qu'on y endure, il le désigne clairement et il nous fait assez comprendre qu'il y a dans l'autre vie un lieu de peines où le péché devra être expié lorsqu'il prononce ces paroles : « Réglez vos comptes avec votre adversaire pendant que vous êtes dans le chemin, car autrement votre adversaire vous remettra entre les mains du juge, et le juge vous livrera à son ministre, et le ministre vous enfermera dans une prison dont vous ne sortirez, je vous le déclare, que lorsque vous aurez payé votre dette jusqu'au dernier denier. »

    Quel est cet adversaire avec lequel Jésus-Christ nous engage à régler nos comptes pendant le chemin, c'est-à-dire pendant la vie ? Cet adversaire, répond saint Augustin, c'est Dieu lui-même, l'adversaire, l'ennemi irréconciliable du péché et de nos mauvais penchants.

    Quel est le juge auquel Dieu nous livrera si nous n'avons pas entièrement réglé nos comptes avec lui et satisfait à sa justice pendant notre vie ? Ce juge, c'est Jésus-Christ, son divin flls, que la sainte Ecriture appelle le juge des vivants et des morts.

    Quelle est la dette que nous devons payer jusqu'au dernier denier ? C'est la peine temporelle que nous avons encourue par le péché, peine qui dans le saint Evangile porte le nom même de dette.

    Quelle est enfin cette prison dans laquelle le débiteur doit être si rigoureusement détenu ? C'est le purgatoire, d'où l'on ne peut sortir qu'après avoir entièrement satisfait à la justice de Dieu. Dans une autre circonstance notre adorable Sauveur dit encore : « Si quelqu'un parle contre le Fils de l'homme, son péché lui sera remis ; mais si quelqu'un parle contre le Saint-Esprit, son péché ne lui sera remis ni dans ce monde, ni dans l'autre. »

    Alors, conclut saint Grégoire, il y a des péchés qui sont remis après la vie, car pourquoi Jésus-Christ aurait-il dit que le péché contre le Saint Esprit ne sera remis ni en ce monde ni en l'autre, s'il n'y avait aucun péché qui dût être remis dans l'autre monde ?

    Mais quels sont les péchés que Dieu remet dans l'autre monde ? Ce ne sont pas sans doute les péchés graves, les péchés mortels, ce ne sont que les fautes légères et les restes du péché. « Les péchés graves, » dit encore saint Grégoire, ne seront jamais pardonnés dans l'autre vie. Car d'après l'Apôtre, pareils au bronze, au fer, au plomb, ces péchés ne  peuvent pas être purifiés par la flamme, Dieu ne pardonnera que les fautes légères qui ressemblent  au foin, au bois et à la paille que le feu peut assurément consumer. » « Les âmes qui sortent de cette vie avec des péchés mortels, ajoute Origène,  sont pesantes comme un plomb vil, elles tombent entraînées par leur propre poids au fond de l'abîme, et elles y resteront ensevelies à jamais, seIon qu'il est écrit : Ils ont été engloutis comme le  plomb dans le fond d'une mer soulevée (1). »

    Aux textes de la sainte Ecriture, il faut joindre l'enseignement de l'Eglise, qui a fait du purgatoire un dogme de foi. Ce dogme a été proclamé par un grand nombre de conciles. Voici quels sont sur ce point de notre foi les décisions du concile de Trente contre les protestants. « Si quelqu'un dit qu'à tout  pécheur pénitent qui a reçu la grâce de la justification, la coulpe ou l'offense est tellement remise, et la peine éternelle tellement abolie, qu'il ne lui reste plus de peine temporelle à souffrir en ce monde ou en l'autre dans le purgatoire avant  d'entrer dans le royaume des cieux, qu'il soit  anathème. »

    Et encore : « L'Eglise catholique instruite par le Saint-Esprit, ayant toujours enseigné selon les saintes Ecritures et l'antique tradition des Pères, dans les saints conciles, et tout récemment dans ce concile général, qu'il y a un purgatoire, et que les âmes qui y sont détenues reçoivent du soulagement par les suffrages des fidèles et principalement par le sacrifice de l'autel toujours agréé de Dieu, le saint concile ordonne aux évêques d'avoir soin que la saine doctrine touchant le purgatoire soit enseignée et prèchée partout, afin que les fidèles y tiennent et la professent telle qu'elle nous a été transmise. (Session 25, décret du purgatoire.)

    Les Pères et les Docteurs de l'Eglise, fidèles interprètes de la parole divine, ces témoins intègres de la foi, ces dépositaires incorruptibles de la saine doctrine, ces hommes enfin qui ont étonné le monde par la sainteté de leur vie autant que par l'étendue de leur connaissance et la profondeur de leur science, sont unanimes dans leur croyance au purgatoire et n'ont qu'une voix pour la proclamer. Saint Cyprien, au IIIe siècle, distingue trois états de l'homme après la mort. Celui des saints dans le ciel, celui des méchants dans l'enfer, et celui du purgatoire, où l'on est purifié dans le feu avant d'être admis au séjour de la gloire. Saint Augustin offre le saint sacrifice pour le repos de l'âme de sa mère.

    Saint Ambroise s'écrie à la mort de son père : « 0 » mon père, je m'oublierais plutôt moi-même que de vous oublier jamais dans mes prières. Non, ni la mort, ni le temps ne pourra vous arracher de mon cœur. En parlant de l'empereur Théodose, il dit : « Je l'ai aimé comme mon fils sans cesser de le respecter comme mon maître, et c'est  pourquoi je ne cesserai jamais d'offrir pour lui mes vœux et mes prières. Je ne le quitterai plus jusqu'à ce que je l'aie introduit dans la région des vivants où ses mérites l'appellent. » Il nous serait facile de multiplier les citations ; pour ne pas être trop long nous nous bornerons à celles-là.

    La raison elle-même proclame l'existence du purgatoire, sa voix nous parle connue l'Eglise et les Ecritures. Elle nous dit d'abord que Dieu est saint, qu'il est la sainteté, la pureté même, et par conséquent que rien d'impur ne peut entrer dans son royaume, et qu'une âme, ne fut-elle souillée que d'une légère tache, est indigne de s'unir à lui tant qu'elle ne sera pas effacée. « Dieu, dit Job, a découvert des taches » jusque dans ses anges. Seigneur, s'écrie le Roi Prophète, qui habitera votre tabernacle et qui se reposera sur votre montagne sainte ? Celui-là seul  qui est sans péché et qui possède la perfection de la justice. »

    Hélas! où la trouverons-nous dans ce monde cette perfection, cette sainteté sans tache, cette vertu sans défauts, elle n'y existe pas, et les âmes qui arrivent au degré de pureté que Dieu exige pour s'unir à elles immédiatement après leur mort sont réellement de rares, très rares exceptions.

    La raison d'accord avec la foi, nous dit encore que Dieu est bon, infiniment bon, qu'il pardonne, mais elle nous dit aussi qu'il est juste et qu'il exige une réparation. La justice de Dieu ne peut pas plus laisser sans punition la plus légère faute, qu'elle ne peut laisser sans récompense le plus petit acte de vertu. Donc celui qui n'aura pas réparé ses fautes dans ce monde, les réparera infailliblement dans l'autre. Les satisfactions que nous n'aurons pas rendues à la justice de Dieu pendant cette vie, la justice de Dieu se les rendra elle-même après notre mort. Et où les rendra-t-elle ? Dans le purgatoire.

    Enfin la raison nous dit que Dieu est miséricordieux, et que le purgatoire même est une preuve de son infinie miséricorde. « Dieu, dit Tertullien, se montre dans le purgatoire aussi miséricordieux qu'il est juste et qu'il est saint. Il punit les âmes, mais il les aime. Il voit en elles le reflet de sa grâce, le cachet de la prédestination, le signe de l'agneau, le sang de son Fils, la peine qu'il leur impose est une peine de miséricorde. 

    Bénissons donc cette miséricorde de Dieu, qui par égard à la faiblesse de sa créature, a placé entre le ciel et l'enfer un lieu d'expiation, où l'âme peut encore effacer ses souillures, où malgré la rigueur des souffrances qu'elle endure, elle n'espère pas seulement, mais elle est assurée de posséder un jour le bonheur pour lequel elle a été créée. Mais bénissons surtout cette bonté qui nous établit comme médiateurs entre lui et ces âmes souffrantes, qui nous donne le pouvoir de lier les mains de sa justice, d'arrêter le bras qui les frappe, d'être encore utiles à ceux que nous avons aimés, et de les suivre par notre amour au delà même de la tombe.

    PRIÈRE.

    Enfants soumis de votre Eglise, nous croyons, ô mon Dieu, à l'existence du purgatoire comme à tous les dogmes qu'elle nous enseigne, nous adorons l'équité de vos jugements, même dans les rigueurs de votre justice ; nous y entrevoyons votre miséricorde, et nous bénissons la sagesse infinie qui a su concilier les droits de l'une et de l'autre. Oh ! qu'elle est belle, mon Dieu, notre foi ! qu'elle est consolante la doctrine de votre Eglise. Tandis que l'incrédulité ne voit rien au delà de la tombe, que le cœur desséché de l'hérésie voit dans la mort la rupture de tous rapports entre ceux qui s'en vont et ceux qui lui survivent, l'Eglise, comme une tendre mère, vient verser un baume consolateur sur les profondes blessures que la mort fait à nos cœurs en nous séparant de ceux que nous aimons. Elle élève nos pensées bien au-dessus de cette terre qui s'est ouverte et refermée sur la dépouille mortelle de ceux que nous pleurons, en présence des hideux trophées de la mort, elle nous rappelle à la pensée de notre glorieuse immortalité, et au milieu de nos larmes et de notre douleur, elle nous fait entendre des paroles d'espérance et d'amour. Elle nous dit que ceux dont la séparation déchire notre cœur ne sont pas perdus pour nous, qu'ils ont échangé une vie pleine de misère contre une vie qui ne doit plus finir, que séparés d'eux par la mort, nous leur sommes encore unis par la charité, que nous pouvons encore leur donner de nouveaux témoignages de notre amour en accélérant leur bonheur par nos prières, en acquittant nous-mêmes par des œuvres satisfactoires les dettes qu'ils ont contractées envers votre divine justice. Oui, ô mon Dieu, notre cœur avait besoin de croire que la mort n'interrompait pas nos rapports avec ceux dont elle nous sépare, que notre douleur et nos larmes unies à nos prières pouvaient plaider leur cause auprès de vous, que noue pouvions par nos suffrages et nos bonnes œuvres leur venir en aide et hâter l'instant de leur bonheur. Acceptez donc, Seigneur, l'humble hommage de notre reconnaissance, et soyez béni d'avoir placé dans un des articles de notre foi une de nos plus douces consolations.

    EXEMPLE.

    Dans le diocèse de Nocera, vint à mourir un jeune homme qui avait eu pour saint Bernardin de Sienne une dévotion singulière, et ce saint pour le récompenser obtint de lui rendre la vie. Mais avant il voulut bien lui faire connaître les mystères de l'autre monde, et le prenant avec lui il le conduisit dans les régions infernales. Là, dans les tourbillons d'une épaisse fumée et d'un feu dévorant, il lui fit voir une foule presque infinie de damnés, en proie à un éternel désespoir. Il le transporta ensuite au ciel, où, dans un ordre admirable, les chœurs des anges et les cohortes des saints jouissaient d'un bonheur au-dessus de tout ce qu'on peut imaginer. Enfin il lui montre la prison du purgatoire, où au milieu des flammes ardentes se purifiaient les âmes des trépassés jusqu'à ce qu'elles fussent dignes d'entrer dans la gloire du ciel. Ce ne fut pas sans être profondément touché qu'il vit ces âmes s'empresser autour de lui et le prier de retracer aux hommes, à son retour dans le monde, les affreux tourments qu'elles souffraient, et de les exciter à les soulager par des suffrages abondants. Il le fit au grand avantage de ces pauvres âmes, car rendu à la vie il parlait à tous du purgatoire : « Ton père, disait-il à l'un, est au milieu des flammes et attend les effets de ta piété filiale : ton fils, disait-il à un autre, se recommande à ton amour paternel : ton bienfaiteur, ingrat héritier, te demande l'exécution de ses legs pieux. Toutes ces âmes, en un mot, ont recours à votre foi, à votre charité, pour obtenir un prompt et généreux soulagement. Figurons-nous aujourd'hui entendre les mêmes exhortations, et donnons les preuves les plus manifestes de notre croyance au purgatoire. » (Le Mois des Ames du purgatoire, par Francesco Vital.)

     

    PRATIQUE.

    Prouver notre foi au dogme du purgatoire par une tendre charité pour les saintes âmes qui en subissent les rigueurs et par la suite des fautes légères qui peuvent nous y conduire nous-mêmes.

     

    IIe JOUR

    Justice et miséricorde.

    Si vous tenez, Seigneur, un compte exact de nos iniquités, qui pourra subsister devant vous. Ps. 129.

    Ier Point. Dieu est saint, il est la sainteté même, et sa sainteté repousse tout ce qui ne l'est pas. Il est juste, la justice même, et cette justice réprouve le péché, elle le poursuit et le punit partout où elle le trouve. Il est miséricordieux, et la miséricorde même, il aime à exercer cet attribut divin sur notre misère, et s'il ne peut indiquer les droits de sa justice, il en tempère toujours les rigueurs par sa miséricorde. Il hait le péché, mais il aime le pécheur, il a pitié de la faiblesse de sa créature, et dans son infinie bonté, il ne peut se décider à perdre éternellement les âmes qui paraissent en sa présence revêtues de la robe nuptiale de sa grâce ; mais portant sur cette robe qui doit être immaculée pour être admise aux noces de l'agneau les légères traces du péché véniel qui n'a pas été expié en ce monde, ou qui sont encore redevables à la justice pour n'avoir pas fait une pénitence suffisante des péchés mortels qui leur ont été remis quant à la coulpe par la grâce de l'absolution, mais dont la peine temporelle leur restait à subir. Le purgatoire est donc le moyen inventé par la justice de Dieu pour concilier à la fois les droits de sa justice et ceux de sa miséricorde, c'est la planche de salut que sa main miséricordieuse prépare aux pauvres naufragés de la vie, que la mort jette chaque jour en si grand nombre sur les rivages de l'éternité. Sans cette planche de salut, l'entrée du ciel serait presque impossible à notre faiblesse, et le nombre des élus serait, hélas ! bien restreint.

    Cependant ne nous faisons pas illusion, si la miséricorde de Dieu se montre à nous par l'invention du purgatoire, sa justice s'y exerce dans toute sa rigueur, elle ne relâche rien de ses droits, et les saintes âmes qu'elle retient dans ces brûlantes prisons doivent lui payer jusqu'à la dernière obole la dette qu'elles ont contractée envers elle. En quittant la vie, ces âmes ont passé de l'empire de la miséricorde de Dieu sous celui de sa justice. Cette nuit redoutable dont Notre-Seigneur nous parle dans le saint Evangile, nuit où l'on ne peut plus rien faire, c'est-à-dire, où l'on ne peut plus ni mériter, ni fléchir par ses prières et par ses larmes le Dieu que l'on a offensé, est arrivée pour elles. Hélas ! ce Dieu si bon, qui pendant leur vie n'a cessé de les poursuivre de son amour, qui avait soif de s'unir à elles, les repousse aujourd'hui avec une inflexible rigueur. Ce Dieu qui se laissait fléchir au premier cri de leur repentir, qu'un soupir, qu'une larme désarmait et qui semblait en quelque sorte plus empressé de les pardonner qu'elles ne l'étaient elles-mêmes d'obtenir leur pardon, reste maintenant sourd et comme insensible à leurs gémissements, à leur prières et à leurs larmes.

    La main du Seigneur, cette main plus douce encore que celle d'une mère quand elle essuie nos larmes, et qu'elle verse sur les plaies de notre âme le baume de ses divines consolations, s'appesantit sur ces âmes infortunées. Ah ! si elle est douce, légère quand elle panse nos blessures, elle nous semble parfois bien lourde lorsqu'elle s'appesantit sur nos corps par la maladie, ou sur nos âmes par l'affliction, et cependant quand il frappe ici-bas, c'est un père qui le fait, la tendresse retient son bras et tempère toujours la sévérité de ses châtiments ; mais dans l'autre vie, sa main pèse de tout son poids sur les saintes âmes du purgatoire, il est père encore, il punit à regret ; mais il punit en juge. Que dis-je ? il punit en Dieu !... Cette main qui châtie est bien sévère et bien puissante, et les âmes qui la sentent peser sur elles, ne pouvant plus le fléchir elles-mêmes, s'adressent à nous et nous crient du fond de leurs brûlants abîmes : « Ayez pitié de nous, vous du moins qui êtes nos amis ! Ayez pitié de nous, car la main de Dieu nous a frappées. »

    Mais quels sont les châtiments que Dieu inflige aux saintes âmes du purgatoire ? Nous ne ferons aujourd'hui que les indiquer, devant les développer dans le cours de cet ouvrage. C'est d'abord le bannissement momentané du ciel, la privation de la vue de Dieu, de sa divine présence, et ce châtiment est le plus douloureux de tous pour ces âmes qui ne peuvent plus désirer, aimer, vouloir que Dieu seul ; qui s'élancent sans cesse vers lui avec des élans d'amour qu'il nous est impossible de comprendre ici-bas, et qui sans cesse se sentent repoussées par son inexorable justice. Ah ! si l'homme qui a encouru la peine du bannissement verse souvent des larmes amères au souvenir de sa patrie, si l'enfant éloigné de la maison paternelle sent parfois son cœur comme prêt à se briser et ne peut retenir ses sanglots à la pensée de son père, de la tendresse de sa mère, de ses caresses dont il est privé, s'il pleure en pensant à ses frères, s'il regrette enfin tout ce qu'il a laissé dans ce doux nid de son enfance, tout, jusqu'au chien, fidèle gardien du foyer domestique ; combien plus encore ces pauvres exilées du ciel ne sentent-elles pas peser plus lourdement sur elles la peine de leur bannissement, et avec quelle indicible ardeur n'aspirent-elles pas après l'instant où il leur sera permis de s'envoler vers les fortunés rivages de leur éternelle patrie.

    Mais ces saintes âmes ne sont pas seulement exilées sur une terre étrangère, la justice de Dieu les tient enfermées au fond d'un brûlant abîme, elles sont prisonnières et leur prison est de flammes ardentes. Là doivent disparaître et s'effacer lentement sous l'action de ces flammes vengeresses, toutes les souillures, toutes les taches qui ternissent leur beauté et les rendent indignes des embrassements de l'Epoux divin. La plume est impuissante à dépeindre la rigueur de leurs tourments, l'intensité des douleurs qu'elles ressentent, parce que notre esprit ne saurait les comprendre. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que les souffrances de ces saintes âmes surpassent toutes les douleurs que l'on peut endurer ici-bas, et d'après les saints Pères tous les supplices endurés par les martyrs ne sont rien auprès des terribles expiations du purgatoire.

    IIe Point. La justice de Dieu parait encore dans la manière dont il applique ses châtiments aux saintes âmes du purgatoire. Ces châtiments sont répartis avec une parfaite équité et toujours proportionnés au nombre, à la nature et à la grandeur des fautes des âmes qui les subissent. De même qu'il y a plusieurs demeures dans la patrie céleste et inégalité dans les récompenses que Dieu décerne à ses élus, de même que ces récompenses sont toujours proportionnées à leurs vertus et à leurs mérites ; de même aussi il y a plusieurs demeures dans le lieu de l'expiation et l'inégalité dans les peines qu'on y endure, l'intensité et la durée de ces peines varient selon le degré de culpabilité des âmes qui les ont encourues. Ne serait-ce pas faire injure à la justice de Dieu que de croire qu'il châtie avec la même sévérité des âmes qui l'ont aimé et servi toute leur vie, qui n'ont emporté à leur sortie de ce monde que quelques grains de la poussière de la terre, c'est-à-dire quelques légères fautes échappées à la faiblesse humaine, et l'âme du pécheur qui a bu l'iniquité comme l'eau, qui l'a oublié, outragé pendant de longues années, dont le cœur enfin ne s'est retourné vers lui qu'à sa dernière heure, et qui justifié, il est vrai, par la grâce de l'absolution, a été jeté par la mort au pied de son redoutable tribunal toute couverte des hideuses cicatrices et des plaies, pour ainsi dire, encore saignantes du péché. Ah ! ce serait une absurdité de le croire, et il n'y aurait pas de justice en Dieu s'il en était ainsi. Nul doute donc que l'intention des peines endurées par cette dernière âme ne surpasse avec une juste équité celle de la première et que la durée de son expiation ne soit également beaucoup plus longue.

    Mais nous l'avons dit : si Dieu par le purgatoire sauvegarde les droits de sa justice, il n'abdique pas ceux de sa miséricorde ; s'il châtie si sévèrement ces âmes qu'il aime, ce n'est que pour les rendre dignes de lui et aptes à lui être éternellement unies ; mais il ne les châtie qu'à regret, il fait pour ainsi dire violence à son amour en les tenant éloignées de lui, en se montrant comme insensible à leurs soupirs et à leurs gémissements. Aussi, si ces saintes âmes ne peuvent plus rien par elles-mêmes, Dieu dans sa miséricorde a voulu que nous puissions tout pour elles. Il a remis, pour ainsi dire entre nos mains, les clés de l'abîme où elles gémissent, afin que nous puissions leur en ouvrir les portes, il veut que nous puissions retenir le bras de sa justice qui les frappe, le désarmer, ouvrir en leur faveur les trésors de sa miséricorde. Et pour cela qu'exige-t-il de nous ? Si peu de chose que nous serions inexcusables de ne pas le faire. Si pour acquitter les dettes de nos frères souffrants nous étions obligés de nous condamner à de rudes et longues austérités, nous pourrions alléguer l'impuissance où nous sommes de les embrasser ; si Dieu demandait enfin de nous de grands sacrifices, des choses difficiles à accomplir, nous pourrions hésiter et manquer de courage ; mais il n'en est pas ainsi, et les moyens qu'il nous donne pour soulager les âmes de nos frères sont si faciles qu'ils sont à la portée de tous, et qu'il faudrait être dénué de cœur et de charité pour refuser d'en faire usage. En effet, avec une larme de compassion nous pouvons éteindre ou du moins diminuer l'activité des flammes qui dévorent ces saintes âmes. Avec une prière nous pouvons adoucir, calmer leurs souffrances, avec une indulgence gagnée en leur faveur, satisfaire pour elles à la justice divine, avec une messe, une communion faite en leur intention, les mettre éternellement en possession du Dieu que cet acte le plus saint, le plus méritoire de la vie chrétienne nous donne à nous-même.

    Qu'elle est belle, mais en même temps qu'elle est douce et consolante pour notre cœur la mission de charité que Dieu nous confie envers les âmes souffrantes du purgatoire. Rappelons-nous cet ange que le Seigneur fit descendre dans la fournaise de Babylone pour y secourir les trois jeunes Hébreux que Nabuchodonosor y avait fait jeter dans sa fureur et qui devaient y périr. L'Esprit céleste écarta d'eux les flammes qui devaient les consumer, répandit une agréable fraîcheur dans ce lieu embrasé, et y conserva sains et saufs les jeunes Israélites jusqu'au moment où ils en furent retirés pleins de vie. Nous aussi nous pouvons être comme des anges consolateurs pour les saintes âmes du purgatoire et renouveler en quelque sorte pour elles le miracle dont nous venons de parler. Par la charité nous pouvons descendre dans cette fournaise ardente où la justice de Dieu les tient enfermées, et dont celle de Babylone n'était qu'une imparfaite image, par la puissance de la prière, du jeûne et de l'aumône, répandre comme une rosée rafraîchissante sur ces âmes souffrantes, et par l'ardeur de nos supplications, par notre dévouement pour elles les retirer de cet abîme où elles souffrent de si cruels supplices.

    Ah ! ne refusons pas d'accomplir la mission de charité et de miséricorde que Dieu a daigné nous confier, soyons les avocats, les médiateurs, les consolateurs des saintes âmes du purgatoire ; interposons-nous entre elles et la justice divine et mettons tout en œuvre pour adoucir leurs peines et hâter leur bonheur ; en étant utiles à ces saintes âmes, nous serons utiles aussi à la nôtre, et notre charité ne restera pas sans récompense.

    N'avons-nous pas nous-même un immense besoin de la miséricorde de Dieu ! Hélas ! nous avons commis bien des fautes dans notre vie, et la pénitence que nous en avons faite n'est-elle pas insuffisante pour satisfaire à la justice divine, et n'est-ce pas avec raison que nous appréhendons de rester longtemps en purgatoire pour achever de nous purifier. Eh bien ! si nous sommes miséricordieux pour les saintes âmes du purgatoire, Dieu le sera aussi pour nous ; nous en avons pour garant la parole de notre adorable Sauveur ; n'a t-il pas dit : Heureux les miséricordieux parce qu'ils obtiendront miséricorde ? Si nous avons pitié des âmes de nos frères défunts, si nous cherchons à adoucir leurs souffrances, à hâter leur bonheur en leur appliquant les mérites du sang précieux de Jésus-Christ, Dieu nous appliquera à nous-mêmes les mérites de ce sang adorable, il nous pardonnera, il inspirera à ceux qui nous survivront d'exercer envers nous la charité que nous aurons exercée envers les autres, et il avancera aussi pour nous le moment heureux où nous irons pour jamais le posséder dans sa gloire. Ainsi soit-il.

    PRIÈRE.

    Soyez béni, Seigneur, Dieu de bonté et de miséricorde, qui, dans votre infinie tendresse, daignez mettre entre les mains de pauvres et misérables pécheurs comme nous, les intérêts des saintes âmes du purgatoire, de ces âmes que vous aimez et que vous ne châtiez qu'à regret. Si votre justice exige que vous paraissiez insensible à leurs larmes et à leurs gémissements, vous daignez recevoir les nôtres comme un sacrifice d'agréable odeur, vous prêtez une oreille favorable à nos supplications et aux humbles prières que nous vous adressons en leur faveur; vous nous donnez enfin le pouvoir de fléchir votre justice, de la désarmer et d'être non pas seulement les consolateurs, mais les libérateurs de ces saintes captives en leur ouvrant les portes de l'éternelle patrie. Elle est bien belle et bien consolante, ô mon Dieu ! la mission que vous daignez nous confier envers elle, et désormais nous voulons l'accomplir avec un zèle et un dévouement qui ne se démentiront plus, et notre joie la plus vive sera de venir en aide, par tous les moyens en notre pouvoir, à ces âmes qui nous sont si chères et de hâter par nos suffrages le moment où elles iront vous glorifier éternellement dans le ciel. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    Le vénérable curé d'Ars avait une grande dévotion aux saintes âmes du purgatoire « il encourageait, » dit M. l'abbé Monnin, son biographe, toutes les entreprises qui avaient pour objet leur soulagement. Comme saint Dominique, dont il est dit qu'il faisait trois parts de son sang, il faisait dans son cœur trois parts de ses travaux, de ses souffrances et de ses larmes : la première pour ses péchés, la seconde pour les péchés des vivants, la troisième pour les péchés des morts. Il offrait de plus à leur intention toutes ses insomnies et toutes ses douleurs nocturnes. Nous insérons ici, dit encore M. l'abbé Monnin, un nouveau témoignage de sa sollicitude pour les membres de l'Eglise souffrante.

    C'est une lettre qui nous a été adressée par M. l'abbé Serra, aumônier de l'Hôtel-Dieu de Kimes, et dans laquelle il nous fait connaître le résultat des deux entrevues qu'il eut avec M. le curé d'Ars, au sujet de la confrérie de Notre-Dame-du-Suffrage qu'il avait le projet d'établir dans cette ville ; on y verra combien le saint curé s'est montré favorable à cette belle institution.

    Cette année-ci, j'étais aux pieds de M. Viannay, pour la seconde fois, et je lui disais : Il y a deux ans, mon père, que j'eus le bonheur de vous voir et de vous parler entre autres choses d'une pieuse association de prières et de bonnes œuvres que je voulais établir à Nîmes, pour le soulagement et la délivrance des pauvres âmes du purgatoire en général et spécialement de celles qui sont le plus abandonnées. Vous daignâtes alors m'adresser quelques paroles d'encouragement et de sympathie, vous me prédites même le succès de cette œuvre qui vous parut sainte et salutaire. J'ai aujourd'hui la consolation de vous apprendre que vos encouragements ont porté leurs fruits. L'association par le secours de vos saintes prières s'est établie comme par enchantement, elle a été reçue avec une sorte d'enthousiasme, et Mgr Plantier lui a donné toute la protection que vous m'aviez annoncée. Elle compte aujourd'hui de cinq à six mille membres, et elle a fait célébrer en moins de deux ans plus de cinq mille messes pour le repos des âmes du purgatoire. 

    « Oh ! me dit-il, je n'en suis pas étonné, c'est l'Esprit saint lui-même qui vous a inspiré la pensée de cette belle œuvre, et quand l'Esprit saint veut une chose, elle réussit toujours. Tâchez maintenant de la répandre et de la bien établir. »

    Je lui recommandai ma chère fondation, il me promit de la prendre sous son patronage. Je ne doute point que ce ne soit à ses prières que nous devions attribuer l'extension extraordinaire qu'elle a prise depuis la mort du bienheureux ; elle a pénétré dans sept ou huit diocèses de France et de Belgique. Après m'avoir donné la raison du succès de notre œuvre, qu'il ne voulut point attribuer à ses prières, le saint curé s'arrêta et il me parla d'une manière admirable sur la dévotion aux âmes du purgatoire et sur les avantages de cette dévotion pour ceux qui la pratiquent. Oh ! me dit-il, en levant vers le ciel ses yeux mouillés de larmes, si l'on savait combien nous pouvons obtenir de grâces par le moyen des âmes du purgatoire, elles ne seraient pas tant oubliées ! Ces saintes âmes sont les épouses de Jésus-Christ. Elles sont bien plus agréables à ses yeux que nous, et quoi qu'elles ne puissent pas mériter par elles-mêmes, elles peuvent cependant prier pour leurs bienfaiteurs ; leurs prières sont plus puissantes que les nôtres, parce qu'elles sont plus saintes et confirmées en grâces. D'ailleurs, ne pouvant par elles mêmes ni se délivrer, ni se soulager dans les terribles souffrances qu'elles endurent, ne pouvant pas même, selon l'ordre établi par la divine Providence, recevoir directement de Dieu la rémission de la peine due à leurs péchés, elles sont obligées de recourir à nous, qui sommes comme leurs sauveurs, pour obtenir du soulagement et leur délivrance. Elles sont donc intéressées à prier le bon Dieu pour toutes les personnes qui pensent à elles et à leur faire sentir les bons effets de leurs prières afin de les engager de plus en plus à ne pas les oublier. Il ajouta bien d'autres considérations qu'il serait trop long de rapporter, et finit en m'engageant à faire prier beaucoup pour les âmes oubliées, et je le lui promis.

    Je lui demandai ensuite comme une grâce de me permettre de l'inscrire au nombre des associés dans le registre de la confrérie de Notre-Dame-du Suffrage, à la condition que les autres associés auraient part à toutes ses prières et dans le temps et dans l'éternité. Eh bien ! me dit-il, soit... J'y gagnerai, et nous serons par ce moyen en union de prières et dans cette vie et dans l'autre ; et comme je lui avais dit que j'étais bien convaincu qu'il n'irait pas en purgatoire, il me répondit : Hélas ! quels sont ceux qui n'y vont pas ; il faut être si pur pour entrer au ciel ; le plus sûr est de prier pour tout le monde. De retour à Nîmes, je me hâtai d'inscrire le nom du saint curé dans nos registres, et vingt jours après ayant appris la nouvelle de sa bienheureuse mort nous avons fait célébrer neuf messes à son intention, auxquelles sont venus communier tous les jours un grand nombre d'associés. 

    PRATIQUE.

    Ne passer aucun jour sans offrir à Dieu quelques prières en faveur des saintes àmes du purgatoire.

     

    IIIe JOUR

    Souffrances du Purgatoire. Peine du sens.

    Aux portes de l'enfer, Seigneur, arrachez mon âme.

    1er Point. Nous devons aujourd'hui nous occuper des terribles expiations du purgatoire et des peines qu'y endurent les saintes âmes que la justice de Dieu y tient enfermées. Quelles sont ces peines ? quelle est leur nature ? Pour répondre à cette question la foi seule doit être consultée, et nous nous contenterons de rapporter simplement l'enseignement de l'Eglise et les sentiments des saints Péres et des Docteurs à ce sujet.

    Il y a dans le purgatoire une double peine, celle du sens et celle du dam ; celle-là consiste dans la privation de Dieu, et nous nous en occuperons dans le chapitre suivant. L'Eglise ne s'est pas prononcée ; elle n'a rien défini sur la nature des souffrances du purgatoire, elle enseigne seulement que le purgatoire est un lieu de peines où les âmes des justes achèvent d'expier leurs péchés avant d'être admises à la gloire du paradis qui leur est assurée. Mais cette tendre mère montre assez dans les prières qu'elle ne cesse d'adresser à Dieu pour des enfants qui n'ont pas cessé d'être l'objet de son inquiète sollicitude, qu'elle croit à la rigueur des peines qu'ils endurent puisqu'elle demande instamment pour eux un lieu de rafraîchissement, de lumière et de paix.

    Ecoutons maintenant les Pères et les Docteurs de l'Eglise, ces fidèles interprètes de sa foi et de ses sentiments. Saint Cyprien nous dit qu'il vaut mieux expier ses péchés ici-bas, même par le martyre, que de remettre à le faire dans l'autre vie, dans cette prison terrible où il faudra payer à Dieu jusqu'aux plus petites fautes.

    Si nous interrogeons saint Césaire d'Arles, il nous répond que personne ne dise qu'importe le temps que je resterai dans le purgatoire pourvu que je parvienne à la gloire éternelle ; car, mes frères, les tourments du purgatoire sont plus insupportables que tous les tourments que l'on peut souffrir ou même imaginer dans cette vie. 

    Si je m'adresse à saint Augustin il me tient le même langage : « Toutes les tortures de ce monde, me dit-il, ne sont rien, si on les compare avec ce qu'il faut souffrir dans le purgatoire. »

    Saint Jérôme, saint Grégoire, pape, tous les saints parlent de même ; saint Thomas, le théologien par excellence, l'oracle de son siècle et de tous les siècles , saint Thomas ne craint pas de dire que les peines du purgatoire sont les mêmes que celles de l'enfer et qu'elles n'en diffèrent que par la durée.

    Tous ces Pères, tous ces Docteurs croient et enseignent également que les âmes du purgatoire sont purifiées par le feu ; mais de quelle nature est ce feu ? Est-ce réellement un feu matériel ou faut-il prendre ce mot feu dans un sens métaphorique qui signifie une peine vive et insupportable. Quelques Pères ont été de cette opinion, comme Origène, Lactance et saint Jean Damascène ; mais le plus grand nombre des saints Docteurs ont cru que l'on devait entendre à la lettre les passages de l'Ecriture à ce sujet, et que le feu par lequel les âmes sont purifiées après cette vie est réellement un feu matériel. Les théologiens enseignent également qu'il n'y a aucune raison de penser que ce ne soit pas un feu matériel et de prendre ce mot dans un sens métaphorique.

    Ici il faut nous rappeler une chose enseignée par la toi, c'est que l'âme, séparée du corps, est capable de ressentir des douleurs semblables à celles qu'elle souffre lorsqu'elle lui est unie. Inutilement demanderions-nous comment il peut en être ainsi ? Tout ce qu'on peut répondre c'est qu'il n'est certainement pas plus difficile à Dieu de faire éprouver de la douleur à une âme séparée du corps qu'à une âme unie à un corps.

    Mais comment un feu matériel peut-il agir sur l'âme, qui est une substance immatérielle ? Pour le comprendre il faut remarquer avec les théologiens que tous les êtres créés ont deux sortes de puissances, les unes naturelles et les autres surnaturelles ; les dernières se nomment puissances d'obéissance. Les puissances naturelles regardent la nature et l'exigence des êtres créés ; les puissances d'obéissance regardent le souverain domaine et le bon plaisir de Dieu, le créateur et le maître absolu de tous les êtres. Or, pour expliquer la difficulté qui nous occupe, disons que le feu, qui est un élément créé par Dieu, a une double puissance. L'une est une puissance naturelle, et par elle il brûle les corps et non les esprits séparés des corps, car un être matériel comme le feu ne saurait agir naturellement sur un être immatériel comme l'esprit. L'autre puissance est une puissance d'obéissance, et par elle le même feu, animé du souffle de Dieu, peut surnaturellement brûler et tourmenter les esprits. C'est ainsi, disent les théologiens, que le feu agit dans l'enfer et dans le purgatoire.

    Il y a plus, Dieu, en vertu de sa puissance et de son domaine infini sur le feu comme sur toutes les autres créatures, peut s'en servir pour faire souffrir les âmes de diverses manières ; ce feu, entre les mains de sa justice, est un instrument docile à toutes ses volontés. Il brûle ces âmes quand il le veut ; il les glace comme la neige ; il les remplit d'amertume ; il les pénètre et les déchire comme le glaive. C'est en ce sens que l'Ecriture sainte nous représente dans les enfers une transition subite du froid de la neige aux ardeurs intolérables du feu. Ad nimium calorem transeat ab aquis nivium(1) (1) Job. 24, 19. Ce supplice du feu en enfer et en purgatoire réunit en lui seul tous les autres supplices ; il brûle, il glace, il torture de toutes les manières Qui ne tremblerait à la seule pensée des terribles justices du Seigneur, et quel est celui qui peut y songer sans mettre tout en œuvre pour éviter pour lui-même de si redoutables châtiments et pour venir en aide aux saintes âmes qui les subissent?

    IIe Point. Le supplice du feu, dans le purgatoire, n'est pas le même pour toutes les âmes; comme les fautes qu'il est destiné à châtier ont été inégales en nombre et en malice, les peines sont également inégales dans leur rigueur. Ce feu terrible semble doué par la justice de Dieu d'intelligence et de discernement ; il agit sur les âmes selon la nature et la grièveté de leurs fautes, et il y a autant de degrés divers dans les souffrances des âmes du purgatoire qu'il y en a dans leur culpabilité, et il n'est presque pas d'âmes qui éprouvent également les mêmes souffrances, parce qu'il n'en est presque pas qui soient coupables au même degré. Deux personnes ayant commis la même faute peuvent cependant ne pas être aussi coupables devant Dieu l'une que l'autre ; cela dépend de l'intention et de la malice avec lesquelles elles ont commis cette faute, et la justice de Dieu discerne admirablement le degré de culpabilité de chacun pour y proportionner la peine qui doit en être le châtiment.

    La puissance d'obéissance qui est dans le feu, dit un pieux auteur, sert d'instrument à la justice de Dieu. Or, les causes instrumentales entre les mains d'une cause libre agissent de la façon dont elles sont appliquées. C'est ainsi qu'un sabre manié d'un bras puissant et robuste ne fera qu'effleurer la peau, si ce bras l'applique doucement il déchirera et emportera la pièce s'il est déchargé avec violence. La justice de Dieu tient en main une épée de flammes, elle en frappe les âmes en purgatoire ; mais, parce qu'elle est sage, raisonnable et clairvoyante, elle mesure les coups d'après les fautes qu'elle veut châtier. Elle trouve des péchés nombreux et graves, elle frappe plusieurs coups, et des coups plus rigoureux ; elle trouve moins de fautes, et des fautes de moindre importance, elle frappe moins de coups, et elle les donne avec plus de douceur. En un mot, elle pèse dans de justes balances les péchés et les peines (1) [ocr errors]. »

    Non, rienne peut échapper à la clairvoyance de la justice du Seigneur ; son œil pénètre dans les plus intimes profondeurs de l'âme, et il y découvre les plus imperceptibles taches. Les juges de la terre peuvent se tromper ; ils ne sont obligés de se prononcer que sur les faits qui sont à leur connaissance, sur les dépositions des témoins, mais ils ne peuvent pénétrer le secret des cœurs des coupables cités à leur tribunal, ni voir ce qui peut atténuer leurs fautes ou en augmenter la gravité. Par là même ils peuvent souvent appliquer des peines qui ne sont pas proportionnées aux délits des coupables. Aussi la peine sera trop forte pour la faute de l'un et trop légère pour celle de l'autre ; mais il n'en est pas de même de Dieu, rien ne peut le tromper ; pour lui l'erreur n'est pas possible, il voit la faute des coupables telle qu'elle est en réalité, l'intention qui l'a fait commettre, la malice plus ou moins grande avec laquelle elle a été commise, comme il voit aussi les circonstances qui peuvent en diminuer la gravité, et comme ce Dieu de bonté ne punit pas pour le plaisir de punir, mais parce que sa sainteté et sa justice exigent qu'il le fasse, il proportionne exactement la peine à la grandeur de la faute. Ainsi une âme qui n'est coupable que de fautes légères n'aura à subir que des peines légères ; cette autre dont les fautes auront été plus graves subira encore nécessairement un châtiment plus rigoureux, et celle dont les fautes auront été énormes, subira encore nécessairement un châtiment plus sévère et plus long.

    Hélas ! nous ne songeons guère que cette multitude de petites fautes que nous commettons avec tant de facilité, que nous nous reprochons si peu, deviendront un jour l'aliment de ce feu terrible de la justice de Dieu et qu'aucune d'elles ne restera impunie, si elle n'a pas été expiée ici-bas par la pénitence. Ah ! pensons-y, toutes ces légères médisances dont nous ne nous faisons aucun scrupule, toutes ces paroles de vanité, de plaintes, de murmures, toutes ces recherches de nous-mêmes, cet amour de nos aises, du luxe, de la toilette, tout cela deviendra pour nous la matière de cruelles et peut-être de bien longues souffrances. Ne soyons donc pas ennemis de nous-mêmes et cherchons à nous en préserver en évitant avec le plus grand soin tout ce qui peut nous rendre passibles de ces terribles expiations du purgatoire. .

    Combien il est peu de personnes qui songent sérieusement à les éviter, ces expiations si redoutables du purgatoire. Elles n'y pensent guère ces femmes mondaines si vaines de leur beauté, si avides de plaisirs, si désireuses de plaire, si sottement occupées du soin de leur parure et de celui de suivre tous les caprices de la mode. Hélas ! comment soutiendront-elles l'ardeur de ces flammes dévorantes, ces femmes si sensibles à la moindre douleur, si idolâtres d'elles-mêmes, si empressées à se procurer des jouissances, du bien-être, à rechercher tout ce qui peut flatter leur sensualité et satisfaire leurs sens. Elles fuient, elles redoutent la pénitence, ici-bas rien ne leur coûte pour le monde, mais tout ce qu'on leur conseille de faire pour Dieu leur parait impraticable ; un jour de jeûne, une légère mortification leur semblent des exagérations imprudentes, qu'elles repoussent bien loin comme capables de compromettre leur santé, et elles s'avancent ainsi vers l'éternité redevables à la justice divine d'une dette énorme qu'elles augmentent tous les jours sans songer à l'acquitter jamais. Ah ! quels regrets, quelles longues et terribles expiations elles se préparent.

    Quel terrible purgatoire encore n'auront pas à subir tant de personnes dont la vie entière se passe loin de Dieu , dans l'infraction de toutes ses lois et dans l'oubli des devoirs les plus sacrés de la religion. Nous le savons, la miséricorde de Dieu est infinie et beaucoup de ces âmes échapperont par l'effet de cette divine miséricorde aux flammes éternelles de l'enfer. Mais si Dieu, dans son infinie bonté, écoute le cri du repentir qu'elles feront monter vers lui au moment de leur mort, s'il leur remet la coulpe de leurs péchés, la peine due à ces mêmes péchés leur restera tente entière à subir, et l'inflexible justice de Dieu ne relâchera rien de ces droits, elle exigera jusqu'à la dernière obole le paiement de cette immense dette contractée envers elle pendant une vie entière d'indifférence et de désordres. Ah ! sans doute, pour ces âmes le purgatoire est une grâce inestimable, car hélas ! que deviendraient-elles s'il n'existait pas ? Mais il n'en est pas moins vrai que la pensée des tourments qui attendent ces âmes infortunées glace d'effroi et fait trembler pour elles, car c'est bien pour elles que se vérifient les paroles du grand apôtre. C'est une chose horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant, puisque rien ne peut échapper à sa justice et que personne, quel que soit son rang, sa condition dans le monde, ne peut s'y soustraire, et que tous, riches ou pauvres, grands ou petits, seront forcés de subir ses arrêts.

     

    PRIÈRE.

    Si la pensée de vos miséricordes, ô mon Dieu ! dilate nos cœurs et les remplit de joie et de confiance, celle de vos redoutables et terribles justices y porte la crainte, la consternation et l'effroi. Hélas ! Seigneur, nous écrions-nous avec le saint roi David, si vous tenez un compte exact des iniquités, qui pourra subsister devant vous ? Tous nous sommes pécheurs, tous par conséquent, nous sommes redevables à votre justice, nous l'avouons, nous le confessons à vos pieds ; mais nous vous supplions en même temps, ô grand Dieu ! de détourner la vue de nos iniquités, pour ne voir que notre humiliation et notre repentir. Souvenez-vous, Seigneur, de la faiblesse et de l'infirmité de notre nature, et ne nous traitez pas selon la grandeur de nos iniquités, mais selon celle de votre infinie miséricorde. Ayez pitié de nous, ô mon Dieu ! mais ayez aussi pitié des âmes de nos frères, qui nous ont précédés dans l'éternité, et qui sont maintenant sous l'empire de votre justice ; laissez-vous fléchir par les humbles supplications que nous vous adressons en leur faveur, oubliez les fautes dont elles sont redevables à votre justice, ne voyez en elles que la conquête assurée du sang adorable de votre divin Fils, faites couler sur elles ce sang dont elles sont le prix, qu'il les lave, les purifie, et que par ses mérites les portes de l'éternelle patrie leur soient bientôt ouvertes. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    Sainte Brigitte, étant un jour plongée dans une profonde contemplation, fut tout à coup ravie en extase, pendant laquelle Dieu lui fit connaître les peines endurées par les saintes âmes du purgatoire. Transportée en esprit dans ce lieu de supplices, elle remarqua parmi cette multitude d'àmes souffrantes, une jeune fille dont la condition dans le monde avait été distinguée et qui se désolait au souvenir de l'aveugle tendresse que sa mère avait eue pour elle. Cette tendresse lui avait été plus nuisible que ne l'eût été sa haine, puisqu'elle l'avait portée à flatter la délicatesse de la pauvre enfant et à lui laisser une entière liberté de suivre son goût naturel pour les folles dépenses du luxe et de la vanité. Au lieu de chercher à mettre un frein à l'amour du plaisir déjà trop développé dans le cœur de cette jeune fille, et de chercher à le contrebalancer, en lui inspirant l'amour de la retraite et des devoirs sérieux du christianisme, elle l'avait fomenté encore en la conduisant dans les réunions mondaines. « Il est vrai, disait la malheureuse enfant, que ma mère me conseillait de temps en temps quelques actes de vertu et quelques dévotions utiles ; mais comme d'autre part elle consentait à ce qui m'éloignait de Dieu, ce bien se mêlait au mal, c'était un aliment sain de lui-même, mais qui mêlé à des aliments mauvais et empoisonnés, ne pouvait n'être d'aucune utilité. Toutefois, ajouta-t- elle, je dois rendre grâces à l'infinie miséricorde du Sauveur qui n'a pas permis ma damnation éternelle que je méritais si bien pour tant de fautes. Avant de mourir, touchée de repentir, je me suis confessée, et quoique cette conversion fût l'effet de la crainte, au moment où j'entrais en agonie, je me ressouvins de la douloureuse passion du Sauveur, et cette pensée m'inspira une sincère contrition ; je m'écriai donc, non de bouche, mais de cœur, Seigneur Jésus , je crois que vous êtes mon Dieu, ayez pitié de moi, ô Fils de la Vierge Marie, au nom de vos douleurs du Calvaire, j'ai un vif regret de mes péchés, et je souhaiterais les réparer si j'en avais le temps. En achevant ces mots j'expirai, j'ai été délivrée de l'enfer, mais condamnée à de cruels tourments dans le purgatoire. »

    Après ce discours que Dieu permit que la sainte entendit distinctement afin qu'il servit à l'instruction de tous, cette âme qui souffrait comme si elle eût été encore unie au corps qu'elle avait animé expliqua à sainte Brigitte, que les peines qu'elle endurait étaient exactement proportionnées aux fautes qu'elle avait commises. « Maintenant, lui disait-elle, cette tête que je me plaisais à orner avec tant de soins et de vanité pour attirer les regards, est dévorée de flammes à l'extérieur et à l'intérieur, et de flammes si pénétrantes, qu'il me semble que je suis le point de mire de toutes les flèches de la justice de Dieu. Ces épaules et ces bras, que j'aimais tant à découvrir, sont cruellement étreints comme par des chaînes de feu ; ces pieds ornés pour la danse éprouvent la cuisante morsure de ces flammes dévorantes ; tous ces membres enfin chargés de colliers, de bracelets, de joyaux et de fleurs, sont en proie à d'affreuses tortures, et éprouvent à la fois les brûlantes ardeurs du feu et l'insupportable froid de la glace. »

    L'infortunée poursuivit encore le récit de ses douleurs, afin d'émouvoir la compassion de Brigitte, et d'obtenir ses suffrages. La sainte raconta tout à une cousine de la défunte qui avait elle-même beaucoup de vanité et d'amour pour les plaisirs du monde. Ce récit fît sur elle une si vive impression, qu'elle renonça de suite à ces vains ajustements, aux plaisirs qui avaient tant d'attraits pour elle, et plus tard elle se voua à la pénitence dans un ordre très austère, où elle n'avait de bonheur que dans la mortification, le jeûne et la prière quelle offrait à Dieu non-seulement pour elle, mais pour le soulagement de sa pauvre parente. Révélations de sainte Brigitte, liv. VI, ch. xxxvm et Lii.)

    PRATIQUE.

    S'imposer quelques mortifications en faveur des saintes âmes du purgatoire.

    IVe JOUR

    La privation de Dieu.

    J'ai soif.

    ler Point. J'ai soif : Ces paroles que du haut de la croix l'Homme de douleur laissait tomber de ses lèvres mourantes, et qui étaient bien plus encore l'expression de l'ardent désir qu'il avait du salut des âmes, que de la soif naturelle qui consumait sa poitrine sacrée, peuvent bien s'appliquer aux saintes âmes du purgatoire. Elles ont soif de Dieu, soif de Jésus, comme cet adorable Sauveur a eu soif de leur salut ; et cette soif qui ne peut être satisfaite avant qu'elles soient entièrement purifiées des taches que le péché a laissées en elles, devient leur plus cruel tourment.

    Loin de la terre qu'elles ont quittée pour ne plus y revenir, exilées peut-être pour longtemps encore du ciel qui leur est assuré, ces saintes âmes qui ont reçu de la bouche du souverain Juge l'assurance de leur bonheur éternel, qui se savent aimées de lui et qui sont désormais assurées de l'aimer et de le posséder éternellement, se portent et s'élancent vers Dieu avec une ardeur, une véhémence de désirs qu'il ne nous est pas possible de comprendre ici-bas. Le grand jour de l'éternité s'est levé pour elles, éclairées un instant des doux rayons du soleil de justice, tous les voiles sont tombés de leurs yeux , toutes les illusions de leur vie passée se sont évanouies, et un seul instant a suffi pour leur donner de Dieu et de ses perfections adorables, une connaissance infiniment supérieure à celle qu'en ont ici-bas les saints les plus éclairés des lumières de la grâce et les plus consommés en vertu. De cette connaissance naît naturellement un amour qui excite en elles les plus violents transports, et un ardent désir de posséder et de s'unir pour toujours à celui qu'elles savent être la source de toute beauté, de toute bonté et de tout amour.

    L'amour que ces pauvres âmes ont pour Dieu, ce désir incessant qui les porte vers lui avec une force qui est au-dessus de toute expression, devient leur plus cruel tourment ; leur amour est un feu qui les brûle et qui allume en elles une soif inextinguible de Dieu et les brûlantes ardeurs de ce feu divin leur causent de plus insupportables souffrances que celles du feu allumé par la justice divine pour les purifier. Séparées de leurs corps, entrées dans cette éternité qui leur a dévoilé tant de mystères, elles apprécient les choses du temps à leur juste valeur, et celles qui autrefois leur paraissaient si importantes , si dignes de leurs soins, de leur attention, leur apparaissent maintenant dans leur réalité, et ne sont plus pour elles que ce que déjà elles devraient être pour nous, moins que rien.

    Mais en comprenant le néant de toutes les choses du monde, la folie qu'il y a de s'attacher à des biens dont la mort dépouille si vite ces saintes âmes comprennent aussi que Dieu est le seul bien réel, le seul qui puisse satisfaire l'immensité de leurs désirs ; elles voient qu'elles n'ont été créées que pour lui, qu'il est leur premier principe et leur dernière fin, et qu'elles ne trouveront qu'en lui le repos, la paix et le bonheur. Que ne pouvons-nous comprendre cette vérité comme elles la comprennent aujourd'hui ! Que d'illusions s'évanouiraient pour nous. Combien de fautes seraient retranchées de notre vie et que d'amers regrets nous seraient épargnés pour plus tard. Demandons à Dieu qu'il laisse tomber dans notre âme un rayon de sa divine lumière et qu'elle nous désabuse de toutes nos fausses appréciations, nous apprenant à estimer à leur juste valeur les objets qui nous séduisent. à ne désirer que lui, à n'estimer, à ne rechercher que ce qui peut nous rapprocher de lui, nous unir à lui dans le temps et nous faire mériter le bonheur de la posséder dans l'éternité.

    Le désir de posséder Dieu, de s'unir à lui pour toujours presse donc incessamment ces saintes âmes, sans cesse emportées vers lui. Par l'ardeur de leur amour elles aspirent à ce bien suprême avec toute la force de leur volonté et se sentent sans cesse repoussées par l'inexorable justice de ce Dieu dont l'infinie sainteté se refusera à leurs brûlants désirs aussi longtemps que son divin regard découvrira en elles la moindre trace des souillures du péché. Elles sentent elles-mêmes qu'elles ne sont pas dignes encore de l'union divine à laquelle elles aspirent, elles prouvent contre elles-mêmes les intérêts de la justice de Dieu, elles aiment en quelque sorte leurs tourments et bénissent la main qui les frappe pour les purifier.

    IIe Point. Deux désirs contraires se combattent donc dans ces saintes âmes et viennent ajouter à la rigueur de leur expiation. Le premier de ces désirs est de satisfaire à la justice de Dieu, qu'elles aiment comme tous ses autres attributs, et dont elles adorent les inflexibles arrêts, se sentant indignes de jouir encore des embrassements de l'époux divin, elles aiment et bénissent les souffrances qui les purifient, et l'idée qu'elles ont de la sainteté de Dieu est si grande, qu'alors même qu'il leur serait libre d'entrer dans le ciel, sans être entièrement purifiées, elles se précipiteraient d'elles-mêmes jusqu'au plus profond abîme de leur prison brûlante, plutôt que de paraître devant le divin objet de leur amour souillées de la moindre tache capable de blesser l'infinie pureté de son regard.

    D'un autre côté, la force de l'amour les entraîne sans cesse vers Dieu ; elles se sentent en même temps attirées et repoussées par lui ; attirées par son amour, repoussées par sa justice, sûres de le voir, de le posséder un jour, elles sont impatientes de jouir de ce bonheur, elles y aspirent de toutes les forces de leur être, et cette incessante aspiration vers Dieu, unie au désir, à la volonté sincère de satisfaire, à sa justice, produisent en elles un effort contraire qui leur devient un cruel martyr.

    Quel amer, quel profond regret le souvenir de leurs péchés ne fait-il pas éprouver à ces saintes âmes. Leur amour, il est vrai, est trop pur pour qu'elles puissent, dans ce regret, s'envisager elles-mêmes, elles ne voient que le malheur qu'elles ont eu d'offenser ce Dieu, qu'elles voient même comme la sainteté, la bonté, la miséricorde même ; l'amour qu'elles ont pour lui leur cause une inexprimable douleur. Elles regrettent d'avoir offensé Dieu, parce qu'elles l'aiment, parce qu'elles lui ont déplu, bien plus qu'à cause des châtiments que le péché a attirés sur elles ; leur douleur est profonde, incessante, mais elle est pleine d'amour, et elles ne croient pas pouvoir jamais aimer assez le Dieu qui pouvait les perdre et qui les a sauvées, qui leur a pardonné avec tant de miséricorde les fautes peut-être bien grandes qui ont souillé leur vie.

    Il nous est difficile, pour ne pas dire impossible, de nous faire une juste idée du tourment que causent à ces saintes âmes ces deux désirs contraires qui se combattent en elles. L'amour qu'elles ont pour Dieu leur fait comprendre toutes les joies, toutes les délices dont elles seront inondées quand elles le posséderont, et elles souhaitent avec une brûlante impatience l'heureux moment où il leur sera donné de les goûter. Tandis que le regret d'avoir offensé ce Dieu qu'elles aiment si ardemment leur fait vouloir encore leur douloureux exil du ciel et les rend inconsolables jusqu'à ce que sa justice soit complétement satisfaite. L'amour de Dieu leur fait désirer le ciel, le regret de l'avoir offensé leur fait accepter avec une entière soumission les rigueurs du purgatoire. Elles ne veulent goûter les joies célestes de la patrie qu'après avoir supporté les douleurs de cet exil qui les rendent dignes d'en jouir, puisqu'elles les purifient. Le conflit de ces désirs contraires est un tourment qui ne leur laisse pas de repos. L'amour de Dieu, il est vrai, adoucit leur supplice ; mais le regret de l'avoir offensé l'augmente, l'amour les console, le regret les attriste. L'amour, dit un pieux auteur, leur montre la vraie vie, le regret les tient dans une vraie mort. Je me trompe, l'amour conspire avec le regret pour les faire souffrir davantage, car l'amour, éloigné de la jouissance, est toujours plus avide, et le regret d'avoir péché demeure implacable.

    Aucun des amours de la terre, quelque passionné qu'il soit ne peut donner une idée de l'amour que ces saintes âmes ont pour Dieu ; aucun des désirs que peut éprouver le cœur humain, quelque ardent qu'il soit, ne peut nous faire comprendre la vivacité, la force, la douloureuse anxiété du désir qu'elles ont de posséder Dieu. L'enfant, séparé de la meilleure et de la plus tendre des mères, pleure, se désole et languit loin d'elle ; il appelle de tous ses vœux le moment où il lui sera donné de revoir cette mère chérie, de jouir encore de ses caresses, de son amour ; il souffre, ce pauvre enfant, et cependant sa souffrance, ses regrets, ses désirs, ne sont rien si on les compare à la douleur de ces saintes âmes, pour lesquelles Dieu est plus qu'un père, plus qu'une mère, plus qu'un ami, plus qu'un époux. L'épouse séparée par la mort de celui qu'elle aimait uniquement, de l'époux qui était sa gloire, son protecteur, son appui, reste inconsolable. Celui qu'elle pleure et qu'elle regrette semble avoir emporté avec lui la moitié de son âme ; rien ne peut la distraire de sa douleur et de ses regrets, le monde lui semble désert, la vie lui est devenue un supplice, et la mort qui la réunira un jour à celui qu'elle pleure est l'objet de tous ses vœux. La douleur de cette épouse désolée n'est encore qu'une imparfaite image de celle des âmes du purgatoire bannies de la présence de l'époux divin, qui n'est pas seulement leur protecteur, leur gloire, leur trésor, leur vie ; mais leur fin dernière et le seul objet capable d'assurer leur bonheur. Non, non, je le répète , rien ne saurait nous donner une idée de la véhémence de leurs désirs, de l'ardeur avec laquelle elles s'élancent vers Dieu. Le cerf consumé de soif ne court pas avec autant d'ardeur vers la source d'eau vive qui doit le désaltérer, l'homme que la faim torture ne désire pas aussi vivement le morceau de pain qui peut le rassasier. On comprendra en quelque sorte cette vérité si on pense que c'est l'âme qui a faim, qui a soif de Dieu, et que l'âme, étant bien plus parfaite que le corps, est aussi capable d'endurer des souffrances bien plus intenses, surtout lorsqu'elle est séparée de son corps. On la comprendra surtout, en se rappelant que c'est Dieu lui-même qui allume dans les âmes du purgatoire la soif qu'elles ont de lui, et cette peine, comme toutes celles qui viennent directement de Dieu, a quelque chose de bien plus poignant, de plus vif que toutes celles qui viennent des créatures ou de nous-mêmes.

    Pourquoi donc ce Dieu, si passionnément aimé, si ardemment désiré par les saintes âmes du purgatoire, l'est-il si peu par nous ? Hélas ! indifférents pour celui qui est notre premier principe et notre Un dernière, nous nous passons de lui avec une étrange facilité. Loin d'avoir soif de Dieu comme les saints en avaient soif, comme une sainte Thérèse, qui, dévorée des ardeurs du divin amour, se mourait du regret de ne pouvoir mourir, Dieu ne semble être pour nous qu'un objet secondaire, qu'un bien dont nous ne voulons que le plus tard possible, et dont la possession ne saurait nous dédommager des jouissances que nous trouvons dans ceux de la vie présente. Oh ! que nous gémirons un jour de notre peu d'amour pour Dieu, de notre coupable indifférence, et que peut-être nous l'expierons chèrement. N'attendons donc pas que le grand jour de l'éternité se soit levé pour nous, pour nous désabuser des illusions qui nous séduisent, souvenons-nous que Dieu seul est le bien suprême, que seul il peut satisfaire l'immensité de nos désirs, seul assouvir le besoin de bonheur qui dévore notre âme ; que toutes les aspirations de cette âme s'élèvent donc désormais vers lui ; désirons Dieu, cherchons-le uniquement, afin qu'après l'avoir aimé, désiré et cherché sur la terre, nous le trouvions dans l'éternité, non pas dans sa justice, mais dans sa miséricorde et son amour. Ainsi soit-il.

     

    PRIÈRE.

    0 mon Dieu, Dieu si saint, mais aussi si bon, Dieu si terrible dans vos justices, mais en même temps si riche dans vos miséricordes. Ah ! laissez-vous fléchir par l'amour de ces saintes âmes, que vous aimez bien plus encore que vous n'en êtes aimé ; ne vous dérobez pas plus longtemps à l'ardeur de leurs désirs, ne les repoussez plus ; ouvrez-leur votre sein et laissez-les se perdre et s'abimer en vous. Vous êtes, ô mon Dieu, la lumière, la vérité, l'amour, souffrez que ces pauvres exilées de la terre, qui ont soif de ces biens dont vous êtes la source, viennent pour jamais s'y désaltérer. Oubliez, Seigneur, les fautes que la fragilité de notre nature leur a fait commettre, ne voyez en elles que le prix du sang de votre divin Fils. Ecoutez la voix de ce sang adorable qui vous demande encore leur grâce en coulant à toutes les heures du jour sur tous les autels du monde chrétien et au nom du sang précieux, au nom des mérites de notre miséricordieux Sauveur, que nous vous supplions de vouloir bien leur appliquer ; mettez fin à leurs peines et comblez leurs vœux en leur ouvrant les portes de la bienheureuse patrie. Ainsi soit-il.

     

    EXEMPLE.

    L'exercice continuel des plus éclatantes vertus religieuses, et plus encore les macérations et les pénitences les plus austères avaient porté frère Antoine Corso, de l'ordre des Capucins, à un degré de perfection qui le faisait considérer comme un saint. Cependant, étant venu à mourir, il ne put monter directement au ciel, mais fut retenu dans les cruelles prisons du purgatoire, d'où sortant par la permission de Dieu, il se fit voir dans le plus lamentable état à l'infirmier du couvent. Celui-ci s'étant remis de sa première surprise, lui dit : « Comment, frère Antoine, dans le purgatoire ! vous que nous croyions entré dans la gloire ; et quelle peine souffrez-vous ? — Je souffre une double peine, répondit le défunt, celle du sens est plus grave et plus cruelle qu'on ne pourrait l'exprimer ; mais celle qui n'a pas d'égale et que l'esprit ne saurait comprendre, c'est la peine du dam, qui me prive de la vision béatifique du bien suprême. Privé d'elle, tout me manque, et je serai la plus malheureuse des créatures, tant que je serai éloigné de mon Dieu. Recommandez-moi donc à tous mes frères en religion, afin qu'ils m'aident de leurs suffrages. » (Annales des H. P. Cap.)

    PRATIQUE.

    Il y a des âmes en purgatoire qui n'ont plus à supporter d'autre peine que celle de l'attente, c'est la plus cruelle, prions aujourd'hui pour elles, et efforçons-nous de gagner quelques indulgences en leur faveur.

     

    V JOUR

    Séparation entière. Isolement des saintes âmes du purgatoire.

    Vanités des vanités, tout n'est que vanité, hors aimer Dieu et le servir lui seul.

    Ier Point. Quel ne doit pas être l'étonnement, la surprise d'une âme que la mort vient de séparer de son corps et de jeter dans les profondeurs de l'éternité ; quel changement ne s'opère-t-il pas en elle au moment où le regard divin du souverain Juge, en s'arrêtant sur elle, porte la lumière jusque dans ses plus intimes profondeurs. Cette lumière qui la pénètre, qui l'investit de toutes parts, dissipe toutes les ombres, fait évanouir toutes les illusions, rectifie toutes les appréciations, redresse tous les jugements erronés, et lui montre la vérité dans sa divine et éternelle splendeur.

    Quels mystères doivent alors se dévoiler aux yeux éblouis de cette âme, qu'un seul pas, mais un pas sur lequel il lui est impossible de revenir, sépare seulement de la terre. Toutes ces vérités qu'elle a crues, qu'elle n'a fait qu'entrevoir à la pâle lumière du flambeau de la foi, lui sont manifestées dans toute leur majestueuse beauté. Tous ces mystères divins qu'il adorait sans les comprendre lui sont dévoilés, et son œil peut en contempler les divines et insondables profondeurs. Un seul instant a suffi pour éclairer cette âme et pour lui donner une science et les connaissances surnaturelles, que les docteurs et les théologiens les plus érudits ne parviendront jamais à acquérir ici-bas, malgré leurs longues et laborieuses études.

    Et cependant, je ne parle pas ici de cette lumière de gloire qui ravit les élus et les plonge dans d'immortelles extases, mais seulement de celle dont Dieu éclaire toute âme qui entre dans l'éternité, lumière qui force chacune d'elles à reconnaître l'équité de l'arrêt qu'il a prononcé sur elle et à adorer sa justice, alors même que cette justice condamne, soit aux peines éternelles de l'enfer, soit aux peines temporelles du purgatoire. Ce n'est que de ces saintes âmes élues par Dieu, et qui ont reçu de la bouche du souverain Juge l'assurance de leur bonheur éternel, mais qui ; avant d'entrer en possession de ce bonheur, doivent encore subir une douloureuse expiation, dont la rigueur et la durée est toujours proportionnée à la grièvcté de leurs fautes, ce n'est que de ces âmes, dis-je, que nous avons à nous occuper.

    Représentons-nous donc l'état d'une de ces âmes qui vient d'entrer dans le lieu de son expiation. Il n'y a qu'un instant, une minute, une seconde qu'elle a quitté cette terre où elle avait peut-être miré toutes ses espérances, fait tant de rêves de bonheur, où elle s'était laissée séduire par tant d'illusions, et déjà son arrêt est fixé pour l'éternité. Des parents, des amis en pleurs entourent encore sa dépouille mortelle, des larmes bien sincères coulent peut-être sur ces restes inanimés, et déjà toutes les choses terrestres ont pris fin pour elle, tous ses liens sont brisés, toutes ses espérances temporelles détruites, et si ses affections ne sont pas évanouies, elles ont au moins complètement changé de nature.

    La séparation de cette âme est entière, sa solitude absolue. Pour elle il n'y a plus rien, plus de parents, plus d'amis, plus de serviteurs, plus de richesses, plus d'honneurs, plus de plaisirs, plus de patrie, plus de monde, plus de corps, plus de temps, plus rien enfin, plus qu'elle-même et Dieu seul, Dieu, l'unique et souverain bien, mais qu'elle entrevoit seulement de loin, qui l'attire à lui et se soustrait en même temps à l'ardeur de ses désirs, Dieu, enfin, qu'elle ne pourra posséder que lorsque les flammes qui la consument auront effacé en elle jusqu'aux dernières traces du péché. Quel dénùment, quelle solitude, quelle amère séparation !

    En vain cette pauvre âme cherche autour d'elle et appelle avec des larmes ses enfants, ses parents si tendres, si dévoués, qui naguère l'entouraient de leur sollicitude, de leurs soins empressés ; ils ne l'entendent plus, une distance immense, une barrière infranchissable la sépare d'eux, et tout entiers à leur douleur, peut-être ne songent-ils pas même à la rendre profitable à l'âme de celui qu'ils pleurent en offrant pour elle à Dieu l'amertume de leurs regrets et de leurs larmes.

    Que doit penser alors cette âme de toutes les affections de la terre ? quel cas doit-elle faire de toutes les choses périssables d'ici-bas ? De quel œil voit-elle ce qu'elle appelait il y a quelques jours des biens, biens qui lui paraissaient si désirables et qu'elle poursuivait avec tant d'ardeur ? Quel cas l'âme de ce riche fait-elle maintenant de ses riches hôtels, de ses terres, de ses vastes propriétés, de ses magnifiques ameublements, de ses somptueux équipages ? De tout cela, que lui reste-t-il ? Plus rien que le regret d'avoir attaché son cœur à ces biens périssables et peut-être à subir la longue expiation que cette attache force la justice de Dieu à lui faire subir.

    Que pense également l'âme de ce savant, qui s'est consumée dans l'étude des sciences, qui a usé sa vie dans de laborieuses et pénibles recherches, que penset-il de ses connaissances, de la réputation qu'elles lui avaient acquise, des emplois honorables qu'elles lui avaient valu ? Que pense l'âme de cette jeune personne si vaine de sa beauté, de ses agréments, si empressée à les relever encore par toutes les fri volités de la vanité, par toutes les excentricités de la mode, par tous les raffinements d'un luxe effréné et ruineux ? La première de ces âmes reconnaît en gémissant, que la seule connaissance vraiment utile était celle de Dieu et d'elle-même, la seule science nécessaire, celle qui fait les saints. L'autre séparée de ce corps qui était son idole et qui n'a plus à attendre que la corruption du tombeau, regrette amèrement son aveuglement, ses vanités, ces folies qui ont attiré sur elle de si redoutables, de si terribles châtiments. La vie du temps, à chacune de ces âmes, ne parait plus qu'un songe, que le réveil de l'éternité a fait évanouir. En ouvrant les yeux à la véritable lumière à laquelle elles ne peuvent plus se soustraire, elles s'écrient : Vanité des vanités, tout n'est que vanité, hors aimer Dieu et le servir lui seul.

    2° Point. Ce que les saintes âmes du purgatoire ont une peine extrême à comprendre, c'est que le monde, les biens périssables de la terre, les jouissances matérielles aient pu les fasciner, les aveugler, au point de leur faire préférer ces fantômes fugitifs à Dieu, à sa grâce, à son amour, au bonheur du ciel. Combien n'y en a-t-il pas parmi elles pour lesquelles tout cela n'était que des choses secondaires dont elles ne s'occupaient jamais sérieusement, et qui eussent volontiers consenti à rester toujours sur la terre pour y jouir des biens de la vie présente, si on leur en avait assuré la possession, et cela sans donner aucun regret à ceux de la vie future. Ces âmes sauvées par un effet de l'infinie miséricorde, voient maintenant leur déplorable illusion. Cette vue les plonge dans la stupeur, dans l'étonnement le plus profond, et leur inspire de trop tardifs, mais bien amers regrets. Oh ! si nous pouvions voir les choses au point de vue où elles les voient en ce moment, nous ne nous laisserions ni fasciner, ni séduire par l'appât trompeur de ces biens périssables dont la mort nous dépouille si vite. Nous serions sages de la sagesse dont parle le pieux auteur de l'Imitation, lorsqu'il dit : « Le suprême degré de la sagesse, c'est de tendre au royaume des cieux par le mépris des choses d'ici-bas. »

    Il est encore dans le purgatoire des âmes pour lesquelles cette entière séparation a quelque chose de plus amer, de plus douloureux. Ce sont celles des personnes pieuses qui ont cherché ici-bas leur bonheur et leur consolation en Dieu, et dans toutes les choses qui se rapportaient à lui, retenus dans le lieu de l'expiation pour de légères fautes échappées à la fragilité humaine, et que la mort ne leur a pas laissé le temps d'expier. Ces saintes âmes souffrent d'autant plus qu'elles aiment Dieu davantage, leurs souffrances sont en quelque sorte proportionnées à leur amour. Déjà pendant leur vie elles étaient détachées des choses de la terre, séparées du monde au moins de cœur et d'affection ; leur bonheur, elles le cherchaient en Dieu, car le salut n'était pas pour elles une chose secondaire, mais leur unique, leur plus importante affaire, celle à laquelle se rapportaient, se subordonnaient toutes les autres. Ces âmes ne demandaient rien au monde, elles ne voulaient ni de son luxe, ni de ses plaisirs, ni des jouissances matérielles dont il est si avide. Elles cherchaient les leurs à des sources plus pures, dans la prière, dans la réception des sacrements, dans l'audition de la parole sainte, dans les pieuses lectures, et surtout dans la sainte communion, dans de fréquentes visites à Jésus dans le sacrement de son amour. Quelques pures que soient ces jouissances, en purgatoire, ces saintes âmes en sont privées comme de toutes les autres. Elles peuvent encore prier, c'est vrai, mais il ne leur est plus possible de se purifier dans le sacrement de pénitence. La voix paternelle de celui qui leur tenait la place de Dieu ne vient plus les consoler, relever leur courage, ni adoucir leurs peines par de douces et compatissantes paroles. Jésus, qu'elles aimaient tant à recevoir, qu'elles ont reçu si souvent dans son Eucharistie, cet hôte si bon, si condescendant du tabernacle, qui est venu à elles quand elles ne pouvaient plus aller à lui, qui les a visitées sur leur lit de douleur, consolées, fortifiées dans leur dernier combat, ne se montre plus ; elles l'appellent, elles le désirent en vain, il ne descend pas dans leur prison brûlante, il n'a cependant pas cessé de les aimer, mais le temps de sa miséricorde est passé, et, quoique à regret, il laisse sa justice s'appesantir sur ces âmes si aimées de son cœur, et avant de les couronner, cette justice exige qu'il n'y ait plus en elles un seul grain de cette poussière du péché qu'elles ont remporté de la terre.

    Souvenons-nous que la figure du monde, qui s'est évanouie pour ces saintes âmes, passe maintenant devant nous, et s'évanouira bientôt pour nous aussi. Prenons garde qu'en passant elle nous séduise et nous égare ; ne nous laissons pas éblouir par ses charmes trompeurs, mais souvenons-nous de cette parole de l'Imitation : « Celui qui s'attache à la créature tombera avec elle ; mais celui qui s'attache à Jésus demeurera éternellement. » Rentrons en nous-mêmes, interrogeons notre conscience, et dans le silence du recueillement voyous si nous sommes détachés de toutes les choses dont la mort nous dépouillera un jour, et peut-être bientôt. Sommes-nous détachés de notre fortune ? Faisons-nous assez large la part des pauvres ? Ah ! soyons saintement prodigues pour eux. Souvenons-nous que nous prêtons à Dieu l'or que nous versons dans leur sein, nous ne lui prêtons pas sans intérêt; mais cette usure est la seule qu'il autorise, qu'il recommande, et c'est à la banque du Ciel qu'il nous remboursera éternellement le capital et les intérêts.

    L'apôtre bien-aimé nous dit : « N'aimez point le monde, ni tout ce qui est du monde, car le monde est tout entier dans la corruption, et il n'y a en lui que concupiscence. » Ce conseil de l'apôtre, qui avait puisé sur le sein de Jésus la lumière et une divine sagesse, ne nous parait-il pas trop sévère ?Le goûtons-nous, et surtout y conformons-nous notre conduite ? Ah ! si cela était, pauvres âmes qui vous faites d'étranges illusions, vous n'auriez pas un goût si vif pour les sociétés et les divertissements du monde. Pourquoi, si vous n'aimez pas ce monde trompeur, craignez-vous tant de lui déplaire, pourquoi entretenez-vous avec ses partisans tant de relations inutiles, pourquoi enfin désirez-vous tant son estime et craignez-vous si fort d'encourir ses censures.

    Sommes-nous enfin détachés de notre corps, ne l'aimons-nous pas avec déréglement ? S'il en est ainsi, pourquoi tant de délicatesse et de sensualité ? Pourquoi tant d'horreur pour la souffrance et cette recherche continuelle du plaisir ? Pourquoi, surtout jeunes personnes, cet amour excessif des parures ? Pourquoi cette incessante attention à relever par tous les moyens en votre pouvoir l'éclat d'une beauté dont vous êtes si vaines, beauté que le temps ou la mort flétriront si vite, et dont bientôt il ne vous restera plus rien.

    Reconnaissons humblement que notre cœur est encore tout plein d'attaches, humilions-nous-en devant Dieu, reconnaissons le néant de toutes ces choses qui le captivent et arrêtent ses aspirations vers les biens invisibles, et demandons à Dieu la force de rompre tous nos liens, et de nous détacher d'avance de toutes ces choses qui doivent nous échapper un jour, et dont la mort nous séparera bientôt violemment. N'aimons que Dieu, ne tenons qu'à lui, ne désirons que lui, c'est le moyen de vivre heureux et de mourir sans regret.

     

    PRIÈRE.

    Brisez tous mes liens, ô mon Dieu ! créez en moi un cœur nouveau, un cœur pur, libre, détaché de tout, faites que j'aie le mérite de vous sacrifier librement, et par amour tous les biens dont la mort doit me séparer un jour. Je ne veux pas seulement, ô mon Dieu ! renoncer à ce qui serait mauvais ou dangereux dans les objets de mes affections ; mais je ne veux n'aimer qu'avec modération et sans attache, tout ce que vous me permettez d'aimer, je veux enfin n'user qu'avec une sage réserve des biens dont vous me permettez la jouissance, afin de les quitter un jour sans regret et sans peine. Saintes âmes du purgatoire, vous dont je désire si vivement hâter le bonheur; vous qui connaissez si bien le néant des biens périssables de la terre, et qui souffrez peut-être pour expier l'attache que vous y avez eue, daignez intercéder pour moi, et tandis que je demande à Dieu votre délivrance, demandez-lui pour moi la grâce d'être fidèle aux résolutions que la pensée de vos souffrances vient de m'inspirer. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    L'âme d'une pieuse dame morte à Luxembourg, commença à apparaître le jour de la Toussaint, à une jeune fille de grande vertu, et à lui demander des prières. Toutes les fois que celle-ci allait à l'église et qu'elle s'approchait de la sainte table, elle était suivie par cette âme, dont à l'élévation de l'hostie, le visage s'enflammait d'une ardeur qui la faisait ressembler à un Séraphin. Elle ne se laissait jamais voir hors de l'église : La jeune fille lui en demandant la raison, elle s'écria avec un profond soupir : « Ah ! tu ne sais pas quelle peine on souffre d'être éloigné de Dieu. Rien ne le saurait exprimer. Je suis portée vers Dieu par un ardent désir, une intolérable anxiété, un élan irrésistible, et, rester privée de lui, est pour moi une douleur si grande, qu'auprès d'elle l'intensité du feu qui me dévore n'est rien. Pour en adoucir la rigueur, le Seigneur m'a permis de venir dans cette église et de l'adorer au moins dans sa maison, sur la terre, jusqu'au jour où je le posséderai dans son céleste palais. Même sous les voiles des sacrés mystères sa présence me pénètre au point que je ne vis que pour lui ; que sera-ce quand je le verrai face à face dans le Ciel ? » Et elle priait, la jeune fille, de hâter cet heureux moment par ses suffrages ; ce qu'elle fit avec tant de ferveur, que le 10 décembre elle la vit plus resplendissante que le soleil s'envoler dans le sein de Dieu. (P. Jos. Eusèbe. Nirebmergius , DePulchr. Dei, lib. II, cap. H.)

    PRATIQUE.

    Faire à Dieu le sacrifice des choses pour lesquelles nous avons trop d'attache, et le lui offrir en faveur des saintes âmes du purgatoire.

     

    VIe JOUR

    Amour, résignation des saintes âmes du purgatoire.

    Non pas ma volonté ô mon Père, mais la vôtre.

    Ier Point. Nous nous demandons souvent avec douleur pourquoi Dieu est si peu aimé sur la terre, pourquoi les âmes même les plus parfaites, celles qui désirent le plus sincèrement l'aimer, ne parviennent jamais au degré d'amour qu'elles voudraient avoir pour lui. Pourquoi enfin, malgré toute leur bonne volonté, elles sentent parfois ce divin amour se ralentir en elles, et leurs affections ballotées, comme malgré elles, par le vent de l'inconstance et de l'instabilité humaines. La seule réponse que nous puissions faire à cette question, c'est que Dieu n'est pas connu, ou n'est connu que très imparfaitement sur la terre. Les Cieux, il est vrai, et ces millions d'astres que la main du Créateur a semé dans l'espace, nous racontent sa gloire et publient sa puissance. La nature avec toutes ses magnificences ne cesse de nous dire que Dieu est grand et qu'il est bon : lui-même s'est révélé à nous par d'innombrables bienfaits et par les saints enseignements de la foi. Et cependant les œuvres de Dieu, ses bienfaits, et les lumières de la révélation, ne nous donnent encore de cet être infini en toutes ses perfections, qu'une imparfaite idée, et ne nous le ferons connaître que d'une manière superficielle. Si nous connaissions Dieu tel qu'il est, nos cœurs se porteraient vers lui avec une force, un attrait irrésistibles, et nous ne pourrions plus aimer autre chose que lui, ni supporter la vie qui nous tient éloignés de lui.

    Nous pouvons toujours , il est vrai, croître ici-bas dans la connaissance et dans l'amour de Dieu, plus nous le connaîtrons, plus aussi nous l'aimerons. Mais ce n'est qu'au Ciel que cette connaissance sera parfaite. Là seulement nous le connaîtrons tel qu'il est, là nous le verrons, et notre âme ravie, enivrée d'un ianénarrable amour, se plongera avec un bonheur toujours nouveau dans l'éternelle contemplation de ses perfections infinies. Les anges et les âmes des élus sont donc les seules créatures raisonnables qui aient de Dieu une connaissance parfaite ; mais après elles, celles qui le connaissent le mieux, et qui, par conséquent l'aiment davantage, sont les saintes âmes du purgatoire. Séparées de leurs corps, éloignées de tous les objets sensibles, dégagées de la matière et des sens, elles ne voient pas Dieu comme les saints ; mais elles l'entrevoient de loin, il se révèle à elles d'une manière que nous ne pouvons pas comprendre ici-bas. Il les attire à lui avec une force dont rien ne peut nous donner une idée, et allume en elles un amour qui est à la fois leur consolation et leur plus cruel tourment.

    Sûres de posséder un jour le Dieu qu'elles aiment, ces saintes âmes comprennent tout ce qu'elles lui doivent, elles voient leur vie enveloppée toute entière de la miséricorde de Dieu, comme d'un réseau qui les a préservées d'une infinité de dangers où elles eussent infailliblement péri sans le secours de la grâce et la vue des bienfaits dont il les a comblées, augmente l'amour qu'elles ont pour lui ; mais l'espoir même qu'elles ont de posséder Dieu, dit le cardinal de la Luzerne, augmente leur amour par le délai qu'il leur fait éprouver, leur amour de Dieu qui en est accru, redouble leurs désirs et la peine de leur privation. Ce sentiment qui fait les désirs du paradis par la jouissance est un supplice dans le purgatoire par l'éloignement. Ainsi leur félicité future fait leur supplice actuel. »

    L'amour que ces saintes âmes ont pour Dieu est plus fort, plus profond, plus ardent que tous les amours qu'elles ont pu autrefois éprouver sur la terre, et cet amour est à la fois leur consolation et leur tourment. Le cœur si brûlant d'amour de la séraphique Thérèse, connut par expérience quelque chose des angoisses et des douleurs de ce mystérieux et divin tourment. « En vain, nous dit-elle, » j'en voudrais faire connaître la nature. L'âme parfois sent je ne sais quel besoin irrésistible de Dieu qui la met dans un profond désert, où elle ne voit plus rien sur quoi se reposer. Elle n'aspire qu'à mourir. Ce que Dieu lui communique de ses grandeurs n'a pas pour but de la consoler, mais de lui montrer à combien juste titre elle s'afflige d'être retenue loin du bien qui renferme tous les biens. » Alors s'accroissent et sa soif de Dieu et sa solitude. » Il ne lui vient de consolation , ni du ciel où elle n'habite pas encore, ni de la terre à laquelle elle ne tient plus. Elle est vraiment crucifiée entre le ciel et la terre, en proie à la souffrance, sans soulagement ni d'un côté, ni de l'autre. Ce sont comme les suprêmes angoisses du trépas.

     0 Jésus ! qui pourrait de ceci faire une fidèle peinture ? Ce martyre est parfois d'une rigueur si excessive que la nature a bien de la peine à le supporter. Mes os se séparent et demeurent déboités ; mes mains sont si raides que je ne puis les joindre ; il m'en reste jusqu'au lendemain une douleur aussi violente que si tout mon corps eût été disloqué. Un seul désir me consume, celui de mourir. Cet état est celui des âmes du purgatoire (1). (1) Ste Thérèse, ch. 23 de sa vie.»

    Hélas ! chez la vierge du Carmel, ce douloureux martyre n'était que passager ; dans les âmes du purgatoire, il est permanent, nécessaire et incomparablement plus douloureux encore, c'est lui qui les purifie et qui constitue proprement le purgatoire, et c'est surtout dans cette peine causée par l'amour, que consiste la différence qui existe entre ces saintes âmes et les âmes infortunées que la justice de Dieu a condamnées aux peines éternelles de l'enfer. Pour celles-là, il n'y a plus ni espérance, ni amour, il n'y a plus que le désespoir et la haine de Dieu.

    IIe Point. Sainte Catherine de Gênes, dans son admirable traité du purgatoire, qu'on ne saurait trop lire, et surtout trop méditer, nous peint mieux encore les souffrances de ces saintes âmes, dont le Saint-Esprit lui avait révélé, et en quelque sorte fait expérimenter les douleurs. Ecoutons-la : « Quand une âme retourne à la pureté et à la netteté de sa première création, l'instinct qui la portait vers Dieu, comme à son terme béatifique, se réveille aussitôt ; croissant à tous moments, il agit sur elle avec une effrayante impétuosité, et le feu de charité qui la brûle lui imprime un si irrésistible élan vers sa fin dernière, qu'elle regarde comme un intolérable supplice de sentir en soi un obstacle qui arrête son élan vers Dieu, et plus elle reçoit de lumières, plus son tourment est extrême.

    La tache ou la coulpe du péché n'existant pas dans les âmes du purgatoire, il n'y a plus d'autre obstacle à leur union avec Dieu que les restes du péché dont elles doivent se purifier. Cet obstacle qu'elles sentent en elles leur cause le tourment que je viens de dire et retarde le moment où l'instinct qui les porte vers Dieu comme vers leur souveraine béatitude, recevra sa pleine perfection. Elles voient avec certitude ce qu'est devant Dieu le plus petit empêchement causé par les restes du péché, et que c'est par nécessité de justice qu'il retarde le plein rassasiement de leur instinct béatifique. De cette vue naît en elles un feu d'une ardeur extrême et semblable à celui de l'enfer, sauf la tache ou la coulpe du péché.

    C'est pourquoi voyant que le purgatoire est établi pour purifier les âmes de leurs taches, elles s'y précipitent avec bonheur et regardent comme une grande miséricorde de trouver ce moyen de détruire en elles l'obstacle qui les empêche de s'élancer dans les bras de leur Dieu. 

    La connaissance que ces saintes âmes ont de la malice du péché, de l'injure qu'il fait à Dieu et de l'opposition qu'il y a entre celui qui en est souillé, et ce Dieu de toute sainteté leur inspire une vive horreur pour lui et une profonde et amère douleur de s'en être rendus coupables ; mais cette douleur est calme, paisible, pleine de résignation, loin d'accuser la justice de Dieu, elles l'adorent, loin de se plaindre de la sévérité des châtiments qu'elle leur inflige et de la rigueur de leurs souffrances, elles s'y soumettent avec une sorte de joie, elles aiment ces souffrances qui enlèvent insensiblement l'obstacle qui les empêche de s'unir au divin objet de leur amour.

    Reconnaître que Dieu est le bien souverain, le bien pour lequel l'âme a été créée, son premier principe et sa fin dernière, et ne pouvoir plus l'aimer, savoir qu'on l'a perdu par sa faute et qu'on ne le possédera jamais, c'est la peine du dam en enfer et le plus cruel supplice des réprouvés. Aimer Dieu d'uu indicible amour, être sûr de le posséder un jour et ne pouvoir encore s'unir à lui, c'est la peine du dam propre en purgatoire, et si la haine que la privation de la grâce fait concevoir aux damnés contre Dieu est la plus insupportable de leurs souffrances, de même l'ardent amour que la grâce développe dans les âmes du purgatoire augmente tellement l'intensité de leurs peines, qu'il les rend presque supérieures à celles de l'enfer, car l'amour qui ne peut se satisfaire est le plus grand tourment du cœur humain.

    Dans les grandes peines de la vie, si la résignation , la soumission à la volonté de Dieu n'ôtent pas la douleur, du moins ces vertus en adoucissent l'amertume au point de la rendre supportable, et quelquefois même de la faire aimer. Mais pour les âmes du purgatoire il n'en est pas ainsi, et c'est parce que leur volonté est parfaitement conforme à celle de Dieu qu'elles souffrent davantage, car en vertu de cette conformité elles voudraient être entièrement dignes de lui, et reconnaissant qu'elles ne le sont pas encore, elle se consument du désir de le devenir à force de tourments. Ainsi, plus elles souffrent, plus elles veulent souffrir et ne se sentent jamais rassasiées de supplices. Ainsi l'amour qui adoucissait les tourments des martyrs augmente ceux de ces saintes âmes et devient lui-même pour elles le plus cruel et le plus douloureux de tous les martyres.

    N'attendons pas pour fuir et détester le péché que nous soyons à notre tour entrés sous le domaine de la justice de Dieu. N'attendons pas surtout pour l'expier que la nuit où l'on ne peut plus rien faire nous ait enveloppés de ses ombres, et que le temps où la redoutable justice du Seigneur ne se laisse pas fléchir soit arrivé pour nous, comme il est arrivé pour les saintes âmes du purgatoire. Evitons avec soin, non-seulement les fautes graves qui pourraient nous faire perdre l'amitié de notre Dieu, mais les plus légères, car pour une âme qui aime Dieu, rien n'est léger de ce qui lui déplaît; elle craint plus que la mort, tout ce qui peut le refroidir pour elle, mettre obstacle à l'effusion de sa grâce et empêcher sa parfaite union avec lui dans le temps et dans l'éternité. Aussi fuit-elle avec le plus grand soin non-seulement le péché, mais l'ombre même du péché.

    Efforçons-nous aussi d'expier par une sincère pénitence les fautes dont nous nous sommes rendus coupables, et ne nous épargnons pas ici-bas si nous voulons que Dieu nous épargne un jour. Maintenant Dieu se contente de peu, et nous pouvons aisèment acquitter les dettes que nous avons contractées et que nous contractons tous les jours envers lui ; plus tard il n'en sera plus ainsi, et sa justice exigera jusqu'à la dernière obole l'acquit de notre dette. Ne soyons donc pas cruels envers nous-mêmes, et ne nous préparons pas d'amers, mais trop tardifs regrets ; détestons le péché que nous avons eu le malheur de commettre, repentons-nous sincèrement de l'avoir commis ; mais ne nous contentons pas de cela, expions-le par la pénitence. N'oublions pas surtout que de toutes les pénitences la plus sûre, la plus méritoire est l'acceptation humble et résignée des peines de notre état, des épreuves, des afflictions qu'il plaît à Dieu de nous envoyer. Elles sont, je le répète, de toutes les pénitences, les plus méritoires, et par là même les plus capables d'expier nos fautes, parce que n'étant pas de notre choix, elles ne sont pas sujettes aux illusions de l'amour propre, qui se glisse souvent dans celles que nous nous imposons nous-mêmes. Elles viennent de Dieu ; c'est lui qui nous les impose, et par là même elles sont bien plus propres à satisfaire à sa justice.

     

    PRIÈRE.

    Après vous avoir tant offensé, mon Dieu, pourrai-je être assez ennemi de moi-même pour ne pas profiter avec une sincère reconnaissance des moyens que vous me donnez dans votre miséricorde d'expier mes fautes et de satisfaire à votre justice, maintenant qu'elle se contente de si peu et qu'il m'est encore si facile de la désarmer et de la fléchir. Aidé de votre grâce et soutenu par elle, je veux, ô mon Dieu, supporter à l'avenir toutes les peines, toutes les afflictions qu'il vous plaira de m'envoyer avec une entière soumission à votre sainte volonté. Cette soumission, qui est sans mérite pour les saintes âmes du purgatoire, puisqu'on ne peut pas mériter là où elles sont, ne le sera pas pour moi, et votre bonté acceptera mon humble résignation à votre adorable volonté comme une marque de mon sincère repentir et du profond regret que je ressens de vous avoir offensé, comme une expiation de ces fautes que je déteste parce qu'elles vous ont déplu, et surtout parce que je vous aime. Si vous frappez mon corps par d'amères afflictions, toujours et en tout je bénirai votre main, et à travers les coups de votre justice je verrai encore votre miséricorde qui ne me frappera dansle temps que pour m'épargner dans l'éternité. Ainsi soit-il.

     

    EXEMPLE.

    Sainte Gertrude chérissait, à cause de ses hautes vertus, une de ses religieuses qu'il plut à Dieu de rappeler à lui dans la fleur de son âge. Après sa mort, tandis qu'elle la recommandait à Dieu avec ferveur, elle fut ravie en esprit et la vit se présenter au Sauveur revêtue d'ornements précieux et brillante de lumière, mais avec le visage triste et comme honteuse de paraître devant Jésus, son divin époux. La sainte, étonnée, se tourna d'abord vers le Rédempteur et le supplia d'encourager sa bien-aimée par un doux appel qui la fit avancer avec confiance. Le Rédempteur tourna vers l'humble vierge un regard plein de bonté, et même étendit la main vers elle en lui faisant signe d'approcher davantage ; mais elle, encore plus confuse, paraissait se soustraire à cette invitation. Sainte Gertrude lui dit alors : « Est-ce ainsi qu'on doit correspondre aux grâces du céleste époux, et n'est-ce pas, au con» traire, le moyen de se rendre indigne de lui ? » La vierge lui répondit : « Pardonnez, ô mère ! mais je ne suis pas encore en état de presser et de baiser cette main qui m'invite. Je suis, il est vrai, confirmée en grâce, je suis la fiancée de l'Agneau immaculé, mais il faut que toute souillure soit parfaitement effacée avant de pouvoir jouir de ses éternels embrassements. Il y a encore en moi quelques taches qui offensent sa vue très pure, et jusqu'à ce que je sois absolument telle qu'il me veut, je n'oserai jamais entrer dans cette joie du ciel, où rien d'imparfait ne peut être admis. » (ltjdov. Blosius, in Monit. spirit., ch. xm.)

    PRATIQUE,

    Accepter avec résignation toutes les peines qui pourront se présenter dans la journée et les offrir à Dieu, soit pour l'expiation de ses fautes, soit pour les âmes du purgatoire.

     

    VIIe JOUR

    Durée des peines du purgatoire.

    Jusques à quand mon Dieu ! jusques à quand.

    Ier Point. En considérant la rigueur, l'intensité des peines du purgatoire, peut-être nous rassurons-nous sur le sort de ceux que nous avons perdus et sur celui qui nous attend nous-même un jour, en pensant que la durée de ces terribles expiations doit être très courte. Mais, hélas ! qui oserait affirmer qu'il en soit ainsi. Dieu ne nous a rien fait connaître à cet égard, il s'est réservé le secret des mystères de son éternité, ses jugements sont impénétrables, et il ne nous est pas permis de jeter des regards envieux dans leur profondeur, et de chercher à en mesurer les abîmes.

    L'Eglise, qui n'a rien défini sur la nature des peines du purgatoire, n'a rien défini non plus sur leur durée, mais elle montre assez ce qu'elle en pense, en autorisant, non-seulement les services anniversaires pour le repos de l'âme des défunts, mais les fondations par des messes et des services à perpétuité. En agissant ainsi, elle prouve qu'elle croit qu'il y a des crimes, dont la terrible expiation peut durer des siècles, et ne finir même qu'au grand jour du dernier jugement ; dès les premiers Siècles de l'ère chrétienne, nous voyons des services célébrés pour les morts, non pas seulement le jour de leurs obsèques, mais le septième et le trentième jour après leur décès. A la fln de l'année se célébrait encore un service anniversaire, auquel on assistait avec fidélité et empressement, et si le jour anniversaire d'un mort tombait un dimanche ou un jour de fête, la tendre compassion des premiers fidèles pour leurs frères défunts, faisait célébrer le service la veille, afin que le soulagement que son âme devait éprouver de l'oblation du saint sacrifice ne fût pas différé.

    Tous les Pères, tous les saints qui ont parlé du purgatoire, s'accordent à penser que sa durée n'est pas la peine d'un jour, et que pour bien des âmes, ces terribles expiations sont souvent prolongées au delà de toutes nos prévisions et de tous nos calculs. Plus de vingt ans après la mort de sa mère sainte Monique, saint Augustin demandait encore des prières pour elle. Lui-même assure n'avoir jamais oublié de la recommander à la miséricorde divine dans la célébration des saints mystères. Mais écoutons le grand Docteur lui-même, faisant monter vers Dieu le cri de son cœur et de son amour reconnaissant, pour cette mère, le modèle des mères, à laquelle il ne devait pas seulement la vie naturelle, mais qui par ses prières et par ses larmes, l'avait réellement enfanté à la vie de la grâce. « Dieu de mon cœur, » s'écriait-il, je ne songe point aux vertus de ma mère, pour lesquelles je vous rends grâces avec joie. C'est pour ses péchés que je vous prie. Pardonnez-lui, Seigneur, pardonnez-lui, n'entrez point en jugement avec elle, souvenez-vous qu'étant près de sa fin, elle ne songea point à son corps, qu'elle ne demanda point les honneurs funèbres ; tout ce qu'elle souhaita fut qu'on fit mémoire d'elle à votre autel, où elle savait qu'on offre la victime sainte qui efface la cédule de notre condamnation. Inspirez, ô mon Dieu, à tous mes frères qui liront ce que j'écris, de se souvenir à l'autel de Monique, votre servante, afin qu'elle trouve, non-seulement dans mes prières, mais dans celles des autres l'accomplissement de sa dernière volonté (1) (1) Confessions, livre 9, chap. 13.. »

    Saint Ambroise s'engagea publiquement à prier tous les jours de sa vie pour l'âme de Tliéodose le Grand.

    Tertullien nous apprend que d'année en année, au jour anniversaire de la mort d'un défunt, on renouvelait en sa faveur les prières et l'oblation du saint sacrifice comme au jour de ses funérailles, indépendamment de la commémoration que le célebrant faisait tous les jours à l'autel des morts inscrits dans les dyptiques.

    Ces dyptiques étaient de grandes feuilles ou tablettes pliées en deux que le diacre ouvrait et mettait sous les yeux de l'officiant. Il en faisait la lecture à haute voix après avoir dit à l'assemblée : « Prions pour les trépassés. » C'est ce que fait encore, avec quelques différences dans la forme, le prêtre au second Memento du canon (2) (2) Voyez dom Guéranger.

    Saint Bernard faisait prier longtemps pour tous ses religieux après leur mort ; lui-même, pendant son noviciat à Citeaux. disait tous les jours les sept

    Psaumes de la pénitence pour le repos de l'âme de sa mère.

    Que ces prières, si longtemps continuées par les premiers fidèles et par les saints, ne nous étonnent point, puisque le vénérable Bède affirme qu'il y ades âmes qui devront souffrir jusqu'au jour du jugement dernier, à moins d'un secours extraordinaire.

    Le cardinal Bellarmin, dont l'autorité est d'un si grand poids à cause de sa profonde érudition, dit lui-même que la durée des peines du purgatoire, d'après des révélations très dignes de foi, pourrait se prolonger jusqu'au jour du jugement dernier.

    Combien la durée n'ajoute-t-elle pas à la rigueur des peines. Avec de l'énergie et du courage, on se résigne à une opération douloureuse ; mais s'il s'agissait de rester toute sa vie sous le scalpel du chirurgien, les forces humaines n'iraient pas jusque-là, et il n'est personne qui ne préfère la mort.

    Et maintenant, s'il est vrai que tout ce que nous pouvons imaginer, toutes nos conjectures ne nous donnent qu'une idée imparfaite de l'intensité des peines du purgatoire, comment penser sans trembler et sans être saisi d'une juste frayeur, que ces peines peuvent se prolonger, non pas seulement pendant des années, mais pendant des siècles ?

    IIe Point. Nous avons peine à comprendre comment Dieu, qui est la bonté même, peut imposer de si terribles et de si longues souffrances à des âmes qui lui sont spécialement chères, et dont il désire le bonheur plus encore qu'elles ne le désirent elles-mêmes. Mais quelques instants de réflexion nous convaincront que la rigueur et la longueur des peines imposées par Dieu, à quelques âmes du purgatoire, ne sont pas seulement un effet de sa justice, mais de sa miséricorde, de sa bonté et de l'amour qu'il a pour elles.

    En effet, toutes les âmes détenues dans les prisons brûlantes du purgatoire n'ont pas été pendant leur vie des âmes pures, innocentes, pleines de ferveur, d'amour de Dieu, constamment fidèles à l'observation de ses lois, et n'ayant à expier sous l'empire de sa justice que des imperfections et des fautes inhérentes à la fragilité humaine. Combien parmi elles ne sont revenues à Dieu qu'à la dernière heure du jour de leur vie et ne doivent leur salut qu'à un miracle de l'infinie miséricorde du Seigneur. Or, s'il y a plusieurs demeures dans la maison du Père céleste, si les récompenses y sont distribuées selon les mérites, pourquoi n'y aurait-il pas également plusieurs demeures dans les prisons de la justice divine ? Pourquoi les bâtiments ne seraient-ils pas proportionnés pour la rigueur et pour la durée à la grandeur, et au nombre des fautes des âmes passives de cette divine justice ?

    Combien de pécheurs vieillis dans les désordres de tous genres, et dont la vie entière s'est passée dans l'indifférence pour Dieu ; dans l'oubli de tous leurs devoirs religieux, dans l'infraction de toutes les lois du Seigneur, reviennent cependant à lui aux approches de la mort ; Dieu s'est laissé fléchir par les prières, par les larmes d'une mère, d'une fille, d'une épouse chrétienne, il a jeté sur ce pécheur un regard de compassion et de miséricorde, un de ces regards dont la puissance change les cœurs, l'âme du moribond s'est retournée vers lui avec un repentir sincère, le pardon du Seigneur est descendu sur elle par la grâce de l'absolution, et elle est entrée dans l'éternité purifiée de ses fautes qui lui ont été remises quant à la coulpe, mais ayant à en subir toute la peine, puisque le temps de les expier par la pénitence ne lui a pas été accordé.

    Or, qui ne comprend que l'expiation d'une telle âme doit être longue et terrible, qu'elle puisse même se prolonger pendant des siècles ? Qui pourrait trouver mauvais que la justice de Dieu lui fasse acheter par de vives souffrances et de longs délais, un bonheur qu'elle n'a jamais désiré, qu'elle a si longtemps dédaignée, et dont elle s'était, par le nombre et par la grandeur de ses fautes, rendue souverainement indigne. Ah ! la sainteté, l'infinie pureté de Dieu repoussent cette âme et s'opposent à ce qu'elle vienne à lui avant de s'être entièrement purifiée. Et la justice divine exige impérieusement qu'elle le soit avant d'être admise au bonheur éternel.

    Mais qui ne voit encore dans les longues expiations imposées à cette âme une preuve de la miséricorde, de la bonté du Seigneur, et de son ardent amour pour les pécheurs. Il pouvait la perdre et il l'a sauvée, il l'a arrachée par un miracle de sa grâce à l'enfer qui la regardait comme une proie assurée ; il lui a pardonnée et il change la peine éternelle qu'elle avait méritée et qui lui était due en une peine temporelle, qui, quelque longue qu'on la suppose, finira toujours par avoir un terme, et qui peut être abrégée par les suffrages et les œuvres satisfactoires des fidèles. Oh ! combien la reconnaissance de cette âme envers Dieu doit être vive et profonde. Elle sent que s'il l'avait traitée selon ses mérites, l'enfer et le désespoir eussent été son seul partage, qu'elle eût été condamnée à haïr Dieu éternellement et elle peut encore l'aimer ! Elle pouvait le perdre pour toujours et elle a l'espoir, que dis-je, elle a la certitude de le posséder un jour. Certes, ce n'est pas cette âme qui se plaindra que Dieu en exerçant en sa faveur une si grande miséricorde ait su en même temps sauvegarder les droits de sa justice. Il existe dans le monde une erreur bien commune, c'est la facilité avec laquelle certains chrétiens se rassurent sur le sort éternel de ceux qu'ils ont perdu. Que la mort vienne à leur enlever un parent, un ami tendrement aimé, quelle qu'ait été sa vie, ses principes religieux, il leur suffit qu'un prêtre ait pu l'approcher à ses derniers moments, et qu'il n'ait pas refusé les secours de son ministère pour qu'ils le croient entré aussitôt après sa mort en possession de la gloire et du bonheur éternel. C'est là une étrange et déplorable illusion qui peut être bien préjudiciable à l'âme qui vient d'entrer dans son éternité, puisqu'elle ne tend à rien moins qu'à la priver du soulagement qu'elle devait trouver dans les prières de ses parents et de ses amis, prières qu'ils ne penseront pas à offrir à Dieu pour elle puisqu'ils la croient heureuse.

    En vain essaieriez-vous de détromper de tels chrétiens et de leur laisser entrevoir que celui qu'ils pleurent peut bien ne pas être encore en possession du bonheur dont ils croient qu'il jouit déjà, ils ne vous croiraient pas, et vous répondraient que Dieu est trop bon pour faire, encore souffrir dans l'autre vie celui qui, déjà, a tant souffert dans celle-ci. Puis faisant l'éloge du mort, ils Vous diront : « Il était si bon, si charitable ! Puis il a tant souffert, et avec tant de patience, dans sa dernière maladie, que bien sûrement Dieu lui a fait miséricorde et n'a pas différé de le récompenser de ses vertus. » Hélas ! cette confiance présomptueuse prouve que ceux qui tiennent un semblable langage connaissent bien peu la sainteté et la justice de Dieu. Ah ! sans doute Dieu est bon, il est infiniment bon , infiniment miséricordieux, et nous ne pouvons jamais trop compter sur sa bonté et sa miséricorde ; mais il ne faut pas confondre la bonté avec la faiblesse et croire que Dieu ait jamais promis l'impunité au pécheur. Il ne faut pas oublier que si le Seigneur est infiniment bon, il est aussi infiniment juste, et que si sa bonté pardonne au pécheur et lui remet ses fautes, sa justice d'un autre côté en exige l'expiation.

    C'est également à tort qu'on allègue en faveur de ceux qu'on a perdu leurs vertus naturelles, si ces vertus n'ont pas eu la foi pour principe, si elles n'ont pas été pratiquées en état de grâce pour Dieu et pour son amour, ce ne sont que des vertus humaines, sans aucun mérite devant Dieu et auxquelles il ne doit et n'accordera aucune récompense. Il en est de même des souffrances, si celui qui les endure est privé de la grâce de Dieu elles lui sont inutiles, et combien de pauvres pécheurs ne recouvrent cette grâce qu'au moment où il ne leur reste plus qu'un souffle de vie. Ne nous rassurons donc pas si vite sur le sort de ceux que la mort ravit à notre amour. Comptons pour eux, comme nous y comptons pour nous, sur l'infinie miséricorde de Dieu ; nous le devons, quel qu'ait été leur passé ; mais souvenons-nous aussi de la justice du Seigneur, pensons que les âmes de ceux que nous pleurons sont maintenant passives de cette inexorable justice, et n'oublions rien pour la fléchir en leur faveur et leur ouvrir au plus tôt les portes du ciel.

     

    PRIÈRE.

    Saisi d'effroi à la pensée de vos redoutables jugements, de l'intensité et de la longueur des peines que votre justice impose aux âmes qui ont négligé de la satisfaire ici-bas, je tombe à vos pieds, ô mon Dieu ! et plein de compassion pour ces âmes infortunées qui ne peuvent plus vous fléchir, ni désarmer votre bras vengeur, je viens vous supplier au nom de Jésus-Christ, notre adorable Sauveur, de jeter sur elles un regard de miséricorde, d'oublier leurs iniquités et de vous souvenir seulement que ces âmes sont le prix du sang de votre divin Fils, et que ce sang précieux dont une seule goutte aurait suffi pour sauver l'univers, vous a été offert tout entier pour leur rançon. O Marie ! douce consolatrice de tous les affligés, souvenez-vous que si c'est pour elles que votre cœur maternel a été déchiré sur le Calvaire, c'est là aussi que vous êtes devenue leur mère, là que Jésus, mourant, les a confiées à votre amour, et puisque vous avez accepté le legs de son cœur, puisque en cet instant solennel vous avez ouvert le vôtre à la grande famille des pécheurs. Ah ! je vous en conjure, montrez aujourd'hui que vous êtes leur mère, intéressez-vous à elles, plaidez leur cause auprès du Seigneur, et qu'elles doivent à votre puissante intercession la fin de leur peine et leur éternel bonheur. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    La vénérable Mère, Marie-Denise de Martignat, religieuse de la Visitation, fut inspirée de se dévouer au soulagement des âmes du purgatoire. Elle communiquait bien souvent avec elles ou avec leurs anges gardiens, et voici un trait qu'elle rapporte :

    « Un prince illustre se prit de querelle avec un de ses parents dans le mois de février 1644. Un duel en fut le résultat malheureux ; frappé au premier coup d'épée, le prince tomba mort.

    L'Eglise, qui réprouve ces actes barbares, lui refusa ses suffrages ; mais la mère Denise connut, par révélation, que le malheureux prince se voyant aux prises avec la mort, fit un acte de contrition et échappa au démon ; mais son purgatoire était terrible. La vénérable Marie-Denise le vit dans le fond de ces brûlants abîmes, condamné à souffrir pour un temps indéterminé, à moins d'un dévouement généreux de sa part. Elle se dévoua, et cependant toutes ses prières, toutes ses mortifications restèrent longtemps impuissantes.

    Elle connut enfin que la justice de Dieu avait abrégé ses rigueurs de quelques heures. Comblée de joie, elle en fit part à ses supérieures, qui étaient étonnées de ce qu'elle faisait tant de cas d'un soulagement en apparence si léger. Ah ! leur dit-elle, c'est beaucoup d'avoir gagné quelques heures. Ce court espace de temps en purgatoire n'est nullement comparable aux plus longues années de la plus douloureuse maladie sur la terre.

    Pendant plus de dix ans elle jeûna, se macéra le corps, pria pour cette pauvre âme. Enfin, elle obtint de Dieu d'endurer en elle une partie de ses tourments.

    Dans la maladie, résultat de cet acte héroïque, elle était en même temps dévorée d'un feu qui la consumait, saisie d'un froid glacial qui raidissait les parties extrêmes de son corps, son esprit était livré à des désolations mortelles.

    Le sacrifice s'acheva et fut accepté du Seigneur ; toutefois, sans pouvoir obtenir la délivrance entière de la pauvre âme. » [Les Saintes Ames du Purgatoire, par un religieux de Notre-Dame de la Trappe.)

    PRATIQUE.

    Prier spécialement aujourd'hui pour les âmes qui sont depuis longtemps en purgatoire et offrir à Dieu en leur faveur quelques mortifications.

     

    VIIIe JOUR

    Quelles sont les âmes qui souffrent en purgatoire.

    Rien de souillé ne peut entrer dans le royaume des cieux.

    Ier Point. Les âmes que Dieu éloigne momentanément de sa divine présente, et qu'il châtie avec tant de sévérité dans le purgatoire, ne sont pas seulement les âmes de ces pécheurs dont nous parlions dans le chapitre précédent, dont la vie s'est passée dans une coupable indifférence pour Dieu, dans l'omission de tous leurs devoirs religieux, et qui n'ont dù leur salut qu'au miracle de la miséricorde du Seigneur qui leur a fait recouvrer sa grâce avant leur mort. Hélas ! ces prisons brûlantes de la justice divine contiennent aussi une multitude d'âmes dont la vie a été régulière, même pieuse et édifiante, et qui sont sorties de ce monde chargées de vertus et de mérites, mais dont la robe d'innocence s'est trouvée encore souillée de quelques grains de la poussière de la terre. Ce sont, en un mot, toutes les âmes sorties de ce monde dans la grâce de Dieu, mais qui n'ont pas fait de leurs péchés une pénitence suffisante. Hélas ! le nombre en est incalculable ; car quels sont ceux parmi nous qui s'imposent une pénitence proportionnée au nombre et à la grandeur des fautes qu'ils ont commises ? Il n'y en a point ; et bien loin de s'en imposer de volontaires, on se dispense généralement, sous les plus légers prétextes, de celles qui sont obligatoires. On craint tout ce qui gêne, on évite avec le soin qu'on devrait mettre à éviter le péché tout ce qui pourrait servir à l'expier. On fuit la souffrance, elle fait horreur ; à peine peut-on supporter quelques jours de jeûne et d'abstinence, tant on craint d'altérer sa santé. Enfin, chaque jour on augmente la somme de ses dettes, sans songer jamais à les acquitter.

    Dans les siècles de foi et de ferveur, alors que l'Eglise voyait encore ses enfants se soumettre humblement à ses lois, cette mère aussi sage que tendre s'armait contre ses enfants coupables d'une sainte sévérité, et pour les préserver des redoutables Châtiments du Seigneur, elle prenait contre eux les intérêts de sa justice en imposant pour les péchés qui avaient été publics des pénitences de trois, de cinq, de huit, de dix, de quinze ans, et même de toute la vie. Le canon quarante-cinquième prescrit sept années de pénitence pour le blasphème, le parjure et les péchés d'impureté ; bien plus, dans la préface de ces canons pénitentiaux, il est réglé qu'on doit imposer une pénitence de sept ans pour tout péché mortel, quel qu'il soit. Cette ancienne discipline de l'Eglise dont elle s'est départie à cause de la diminution de notre foi et du refroidissement de notre ferveur nous montre assez combien elle craignait pour ses enfants les châtiments de l'autre vie, et cependant toutes ces pénitences qu'imposait l'Eglise n'étaient et ne seraient encore qu'une partie de l'expiation que Dieu a droit d'exiger de nous dans sa justice.

    Parmi cette multitude d'âmes que la mort jette tous les jours au pied du tribunal redoutable du Souverain Juge, combien y en a-t-il qui n'ont pas fait dans toute leur vie, je ne dis pas une année, mais un seul jour de pénitence. Admettons encore que parmi ces âmes il y en ait un certain nombre qui n'aient pas commis de fautes graves, qui pourrait supputer le nombre des fautes journalières, de ces fautes qu'on nomme vénielles, et qu'elles doivent expier dans le purgatoire. En vérité ces fautes sont innombrables. Hélas ! combien de pensées inutiles, de paroles oiseuses, de vaines curiosités, combien d'impatiences, de sentiments d'amour-propre, de mouvements d'humeur n'a-t-on pas à se reprocher seulement dans le cours d'une seule journée. Combien encore de vanité, de sensualité, de recherches dans les repas, de temps perdu au jeu, dans des promenades, des conversations inutiles, dans les plaisirs et les fêtes du monde. Quels sont ceux qui se reprochent de semblables fautes, qui pensent à les expier pendant leur vie ? Il y en a, mais le nombre en est petit. Ce sont ces fautes, cependant, qui, n'ayant pas été expiées, alimenteront le feu du purgatoire. La vie de la plupart des chrétiens est jour par jour remplie de dettes contractées envers la justice de Dieu, et en même temps elle est à peu près vide de toute espèce de satisfaction. Comme cette satisfaction, après le péché, quelque léger qu'il soit, est rigoureusement exigée de la justice divine, nous pouvons d'après cela nous former une idée du nombre des âmes qu'elle retient prisonnières dans les brûlants abîmes du purgatoire.

    Les âmes qui souffrent dans le purgatoire sont celles de nos parents, de nos amis, de ces justes que nous avons connus et admirés, de ces pécheurs pour lesquels nous avons peut-être si longtemps prié ; ce sont celles de nos concitoyens, de nos compatriotes, celles de nos frères dans la foi. Pourrions-nous être insensibles à leurs souffrances, les oublier, les délaisser, alors que tant de liens, des liens si forts et si sacrés nous unissent à elles ? Ces liens sont ceux du sang et de l'amitié ; la mort n'a pas pu les briser, mais au contraire les a resserrés et perfectionnés en épurant notre amour par la douleur et par le sacrifice. Ces liens ne sont pas seulement encore ceux de la fraternité qui doivent unir entre eux tous les membres de la famille d'Adam, mais ceux bien plus étroits encore de la charité chrétienne qui fait de tous les fidèles les membres d'un seul corps, dont Jésus-Christ est lechef, ou plutôt les membres de Jésus-Christ lui-même. Ces saintes âmes sont actuellement, il est vrai, des membres souffrants du corps mystique de notre adorable Sauveur, mais qui, loin d'être retranchés, seront bientôt glorifiés dans le ciel ; les liens qui nous unissent à elles sont encore ceux du patriotisme, et si nous ne sommes pas indifférents aux malheurs qui atteignent ici-bas ceux dont le berceau fut placé à côté de notre berceau, de ceux qui ont peut-être partagé les jeux de notre enfance, qui ont du moins toujours respiré l'air que nous respirons, et dont les ancêtres dorment à côté des nôtres, pourrions-nous être indifférents à leurs souffrances et leur retirer l'intérêt que nous leur portions pendant leur vie, parce que leurs peines sont cachées à nos yeux. Non, non, habitants du même pays, de la même patrie, la mort ne doit pas rompre les liens qui nous unissent. Ces relations commencées dans la patrie de la terre s'achèveront un jour dans la grande patrie du ciel, où tous nous serons réunis dans une éternelle charité ; mais tant que nous n'y serons pas arrivés, nous devons remplir envers les âmes du purgatoire les devoirs de bons citoyens et de vrais patriotes.

    IIe Point. Parmi les âmes qui souffrent dans le purgatoire il en est peut-être qui nous ont été bien chères, et ce sont celles surtout qui doivent nous inspirer une plus tendre compassion, et que nous devons nous efforcer de secourir. Hélas ! quelle est donc dans une ville la maison à la porte de laquelle la mort n'a jamais frappé, le foyer où elle n'ait pas fait de vide, la famille dont elle n'ait pas retranché quelques membres ? Ah ! ce ne sont pas seulement les vieillards qui peuvent amener ces jours de deuil qui brisent le cœur, font tant de vides dans une vie et laissent dans la mémoire de déchirants et impérissables souvenirs. La mort est impitoyable, elle frappe partout et fait tomber sous sa faux la mère du petit enfant dont les yeux s'ouvrent à peine à la lumière, la compagne du jeune homme qui croyait vieillir avec elle, le père de famille, seul appui de sa jeune épouse et de ses petits enfants. Elle arrache sans pitié la mère des bras de sa fille, la fille des bras de sa mère, le frère, l'ami, de ceux de son frère et de son ami, et parmi toutes les personnes qui liront ces lignes, il ne s'en trouvera peut-être pas une qui n'ait déjà arrosé de larmes bien amères la tombe d'un être tendrement aimé.

    Telle personne se dira : parmi les âmes qui souffrent en purgatoire se trouve l'âme de ma mère, de cette mère si tendre, si bonne, qui a veillé sur moi avec tant de sollicitude, qui m'a entouré d'un amour et d'un dévouement qui ne se sont jamais démentis. Elle comptait sur mon cœur comme je comptais sur le sien, et c'était avec raison ; ses peines étaient mes peines, ses souffrances mes souffrances, mon amour filial s'ingérait pour adoucir ses moindres douleurs, et j'eusse donné avec joie ma propre vie pour conserver la sienne et l'arracher à la mort. Et maintenant que la vue de ses souffrances ne vient plus déchirer mon âme, mon amour lui ferait-il défaut ? Pourrais-je l'oublier, la délaisser, alors qu'elle a plus que jamais besoin de mon appui, alors qu'elle compte encore sur ma tendresse et qu'elle en réclame le secours. Ah ! cette tendresse la suivra au delà de la tombe, elle plaidera sa cause auprès de Dieu ; mes larmes, mes prières, fléchiront sa justice, et puisqu'elle expie peut-être maintenant les fautes qu'un excès d'amour et une trop grande indulgence pour moi lui ont fait commettre, je me chargerai d'une partie de son expiation et je m'efforcerai par tous les moyens en mon pouvoir de hâter l'instant de sa délivrance et de son bonheur.

    Tel autre se dira : l'àme qui languit en purgatoire et dont les gémissements et la voix plaintive ne peuvent plus arriver jusqu'à moi est celle de mon père, de ce père si bon dont j'étais la joie et l'orgueil. Hélas ! pour assurer mon avenir et ce qu'il appelait mon bonheur, il n'a épargné ni labeurs, ni fatigues, et pour m'amasser des richesses ou m'assurer une honnête aisance, il a engagé ses plus chers intérêts, ceux de son salut. Il ne souffre peut-être que pour m'avoir trop aimé ; pourrais-je donc sans manquer à tous les devoirs de l'amour filial, ne pas chercher à abréger ses souffrances, non pas seulement en priant pour lui, mais en répandant dans le sein des pauvres une petite partie des biens qu'il m'a laissés. Agir autrement serait me rendre coupable d'une ingratitude que le monde ne flétrirait peut-être pas, mais que Dieu me reprocherait un jour et qu'il punirait sévèrement.

    Telle mère peut se dire : l'âme pour laquelle je dois prier est celle de cette enfant chérie, de cette fille bien-aimée, enlevée si jeune à mon amour. Hélas ! elle était mon idole ; plus vaine de sa beauté qu'elle ne l'était elle-même, j'ai favorisé ses goûts de vanité, son amour pour le monde et ses faux plaisirs, peut-être l'ai-je en quelque sorte forcée d'y participer, me servant de mon autorité maternelle pour modérer ce que j'appelais une piété exagérée et calmer les justes craintes de sa conscience timorée. Ah ! puisque mon aveugle tendresse ou l'abus de mon autorité maternelle sont cause de ses souffrances , que ne dois-je pas faire pour y mettre un terme, et n'est-ce pas à moi à satisfaire à la justice divine pour des fautes dont je suis responsable ?

    Tel père ne peut-il pas se dire : si le fils que je pleure aujourd'hui a abandonné la pratique de ses devoirs religieux, il n'a fait que suivre mon exemple. Si mon regard attristé n'ose encore s'élever vers le ciel pour y chercher celui que je regrette, c'est que, fier de lui, je n'ai songé qu'à lui faire acquérir des connaissances qui pouvaient le pousser dans le monde et lui assurer un brillant avenir ; sa fortune, ses intérêts temporels absorbaient tous mes soins, et oublieux de ses intérêts éternels, j'ai négligé de former son cœur à la pratique des vertus chrétiennes. Ce sont mes fautes, autant que les siennes, qu'il expie maintenant. Plus coupable que lui devant Dieu, je dois à sa justice une double satisfaction ; l'amour paternel me fait un devoir de ne pas la différer pour celui que je pleure, et ce serait folie de la différer pour moi-même.

    Enfin, disons-le en terminant ce chapitre : toutes les âmes que renferme le purgatoire, quel qu'ait pu êtré leur passé, sont des âmes saintes et infiniment chères à Dieu, puisqu'elles possèdent sa grâce et ne peuvent plus la perdre. Toutes sont des pierres vivantes destinées à l'édifice de la céleste Jérusalem, et que le ciseau du divin sculpteur achève de tailler et de polir avant de les faire entrer dans la place qu'il leur a destinée de toute éternité. Oui ! toutes ces âmes aujourd'hui si souffrantes, si affligées, brilleront un jour comme des étoiles resplendissantes dans le séjour des élus ; quelques-unes y occuperont une place distinguée, car de légères imperfections échappées à la fragilité humaine les empêchent seules d'aller prendre possession du trône de gloire qui les attend dans le ciel. Soyons donc compatissants pour ces saintes âmes pendant qu'elles ont encore besoin de notre assistance et de nos suffrages. Bientôt les rôles changeront : elles deviendront nos protectrices dans le ciel, nos médiatrices auprès de Dieu, et alors elles nous rendront avec bonheur, avec usure, ce que nous aurons fait pour elles au jour de leur affliction.

     

    PRIÈRE.

    Prosterné à vos pieds, je viens vous offrir, ô mon Dieu ! le sacrifice de ma douleur, de mes larmes et de mes prières, en faveur des âmes de ceux gui m'ont été si chers, et que mon cœur n'a pas cessé d'aimer. Vous le savez, Seigneur, ils vivent encore dans ce cœur tout plein de leur souvenir, et si profondément déchiré par leur perte et notre séparation. Mais ce ne sont pas des regrets et des larmes que ces êtres chéris me demandent aujourd'hui, ils attendent autre chose de mon amour et de mon dévouement pour eux. C'est sur moi qu'ils comptent pour fléchir votre justice et acquitter une partie de la dette qu'ils ont contractée envers elle. Ah ! leur attente ne sera pas vaine, car si la vue de leurs souffrances n'attriste plus mes yeux, si leurs plaintes et leurs gémissements ne frappent pas mes oreilles, mon cœur n'en est pas moins ému à la pensée de leurs peines ; peines, ô mon Dieu ! dont je suis peut-être la cause et que votre justice leur inflige pour punir leur faiblesse, leur trop grande indulgence, et l'excès de leur amour pour moi. Ah ! pardonnez, Seigneur, à ceux auxquels vous m'avez uni par des liens si étroits et si doux, et que vous me faisiez un devoir d'aimer. Laissez-vous fléchir par mes larmes, par mes humbles prières, et par la promesse que je vous fais de satisfaire pour eux par tous les moyens qui seront en mon pouvoir. Daignez, ô Vierge sainte ! douce consolatrice des affligés, suppléer à mon impuissance en puisant dans le trésor des mérites de votre divin Fils et de vos propres mérites, la rançon de ces âmes si chères que je recommande à la bonté de votre cœur immaculé, et confie avec une entière confiance à votre sollicitude maternelle. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    La sœur de saint Malachie, étant morte, fut condamnée aux flammes du purgatoire. Son pieux frère la secourut par de nombreux suffrages ; puis ayant cessé de le faire, il entendit pendant la nuit une voix inconnue lui dire que sa sœur l'attendait hors de l'église et lui demandait des consolations. Le saint comprit quels étaient les besoins de sa sœur, et ayant repris ses pieux exercices, il la vit à quelque temps de là, à l'entrée de l'église, vêtue de deuil, triste et désolée. Cette vision redoubla sa ferveur, et il ne passa pas un seul jour sans faire à son intention de grandes œuvres de piété. L'âme alors se fit voir vêtue, non plus de noir, mais de gris et entra dans l'église, sans toutefois avancer jusqu'à l'autel. Son frère, à cette vue, sentit augmenter sa confiance et multiplia ses suffrages, de telle sorte qu'il parvint à satisfaire complétement la justice divine. Il en eut la certitude quand, à la troisième apparition, il vit sa sœur couverte de vêtements d'une éclatante blancheur, s'approcher de l'autel au milieu d'une troupe d'élus.

    Les divers états dans lesquels se fit voir cette pauvre âme nous font bien connaître l'économie ordinaire de la divine Providence qui ne délivre pas les âmes du purgatoire par un acte absolu de puissance et de volonté, mais qu'il exige d'elles, avec la justice la plus exacte, le paiement de toutes leurs dettes, acceptant toutefois les suffrages des fidèles, d'autant plus utiles à ces âmes souffrantes, qu'ils sont plus abondants. Travaillons-donc à en offrir beaucoup pour les âmes qui nous sont chères, et que nos efforts soient si constants qu'ils leur procurent bientôt l'éternel bonheur. (S. Bern., In vita S. Malachite.)

    PRATIQUE.

    Prier spécialement aujourd'hui pour nos parents et nos amis, et offrir à Dieu en leur faveur quelques œuvres satisfactoires.

     

    I Xe JOUR

    Les âmes du purgatoire ne peuvent plus rien par elle-même. Voix d'outre-tombe.

    Ayez pitié de nous, ayez pitié de nous vous du moins qui êtes nos amis et nos frères.

    Ier Point. La nuit, cette nuit profonde et terrible que notre adorable Sauveur nous avertissait de prévenir par nos œuvres, parce qu'elle doit suspendre pour toujours le travail de notre sanctification, et nous fixer pour jamais dans l'état où elle nous surprendra, est arrivée pour les saintes âmes du purgatoire qu'elle enveloppe de ses ténèbres et de ses ombres épaisses. En descendant sur elles peut-être à l'improviste, cette nuit de la mort les a fixées dans la grâce, il est vrai, mais elle leur a ôté en même temps le pouvoir d'acquérir de nouveaux mérites, et de croître en vertus. Ici-bas, lorsque nous sommes en état de grâce et que nous souffrons avec patience et résignation, non-seulement nous expions nos fautes, mais nous amassons des trésors de mérites ; chaque jour nous pouvons croître en vertu, en amour pour Dieu, et par-là même accroître la somme de notre bonheur éternel et ajouter de nouveaux degrés au trône de gloire que nous devons occuper dans le ciel. Si nous avons péché, notre repentir, nos prières et nos larmes fléchissent aisément la justice divine et nous obtiennent promptement notre pardon, parce que le temps de la vie présente est le temps de la miséricorde.

    Mais il n'en est plus ainsi pour les âmes du purgatoire ; leurs souffrances, quelque grandes qu'elles soient, sont sans mérites pour elles, maigre la patience et la résignation avec lesquelles elles les endurent, parce que le temps de mériter est passé et qu'elles ne sont plus une épreuve pour elles, mais un châtiment qui doit les purifier. Elles ne peuvent plus ni acquérir de nouvelles vertus, ni croître en amour pour Dieu. Elles l'aiment, mais leur amour ne saurait s'augmenter d'un seul degré.

    De même, leurs prières, leurs supplications, leurs larmes, la sincérité de leur repentir, la vivacité de leurs regrets ne peuvent plus fléchir le Seigneur, et malgré l'amour qu'il a pour ces saintes âmes, il reste sourd à leurs gémissements, parce qu'elles ne sont plus sous l'empire de sa miséricorde, mais sous celui de sa justice.

    Plus une âme fait de progrès dans la perfection, plus elle pratique de vertus, plus elle acquiert de mérites, plus aussi elle s'élève vers le ciel, où elle occupera une place d'autant plus élevée qu'elle aura aimé Dieu avec plus d'ardeur et de générosité. Celui qui aura le plus acquis, le plus amassé, pendant la vie, de ces trésors impérissables qui se composent d'actes de vertus, abnégation, humilité, charité, sacrifice, brillera parmi les élus d'une gloire proportionnée à ses mérites. L'âme fidèle sait bien que pas un de ses actes, pas un de ses désirs, de ses sacrifices, quelque légers qu'il soit, ne restera sans récompense, elle sait que le Dieu pour lequel elle agit ne se laisse pas vaincre en générosité, qu'il sera magnifique dans ses récompenses, et cette pensée soutient son courage, enflamme son ardeur, et lui adoucit ce que l'accomplissement du devoir et la pratique de la vertu ont quelquefois de pénible, mais il n'en est plus ainsi pour les âmes du purgatoire ; la mort en les fixant dans l'état où elle les a trouvées, en leur ôtant l'exercice de leur volonté, leur a, par-là même, fermé à tout jamais la carrière du mérite, et quelque héroïques que soient leurs actes de vertus, quelque brûlant, quelque pur que soit leur amour pour Dieu, elles n'acquièrent plus rien, leur bonheur dans le ciel n'en sera pas augmenté d'un seul degré.

    Ah ! si la souffrance est dure à supporter en ce monde, si elle est pénible à la nature, l'espérance chrétienne lui offre des compensations qui peuvent non-seulement la faire supporter avec patience, mais encore la faire désirer avec ardeur. N'a-t-on pas vu les martyrs tressaillir de joie sur les chevalets, sous l'action des instruments de supplice, et se rire des plus affreux tourments. Où puisaient-ils cette intrépidité, ce courage surhumain ? Dans la pensée des récompenses éternelles dont leurs souffrances allaient être couronnées. Cette pensée soutenait également les solitaires au fond de leurs déserts, elle adoucissait toutes leurs privations, et leur faisait trouver légère une pénitence dont le seul récit effraie notre délicatesse. Mais les souffrances du purgatoire ne sont point adoucies par de telles compensations, elles sont simplement le paiement d'une dette, et s'il est permis de parler ainsi, l'absolue et pure souffrance.

    Que cette pensée, tout ce que je souffre ne peut plus ni m'acquérir de mérite devant Dieu, ni me faire croître dans son amour, est cruelle, désolante pour ces saintes âmes, et combien n'ajoute-t-elle pas à leurs tourments ? Avec quelle amertume elles regrettent la perte de ce temps qui n'existe plus pour elles, et où il leur eût été si facile d'acquitter leurs dettes et d'accroître en même temps le trésor de leurs mérites. Que leur exemple nous apprenne à en l'aire un saint usage, et nous anime à travailler avec plus de sollicitude et de ferveur à l'amendement de notre vie.

    Souvenons-nous que la vertu ne naît pas en nous, nous devons l'acquérir à force de combats et de sacrifices. Livrés à nos propres forces, nous serions incapables de ces efforts, de ces combats et de ces sacrifices, mais Dieu qui les exige de nous, ne nous abandonne pas à notre propre faiblesse, il nous donne sa grâce pour nous aider et nous soutenir. Le travail de notre sanctification est tout à la fois l'œuvre de Dieu et celle de notre volonté. La grâce nous invite à faire le bien, notre volonté doit coopérer à la grâce ; ainsi la vertu ne s'acquiert que par les actes constamment renouvelés, plus nous les multiplions, plus nous devenons vertueux et parfaits. Le travail du chrétien consiste donc à se perfectionner, autant qu'il peut, par l'exercice des vertus, mais n'oublions pas que cet exercice ne durera qu'autant que notre vie, et que la mort nous fixera pour jamais dans l'état où elle nous aura surpris. Alors aussi, il n'y aura plus de temps pour nous, et comme ceux qui nous ont précédé dans l'éternité, nous nous trouverons dans l'impuissance d'acquitter nos dettes et de rien ajouter à la somme de nos mérites.

    II° Point. C'est donc en vain que du fond des brûlants abîmes où elles gémissent, les saintes âmes du purgatoire font monter vers Dieu le cri de leur douleur, en vain qu'elles essaient de fléchir sa justice et qu'empruntant les supplications de David pénitent, elles répètent après lui : Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous abandonné ? Je crie vers vous pendant tout le jour, et vous ne m'exaucez pas. La nuit j'exhale mes gémissements et personne ne me répond. Souvenez-vous, Seigneur, de vos miséricordes, jetez dans l'oubli les égarements de ma jeunesse. Ah ! ayez pitié de moi, parce que vous êtes bon. Je suis seule, pauvre, délaissée, les afflictions se sont multipliées autour de moi. Rompez les liens qui me retiennent loin de vous, délivrez-moi des tourments que j'endure. Voyez mon humiliation et remettez-moi mes péchés. Que mon exil est long. Hélas ! Seigneur, qu'il est dur ! J'ai levé mes yeux et mon cœur vers le sanctuaire de votre gloire, comme fait le serviteur vers celui de qui dépend son sort. Miséricorde, Seigneur ! miséricorde , car ma tribulation est extrême ; mais, je le répète, c'est en vain que ces saintes âmes font monter vers Dieu le cri de leur douleur ; il reste sourd, et comme insensible à leurs plaintes et à leurs gémissements.

    Où donc ces pauvres exilées trouveront-elles des secours ? A qui s'adresseront-elles pour en obtenir ? Si elles regardent autour d'elles, elles n'y voient que les tristes compagnes de leur captivité, qui sont aussi impuissantes à leur venir en aide, qu'elles-mêmes le sont à pouvoir leur procurer le moindre soulagement. Si elles regardent au ciel pour y chercher parmi les saints des protecteurs et des amis, sans doute elles en trouvent ; mais si les saints peuvent par la puissance de leur intercession auprès de Dieu leur venir en aide et leur obtenir du soulagement, ils ne peuvent plus, comme pendant leur vie mortelle, prendre sur eux une partie de leurs dettes et satisfaire pour elles à la justice divine.

    Dans leur profonde détresse, ces pauvres âmes tournent leurs regards vers la terre, elles se souviennent de ceux qu'elles y ont laissés, de ces parents, de ces amis qu'elles ont si tendrement aimés et qui les aimaient également avec tant de tendresse et de dévouement ; ce souvenir est pour elles une espérance, car elles comptent encore sur un amour dont elles ont reçu tant de preuves, tant d'assurances, elles ne croient pas qu'il ait pu s'éteindre si vite et leur manquer au jour où elles en ont le plus besoin ; aussi, est-ce avec une entière confiance qu'elles s'adressent à ceux qu'elles-mêmes n'ont pas cessé d'aimer, et que dans l'affliction qui les presse, elles leur crient : Ayez pitié de nous, ne nous abandonnez pas, vous du moins qui êtes nos amis et sur l'affection desquels nous comptons encore. Ah ! de quelle compassion ne serions-nous pas saisis, si les gémissements et les supplications de ces voix plaintives pouvaient arriver jusqu'à nos oreilles, et que ne ferions-nous pas pour adoucir les souffrances de ceux qui nous sont toujours chers, que nous regrettons et pleurons encore.

    Si Dieu le permettait, ce fils, cette fille qui versent des larmes si amères à la seule pensée de cette mère si tendre, si dévouée, que la mort vient de ravir à leur tendresse, entendrait la voix chérie leur crier du milieu des flammes où elle endure de si cruelles douleurs : « Ayez pitié de moi, vous les bien-aimés de mon cœur, souvenez-vous de mon amour, de mon dévouement, des soins dont j'ai entouré votre enfance et votre jeunesse, souvenez-vous de mes angoisses à la vue de vos moindres douleurs ; vos larmes ont-elles jamais coulé sans que ma main les ait essuyées ? un seul de vos cris, une de vos plaintes me remuait jusqu'au fond des entrailles ; pour adoucir vos souffrances rien ne me coûtait ; la nuit, le jour, j'étais à vos côtés et je vous sacrifiais sans regret mon repos, mon sommeil, ma santé, et j'eusse sacrifié avec joie jusqu'à ma vie pour sauver la vôtre. Aujourd'hui, serez-vous sourds à mes cris et insensibles à mes douleurs ? m'abandonnerez-vous au jour de ma détresse, et me refuserez-vous le secours que j'implore et que j'attends de votre amour ? Oh non, car. vous aussi vous m'aimiez, vos cœurs étaient reconnaissants, et jusqu'à ma dernière heure vous m'avez entourée de vos soins et de votre dévouement. J'y compte encore sur ce dévouement. Offrez pour moi à Dieu votre douleur, vos larmes, vos prières, et que votre amour, plus fort que la mort, me suive au delà du tombeau et m'ouvre les portes du ciel. »

    Ailleurs cette mère, que la mort prématurée d'un enfant bien-aimée rend inconsolable, l'entendrait lui crier aussi : Ayez pitié de moi, vous, ma mère chérie, vous dont l'amour ne m'a jamais fait défaut, vous qui m'entouriez de si tendres soins, de tant de sollicitude et de dévouement. Ne m'abandonnez pas, vous dont la tendresse savait toujours alléger mes souffrances ; au milieu de vos douleurs vous trouviez des paroles pour adoucir les miennes, des sourires pour dissiper mes tristesses et ramener l'espérance dans mon cœur. Hélas ! je souffre, je languis loin de vous. Je pleure, et personne ne me console ; j'implore du secours, et nul ne répond à ma voix. Ah ! soyez encore mon ange consolateur ; vous pouvez encore essuyer mes larmes, me protéger, me délivrer des tourments que j'endure ; soyez mon avocate, plaidez ma cause auprès de Dieu, plaidez-la par vos larmes, par l'acceptation généreuse du sacrifice qu'il vous a imposé en m'enlevant à votre amour. Il se laissera fléchir, et après lui je vous devrai mon bonheur.

    De même l'épouse entendrait son époux, la sœur son frère, l'ami son ami, implorer son secours au nom des liens qui les unissaient ici-bas, et lui demander par leur mutuelle affection, de ne pas les abandonner au jour où leur dévouement leur est le plus nécessaire. Dieu ne permet pas à ces voix si tristes, si plaintives, d'arriver jusqu'à nous ; mais les abandonnerons-nous, les oublierons-nous parce parce que nous ne les entendons pas, parce que la vue de leurs souffrances ne vient pas émouvoir nos cœurs et attrister nos regards. Ah ! ne soyons pas du nombre de ceux qui oublient si vite ceux qu'ils ont aimés, ceux dont la perte leur a dans le moment causé une si vive douleur. Cessons de les ..pleurer, la source des larmes finit par se tarir ; mais ne cessons pas de prier pour eux. Laissons-les vivre dans notre souvenir aussi longtemps que nous vivrons, que notre amour soit plus fort que la mort, et que notre dévouement les suive jusque dans les profondeurs de l'éternité, pour les arracher, si je puis ainsi m'exprimer, aux mains de la justice de Dieu.

    PRIÈRE.

    Accordez-moi, ô mon Dieu, d'user saintement de la vie présente et d'employer le temps que vous m'accordez dans votre miséricorde, à faire une abondante moisson de bonnes œuvres, à augmenter les trésors qui doivent m'enrichir pour le ciel, mais surtout à croître sans cesse dans votre amour. Ne permettez pas, Seigneur, que par une coupable négligence, j'attende au dernier jour pour régler mes comptes avec votre justice, et que je me laisse surprendre par cette nuit redoutable de la mort qui me fixera pour jamais dans l'état où elle me trouvera, et mettra fin au travail de ma sanctification. Aidé de votre grâce, je veux la prévenir cette nuit et travailler avec ardeur à l'amendement de ma vie et à l'acquisition des vertus qui me manquent pendant que le jour luit encore pour moi.

    Souffrez, ô mon Dieu, que je vous recommande ces pauvres âmes que cette nuit terrible enveloppe aujourd'hui de ses ombres ; hélas ! elles ne peuvent plus rien, vous ne vous laissez plus fléchir par leurs prières et par leurs larmes, et malgré l'amour que vous avez pour elles, vous restez sourd à leurs supplications et à leurs gémissements, mais vous nous permettez d'être leur médiateur et de nous interposer entre votre justice et elles. Jetez donc sur ces saintes âmes, ô mon Dieu, un regard de pitié et de miséricorde, remettez-leur leurs peines au nom des mérites de votre divin Fils, finissez leur douloureux exil, et qu'elles reçoivent enfin de vos mains divines la couronne de justice et de gloire que vous leur avez préparée. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    Saint Nicolas de Tolentin professait une grande dévotion pour les âmes du purgatoire, et celles-ci avaient de leur côté une grande confiance dans la piété du serviteur de Dieu. Une nuit elles lui envoyèrent pendant son sommeil Fr. Pellegrino d'Ossino, qui avait été son ami pendant sa vie, pour obtenir de lui des prières. Cette âme ayant appris au saint qu'elle était en purgatoire : «Viens père, ajoutat-elle, et contemple nos misères, et l'ayant conduit dans la grande plaine de Valmanente, saint Nicolas la vit toute couverte de flammes ardentes, au milieu desquelles une multitude d'âmes jetaient des cris lamentables et imploraient du secours par les gestes les plus expressifs. « Vois, reprit alors l'esprit, quelles sont les peines des âmes du purgatoire, et comme elles se recommandent à ta pitié ! Elles souffrent des tourments plus atroces qu'on ne le saurait imaginer, et ne peuvent en aucune façon se secourir elles-mêmes ; mais toi, au contraire, tu le peux aisément, en offrant pour elles des prières, des pénitences, le saint sacrifice, et je te prie de dire à leur intention la messe des morts et de te livrer à d'autres exercices de piété, car si tu veux bien intercéder pour elles auprès du Seigneur, je ne doute pas que tu ne brises les chaînes brûlantes de la plupart, et qu'elles ne montent au ciel. Se réveillant à ces mots, le saint quitta aussitôt sa couche, se prosterna sur le sol, et versant un torrent de larmes, offrit à Dieu les plus ferventes prières pour ces infortunés. Le lendemain il obtint du père prieur du couvent la permission de célébrer pour eux la sainte messe pendant toute la semaine, et le fit avec tant de ferveur, que le dernier jour, Fr. Pellegrino vint le remercier de sa généreuse charité, grâce à laquelle il avait, avec beaucoup d'autres âmes, été délivré de ses peines et admis à la gloire du ciel. {In vita S. fficolai.)

    PRATIQUE.

    Employer aujourd'hui le temps comme on voudrait l'avoir employé au moment de la mort.

     

    Xe JOUR

    Communion entre l'église triomphante du ciel, l'église militante de la terre et l'église souffrante du purgatoire.

    Je crois à la communion des Saints. (Symô. des Ap. )

    Ier Point. L'Eglise chrétienne est un corps moral dont Jésus-Christ est le chef ; elle se divise en trois Eglises particulières, dont l'une composée des élus triomphe déjà dans le ciel ; l'autre qui comprend toutes les âmes que la mort a surprises dans la grâce, mais auxquelles toute la peine due au péché n'avait pas été remise et qui sont dans le purgatoire, et la troisième, qui se compose de tous les fidèles qui militent encore sur la terre. Membres d'un même corps, enfants d'une même famille, il existe entre tous ceux qui font partie de ces trois Eglises un lien de charité que la mort même ne peut rompre et qu'on nomme la communion des saints. Ce lien mystérieux et divin formé par Jésus-Christ lui-même, unit d'abord chacun de ses membres à son cœur adorable, puis par lui, par la charité dont ce cœur sacré est la source, elle les unit entre eux par l'amour le plus tendre, le plus fort et le plus constant, en sorte que le bonneur et la gloire de ceux qui triomphent dans le ciel, deviennent en quelque sorte la gloire et le bonheur et de ceux qui, assurés de les partager un jour, souffrent encore dans le purgatoire, et de ceux qui sur la terre combattent encore les combats du Seigneur, parce que les uns et les autres se réjouissent et applaudissent au triomphe de leurs frères. De même les peines de l'Eglise souffrante deviennent communes par une tendre compassion aux bienheureux pour lesquels toutes douleurs ont cessé, et aux fidèles qui, dans cette vallée de larmes, portent encore le poids du jour et de la chaleur. De même encore l'Eglise triomphante et l'Eglise souffrante ne sauraient rester indifférentes aux luttes, aux combats, aux épreuves et aux dangers de tous genres qui environnent les frères qu'ils ont laissés dans la lice, et ils s'y associent par leurs vœux et par leurs prières.

    Dieu, qui aime tendrement les saintes âmes du purgatoire, qui les aime d'autant plus qu'il les voit confirmées dans sa grâce et dans son amour, s'est cependant, par un décret de sa Providence, imposé la loi de ne pas les secourir ordinairement par lui-même ; mais ce qu'il ne veut pas faire, il laisse à l'Eglise triomphante et à l'Eglise militante le pouvoir de le faire, et en cela nous devons admirer la magnifique économie de sa Providence, qui, tandis qu'elle se réserve les droits d'une rigoureuse justice, confère à d'autres les droits de la miséricorde et de la compassion. Semblable à un tendre père qui, forcé par devoir d'imposer un châtiment à des enfants coupables, ne veut pas revenir de lui-même sur l'arrêt qu'il a prononcé contre eux, mais se laisse aisément fléchir par les larmes, par les prières que leurs frères lui adressent en leur faveur, et s'estime pour ainsi dire heureux, et se regarde comme leur obligé lorsqu'ils le désarment et lui rendent le droit d'exercer la miséricorde sans blesser la justice.

    Tous les membres de l'Eglise triomphante usent dans le ciel du pouvoir que Dieu leur a donné, de venir au secours de l'Eglise souffrante du purgatoire. Nulle, parmi ces âmes bienheureuses, n'oublie ces saintes âmes qu'elles ont hâte de voir associées à leur éternel bonheur. Il n'en est pas une qui ne prie pour elles, et qui ne s'efforce par d'ardentes supplications de hâter, le moment de leur délivrance. Elles ne peuvent plus, il est vrai, mériter pour ces sœurs chéries, mais elles peuvent puiser dans la surabondance de leurs mérites, unis aux mérites de Jésus-Christ, de quoi acquitter leurs dettes. Connaissant presque toutes par leur propre expérience la rigueur des peines du purgatoire, les âmes des élus au souvenir des souffrances qu'elles y ont endurées, de ce désir du Ciel, de cette soif de Dieu qui les consumait, éprouvent pour ces saintes captives, une compassion bien plus vive que celle que nous éprouvons nous-mêmes pour des douleurs que nous ne connaissons que d'une manière bien imparfaite. Connaissant également par leur propre expérience le bonheur du Ciel, ces délices, ces joies inébranlables, les âmes des bienheureux remplis du double amour de Dieu et de leurs frères, le désirent pour eux avec une sainte impatience. Le zèle qui les dévore leur fait souhaiter avec ardeur le moment où ces pauvres exilées du ciel viendront y prendre place, pour y glorifier Dieu avec elles, par leurs louanges et d'éternelles actions de grâces.

    Les saints sont donc non-seulement remplis de zèle et d'un zèle ardent pour les âmes du purgatoire, mais ce zèle est efficace ; ils sont pour elles des protecteurs, des amis dévoués, de puissants médiateurs ; sans cesse ils prient, ils intercèdent en leur faveur, ils intéressent Marie à leur cause, et Dieu se laisse souvent fléchir par les ardentes supplications de ces enfants chéris ; par amour pour eux, il se relâche des droits de sa justice, il abrége, il adoucit leurs souffrances, et souvent encore il y met un terme et leur ouvre les portes du Ciel. Quelle joie ne cause pas alors à leurs saints protecteurs, l'entrée de ces sœurs bien-aimées dans la céleste patrie, avec quels transports d'allégresse ne les accusent-ils pas et n'applaudissent-ils pas à leur triomphe. L'arrivée de chacune d'elles occasionne dans le ciel comme une fête de famille. Ces nouvelles venues sont fêtées, congratulées par leurs frères qui, tous à l'envie, se montrent jaloux d'essuyer de leurs yeux jusqu'aux dernières des larmes qu'elles ont versées.

    Les saints anges aussi s'intéressent aux âmes du purgatoire, ils les visitent, les consolent, ils prient pour elles, et inspirent aux fidèles la compassion pour leurs souffrances et le zèle pour leur délivrance ; mais ce sont surtout les anges gardiens de ces pauvres captives qui se montrent vraiment alors leurs amis les plus vrais, les plus compatissants et les plus dévoués. Loin de les abandonner au jour de leur détresse, ils descendent souvent dans leur prison brûlante, ils les consolent, raniment leur espérance en leur montrant dans un avenir prochain le terme de leurs peines, puis ils les rappellent au souvenir de ceux qui les oublient sur la terre ; par leurs inspirations ils obtiennent des suffrages, ils font en sorte que le saint sacrifice de la Messe soit offert en leur faveur, que des indulgences leur soient appliquées, et lorsque la justice de Dieu est satisfaite, et que ces saintes âmes entièrement purifiées, ont fini leur douloureuse expiation, ces célestes amis se hâtent de leur en apporter l'heureuse nouvelle, et pleins de joie ils s'envolent avec elles vers les parvis éternels, heureux de les y introduire et de les présenter eux-mêmes au Dieu qui les attend pour les couronner.

    IIe Point. L'Eglise militante est également en communion avec l'Eglise souffrante du purgatoire, et comme l'Eglise triomphante du ciel, elle a reçu de Dieu le pouvoir de lui venir en aide et de la soulager. Plus encore que l'Eglise du ciel, l'Eglise de la terre peut le faire d'une manière efficace, puisqu'à la prière elle peut joindre des œuvres satisfactoires, qu'elle peut faire couler en leur faveur le sang adorable de son divin Epoux, et leur appliquer ses mérites en leur ouvrant le trésor des indulgences.

    Mère tendre et dévouée, l'Epouse immaculée du Christ enveloppe de sa maternelle sollicitude et d'un égal regard d'amour tous les enfants qu'elle a enfantés à son divin Epoux ; mais si elle se réjouit de la gloire et du bonheur de ceux qui sont arrivés à la bienheureuse patrie, si déjà elle triomphe avec eux et en eux, tranquille désormais sur leur sort, elle reporte toute sa sollicitude et sur ceux qui militent et combattent encore avec elle sous leglorieux étendard de la croix, et sur ceux qui, entrés sous le domaine de la justice de Dieu, languissent loin du ciel et l'implorent dans leur détresse.

    Comme une mère qui semble préférer à tous les autres celui de ses enfants qu'elle voit souffrant et affligé, l'Eglise, elle aussi, loin d'oublier les saintes âmes du purgatoire, semble avoir pour elles une tendresse plus vive, un dévouement plus actif que pour ses autres enfants. Chaque jour, elle exige que sur tous les autels du monde catholique, il soit fait mémoire d'elle au saint Sacrifice de la Messe, afin que le sang adorable de son divin Epoux plaide leur cause auprès de son Père, et vienne comme une rosée rafraîchissante tomber au milieu des flammes qui les dévorent pour en amortir l'ardeur. Dans les prières de son admirable liturgie elle fait également mémoire d'elles : il en est encore de même dans l'office que récitent chaque jour ses ministres. Enfin, elle a institué une fête spéciale en faveur des fidèles défunts, et aussitôt après avoir excité notre émulation en nous montrant la gloire dont Dieu couronne les vertus de nos frères dans le ciel, elle veut également exciter notre charité et notre compassion pour ces autres frères qui, assurés du même bonheur, le voient différé jusqu'à ce que les moindres souillures du péché soient effacées dans leur âme. Et pour cela, elle ouvre en quelque sorte à nos regards les tristes prisons où gémissent ces saintes âmes, elle se hâte de faire monter vers Dieu la voix de ses soupirs, de ses gémissements et de ses prières, nous engageant à y unir les nôtres pour fléchir sa justice et faire déborder les trésors de sa miséricorde sur ses enfants affligés.

    Enfin, tous les Souverains Pontifes qui viennent successivement s'asseoir sur le trône de saint Pierre, les montrent animés de la même charité pour les saintes âmes du purgatoire, tous semblent comprendre la grandeur de leurs souffrances, et se montrent empressés de les abréger et d'y mettre un terme en étant saintement prodigues pour elles des mérites de Jésus-Christ. Remarquons que presque toutes les indulgences que les Souverains Pontifes accordent aux fidèles, sont applicables aux âmes du purgatoire. Ne semble-t-il pas par là les inviter à se montrer généreux envers leurs frères défunts, à s'oublier pour leur venir en aide et à user pour eux de la charité dont ils auront bientôt besoin qu'on use envers eux.

    Enfants de l'Eglise, laissons nos cœurs se pénétrer de la charité de notre mère commune ; soyons à son exemple compatissants et miséricordieux envers les âmes du purgatoire. Souvenons-nous que nous sommes unis à ces saintes âmes par des liens d'une fraternité spirituelle et toute divine ; comme nous elles ont été régénérées par les eaux du saint baptême, et nous pouvons dire avec vérité que le même sein nous a portés, que nous avons été nourris du lait de la même doctrine, puisque nous sommes enfants de la même mère. Ces saintes âmes n'ont pas seulement été, comme les nôtres, marquées du sceau de l'adoption divine, mais comme nous aussi et peut-être à côté de nous, elles ont pris place à la table des anges, et le pain divin de l'Eucharistie leur a été rompu comme à nous ; comme nous elles ont reçu ce gage sacré de la vie éternelle et de la résurrection glorieuse marquées du sang adorable de l'Agneau divin ; elles ont emporté dans l'éternité les mêmes espérances qui adoucissent maintenant les labeurs de notre triste pèlerinage. Ne sont-ce pas là des droits incontestables à notre compassion, et des titres sacrés à notre amour ? Ah ! si les enfants d'une même famille, quand ils sont bien unis, s'aiment tendrement entre eux, si les peines de l'un deviennent les peines de tous, ne doit-il pas en être de même des enfants de l'Eglise ? Ces liens spirituels qui unissent ceux qui ont la même foi, la même espérance, qui attendent le même héritage seraient-ils donc moins forts et moins tendres que les liens du sang et de la nature ?

    Non, il n'en est pas ainsi, et nous voyons toutes les âmes véritablement pieuses animées d'une tendre et compatissante charité pour les âmes souffrantes du purgatoire ; non-contentes de prier pour elles, de leur appliquer toutes les indulgences qu'elles peuvent gagner, elles s'efforcent encore de payer une partie de leurs dettes en leur cédant généreusement leurs œuvres satisfactoires. Imitons-les et soyons convaincus que notre charité loin de nous appauvrir nous enrichira devant Dieu, et que parmi les œuvres de miséricorde celle qui a pour objet le soulagement de ces saintes âmes n'est pas la moins agréable au Seigneur et la moins méritoire à ses yeux.

    PRIÈRE.

    0 Dieu infiniment bon, infiniment miséricordieux, qui avez voulu que la charité la plus tendre unisse entre eux tous les membres de la grande famille chrétienne, montrez-vous donc favorable aux prières et aux supplications que l'Eglise triomphante du ciel ne cesse de vous adresser en faveur de l'Eglise souffrante du purgatoire. Soyez aussi touché des larmes et des gémissements que l'Epouse de votre divin Fils fait sans cesse monter vers letrône de votre miséricorde. C'est une mère, ô mon Dieu, qui vous conjure d'avoir pitié de ses enfants, de vous relâcher des droits de votre justice et de mettre fin à leurs peines. Ne soyez pas insensible, Seigneur, à la douleur et aux ardentes supplications de cette mère affligée. Elle ne se présente pas devant vous les mains vides, mais elle vous offre pour la rançon de ses enfants, le sang adorable qui a coulé pour eux sur le Calvaire, et dont la voix puissante s'élève encore à toutes les heures du jour, de tous les autels du monde chrétien, pour vous demander leur grâce. Laissez-vous donc fléchir, ô mon Dieu, oubliez votre justice pour ne vous souvenir que de votre miséricorde. Remettez à ces saintes âmes les peines qui leur restent encore à subir, et admettez-les enfin dans ce lieu de rafraîchissement, de lumière et de paix après lequel elles soupirent, et que l'Eglise du ciel et celle de la terre vous demandent également pour elles. Ainsi soit-il.

     

    EXEMPLE.

    Dans le monastère de sainte Catherine, à Naples, on avait la louable coutume de terminer toutes les œuvres de la journée en récitant au dortoir les vêpres des morts, afin d'obtenir du Seigneur la paix et le repos pour les âmes des trépassés avant de se livrer au sommeil. Cette pieuse pratique était chère au purgatoire autant qu'au ciel ; mais un soir que des occupations extraordinaires s'étaient prolongées dans le couvent jusqu'à une heure avancée de la nuit, les religieuses allèrent prendre leur repos sans offrir pour les morts leur suffrage accoutumé. Mais pendant qu'elles donnaient il descendit du ciel une cohorte d'anges qui, se rangeant avec ordre dans le lieu où les religieuses avaient l'habitude de prier, chantèrent avec une mélodie toute céleste l'office qui avait été omis. Une sœur veillait alors en prières, c'était la vénérable sœur Paule de Sainte-Thérèse, qui, surprise à ces accents inattendus, sortit en toute hâte de sa cellule pour s'unir à ses sœurs qu'elle croyait entendre chanter ; mais quel ne fut pas son étonnement, quand elle vit les anges en nombre égal à celui des religieuses du monastère, les suppléer dans leur œuvre de charité, afin que les morts ne restassent pas privés d'un suffrage si utile ! Le cœur de la vénérable servante du Seigneur devint alors encore plus compatissant pour les âmes du purgatoire, que les habitants du ciel, aussi bien que ceux de la terre se font un bonheur de secourir ; et ayant raconté le fait à ses compagnes, il fut décidé que désormais aucune circonstance, quelque importante qu'elle fût, n'empêcherait plus la récitation des vêpres à l'intention des âmes des trépasssés. (Vie de la V. Paule de Sainte-Thérèse.)

    PRATIQUE.

    Admirer la bonté de Dieu, qui permet que par la communion des saints, les liens qui nous unissent à ceux que nous aimons sur la terre ne soient pas rompus, et lui rendre grâces de nous avoir donné un moyen si facile et si doux de leur prouver encore notre dévouement et notre amour.

     

    XIe JOUR

    Nous pouvons et nous devons soulager les âmes du purgatoire.

    Heureux les miséricordieux, parce qu'ils obtiendront miséricorde.

    Ier Point. Ce ne sont pas seulement les suffrages universels de l'Eglise militante qui peuvent être utiles aux saintes âmes du purgatoire. Dieu, dans son infinie bonté, communique à chacun de ses membres le pouvoir qu'il a donné à l'Eglise tout entière ; il consent à se laisser fléchir par chacun d'eux, et il permet, si je puis ainsi m'exprimer, que le plus petit, le plus faible d'entre nous, puisse, quand il le veut, arrêter son bras vengeur et le désarmer. Sa justice, il est vrai, a marqué le nombre d'heures, de jours et même d'années que doit durer leur expiation, mais il nous a laissé le pouvoir de l'abréger. Il les a condamnées à un feu qui les brûle, mais il a mis à notre disposition des cœurs qui peuvent l'éteindre ; il a enfermé ces saintes âmes dans une obscure prison ; mais il a remis entre nos mains la clef qui peut la leur ouvrir.

    Quelle joie, quelle consolation pour vous, âmes affligées, pour vous qui pleurez un père, une mère, un époux, un enfant bien-aimé. Ah !_séchez vos larmes, consolez-vous, vous pouvez encore leur donner des preuves de votre dévouement, de votre amour, vous pouvez être leurs anges consolateurs et leurs liberateurs. Captifs de la justice de Dieu, ceux que vous aimiez attendent votre secours, ils l'implorent et l'espèrent de votre affection. Hâtez-vous donc, venez briser leurs chaînes ; fils, ouvrez à votre père, à votre mère ; épouse, ouvrez à votre époux ; mère, ouvrez à votre enfant les portes de leurs prisons enflammées, afin que libres de s'envoler au ciel, ces âmes qui vous sont si chères vous puissent en quelque sorte vous devoir leur bonheur.

    Que n'avez-vous pas fait autrefois, que n'avez-vous pas sacrifié pour le bonheur de ces êtres si tendrement aimés ; que ne faisiez-vous pas pour les consoler dans leurs peines, pour alléger et adoucir leurs plus légères souffrances ? Que n'eussiez-vous pas donné dans leur dernière maladie pour les soustraire à la mort qui les menaçait ? Ah ! vous n'eussiez reculé devant aucun sacrifice, pas même devant celui de votre propre vie. Leurs plaintes, leurs soupirs déchiraient votre cœur ; sans cesse à côté de leur lit de douleur, vous les entouriez des soins les plus tendres et les plus dévoués, et vous trouviez dans votre cœur de douces et consolantes paroles pour ranimer leur courage et leur espérance. Et cependant qu'étaient les souffrances que vous étiez si empressés, si ingénieux à soulager auprès de celles qu'elles endurent aujourd'hui ? Hélas ! rien, moins que rien ; et ces douleurs dont il ne vous est pas même possible de vous former une juste idée, sont sans soulagement, sans consolation. Ah ! s'il vous était donné d'en être témoin, quelle ne serait pas votre douleur, de quelle compassion ne seriez-vous pas saisis et que ne feriez-vous pas pour y mettre un terme. Dieu vous évite cette douloureuse et terrible vision, mais croyez-le bien, les souffrances de ces âmes que vous avez si tendrement aimées et qui vous sont encore si chères, quoique invisibles pour vous, n'en sont pas moins réelles et ne doivent pas vous inspirer une compassion moins vive que que si vous pouviez les contempler de vos yeux ; et l'impuissance où sont ces pauvres âmes de se faire entendre de vous et de réclamer le secours qu'elles ont droit d'attendre de votre affection, ne doit pas être pour vous une raison de les oublier, mais un nouveau motif pour redoubler de zèle et de sollicitude pour leur venir en aide.

    Ce ne sont pas des larmes, des regrets que ceux que vous avez perdus demandent de vous ; mais des prières, quelques aumônes, quelques œuvres satisfactoires pour apaiser la justice de Dieu et acquitter une partie de la dette qu'ils ont contractée envers elle. Mais, hélas ! à la mort d'un parent, d'un ami, on se livre à une douleur immodérée, à une douleur qu'on peut appeler égoïste, parce qu'on se laisse absorber par elle au point de ne penser qu'à soi, sans songer que celui qui vient d'entrer dans son éternité a peut-être bien plus besoin de vos prières que de vos larmes. Non pas qu'il soit défendu de pleurer ceux que la mort ravit à notre tendresse ; non, sans doute, les larmes, les regrets sont légitimes. Dieu ne les condamne pas, mais il ne faut pas pleurer comme ceux qui n'ont pas d'espérance, il faut surtout savoir s'oublier soi-même et faire de la douleur même qui brise et torture alors le cœur, un sacrifice qui, offert à Dieu avec une entière résignation, suffirait peut-être seul pour ouvrir le ciel à ceux dont la perte voue le reste de votre vie au deuil et à la tristesse. « Nous voyons tous les jours, disait saint Bernard, des morts pleurer d'autres morts. Ce ne sont que lamentations, transports de douleur, excès de désolation, mais peu de prières, pas de bonnes œuvres, pitié stérile et infructueuse. En vérité, ceux qui pleurent ainsi méritent bien eux-mêmes d'être pleurés. 

    Le saint Docteur ne condamne pas par ces paroles le tribut de douleurs et de regrets que nous payons à la mémoire de ceux que nous aimons ; il ne blâme ni notre deuil, ni notre tristesse, il ne désapprouve pas davantage les larmes dont nous arrosons la dépouille mortelle des parents, des amis que Dieu nous avait prêtés et qu'il vient de rappeler à lui ; mais il veut nous faire entendre qu'à ses larmes qui ont leur source dans une tendresse toute naturelle et qui ne soulagent que notre douleur, doivent se joindre celles de la compassion et de la charité, seul vrai tribut de l'amour chrétien. De telles larmes surnaturalisent et sanctifient la douleur, elles sont utiles à ceux dont le souvenir les fait couler, et saint Ambroise les appelle le prix de leur salut, la rançon de leurs péchés.

    IIe Point. Non-seulement nous pouvons soulager les âmes du purgatoire, mais nous le devons comme chrétiens ; c'est pour nous un devoir de charité, c'est un devoir de justice quand il s'agit de nos parents ou de nos bienfaiteurs. En effet, la charité chrétienne nous oblige tous à secourir, selon nos moyens, ceux de nos frères que nous voyons dans la peine et dans le besoin. Elle nous fait un devoir de verser notre superflu dans le sein des membres souffrants de Jésus-Christ, de donner à manger au pauvre qui a faim, à noire à celui qui a soif ; de vêtir celui qui est nu, de visiter cet autre qui languit sur un lit de douleur, ou qui au fond d'un cachot pleure sa famille et la perte de sa liberté. Si notre adorable Sauveur nous fait une obligation de toutes ces œuvres de charité, s'il refusera un jour le ciel à ceux qui les auront omises, s'il les repoussera loin de lui avec indignation, en leur disant : « Retirez-vous, maudits, j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger, j'étais nu et vous ne m'avez pas couvert, malade, prisonnier, et vous ne m'avez pas visité » pouvons-nous croire qu'il ne nous fasse pas également une obligation de la charité envers les morts, et qu'il verrait avec une moindre indignation notre dureté envers des âmes qui lui sont d'autant plus chères que les mérites de sa rédemption n'ont pas été perdus pour elles, qu'elles sont le prix de son sang, et que son divin cœur brûle du désir de sécher leurs larmes et de partager avec elles son éternel héritage.

    Notre adorable Sauveur nous a donné lui-même l'exemple de la charité envers les fidèles défunts. En effet, nous lisons dans le saint Evangile que l'âme de Jésus, aussitôt qu'elle fut séparée de son corps, descendit aux enfers, c'est-à-dire dans le lieu où les âmes des justes morts dans le cours des siècles qui avaient précédé son avénement, attendaient qu'il vint leur rouvrir les portes du ciel qui avaient été fermées par le péché d'Adam. Ce fut comme consolateur, comme libérateur, que Jésus descendit aux limbes pour consoler tous les saints de l'Ancien Testament, qui soupiraient avec tant d'impatience après la venue du Sauveur d'Israël, et pour mettre un terme à leur longue captivité.

    Imitons notre divin modèle en nous efforçant de consoler, par tous les moyens en notre pouvoir, les âmes souffrantes de nos frères décédés. Nous pouvons exercer envers ces saintes âmes toutes les œuvres de miséricorde, ne négligeons-donc pas de le faire. Elles ont faim, elles ont soif de Dieu ; nous pouvons, par nos prières, par nos aumônes offertes à Dieu en leur faveur, obtenir que leur faim soit rassasiée, que leur soif soit étanchée. Par l'offrande du saint sacrifice de la Messe nous pouvons les couvrir comme d'un riche vêtement des mérites de Jésus-Christ. En proie sur leur lit de flammes à des souffrances bien plus cruelles que celles des plus terribles maladies, nous pouvons les consoler, les soulager par des œuvres satisfactoires offertes à Dieu pour elles. Enfin, prisonnières de la justice divine, nous pouvons par la charité, par la prière, devenir leur libérateur, briser leurs chaînes et mettre un terme à leur douloureuse captivité.

    Mais si c'est un devoir de charité de prier en général pour toutes les âmes des fidèles trépassés, c'est un devoir de justice de prier plus encore pour nos parents et nos bienfaiteurs. Enfants qui avez perdu votre père, votre mère, n'oubliez pas que si la mort a rompu les liens naturels qui vous unissaient à eux, Dieu ne Tous relève pas pour cela de la loi par laquelle il fait aux enfants un devoir sacré de l'amour et de l'assistance des parents. Ne soyez donc pas ingrats envers eux, souvenez-vous de tout ce qu'ils ont fait pour vous, de tout ce que vous leur devez, et soyez empressés et heureux de pouvoir maintenant acquitter envers eux la dette de reconnaissance que vous leur devez.

    Songez aux peines, aux douleurs que vous avez coûtées à votre mère, aux soins si tendres, si empressés dont elle a entouré votre débile enfance, aux larmes dont elle a tant de fois arrosé votre berceau ; que les vôtres coulent maintenant pour elle devant le Seigneur ; qu'elles fléchissent sa justice, et que votre amour filial, plus fort que la mort s'élance au delà de la tombe pour consoler et secourir cette mère qui fut pour vous si tendre et si dévouée.

    Vous qui jouissez d'une brillante fortune, ou d'une honnête aisance, souvenez-vous que vous la devez aux longs labeurs, à la prévoyante tendresse de ce bon père qui, pour vous assurer un avenir tranquille, s'est condamné à une vie de travail, de fatigues et peut-être de privations. Pour vous il s'est oublié, il a fait abnégation de lui-même ; les biens dont vous jouissez sont le fruit de ses veilles, de ses sueurs, de ses sacrifices. Et maintenant qu'il est dénué de tout, qu'il est souffrant, exilé du ciel sa patrie, serez-vous ingrat envers lui ? Refuserez-vous de lui faire une faible part des biens qu'il vous a si péniblement acquis en la versant en son nom dans le sein des membres souffrants de Jésus-Christ, afin que la voix de leurs prières, toute-puissante sur le cœur de Dieu , plaide sa cause et lui offre vos aumônes pour sa rançon.

    Songez encore que si vous avez eu le bonheur de recevoir une éducation chrétienne, des principes de foi et de piété qui sont le fondement et la garantie de votre bonheur à venir, c'est à vos parents que vous êtes, après Dieu, redevables de cet inestimable bienfait. N'est-ce pas sur les genoux de votre mère que s'est élevé vers le ciel le premier acte d'amour que son cœur dictait au vôtre pour le Dieu qu'elle s'efforçait de vous faire connaître et aimer ? N'est-ce pas sa main maternelle qui prenant votre main si débile, si faible encore, la conduisait pour former sur vous pour la première fois lesigne sacré de la croix ? N'est-ce pas elle, enfin, qui vous apprit encore à bégayer, pour la première fois, les noms de Jésus et de Marie ? Souvenez-vous de la sollicitude de cette mère si pieuse pour vous aider à conserver le trésor précieux de votre innocence, pour vous préserver des dangers sans nombre qui menaçaient votre inexpérience et votre faible vertu. N'oubliez pas, enfin, les sages conseils de votre père, les exemples de foi et de piété que vous en avez reçus, et puisqu'ils ont pris tant de soins et de peines pour assurer votre bonheur éternel, pourriez-vous n'avoir aucun souci, ne vous donner aucune peine pour assurer le leur et hâter le moment où ils recevront la récompense de ce qu'ils ont fait pour vous.

    Enfin, pensez encore que ces âmes, qui doivent vous être si chères, souffrent peut-être à cause de vous, peut-être pour vous avoir trop aimé, pour avoir été trop indulgents pour vous, pour avoir sacrifié leurs intérêts spirituels à vos intérêts temporels. N'est-ce donc pas un devoir, et un devoir de stricte justice, de les aider à obtenir le pardon de ces fautes, qui ont été commises par un excès d'amour pour vous, et si vous négligiez de le remplir, croyez que Dieu ne verrait pas sans indignation votre indifférence et votre ingratitude, et qu'il saurait aussi vous les faire expier un jour.


    PRIÈRE.

    Vous le savez, ô mon Dieu, il n'est pas éteint dans mon cœur l'amour si profond et si tendre que vous m'aviez donné pour les auteurs de mes jours ; leur souvenir est toujours vivant, et ce cœur n'a pas perdu la mémoire de leurs bienfaits. La perte de ces êtres chéris , vous le savez , ô mon Dieu, a fait à mon âme une plaie profonde, douloureuse, et que le temps n'a pu guérir. Elle a voué ma vie au deuil et aux regrets. Mes larmes ne peuvent pas ranimer la poussière de ceux que j'ai aimés, pas plus que mes regrets ne peuvent les rendre à mon amour ; mais soumis et résigné à votre volonté , qui a voulu cette séparation, les pleurs que je verse à vos pieds peuvent devenir le prix de leur rançon. Acceptez-les, Seigneur, comme un sacrifice d'agréable odeur, comme un gage de mon entière soumission à votre adorable volonté. Daignez, ô Marie, ma tendre mère, mêler à mes larmes une de celles que vous avez versées au pied de la croix de votre divin Fils, et obtenez qu'elles descendent comme une rosée rafraîchissante sur ces âmes qui me sont si chères et que je confie avec une entière confiance à la sollicitude de votre cœur maternel. Ayez-en pitié, ô Marie, priez pour elles, et qu'elles vous doivent bientôt la fin de leurs peines et l'entrée du ciel. Ainsi soit-il.


    EXEMPLE.

    I. Gerson, chancelier de l'Université de Paris, aussi illustre par ses vertus que par son éloquence, rapporte dans un de ses ouvrages (Quecrela defunctorum) qu'une pauvre mère, oubliée depuis longtemps par son enfant, reçut de Dieu la permission de lui apparaître pour en solliciter des prières : « Mon fils, » lui dit-elle, mon cher fils ; ah ! pensez un peu à votre mère qui souffre, considérez les supplices au milieu desquels la justice de Dieu me fait expier les fautes de ma vie mortelle ; considerez ce feu terrible dont les flammes dévorent votre pauvre mère. S'il est vrai que vous m'aimiez, hâtez-vous de venir à mon secours ; à mon lit de mort, vous me témoigniez tant de reconnaissance, tant d'affection ; vous me faisiez de si belles promesses ! Comment cet amour s'est-il si vite éteint ? Ai-je cessé d'être votre mère ? Avez vous cessé d'être mon fils ? Comment donc consentez-vous à me laisser languir dans cet étang de feu ? Entendez mes gémissements, compatissez aux douleurs de votre mère ; du fond de ma prison ardente, je vous en conjure, mon fils, ayez pitié de moi. Si vous ne pensez point à me soulager à qui pourrais-je recourir ? »

    II. On lit dans la vie de sainte Elisabeth, fille du roi de Hongrie, qu'elle avait une grande dévotion pour les morts. Elle ne se lassait pas de donner de l'argent pour faire enterrer honorablement les pauvres, les ensevelissait de ses mains pures, les accompagnait jusqu'à la tombe et priait pour eux.

    Mais son zèle redoublait lorsqu'il s'agissait des personnes de sa propre famille. Lorsque sa mère, Gertrude, reine de Hongrie, mourut, elle joignit des mortifications quotidiennes, des aumônes abondantes à ses prières.

    Malgré cela , sa mère lui apparut, vêtue de deuil, le visage triste, abattu, suppliant. Elle se mit à genoux devant elle, lui disant : « Ma fille, vous avez à vos pieds votre mère accablée de douleur ; je viens vous conjurer de ne point vous lasser d'implorer pour moi la clémence de Dieu, j'endure des tourments épouvantables ; au nom des angoisses, des fatigues, des soins que votre enfance et votre éducation m'ont coûtés, retirez-moi des supplices. »

    Sainte Elisabeth, émue, attendrie, tout hors d'elle-même, recommence à pleurer, à s'humilier, à se mortifier. Au souvenir de l'image de sa mère qui souffre et qui l'appelle, elle ne voulait plus se donner de repos ; elle chassait le sommeil, elle n'interrompait plus ses oraisons et ses macérations, lorsqu'enfin sa mère revint à elle une seconde fois, mais alors rayonnante, joyeuse, revêtue d'habits somptueux et blancs, la bénissant, la remerciant de lui avoir ouvert les portes du paradis.

    (Les saintes Ames du Purg. connues, aimées et soulagées, par un religieux de N.-D. de la Trappe.)

    PRATIQUE.

    Se soumettre à la volonté de Dieu à la mort des personnes qui vous sont chères ; modérer votre douleur, pour vous efforcer d'être utile à ceux que vous aimez par vos prières et votre résignation.

     

    XIIe JOUR

    Votifs qui doivent nous engager à secourir les âmes du purgatoire. 

     Premier motif : la gloire de Dieu.

    Le zèle de votre maison me dévore.

    1er Point. Après avoir jusqu'à présent considéré la nature, la rigueur, la durée des souffrances du purgatoire, après avoir vu quelles étaient les âmes qui les enduraient, après avoir pour ainsi dire entendu leurs voix suppliantes nous demander de les secourir, nous allons, dans les chapitres suivants, parcourir quelques-uns des principaux motifs qui doivent nous engager à le faire, et nous verrons ensuite quels sont les moyens que Dieu, dans son infinie miséricorde, nous a donnés pour atteindre ce but.

    Le premier motif qui doit nous engager à hâter par tous les moyens en notre pouvoir la délivrance des saintes âmes du purgatoire est la gloire qui en reviendra à Dieu. Une âme qui aime véritablement le Seigneur ne saurait être indifférente à ce qui peut lui plaire et le glorifier. Elle oublie ses propres intérêts pour ne songer qu'à la gloire et au bon plaisir de celui qu'elle aime. Le règne de Dieu dans toutes les âmes, sa volonté en toutes choses, son honneur et sa gloire avant tout : voilà le but que se propose l'âme dont l'amour pour Dieu est réel ; voilà le motif qui seul règle ses pensées, ses désirs, ses paroles et ses actions. La devise de saint Ignace est la sienne : Tout à la plus grande gloire de Dieu.

    Cette âme ne se trouve pas seulement honorée, mais elle est heureuse de se sentir chargée des intérêts de Dieu et de pouvoir le glorifier, non pas, il est vrai, de cette gloire essentielle que Dieu trouve en lui-même dans son essence, dans sa connaissance, dans la jouissance de ses perfections infinies et de ses divins attributs, gloire qu'aucune créature ne peut lui ravir ni augmenter, mais de cette gloire extérieure et secondaire qu'il retire des louanges, des actions de grâces et surtout des vertus et de l'amour de ses créatures.

    Or plus une âme est fidèle, plus elle se rapproche de Dieu par la sainteté, par la pureté de ses intentions, par la ferveur et la perfection avec laquelle elle fait ses moindres actions, plus aussi elle glorifie Dieu et lui est agréable. Elle ne le glorifie pas seulement par les adorations et les actions de grâces qu'elle lui offre sans cesse dans le secret de son cœur, mais elle le glorifie aussi aux yeux des créatures par l'exemple de ses vertus et de la fidélité avec laquelle elle observe sa loi.

    Mais la gloire que l'homme peut rendre à Dieu sur la terre n'approche pas de celle que les élus lui rendent dans le ciel. Purs de toutes fautes, exempts des moindres souillures, confirmés en grâces, et pour jamais à l'abri de l'inconstance et de la faiblesse de la nature humaine, auxquels ils ont été sujets comme nous ; les saints ont avec Dieu une ressemblance qui ne peut pas se comparer à celle que nous pouvons avoir ici-bas. Unis à lui par l'union béatifique, vivant de sa vie, aimant de son amour, leur esprit, leur volonté, leur cœur, tout est perdu, absorbé en Dieu, et ils se sentent dans l'heureuse impuissance de s'occuper d'autre chose que de lui, de vouloir autre chose que ce qu'il veut, d'aimer d'autres objets que lui, et par cette divine transformation en l'objet de leur amour, nos frères du ciel deviennent plus aptes à glorifier Dieu ; leurs louanges, leurs adorations, et les cantiques d'actions de grâces, de joie et d'amour, dont ils font sans cesse retentir les voûtes de la sainte Sion, proclament et proclameront éternellement les grandeurs, la puissance et l'infinie miséricorde de celui par qui ils ont vaincu le monde, le démon, triomphé d'eux-mêmes et des penchants d'une nature corrompue., de celui enfin qui, couronnant leurs vertus, couronne ses propres dons.

    Il nous est aisé de comprendre, d'après ce que nous venons de dire, que plus il y a d'élus au ciel, plus Dieu est glorifié, plus il a de véritables adorateurs, et que l'éternel concert de louanges des anges et des saints en son honneur est d'autant plus digne de lui, qu'un plus grand nombre de voix s'y unissent et viennent augmenter les suaves et célestes harmonies. D'où nous devons conclure qu'en avançant la délivrance des saintes âmes du purgatoire, en leur ouvrant les portes du ciel, nous procurons réellement la gloire de Dieu.

    Les âmes du purgatoire sont saintes ; mais nous l'avons dit, la nuit où l'on ne peut plus agir est descendue sur elles, et enveloppées de ses ombres épaisses, elles sont désormais dans l'impuissance de glorifier Dieu par leurs œuvres, elles ne peuvent plus le glorifier que par leur amour et leur entière soumission à son adorable volonté ; mais cette gloire est bien moins parfaite que celle qu'elles sont destinées à lui rendre dans le ciel, et c'est là surtout ce qui fait désirer avec tant d'ardeur à ces saintes captives le moment de leur délivrance.

    IIe Point. Ce moment, il est vrai, arrivera infailliblement pour elles ; quelque longue que soit leur expiation elle aura un terme, et le jour viendra où rien ne s'opposant plus à leur éternelle union avec Dieu, elles verront s'ouvrir devant elles les portes de leur triste prison ; mais si nous aimons Dieu, si nous désirons le glorifier et le voir glorifié par toutes ses créatures, quel bonheur, quelle consolation pour nous de penser que nous pouvons, en hâtant le moment de leur délivrance, envoyer au ciel des âmes qui, pendant des jours, des mois, des années peut-être, le glorifieront en quelque sorte, en notre nom, en faisant dans cet heureux séjour d'une manière parfaite ce que nous ne pouvons faire ici-bas que d'une manière si imparfaite.

    Et quand par nos prières, par nos bonnes œuvres, nous n'avancerions que d'une année, que d'un mois, que d'un jour, et même que d'une heure le bonheur d'une de ces saintes âmes, quelle joie pour nous de penser que pendant cette année, ce mois, ce jour, cette heure, Dieu recevra par cette âme plus de gloire que nous ne lui en aurons peut-être procuré pendant notre vie tout entière. Que sera-ce donc si nous avançons le bonheur de ces âmes si chères au Seigneur, non pas d'une année, mais d'un siècle et peut-être plus, si par notre charité, notre dévouement, nous devenons vraiment les libérateurs de ces saintes captives ? Ah ! comprenons-le bien, en leur ouvrant le ciel, nous donnons à Dieu des voix pour le louer, pour le bénir, nous lui donnons des âmes qui vont se consumer au pied du trône de son éternité dans les ardeurs d'un amour si pur, si parfait et si grand, qu'il ne nous est pas même donné de le comprendre dans le lieu de notre exil.

    Parmi les âmes du purgatoire, il y en a de si riches en vertus et en mérites, que leur place dans le ciel est marquée parmi le chœur bridant des Séraphins, et quand elles occuperont ces places, une seule d'entre elles rendra plus de gloire à Dieu que ne lui en rendront plusieurs élus réunis dont les vertus ont été moins parfaites et les mérites moins grands. Quel honneur pour nous, quelle ravissante pensée que celle qui nous fait espérer de pouvoir donner au ciel un Séraphin de plus, ne fût-ce qu'un jour, qu'une heure plus tôt. Nous n'avons pas, il est vrai, la jouissance de connaître pendant notre vie le résultat de nos prières ; mais qu'importe, puisque c'est la gloire de Dieu seulement que nous devons chercher, et non pas notre satisfaction personnelle ; et puis Dieu n'oublie rien ; un jour il nous fera connaître ce qu'il nous cache aujourd'hui, et en nous le faisant connaître il nous accordera la récompense de notre charité.

    Si, comme le dit Bossuet, Dieu met sa gloire à nous combler de ses dons, il est glorifié en accordant aux saintes âmes du purgatoire le plus grand de tous, l'éternelle possession de lui-même. Aimer Dieu, le posséder, jouir de lui éternellement, tel a été le but de notre création, et le Seigneur dans son infinie charité veut que tous les hommes sortis de ses mains retournent à lui pour partager sa gloire et sa félicité en vivant de sa vie, qui est l'amour. Un bien grand nombre, hélas ! ne correspondent pas à ses miséricordieux desseins et manquent le but qu'il s'est proposé en les créant ; mais les âmes du purgatoire ont atteint ce but, elles sont élues, et en leur facilitant l'entrée du ciel nous coopérons à l'achèvement de leur élection, à la grande œuvre de la gloire de Dieu.

    Dieu se plaît surtout à nous manifester son amour et sa miséricorde ; les prodiges de grâces dont il sème les voies de l'homme proclament la tendresse et la bonté de son cœur. Lorsqu'il pardonne au pécheur, il se glorifie lui-même, car il rend la vie à une âme qui l'avait perdue par le péché ; de chacune de ces âmes qu'il ressuscite ainsi à la vie de la grâce, il se tresse une couronne, dit un pieux auteur ; elles sont comme Jérusalem, image du juste, autant de perles ajoutées à son sceptre. 

    Lors donc que par nos prières et nos œuvres satisfactoires nous ménageons à Dieu les éléments du pardon en faveur des âmes du purgatoire, nous lui donnons l'occasion de faire éclater les attributs qui sont sa gloire, d'abolir jusqu'aux derniers vestiges du péché, qui lui ravit les âmes, et d'établir sur des créatures qu'il chérit son règne éternel. Vis-à-vis de ces saintes âmes Dieu se trouve dans une sorte de contrainte, car il ne se plaît pas, dit le Sage, au malheur de ses créatures ; mais sa justice a des lois qu'il ne peut enfreindre, car il est l'ordre parfait. Ainsi, tandis que son amour attire ces saintes âmes, sa justice les repousse. Celui qui, en satisfaisant pour elles contente la justice divine, donne en quelque sorte à Dieu le pouvoir de contenter son amour.

    En exerçant sa miséricorde Dieu se glorifie bien davantage qu'en exerçant sa justice, parce que, en nous châtiant, il nous laisse ce que nous sommes, enfants de colère, pécheurs, débiteurs souillés et insolvables. Au contraire, lorsqu'il nous pardonne et qu'il daigne nous réconcilier avec lui, il nous rend ses enfants, ses amis, les cohéritiers de son divin Fils, les citoyens du ciel ; c'est à ce bonheur que les saintes âmes du purgatoire aspirent, et c'est aussi ce que nous devons nous efforcer de leur procurer, si nous avons à cœur les intérêts de la gloire de Dieu.

    Souvenons-nous qu'en hâtant par nos prières la délivrance de ces âmes souffrantes, non-seulement nous glorifions Dieu, mais nous réjouissons le ciel tout entier. L'entrée d'un nouvel élu dans cette belle patrie est une fête de famille pour tous ses heureux habitants ; chacun d'eux l'accueille et le félicite avec une joie fraternelle. Les anges prennent part à l'allégresse universelle, ils entounent de nouvelles hymnes à la gloire de l'Agneau divin dont le sang a réconcilié le ciel avec la terre et dont la grâce victorieuse de la faiblesse humaine élève les fils d'Adam sur les trônes des anges déchus. Marie voit avec bonheur s'augmenter le nombre des élus, elle reconnaît dans chacun d'eux le prix du sang de son divin Fils et de ses douleurs au pied de la croix, et son cœur maternel tressaille d'une sainte allégresse en s'unissant à Jésus pour poser sur leurs fronts la couronne de gloire et d'immortalité promise aux vainqueurs.

    PRIÈRE.

    Dieu de bonté, vous dont l'amour est infini, glorifiez-vous, nous vous en supplions, en exerçant envers les saintes âmes du purgatoire votre miséricorde, le plus beau comme le plus doux de vos attributs. Ecoutez, Seigneur, les supplications que votre Eglise ne cesse de vous adresser en faveur de ces âmes souffrantes ; permettez que nous y joignions nos humbles prières, nos œuvres satisfactoires, et que, malgré l'immensité des dettes que nous avons nous-mêmes contractées envers votre justice, nous vous offrions le peu que nous pouvons faire pour l'acquit de celles de nos frères. Oubliez, Seigneur les droits de votre justice pour ne vous souvenir que de ceux de votre miséricorde ; exercez-la dans toute son étendue sur ces âmes qui vous sont si chères, et puisque vous ne les frappez qu'à regret, laissez-vous fléchir, donnez un libre cours à votre amour, ouvrez-leur votre sein paternel, et permettez-leur d'aller enfin vous glorifier dans le ciel par leurs actions de grâces et leurs éternelles louanges. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    Le nom du Père Jean-Eusèbe Nieremberg (1) est fort connu par les ouvrages de piété qu'il a publiés. On ne sait pas aussi bien peut-être à quel point il portait la dévotion aux âmes du purgatoire.

    (1) Ce père de la société de.Jésus était espagnol et vécut de 1590 à 1668. (Trad.)

    « Il y avait à la cour de Madrid, parmi ses pénitentes, une dame noble que sa direction sage et expérimentée avait conduite à une haute perfection au milieu du monde. Cette dame, d'une faible complexion, tomba dangereusement malade. Avertie du péril, elle en témoigna un profond chagrin, non seulement à cause des œuvres utiles qu'elle avait entreprises et qu'il fallait abandonner, mais aussi par la crainte du purgatoire, où elle prévoyait être retenue par la justice divine. Le Père Eusèbe employa toutes les industries de sa charité pour lui inspirer de la confiance et de la soumission à la volonté de Dieu, et voulait lui administrer les derniers sacrements pour la fortifier dans ses combats ; mais elle différait de jour en jour, jusqu'à ce qu'elle tomba dans une sorte de léthargie et privée de connaissance. Alarmé à la pensée qu'une personne qui avait donné de si saints exemples peut expirer sans avoir reçu en pleine liberté d'esprit les secours de l'Eglise, le confesseur se retira dans une chapelle voisine. Il y offrit le saint sacrifice avec une grande ferveur, conjurant le Seigneur d'accorder à la malade la grâce de se reconnaître et de recevoir les sacrements ; il s'offrit à la justice divine pour souffrir lui-même dans cette vie les tourments qui lui étaient réservés en purgatoire, afin que, délivrée de cette appréhension, elle se résignât plus facilement à mourir. Dieu exauça une si charitable prière : La Messe était à peine achevée que la mourante reprit connaissance, demanda elle-même les sacrements et les reçut avec la plus édifiante ferveur ; en entendant le Père Eusèbe l'assurer qu'elle ne devait plus craindre le purgatoire, elle se soumit à la mort, et expira dans la plus parfaite tranquillité. 0n vit bien que la prière du bon religieux avait été doublement exaucée ; car à partir de cet instant, et pendant seize ans qu'il vécut encore, son existence ne fut plus qu'un long et rigoureux martyre ; aucun remède ne pouvait soulager ses douleurs, et il n'avait d'autre adoucissement que le souvenir de la généreuse cause pour laquelle il les endurait. » (Les Merveilles divines dans les âmes du purgatoire, par le II. P. Rossignoli, de la compagnie de Jésus.)

    PRATIQUE,

    0ffrir aujourd'hui quelques mortifications en faveur des âmes du purgatoire, dans l'intention de glorifier Dieu en hâtant leur délivrance.

     

    XIIIe JOUR

    Second motif. L'amour que N.-S. a pour les âmes du purgatoire.

    Tout ce que Vous ferez pour le plus petit des miens, je le regarderai comme fait à moi-même.

    Ier Point. La foi nous apprend que c'est l'amour que le Fils de Dieu a pour l'homme, qui l'a attiré du ciel sur la terre, qui l'a porté à épouser la nature humaine, à s'assujétir à toutes ses faiblesses, à toutes ses misères, pour réhabiliter sa créature déchue et lui rendre ses droits à l'héritage éternel. Oui, c'est par amour pour nous que le Verbe du Père, des splendeurs de sa gloire, s'est abaissé jusque dans le sein de Marie, que celui dont la naissance est éternelle est né dans le temps, que celui dont la lumière est le vêtement et dont le trône est porté sur les ailes des séraphins, a été couvert de pauvres langes et couché dans une crèche. C'est par amour enfin que celui qui est la joie du ciel s'est rassasié sur la terre de l'amertume de nos larmes, qu'il y a vécu dans la pauvreté, l'humiliation, la souffrance, qu'il est mort dans l'ignominie et les douleurs du plus affreux supplice.

    Toute la vie de notre adorable Sauveur n'a été qu'un long acte de dévouement et d'amour pour l'homme. Personne n'a été exclu de ce divin amour, justes et pécheurs ; Jésus a ouvert à tous les entrailles de sa charité, et chacun de nous peut répéter après le grand Apotre : « IL m'a aimé et s'est livré pour moi. » C'est là une vérité de foi ; mais si le cœur de Jésus brûle pour tous les hommes des flammes de la plus ardente charité, s'il aime avec une inexprimable tendresse les justes de la terre, malgré les faiblesses auxquelles ils sont encore sujets, malgré les fautes dont ils se rendent encore coupables, s'il les aime à cause du faible retour dont ils paient son amour, s'il aime même les plus grands pécheurs, malgré les outrages dont ils ne cessent de l'abreuver parce qu'il espère toujours pouvoir les sauver ; de quel amour ne doit-il donc pas aimer les saintes âmes du purgatoire, qui l'aiment avec tant d'ardeur, qui ne peuvent plus l'offenser, et qu'il regarde avec une indicible joie comme une conquête assurée que l'enfer ne peut plus lui ravir ?

    Dans ces âmes élues, Jésus voit le prix de ses souffrances et de son sang, elles lui appartiennent, elles sont à lui pour jamais, et son cœur divin brûle du désir de les faire jouir du fruit de sa rédemption en les rendant participantes de sa gloire et de son bonheur. Bien plus, ce cœur si aimant, si compatissant et si tendre souffre, en quelque sorte de leurs souffrances, et il se fait violence pour ne pas y mettre un terme ; mais sa justice retient les brûlantes effusions de son amour, et il désire que nous fassions ce qu'elle le met, si je puis ainsi m'exprimer, dans l'impuisance de faire lui-même, en nous rendant les médiateurs, les intercesseurs de nos frères auprès de lui.

    Oui, la justice lie les mains de notre adorable Sauveur. Il ne pourrait délivrer de leurs peines ces âmes qui lui sont si chères qu'en leur ouvrant le trésor de sa grâce ; mais, hélas ! le temps est passé pour elles, puisqu'elles ont quitté la vie, qui seule est le temps du mérite. Il ne peut pas davantage les mettre en possession des trésors de sa gloire, le temps d'en jouir n'est pas encore arrivé pour elles, et il n'arrivera que lorsqu'elles ne conserveront plus la moindre trace du péché.

    C'est donc entre nos mains que Jésus dépose à la fois les droits de sa justice et les intérêts de son amour ; voudrions-nous que l'espèce de confiance qu'il met en nous soit déçue, et nous qui implorons si souvent son secours, serions-nous sourds à la voix de son divin cœur qui nous crie : « Ayez pitié de ces âmes qui me sont si chères, de ces âmes pour lesquelles j'ai versé tout mon sang et enduré une mort si cruelle. Vous pouvez, si vous le voulez, hâter mon éternelle union avec elles ; souvenez-vous que pour leur acquérir l'héritage dont elles doivent bientôt prendre possession, j'ai travaillé pendant trente-trois ans et dépensé pour elles comme pour vous tous les trésors de ma grâce et de mon amour, épuisant tout le sang de mes veines et leur sacrifiant tout, jusqu'à ma vie. Ah ! elles aussi sont mon héritage, et cet héritage dont je ne puis jouir encore je l'ai acheté si cher. Hélas ! les restes du péché dont ces âmes portent encore les traces, élèvent entre elles et moi une barrière que ma sainteté et ma justice m'empêchent de franchir. Ayez donc pitié d'elles, et comblez les vœux les plus ardents de mon cœur, en renversant par vos prières et vos bonnes œuvres la barrière qui nous sépare. Hâtez, hâtez le moment où il me sera donné de jouir de la conquête de mon sang et de mon amour. »

    Qui de nous pourrait rester insensible à la prière d'un père, d'une mère, nous redemandant l'enfant qu'il serait en notre pouvoir de lui rendre ? Reculerions-nous devant quelques légers sacrifices qu'il faudrait nous imposer pour essuyer les larmes de ce père ou de cette mère, et ramener son enfant dans ses bras ? Ah ! loin de là, ces sacrifices deviendraient pour nous une jouissance à la seule pensée de leur résultat. Pourquoi donc ne ferions nous pas pour contenter les désirs du cœur de notre adorable Sauveur ce que nous ferions pour un de nos frères ? L'amour d'un père, d'une mère pour leur unique enfant, n'approche pas de celui que Jésus éprouve pour les saintes âmes du purgatoire, et le désir qu'il ressent de les recevoir dans sa gloire et de s'unir pour jamais à elles, surpasse en vivacité et en ardeur ceux qu'éprouve la plus tendre des mères, dans l'attente du moment qui doit lui rendre le fils dont elle est séparée depuis de longues années. Ah ! loin d'être insensibles à ce désir du cœur si aimant et si tendre de notre bien-aimé Sauveur, estimonsnous heureux qu'il soit en notre pouvoir de le satisfaire, n'épargnons rien pour atteindre ce but, et bénissons l'ingénieux amour de Jésus, qui veut bien devoir quelque chose à ceux qui lui doivent tout.

    IIe Point. Nous admirons la générosité de ces héroïques religieux qui se vouent à la rédemption des captifs, et qui, au péril de leur vie, vont à travers mille fatigues et mille dangers briser leurs fers et les arracher des mains des infidèles. Notre cœur s'émeut, nos yeux se mouillent de douces larmes au récit de leur charité, de leur dévouement pour ces infortunés, et le plus pauvre d'entre nous tiendrait à honneur de s'y associer en déposant entre leurs mains l'aumône de son indigence, aumône qui servirait à payer la rançon de nos frères captifs et à leur rendre la liberté.

    - Mais il est une autre rédemption plus sainte, plus admirable encore, à laquelle nous pouvons avoir la gloire de nous associer : c'est à celle du fils de Dieu lui-même. Arrachés nous-mêmes par le Rédempteur à l'esclavage du démon, à la tyrannie de cet odieux et implacable tyran, nous pouvons témoigner notre reconnaissance à celui auquel nous devons tout, et faire une œuvre qui comblera de joie son divin cœur, en devenant à notre tour et en union avec lui les rédempteurs des saintes âmes du purgatoire. Notre cœur doit bondir de joie à cette pensée, car c'est là une œuvre bien plus noble, bien plus sainte, et par là même bien plus agréable à Dieu, que celle de rendre à des captifs une liberté temporelle.

    Oh ! qui ne tiendra à honneur de devenir, je ne dis pas seulement l'imitateur, mais le coopérateur de Jésus-Christ dans une œuvre si excellente. Par ses souffrances et par sa mort, cet adorable Sauveur a délivré l'homme du péché ; par nos suffrages nous effaçons les souillures, les taches que les restes du péché ont laissées dans ces saintes âmes. Jésus-Christ a sauvé l'homme de la peine éternelle qui lui était due, et nous, par nos souffrances, par nos œuvres satisfactoires, nous pouvons payer la peine temporelle que la justice divine exige des âmes du purgatoire. Enfin Jésus-Christ, par son dernier soupir : a rouvert aux enfants d'Adam les portes du ciel qui leur étaient fermées, il leur a rendu la grâce et l'amitié de Dieu, et nous par nos prières nous pouvons mettre ces saintes captives en possession de ce beau royaume, où le Rédempteur a marqué leur place, où il est impatient de les voir arriver.

    Qu'il est grand, qu'il est sublime le ministère de charité, que nous pouvons, si nous le voulons remplir en faveur des saintes âmes du purgatoire, puisqu'il nous est donné de pouvoir mettre un terme à leurs cruelles souffrances, rompre les liens de feu qui les retiennent loin de Dieu, et leur ouvrir les portes de leur éternelle et bienheureuse patrie ! Si le Sauveur a promis de si magnifiques récompenses à toutes les œuvres de charité accomplies pour son amour, s'il ouvrira tous les trésors de sa miséricorde à ces hommes généreux qui n'ont reculé devant aucun sacrifice, traversé les mers et bravé tous les périls pour délivrer leurs frères des mains des infidèles, pour les arracher à un dur esclavage et leur rendre les biens les plus chers au cœur de l'homme, la liberté, la patrie, la famille, quelles seront donc les récompenses qu'il accordera à ces âmes généreuses qui ne traversent pas seulement les mers, mais qui franchissent par la charité l'espace qui sépare le temps de l'éternité, qui descendent par leur dévouement jusque dans les prisons brûlantes du purgatoire, pour arracher à sa justice les âmes qu'elle y retient captives, et rendre à ces âmes si douloureusement châtiées les seuls biens véritables, ceux que Jésus leur a achetés au prix de tout son sang, la liberté des enfants de Dieu, le ciel, leur éternelle patrie, leur admission dans la grande famille des élus. Oui, n'en doutons pas, la récompense que Jésus accordera un jour à leur charité sera d'autant plus grande, que l'objet de cette charité aura été plus excellent et qu'elle aura été plus pure, plus élevée, plus dégagée des sens.

    Les yeux et le cœur de notre divin Sauveur sont sans cesse attachés sur les saintes âmes du purgatoire. Loin de les oublier, de les délaisser dans leurs souffrances, on peut dire qu'il souffre en quelque sorte en elles. Il souffre comme Rédempteur dans ces âmes qu'il a rachetées ; comme père, comme époux, dans des filles et des épouses bien-aimées ; comme chef dans les membres de son corps mystique. Aussi, son cœur adorable, tout brûlant d'amour pour elles, tout rempli d'un ardent désir de leur délivrance, ne cesse de nous répéter ce qu'il disait autrefois à ses disciples en leur parlant des pauvres : « Tout ce que vous ferez pour la moindre d'entre elles, je le regarderai comme fait à moi-même, et il nous récompensera un jour comme si lui-même eût été dans la souffrance, et que nos suffrages l'en eussent délivré. Quel puissant motif pour exciter notre zèle pour une œuvre si grande, si sainte en elle-même, et qu'il nous est si facile d'accomplir !

    En effet, pour venir au secours des âmes du purgatoire Dieu ne demande pas de nous des efforts et des sacrifices héroïques ; il ne s'agit ni de nous expatrier, ni de sacrifier nos biens, ni d'exposer notre vie ; Dieu se contente de bien peu, offrons pour elles quelques prières, quelques aumônes ; appliquons-leur le mérite des souffrances, des petites épreuves journalières, et sa justice se tiendra pour satisfaite. Personne ne peut s'excuser de ne pouvoir accomplir des actes de charité si simples et si faciles. Quand il s'agit d'aumônes, les pauvres peuvent alléguer leur indigence pour s'en dispenser ; quand il s'agit de pénitence, d'austérités, les personnes faibles, infirmes, peuvent également apporter pour excuses leurs faiblesses et leurs infirmités. D'autres, engagées dans les embarras du commerce, occupées des soins d'une nombreuse famille, diront avec raison qu'elles ne peuvent passer de longues heures à l'église et donner beaucoup de temps à l'oraison ; mais quel est celui d'entre nous qui n'est pas assez riche pour faire aux saintes âmes du purgatoire l'aumône de quelques courtes, mais ferventes prières adressées à Dieu en leur faveur ? Quel est celui qui n'a pas assez de forces pour lui offrir à la même intention ses souffrances, ses contrariétés, la piqûre de ces mille petites épines qui nous blessent si souvent dans le cours d'une journée ? quelle est enfin la personne, quelque occupée qu'elle soit, qui ne puisse de temps en temps, pendant le jour, élever son cœur à Dieu et lui offrir en faveur de ces âmes souffrantes les peines, les ennuis de sa position, et jusqu'à l'accomplissement de devoirs qui sont parfois pénibles, et qu'il coûte tant de remplir. Ah ! la bonté de Dieu a mis à la disposition de tous des trésors dont nous n'apprécions pas assez le prix et qu'il ne tient qu'à nous de faire servir d'abord à notre sanctification, puis au soulagement des âmes du purgatoire. Ne refusons donc pas d'en user en leur faveur.

     

    PRIÈRE.

    Soyez béni, ô mon adorable Sauveur, d'avoir daigné mettre à notre disposition un moyen si facile de contenter votre divin cœur ; qu'il est doux, qu'il est consolant pour l'âme qui vous aime de penser qu'elle peut satisfaire les désirs si brûlants d'amour de votre divin cœur en exerçant la charité en faveur des âmes qui lui sont si chères ! Ah ! si pour satisfaire un de vos désirs, ô mon Jésus, il fallait entreprendre des choses pénibles et difficiles, il me semble que l'espoir de vous contenter nous ferait renverser tous les obstacles, surmonter toutes les difficultés. Comment donc pourrions-nous nous excuser auprès de vous si nous négligions une œuvre de charité qui ne nous demande aucun effort et ne présente aucune difficulté ? Non, non, ô mon Jésus, nous ne la négligerons pas, nous nous souviendrons de l'amour que vous avez pour les saintes âmes du purgatoiredu désir que vous avez qu'on satisfasse pour elles à votre justice, et heureux que vous ne dédaigniez pas de vous associer en quelque sorte à la grande œuvre de notre réparation, nous serons désormais tout pleins de dévouement pour ces âmes si aimées de votre divin cœur, et nous n'épargnerons rien pour leur venir en aide et pour hâter l'heureux moment de leur éternelle union avec vous. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    Chacun sait combien sainte Thérèse aimait à prier pour les âmes du purgatoire. Elle raconte elle-même que le Seigneur lui fit connaître avec quelle bonté il recevait les prières qu'elle lui adressait en leur faveur.

    Le jour de la Commémoration des morts elle en récitait l'office ; l'ennemi des hommes et de Dieu voulut par divers prestiges la distraire ; mais la sainte, s'armant de foi et de courage, le mit en fuite. A peine fut-elle délivrée de sa présence qu'elle vit des âmes sortir triomphantes du purgatoire en grand nombre,

    La sainte avait reçu d'un seigneur, don Bernardin de Mendoza, une maison et un beau jardin, pour fonder à Valladolid un monastère en l'honneur de la sainte Vierge. Elle avait été appelée par lui pour qu'elle travaillât aussitôt à réaliser cette fondation, ayant une sorte de pressentiment de ce qui devait lui ariver.

    En effet, il fut surpris par la mort et n'eut pas même la faculté de recevoir les derniers sacrements. Attérée par cette nouvelle, la sainte s'empressa de prier pour l'âme de son bienfaiteur. Notre-Seigneur lui fit connaître que la charité du défunt et l'intervention de sa sainte Mère lui avaient valu la grâce d'une contrition parfaite, qui l'avait délivré de l'enfer, mais qu'il ne sortirait du purgatoire que le jour où l'on célébrerait la première messe de communauté dans le nouvel établissement.

    Cette révélation ne laissa plus de repos à sainte Thérèse jusqu'à ce qu'elle eût pu se rendre sur les lieux et faire travailler par elle-même à l'érection de la chapelle.

    Toutefois, un surcroît d'affaires entravant son zèle, Notre-Seigneur lui apparut de nouveau. « Hâte-toi, » lui dit-il, car cette âme souffre beaucoup. Aussilôt elle douna ses ordres ; mais les travaux n'avançaient pas à son gré. Alors elle dressa un oratoire provisoire, et, dès qu'il fut suffisamment décent, elle fit célébrer les saints mystères.

    Au moment de la communion, elle vit l'âme du défunt, radieuse, venir la remercier et s'envoler, brillante comme un soleil, vers le séjour de la gloire. Inondée de joie et de bonheur, la sainte exhala sa reconnaissance envers le Seigneur, dont la bonté est ineffable pour ses élus."

    (Œuvre de la Sainte-Fondation.)

    PRATIQUE.

    Prier spécialement aujourd'hui pour les âmes du purgatoire qui ont été le plus dévouées au cœur adorable de Jésus, et dont il désire le plus la délivrance.

     

    XIVe JOUR

    Troisième motif. L'amour et la compassion de Marie pour les saintes âmes du purgatoire.

    Et Jésus dit à sa mère : Femme voilà votre fils, et il dit au disciple : Voilà votre mère.

    Ier Point. Près de consommer le sacrifice qui réconciliait le ciel avec la terre, le Rédempteur, au milieu des horreurs de son douloureux abandon, des angoisses de sa cruelle agonie, abaissa son œil mourant au pied de sa croix, et, s'adressant à sa mère, il lui dit, en lui désignant du regard le disciple qu'il aimait : « Femme, voilà votre fils, » et il dit au disciple : « Voilà votre mère. » Dans ce moment solennel, Jésus ne pense pas seulement à donner un appui, un second fils à sa mère bien-aimée, et une mère à son disciple privilégié ; ses vues sont plus larges, plus étendues, et son cœur, toujours généreux, toujours plein d'amour et de dévouement pour nous, croit pour ainsi dire ne nous avoir rien donné tant qu'il lui reste quelque chose dont il ne nous a pas fait don. Saint Jean au pied de la croix est la personnification de l'humanité tout entière , et c'est à tous les enfants de la grande famille humaine que Jésus donne. Marie pour mère ; c'est à cette mère si tendre, si dévouée, qu'il les confie et qu'il semble dire : Aimez-les comme vous m'avez aimé.

    Au milieu des angoisses et des déchirements de son cœur maternel, Marie accepta le legs de son Fils ; elle le comprit, et entrant généreusement dans ses vues, dans ses desseins, elle ouvrit son cœur immaculé à chacun des membres de la grande famille que Jésus lui donnait, et nous adopta tous pour enfants au pied de cette croix sanglante où agonisait le fruit béni de ses chastes entrailles ; elle vit chacune de nos âmes couverte et comme empourprée de ce sang adorable de la Rédemption que Jésus avait puisé dans ses veines, et dont les dernières gouttes s'échappaient lentement de ses veines épuisées, et elle voua à toutes en général, et à chacune en particulier, un amour de mère et un dévouement sans bornes.

    A ces paroles : « Femme, voilà votre fils, » Jésus avait attaché la grâce et la puissance d'opérer dans le cœur de sa mère ce qu'il voulait qu'elles y opérassent, et elles avaient créé dans ce cœur maternel brisé, broyé par une incommensurable douleur, de nouvelles et immenses puissances d'amour, elles l'avaient rendu assez vaste, assez large, pour donner à chacun de nous ce qu'il voulait qu'il nous donnât. En un mot, elles avaient versé en lui des trésors de tendresse, de compassion, d'indulgence, de dévouement, incomparablement plus grands que ceux que la nature renferme dans le cœur des mères pour leurs enfants.

    Dix-huit siècles ont passé sur ce jour où la mère d'un Dieu devint la mère de l'homme, et chacun d'eux a proclamé que Marie n'avait jamais failli à la mission maternelle qu'elle avait acceptée sur le Calvaire. Les générations ont succédé aux générations en publiant tour à tour les bienfaits, l'inépuisable amour de cette incomparable mère. Oui, Marie a compati à toutes les douleurs de ses enfants, sa main maternelle s'est plu à essuyer toutes leurs larmes, et jamais son oreille n'a été sourde à leurs plaintes, à leurs soupirs, aux cris d'angoisse que leurs cœurs affligés ont fait monter vers elle. Prêtons l'oreille et écoutons, nous entendrons s'élever de toutes parts un concert de louanges et de bénédictions envers la meilleure et la plus compatissante des mères. Quand il s'agit de Marie, la reconnaissance dilate tous les cœurs, délie toutes les langues, et la voix des malades qu'elle a guéris, des mères qui lui doivent la conservation de leurs enfants, des navigateurs qu'elle a sauvés du naufrage, des pécheurs qu'elle a ramenés à Dieu, s'unissent tous pour la bénir et lui payer l'humble tribut de la reconnaissance et de l'amour.

    Si Marie se montre véritablement notre Mère, si nous la trouvons si constamment sensible à nos douleurs, et toujours prête à nous assister dans tous nos besoins spirituels et temporels, pourrions-nous croire, sans lui faire injure, que son amour et son dévouement pour ses enfants ne s'étendent pas au delà des bornes de cette courte vie, et qu'elle les oublie et les délaisse alors qu'ils ont le plus besoin de son secours et de ses maternelles consolations ? Ah ! si nous voyons les mères de la terre conservant toujours vivant au fond de leur cœur le souvenir des enfants que la mort a ravis à leur tendresse, arroser de leurs larmes la tombe qui recouvre leur dépouille mortelle et se plaire à l'entourer encore des témoignages de leurs regrets et de leur amour, comment supposer que l'amour de notre Mère du ciel soit moins constant, moins dévoué que celui des mères de la terre, et qu'il ne suive pas au delà de la tombe ceux qu'elle a aimés et protégés pendant le cours de leur pelèrinage ici-bas.

    Ce sont nos âmes qui sont chères à Marie, ce sont elles que Jésus a confiées à sa sollicitude, c'est pour elles que sa voix mourante a réclamé son maternel amour. Marie, pendant leur séjour sur la terre, est pour elles le canal de toutes les grâces, de toutes les miséricordes divines. Elle n'oublie rien, elle met tout en œuvre pour contribuer à leur sanctification, à leur salut, et quand ces âmes sont entrées dans leur éternité, quand elles sont tombées sous le domaine de la justice de Dieu, ne pensons pas qu'elle les oublie et les délaisse. C'est alors, c'est lorsqu'elle voit la main de ce Dieu vengeur s'appesantir sur les objets de sa tendresse que son amour semble redoubler, prendre de nouvelles forces, et son dévouement met tout en œuvre pour les soulager et pour hâter le moment de leur délivrance.

    IIe Point. Lorsqu'une mère voit un de ses enfants en proie à de violentes souffrances, ou gémissant sous le poids d'une grande affliction, tout l'amour de son cœur semble se concentrer sur lui. Pour lui elle garde ses plus tendres caresses, ses plus doux sourires, ses plus affectueuses paroles. On la voit en quelque sorte plus souffrante, plus affligée que celui qu'elle aime veiller sur lui avec une infatiguable sollicitude, l'entourer de ses soins, prévenir ses moindres besoins, et ne plus s'occuper que de lui comme si l'enfant qui souffre lui était plus cher que ceux qui se portent bien. Il en est de même de Marie. Les douleurs, la profonde affliction des âmes du purgatoire émeuvent son cœur et semblent les lui rendre plus chères ; non contente de plaider leur cause auprès de son divin Fils, de l'intercéder en leur faveur, elle descend elle-même dans leurs brûlantes prisons pour les consoler par sa céleste présence, par ses douces paroles, et les encourager dans leurs souffrances par l'espérance d'une prochaine délivrance. Ah ! si parmi ces saintes âmes il en est qui sont oubliées, délaissées de tout le monde, si leur souvenir sur la terre est effacé de tous les cœurs, il en est un au ciel qui ne les oublie pas, c'est celui de la Mère que Jésus leur a donnée sur le Calvaire ; ce cœur-là ne sait ni oublier ni délaisser ses enfants, et quand il voit l'abandon de tous peser sur eux et agraver encore leurs tourments, touché d'une immense et maternelle pitié, il redouble les efforts de sa tendresse et de son dévouement pour adoucir leurs peines et verser sur ces âmes délaissées le baume divin de l'espérance.

    0ui, Marie compatit avec un cœur de mere à toutes les souffrances des âmes du purgatoire, mais elle compatit surtout à celle que leur cause la privation de Dieu. Cette peine, elle la connaît en quelque sorte par expérience, non qu'elle ait jamais eu à subir les expiations du purgatoire le dire, lepenser même serait un blasphème. Celle qui a toujours été immaculée, sans tache et toute pure, n'avait rien à expier, et les flammes Vengeresses de la justice de Dieu se fussent reculées et ouvertes devant son âme bénie, comme autrefois les eaux du Jourdain s'ouvrirent devant l'arche du Seigneur. Mais je dis que Marie connaît par expérience le tourment que cause à une âme brûlante d'amour la privation de Dieu, parce qu'elle a aimé Jésus, dans lequel elle aimait à la fois et son Fils et son Dieu, non-seulement plus que toutes les âmes du purgatoire, mais plus que tous les anges, tous les saints du ciel ne pourront jamais l'aimer, et que pendant les années qui suivirent l'Ascension, Marie ne fit plus que languir sur la terre, sa vie ne fut plus qu'un long martyr d'amour et une continuelle aspiration vers le ciel.

    Si les douleurs qu'on a souffertes soi-même sont celles qu'on plaint le plus dans les autres, et qu'on se sent le plus porté à soulager, jugeons combien Marie doit éprouver de pitié, de tendre compassion pour ces âmes dont l'amour est le plus cruel tourment et qui soupirent avec une si vive ardeur après le moment qui les mettra pour jamais en possession de Dieu, et combien elle-même désire voir finir ce tourment.

    Et puis si nos âmes sont le prix du sang de Jésus, elles sont aussi celui des douleurs et des larmes de Marie, c'est là un double titre à son amour, et on peut dire sans crainte de se tromper, que si la passion dominante du cœur adorable de Jésus est la soif du salut des âmes, elle est également celle du cœur immaculé de Marie, qui a aimé les âmes jusqu'à leur sacrifier son Fils unique et bien-aimé ; mais si Marie a pour toutes, même pour celle des pécheurs, l'amour, la sollicitude, le dévouement d'une mère, si pendant le cours de notre vie, elle est, si je puis ainsi m'exprimer, dans une sorte d'inquiétude et d'angoisses, si elle tremble à la vue de notre faiblesse et des périls qui nous environnent de toutes parts comme une mère tremble à la vue d'un danger qui menace ses enfants, si enfin elle craint sans cesse de nous voir échapper à l'amour de son divin Fils et au sien, elle est rassurée sur le sort éternel des saintes âmes du purgatoire, et elle les aime d'autant plus qu'elle a la certitude qu'elles seront éternellement à Jésus et à elle ; mais de même qu'une mère qui, longtemps séparée de ses enfants et qui au moment de les revoir, de les presser sur son cœur, apprendrait qu'ils ont été à peu de distance d'elle emprisonnés pour dettes, éprouverait une douleur proportionnée à l'amour qu'elle a pour eux et au désir qu'elle éprouve de leur être réunie et n'oublierait rien pour les libérer ; de même, dis-je, notre divine Mère souffre en sentant ses enfants prisonniers pour dettes de la justice divine, et elle désire ardemment les voir libérés et libres de prendre leur essor vers elle.

    Mais on m'objectera peut-être que s'il en est ainsi, Marie étant toute-puissante sur le cœur de son divin Fils, peut aisément obtenir la délivrance de ces âmes qui lui sont si chères. A cela nous répondrons d'abord que le nombre des âmes du purgatoire qui doivent leur délivrance à cette tendre Mère est incalculable, qu'il n'est pas de jour où les portes de leur prison ne s'ouvrent pour plusieurs d'entre elles, au nom de Marie. C'est aussi une pieuse croyance que tous les samedis et le jour de ses fêtes, cette bonne mère descend dans les prisons de la justice divine pour en retirer un grand nombre d'âmes dont elle a obtenu la grâce, heureuse d'emmener ses enfants avec elle pour les associer aux joies de la fête de famille que le ciel comme la terre célèbre en son honneur. Cependant nous devons dire aussi que si Marie aime la miséricorde de Dieu, elle aime également sa justice ; tous ses attributs lui son chers, elle sait que la miséricorde doit parfois avoir des bornes, et que la justice a des droits qui doivent être respectés, et elle les respecte. Ainsi il y a dans le purgatoire une multitude d'âmes qui, par une protection spéciale de Marie, sont revenues à Dieu au moment de leur mort et lui ont dù leur salut. Ces âmes avaient passé leur vie dans le péché, dans l'oubli de Dieu, dans l'omission de tous leurs devoirs religieux, nécessairement leur expiation doit être et plus longue et plus rigoureuse que celle des âmes justes qui n'ont à expier que quelques légères fautes inhérentes à la faiblesse humaine, et Marie, malgré son amour de mère, ne peut pas faire pour les premières ce qu'elle fait pour celles-là. Par sa toute puissante protection elles ont échappé à l'enfer, c'est une immense grâce ; mais elles ne doivent pas échapper à l'expiation, et Marie la leur laisse subir. La dette de ces pauvres âmes est bien grande et notre Mère du ciel émue pour elles d'une tendre compassion, désire que ses enfants de la terre la partagent et s'efforcent de satisfaire pour leurs frères et de payer à la justice divine une partie de la dette qu'ils ont contractée envers elle.

    Satisfaire un des désirs du cœur immaculé de notre divine Mère doit être pour nous un puissant motif de redoubler de zèle et de charité pour les âmes de nos frères défunts, car qu'y a-t-il de plus doux pour des enfants bien nés, que de réjouir le cœur d'une mère chérie et de contribuer à hâter le moment où les enfants dont elle désire le bonheur avec autant d'ardeur qu'elle désire le nôtre, seront rendus à son amour. Estimons-nous donc heureux d'avoir un moyen si facile de lui prouver notre reconnaissance, notre amour, notre dévouement filial, et soyons convaincus que Marie comme Jésus, regarde comme fait à elle-même ce que l'on fait pour ses enfants.

     

    PRIÈRE.

    0 Marie ! vierge toute pleine de miséricorde, de tendresse et de clémence, vous que nous ne connaissons que par les bienfaits que vous ne cessez de répandre sur nous, vous enfin dont le cœur tout brûlant de charité est toujours ému de compassion à la vue de nos douleurs, toujours touché de nos larmes et prêt à les essuyer, souffrez que ce soit dans votre cœur de mère que nous déposions nos vœux et nos prières pour les âmes souffrantes du purgatoire, présentées par vous, offertes par vos mains à votre divin Fils, elles ne sauraient être rejetées. Il les exaucera si vous daignez y ajouter le mérite de quelques-unes des larmes que vous avez versées sur le Calvaire, plus que tout ce que nous pourrions lui offrir cette offrande satisfera sa justice, elle la désarmera et en obtiendra ce que nous désirons, comme vous le désirez vous-même, la délivrance des âmes qui vous ont été les plus dévouées, et qui vous sont les plus chères, le soulagement de celles dont l'expiation est la plus douloureuse et doit être la plus longue. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    On lit dans la vie de sœur Catherine de Saint Augustin, qu'elle avait donné quelque temps ses soins à une pauvre fille, qui était dans un état déplorable, et selon le corps et selon l'esprit. Après avoir mené une vie licencieuse et scandaleuse, Dieu l'avait frappée d'une maladie honteuse, qui la rendait un objet de dégoût et de mépris pour tout le monde. L'infection qu'elle répandait autour d'elle était telle que ses voisines l'avaient obligée d'aller chercher un gîte dans une vieille masure isolée ; son caractère était si méchant et si acariâtre, que personne ne lui eût fourni aucun secours, si sœur Catherine, surmontant le dégoût qu'elle lui inspirait, n'était venue comme un ange du ciel, lui apporter de quoi sustanter sa malheureuse existence. Toutefois ses services n'étaient payés que par des injures et des sarcasmes. Lorsque la sœur lui parlait de Dieu, l'infâme créature ne lui répondait que par des blasphèmes.

    L'infortunée se trouva subitement appelée au tribunal de Dieu.

    En présence de l'éternité, un sentiment de désespoir allait s'emparer de son âme ; mais, ô prodige de l'ineffable condescendance d'un Dieu d'amour ! elle se souvient de quelques paroles de piété qu'elle avait ouïes jadis, et, s'adressant à la sainte Vierge, elle lui dit : « 0 vous, qui n'abandonnez pas même ceux que tout le monde repousse, mère de Dieu, venez à mon secours ; si vous me délaissez, je suis perdue. »

    Et Marie, à la voix de la pécheresse, se manifeste à elle, lui fait produire des actes de contrition et emmène son âme dans le purgatoire.

    Le lendemain, on trouve le cadavre hideux étendu par terre, et tous s'écrient qu'elle est réprouvée. Sœur Catherine elle-même en était si convaincue, qu'elle l'effaça de son souvenir. Cependant, longtemps après, étant en oraison, elle s'entend appeler. Elle écoute ; la voix lui disait : « Comment, vous qui priez pour tout le monde, m'oubliez-vous ? Ehl quoi, s'écrie la sainte, vous, vous, au purgatoire ? » L'âme lui raconte le miracle de salut qui s'était opéré en elle à son agonie, la conjurant de se rendre à ses prières, car elle souffrait horriblement et souffrirait bien longtemps si elle la délaissait.

    Sœur Catherine eut recours à Marie, qui l'avait délivrée de l'enfer pour la délivrer du purgatoire. (S. Alphonse De Liguori, Salve Regina.)

    PRATIQUE.

    Prier spécialement aujourd'hui pour les âmes du purgatoire qui ont été le plus dévouées à Marie, et dont elle désire le plus vivement la délivrance.

    XVe JOUR

    Quatrième motif. Notre intérêt personnel.

    Ier Point. Quoique la charité doive être pure et désintéressée dans ses motifs, il ne nous est pas défendu cependant d'avoir aussi en vue votre intérêt spirituel, et nous devons même chercher à enrichir notre âme et à assurer son salut par tous les moyens en notre pouvoir. 0r, entre tous les moyens que la bonté de Dieu a mis à notre disposition, je dis que la charité envers les âmes du purgatoire est un des plus efficaces, et que cette charité que nous exerçons envers elle nous est utile à nous-même et a pour nous d'immenses avantages.

    Le premier de ces avantages est qu'en vertu de la communion des saints, les âmes du purgatoire peuvent nous faire participer aux mérites qu'elles ont acquis pendant leur vie. Les mérites des saints sont, nous le savons, la récompense due aux bonnes œuvres qu'ils ont faites dans la grâce de Dieu, et conformément à son adorable volonté ; la partie satisfactoire et déprécatoire de ces mérites est surabondante en beaucoup de saints, et c'est cette surabondance qui est reversible, et qui, unie aux mérites infinis du Sauveur, entre dans le trésor où l'Eglise, notre mère, puise sans cesse sans l'épuiser jamais, pour suppléer à l'indigence spirituelle d'un grand nombre de ses enfants.

    Les mérites de Jésus-Christ sont à eux seuls, il est vrai, suffisants pour nous enrichir tous, puisqu'ils sont infinis. Il est également vrai que les mérites des saints et les nôtres puisent toute leur valeur à cette source divine ; mais, dit un pieux auteur, « Dieu, selon l'expression sublime de Poëleman, ramasse les miettes qui tombent de la table mystique de sa famille, pour ne pas les laisser périr, et soit par condescendance pour nous, soit pour glorifier son fils, il réunit nos mérites à ses mérites pour en composer le trésor incomparable de l'Eglise, et le partager entre ceux de ses enfants qui en ont besoin (1)(1) Un religieux de N.-D. de la Trappe. »

    Qui n'admirerait ici l'ineffable bonté de notre Père céleste et l'admirable économie de sa divine miséricorde, qui établit entre ses nombreux enfants des rapports si doux de fraternité qui les lient les uns aux autres, et qui veut que tout soit commun entre eux, les biens comme les peines, afin qu'ils accomplissent ce précepte du grand Apôtre : « Portez les fardeaux les uns des autres. »

    Or, parmi les âmes souffrantes du purgatoire, plusieurs, quoique passant pour un temps par le creuset de l'expiation, ont acquis beaucoup plus de mérites qu'il ne leur en fallait pour assurer leur salut. Mais pourquoi, dira-t-on peut-être, des âmes si saintes et si riches se trouvent-elles en purgatoire ? Parce que, répondrons-nous, Dieu nous juge tels que nous sommes au moment de la mort, et qu'alors, comme pendant notre vie, l'abondance et même la surabondance des mérites ne nous dispense en aucune manière de la satisfaction exigée pour une faute actuelle, ainsi les âmes dont nous parlons ont porté au tribunal de Dieu quelques légères fautes que la mort ne leur laisse pas le temps d'expier, et ces fautes, quelque légères qu'elles aient été, leur ont fermé momentanément les portes du ciel, et les retiennent dans le lieu de l'expiation jusqu'à ce qu'elles en soient entièrement purifiées.

    Ces saintes âmes, que la justice de Dieu retient ainsi loin de lui, ne perdent rien des mérites qu'elles ont acquis sur la terre ; ils sont entrés dans le trésor de l'Eglise, et comme nous l'avons dit, sont reversibles sur ceux de ses enfants qui en ont besoin, et si nous aidons ces saintes âmes par nos prières et nos bonnes œuvres, elles peuvent à leur tour nous témoigner leur reconnaissance et nous aider, en obtenant de Dieu que la surabondance de leurs mérites nous soit appliquée.

    Comme les saints glorifiés, les âmes du purgatoire ne peuvent plus mériter ; mais comme eux elles ont le pouvoir de faire valoir les mérites acquis pendant leur vie en notre faveur. Saint Chrysostome le prouve en disant : « Les élus présentent au Seigneur » leurs membres mutilés, leurs corps meurtris pour la défense de la foi, leurs mascérations, leurs jeûnes, etc., etc., et deviennent tout-puissants devant le roi des cieux.

    De même qu'un vieux soldat qui, pour obtenir un grade de son prince, lui montre son corps écharpé, les nombreuses blessures reçues à son service, sûr de voir sa requête favorablement accueillie. Saint Augustin, saint Jérôme s'expriment comme saint Chrysostome, d'où nous pouvons conclure que les âmes du purgatoire étant saintes comme celles qui jouissent de la gloire du ciel, peuvent prier comme elle, quoique leur bonheur soit encore différé, et comme elles, elles peuvent être exaucées en vertu de leurs mérites antécédents.

    L'expiation que subissent ces saintes âmes n'ôte rien à l'amour que Dieu a pour elles, elle ne diminuera en aucune manière la gloire dont elles jouiront dans le ciel, car si la justice divine exige son paiement jusqu'à la dernière obole, elle paiera également et avec une incomparable libéralité, tout ce qu'elle a bien voulu promettre aux moindres bonnes œuvres faites en état de grâce.

    IIe Point. Il y a dans le purgatoire, comme nous venons de le dire, des âmes bien riches en vertu, bien riches en mérites ; il y en a même qui, en quittant le lieu de l'expiation, iront prendre place parmi le chœur des brûlants séraphins. L'amour que ces saintes âmes ont pour Dieu est si vif, le désir qu'elles éprouvent de s'unir à lui si ardent, que pour prix de leur délivrance, elles céderaient volontiers tous ces mérites, fruits de leurs labeurs et de leurs peines. Elles ne peuvent pas en être dépouillées ; mais avec quelle reconnaissance ne demanderont-elles pas à Dieu d'en appliquer la surabondance à ceux qui par leur prière ou leurs œuvres satisfactoires auront hâté le moment de leur délivrance.

    Et Dieu, qui aime ces saintes âmes plus encore qu'elles ne l'aiment elles-mêmes, qui désire leur délivrance avec une ardeur qui surpasse la leur, s'associera en quelque sorte à leur reconnaissance, et se plaira à exaucer les prières qu'elles lui offriront en faveur de leur bienfaiteur. Lorsqu'un bon père voit un de ses enfants malade et en proie à de cruelles souffrances, si cet enfant lui adresse une prière en faveur de ses frères, qui se pressent autour de son lit de douleur, l'entourant à l'envi des témoignages de leur compatissante affection en s'efforçant de le soulager, ce père, dans la crainte de contrister par un refus son enfant qui souffre, lui accordera tout ce qu'il lui demande, alors même que ses autres enfants lui auraient donné quelques sujets de plaintes et qu'il ne se sentit pas disposé dans le moment à leur accorder aucune faveur. De même Dieu, touché des souffrances de ces saintes âmes, qu'il ne châtie qu'à regret, ne les contristera pas par un refus, il se plaira au contraire à leur prouver qu'elles n'ont rien perdu de son amour en exauçant les prières qu'elles lui adressent en faveur de ceux de leurs frères qui, touchés de leurs souffrances, s'efforcent de les soulager, et il leur accordera ce qu'elles lui demandent pour eux, nonobstant leur indignité et leurs infidélités personnelles.

    Dieu, dit un pieux auteur, le leur doit en quelque sorte afin de montrer qu'il les châtie parce qu'il est juste, qu'il les exauce parce qu'il est bon ; comme une consolation, pour leur prouver qu'elles ont à sa tendresse les mêmes titres que tous ses enfants, comme un bien commun. Notre-Seigneur ayant promis d'ouvrir à ceux qui frapperaient à là porte de sa miséricorde, si les âmes du purgatoire étaient seules exceptées de cette promesse générale, elles seraient traitées en enfants déshérités. 

    Nous avons donc plus à espérer, il semble, des âmes souffrantes que des saints déjà glorifiés, parce que notre charité leur est avantageuse, et que les saints n'en ont plus besoin dans le ciel (1). (1) Un religieux de N.-D. de la Trappe. 

    Il est encore de notre intérêt d'exercer la miséricorde envers les âmes souffrantes du purgatoire, si nous voulons qu'on l'exerce un jour envers nous. Notre adorable Sauveur ne nous dit-il pas, dans l'Evangile, que nous serons traités comme nous aurons traité nos frères, qu'on se servira envers nous de la même mesure dont nous nous serons servi envers eux. Donc, si nous avons exercé la charité envers ces saintes âmes, on l'exercera un jour envers nous ; si nous avons été compatissants pour leurs souffrances, on le sera pour les nôtres ; miséricordieux pour elles, on le sera également pour nous, si nous avons été généreux envers elles jusqu'à leur céder les œuvres satisfactoires qui nous étaient nécessaires à nous-mêmes pour expier nos propres fautes, d'autres exerceront un jour envers nous la même générosité, et nous ferons la même cession. Et quand encore, après notre mort, nous serions oubliés, délaissés de tous, quand bien même personne ne se souviendrait plus de nous sur la terre, Dieu, dont la justice ne laisse rien sans récompense, se souviendrait de la charité dont nous aurons usé envers nos frères souffrants, il nous donnerait alors une part plus abondante aux suffrages que l'Eglise lui adresse chaque jour pour tous ses enfants décédés, il nous appliquerait soit quelques-unes des messes, soit les indulgences qui lui sont si souvent offertes en faveur d'âmes auxquelles elles ne sont plus applicables et qui n'en ont plus besoin.

    Mais, si au contraire nous n'exerçons pas la charité envers ces saintes âmes, craignons qu'un jour on ne l'exerce pas envers nous, ou plutôt soyons certains que si nous les oublions, Dieu permettra qu'on nous oublie ; si nous les délaissons, il permettra qu'on vous délaisse. Si nous ne prions pas pour elles, que nous soyons sans compassion pour ieurs souffrances, il permettra également qu'on ne prie pas pour nous et qu'on soit sans pitié pour nos douleurs. Et quand encore il n'en serait pas ainsi, quand nos parents et nos amis ne nous oublieraient pas, Dieu, par un juste châtiment de notre dureté envers nos frères, n'exaucerait pas les prières qui lui seraient adressées en notre faveur, et il nous laisserait payer jusqu'à la dernière obole la dette peut-être bien grande que nous avons contractée envers son inexorable justice.

    N'oublions donc pas que nous aurons un jour, et peut-être bientôt besoin qu'on exerce envers nous la charité que nous pouvons maintenant exercer pour les autres. Nous sommes aujourd'hui pleins de force, de santé, de vie, nous nous promettons encore un long avenir ; et demain peut-être on nous cherchera en vain sur la terre, déjà la mort nous aura saisis de sa main glacée et jetés dans les profondeurs de l'éternité, et cela sans que nous ayons eu le temps de satisfaire à la justice de Dieu et de faire une pénitence suffisante pour l'expiation de nos péchés. Et quel est celui d'entre nous, alors même qu'il ne serait pas surpris par la mort, qui oserait se flatter d'être assez pur pour ne pas avoir à redouter les douloureuses expiations du purgatoire ? Hélas ! pour être passif de ces peines si redoutables, songeons qu'il ne faut être coupable que de quelques légères fautes. Ainsi, un léger sentiment d'impatience, une distraction volontaire dans la prière, une pensée d'amour-propre, de vanité, une parole peu charitable pour le prochain, toutes ces mille petites fautes qu'on se pardonne si facilement et qu'on s'habitue bien à tort à regarder comme des riens, seront cependant suffisantes pour nous fermer les portes du ciel, si notre âme s'en trouve souillée au moment de notre mort, et nécessiteront une expiation plus ou moins longue dans les flammes brûlantes du purgatoire. Il est donc de notre intérêt, et de notre intérêt le plus cher, d'user maintenant envers les autres de la charité dont nous désirons qu'on use alors envers nous, et d'exercer largement la miséricorde envers les saintes âmes du purgatoire, afin que celle de Dieu descende un jour sur nous dans toute son étendue.

    PRIÈRE.

    Comment pourrais-je, ô mon Dieu, ne pas exercer la miséricorde envers des âmes qui vous sont si chères, puisque j'ai tant besoin que vous l'exerciez envers moi. Ah! Seigneur, je le sais, j'ai tout à craindre de votre justice, et je puis dire avec le saint roi pénitent : Si vous tenez, ô mon Dieu, un compte exact des iniquités, qui pourra subsister devant vous ? Je le confesse en gémissant, mes fautes sont grandes, elles sont innombrables ; j'ai péché par mes pensées, par mes paroles, par mes actions ; j'ai accumulé iniquité sur iniquité, faute sur faute, et je n'ai pas encore songé, Seigneur, à fléchir votre justice et à en faire une pénitence proportionnée à leur grandeur et à leur nombre. Mon repentir est profond, il est sincère, et j'espère, ô mon Dieu, que vous m'accorderez le pardon de tant d'offenses puisque vous avez promis de ne pas rejeter le cœur contrit et humilié ; mais je sais que si vous me remettez la peine éternelle due à mes fautes, vous ne me remettez pas la peine temporelle qui leur est encore due, et que votre justice exige que je la subisse, soit dans ce monde par les souffrances volontaire, soit dans le purgatoire par une pénitence que vous m'imposerez vous-même. Hélas ! Seigneur, je le sens, je m'épargne trop moi-même, et ma lâcheté est si grande que je suis bien loin de vous offrir une satisfaction proportionnée à mes fautes et que je n'ose me flatter d'éviter les terribles expiations du purgatoire ; mais je puis mériter par la charité que je veux exercer envers les saintes âmes qui les subissent maintenant, qu'elles soient un jour abrégées pour moi, et désormais je ne négligerai rien pour fléchir votre justice en leur faveur ; je serai charitable, généreux et miséricordieux pour elles, comme je souhaite qu'on le soit plus tard pour moi. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    « Dans ma jeunesse, dit saint Grégoire dans ses Dialogues, avant d'embrasser la vie religieuse, j'ai souvent entendu faire l'éloge des vertus de Paschase, diacre de l'Eglise romaine. Des personnes très honorables et qui l'ont parfaitement connu nous le dépeignaient comme un homme d'une admirable sainteté, tout entier aux œuvres de la charité, vrai père des pauvres et d'une abnégation absolue.

    Le souverain Pontife étant mort, les suffrages des fidèles se partagèrent entre Symmaque et Laurent. Paschase prit parti pour celui-ci : cependant Symmaque fut élu pape à l'unanimité par les évêques et le peuple. Paschase se soumit mais sa soumission fut imparfaite, car il garda pour son ami une affection trop sensible. Les saints ont aussi leurs défauts. Il mourut sous le pontificat de Symmaque, et pendant la cérémonie des obsèques un possédé fut délivré miraculeusement par le seul attouchement de sa dalmatique.

    Longtemps après, saint Germain, évêque de Capoue, allant dans les Abruzzes faire une saison d'eaux thermales, quel ne fut pas son étonnement de voir soudain le saint diacre qu'il avait toujours vénéré lui apparaître triste, abattu, souffrant. Tout hors de lui-même, il lui demanda comment un homme tel que lui se trouvait en cet état ?  Paschase lui répondit : Je suis envoyé ici pour faire pénitence et pour expier mon affection excessive envers Laurent ; mais je vous en conjure, ayez pitié de moi et priez pour moi. Si vous ne me voyez plus revenir ici, ce sera une preuve que vous avez été exaucé.

    En effet le saint évêque pria avec ferveur et ne le revit plus, d'où il conclut qu'il avait été admis dans la goire. {Les saintes Ames du purg.connues, aimées et soulagées, par un religieux de N.-D. dela Trappe.)

    PRATIQUE.

    Nous exciter à la charité envers les saintes âmes du purgatoire en pensant que Dieu permettra que la mesure de ce que nous aurons fait pour elles soit la mesure de ce que l'on fera un jour pour nous.

     

    XVIe JOUR

    Des moyens de soulager les âmes du purgatoire.
    Premier moyen : la Prière.

    Tout ce que vous demanderai à mon Père en mon nom il vous l'accordera.

    ler Point. Après avoir considéré dans les chapitres précédents quels étaient les motifs qui devaient nous engager à exercer la miséricorde envers les saintes âmes du purgatoire, nous allons maintenant nous occuper des moyens les plus efficaces que la bonté de Dieu a mis en notre pouvoir pour les soulager. Le premier de ces moyens est la prière, et celui-là est à la portée de tous, des pauvres comme des riches, des faibles comme des forts ; personne ne peut alléguer de motifs raisonnables pour s'en dispenser. Quand il s'agit de l'aumône, du jeûne, de la pénitence, l'un peut alléguer son indigence, l'autre la faiblesse de sa santé et ses infirmités ; mais quel est celui d'entre nous qui n'est pas assez riche pour faire aux âmes du purgatoire l'aumône d'une prière ? Quel est celui qui est trop faible, trop infirme pour ne pas pouvoir élever son cœur vers Dieu et lui demander d'avoir pitié de ses frères souffrants et de leur faire miséricorde ? Tous le peuvent, et la mauvaise volonté seule ou une coupable indifférence empêchent de remplir un devoir si si facile et si doux.

    Il y a, nous le savons, des esprits orgueilleux ou impies qui désapprouvent la prière pour les morts, couvrant leur dureté, d'un prétexte spécieux qu'il est facile de réfuter. Quand Dieu, disent-ils, condamne une âme aux peines du purgatoire, ou il ignore le temps qu'elle doit y rester, ou il le sait ; dire qu'il l'ignore serait une impiété et un blasphème, et puisqu'il le sait, à quoi serviront nos prières ? ne seraient-elles pas insensées puisque nous demanderions à Dieu, qui est immuable par nature, de changer des décisions qui sont irrévocables : d'où ils concluent qu'il ne faut jamais prier pour les morts.

    Une telle doctrine n'est pas seulement cruelle, puisqu'elle ne tend à rien moins qu'à priver les saintes âmes du purgatoire du soulagement que nous pouvons leur donner ; mais elle est en opposition formelle au précepte de Jésus-Christ, qui a dit : « Demandez, c'est-à-dire priez, et on vous donnera, elle est contraire à l'enseignement et à la pratique de l'Eglise, qui prie tous les jours pour ses enfants décédés, et qui nous engage à prier également tous les jours pour le repos éternel de ceux que nous avons perdus.

    Du reste, il est facile de démontrer la fausseté du raisonnement que nous avons cité, et nous allons le faire brièvement.

    Quand Dieu condamne une âme aux peines du purgatoire, il examine dans sa justice ce qu'elle lui doit encore de réparation pour les fautes qu'elle a commises, et il connaît le temps précis de la peine qu'elle doit subir. Supposons que cette peine soit de dix années, l'âme a deux voies pour satisfaire à Dieu. La première est de payer sa dette par elle-même, c'est-à-dire, en satisfaisant sans que personne lui vienne en aide ; la seconde est de payer en tout ou en partie par l'entremise des autres, c'est-à-dire, par les satisfactions que lui transmettent la compassion et la libéralité des cœurs qu'elle a laissés sur la terre.

    Or, avant de déterminer le temps qu'une âme doit passer en purgatoire, Dieu prévoit si cette âme sera secourue par les suffrages des vivants ou abandonnée par eux. Si personne ne doit venir à son aide, elle n'aura aucune grâce, et ne sortira du purgatoire qu'au temps fixé par sa justice. Si au contraire elle doit Être secourue par les satisfactions étrangères, Dieu abrégera le temps, il adoucira la peine selon la valeur des œuvres qui seront offertes en sa faveur.

    La justice humaine en donne un exemple. Un homme est condamné à la prison pour une dette considérable. Il a deux moyens d'échapper à la sentence, ou en payant sa dette de ses propres deniers, ou en demandant à ses amis de la payer pour lui. S'il n'a ni argent, ni amis qui veulent payer pour lui, il faut qu'il subisse la peine à laquelle il a été condamné. Si, au contraire, il n'a pas d'argent, mais qu'il ait des amis généreux et dévoués qui lui ouvrent leurs bourses, on lui remet la moitié de sa peine, s'ils acquittent la moitié de sa dette ; s'ils acquittent la dette toute entière, on lui remet aussitôt la peine tout entière.

    D'un autre côté, si les amis de ce pauvre prisonnier pour dettes étaient pauvres eux-mêmes, et dans l'impossibilité de le libérer, ils pourraient encore fléchir son créancier par leurs prières et par leurs larmes, toucher son cœur, l'émouvoir en faveur de leur malheureux ami, et obtenir qu'il renonce à ses droits et lui remette sa dette.

    Ainsi en est-il pour les âmes condamnées aux peines du purgatoire. Nous y avons des parents, des amis qui ont encore à satisfaire pour des fautes qui n'ont pas été entièrement réparées ; mais Dieu savait que nous nous mortifierions, que nous ferions des aumônes pour elles, que nous le prierions en leur faveur, il a résolu d'avoir égard à ce que nous ferions pour elles. Faisons beaucoup, il leur remettra beaucoup : que nos satisfactions égalent ce qu'elles doivent, il leur remettra aussitôt toute la peine qu'elles devaient subir. Mais si nous sommes dans l'impuissance d'offrir à la justice divine des œuvres satisfactoires pour l'acquit de la dette des âmes qui nous sont chères, nous pouvons la fléchir par nos prières, toucher le cœur de Dieu par nos supplications, et obtenir qu'il leur fasse grâce et leur remette la peine due à leur faute en tout ou en partie.

    IIe Point. Pour bien comprendre l'efficacité de la prière pour les âmes du purgatoire, il faut savoir que la prière a trois qualités remarquables :

    1° elle est méritoire, c'est-à-dire digne de récompense ;

    2° satisfactoire, c'est-à-dire suffisante pour payer la dette des péchés déjà pardonnés ;

    3° impétratoire, c'est-à-dire capable d'obtenir ce qu'elle demande. 

    Le mérite de la prière, comme celui de toutes les bonnes œuvres, est personnel et ne peut se transmettre à un autre ; mais elle peut toucher le cœur de Dieu en faveur de ceux pour lesquels nous le prions et le disposer à leur accorder gratuitement les grâces que nous sollicitons pour eux.

    La prière est satisfactoire parce qu'elle est difficile. Au premier abord, ce que j'avance paraîtra peu vraisemblable, car il semble que la prière devrait s'échapper naturellement de notre cœur, et on peut me répondre : Est-il donc difficile de prier en face des merveilles que la puissance et la bonté de Dieu ont multipliées autour de nous ? Comment encore ne pas prier au souvenir des bienfaits dont le Seigneur a environné notre vie tout entière ? Comment enfin ne pas prier lorsque nous sommes courbés sous le poids accablant de tant de misères et de douleurs ? Est-il donc difficile d'implorer la pitié et de demander du secours à celui-là seul qui peut apporter du soulagement à nos maux ? Je conviens de tout cela ; j'avoue que la prière n'est pas seulement un devoir pour nous, mais qu'elle est un besoin pour notre cœur, ce qui n'empêche en aucune manière qu'elle ait des difficultés réelles.

    Il nous est difficile de prier, dit un ancien Père, parce que tout l'enfer se déchaîne pour nous troubler dans ce saint exercice, et pour mettre obstacle à nos prières. Il nous est difficile de prier, parce que lorsque nous voulons le faire, une foule de pensées étrangères se présentent à notre esprit et détournent notre attention de Dieu et de ce que nous lui demandons. Le passé nous poursuit de ses souvenirs, le présent de réalités souvent douloureuses et accablantes, l'avenir de ses incertitudes qui nous remplissent d'inquiétudes et de craintes.

    Il nous est difficile de prier, parce que mille objets extérieurs nous dissipent : nos yeux veulent tout voir, nos oreilles tout entendre, nos sens ne nous laissent aucun repos. Je ne dis rien des passions qui nous agitent et s'éveillent en nous au moment même où nous voudrions le plus être à l'abri de leurs atteintes.

    Je ne m'étendrai pas non plus sur les différentes vertus qui doivent accompagner la prière, je me contenterai de les désigner, et cela suffira pour montrer qu'il n'est pas facile de bien prier. Il faut que la foi éclaire la prière, que l'espérance l'anime, que la charité l'embrase, que l'humilité la soutienne, que la persévérance la couronne.

    Hélas ! nous connaissons par notre propre expérience les difficultés de la prière. Quel est celui d'entre nous qui n'a pas à combattre la légèreté de son esprit, la dissipation de son cœur, et qui n'a pas à lutter contre des distractions sans cesse renaissantes. N'entendons-nous pas tous les jours les âmes les plus pieuses, les plus saintes même, se plaindre de ne pouvoir prier comme elles le voudraient. C'est ce qui faisait dire au grand Origène que la prière est un véritable combat, puisqu'il faut y soutenir les assauts de si nombreux et de si puissants ennemis. »

    Mais ce sont ces difficultés de la prière qui la rendent méritoire, et qui la rendent aussi satisfactoire, puisque la difficulté des bonnes œuvres est leprincipe du mérite et de la satisfaction : d'où nous devons conclure que la prière est un moyen trèsefficace de soulager les âmes du purgatoire.

    La prière est impétratoire ; le but de l'âme qui prie est de faire connaître à Dieu ses besoins, ses désirs, et d'obtenir de sa bonté ce qu'elle lui demande. Or Dieu, dont la charité et la libéralité sont infinies, ne nous permet pas seulement de lui demander pour nous les grâces qui nous sont nécessaires, il nous permet encore de le prier pour nos frères ; non-seulement il nous le permet, mais il désire que nous le fassions, et quand nous nous oublions pour eux, il se souvient de nous et répand sur notre âme des grâces et des bénédictions plus abondantes.

    Voulons-nous donc faire un acte de charité qui soit agréable à Dieu et ouvrir les portes du purgatoire aux âmes qui y sont captives, prions pour elles et Dieu se laissera fléchir, car la prière est toute-puissante sur son cœur. L'Ecriture sainte nous fournit une multitude d'exemples de cette puissance. Moïse est au milieu d'un désert affreux, il voit autour de lui tout un peuple qui meurt de faim, et pour le nourrir toutes les ressources humaines lui manquent. Que fait l'homme de Dieu ? Il lève les mains au ciel, il expose au Seigneur la détresse du peuple qu'il lui a confié, il le conjure d'avoir pitié de lui, et Dieu, touche : des prières de son serviteur, fait tomber des nues un pain miraculeux.

    David va au devant de Goliath ; son ennemi est puissant, il est terrible ; où prendra-t-il des forces pour le vaincre et pour le terrasser ? Il prie, Dieu met sa force dans la faible main de l'adolescent, et frappé à mort par la pierre que David a ramassée sur le bord du torrent, l'orgueilleux tombe sans vie sur la poussière.

    Mais il y a une parole plus forte, plus persuasive que tous les exemples, c'est la parole de Jésus-Christ lui-même. Priez, nous dit-il, et vous obtiendrez tout ce que vous désirez. Et ailleurs : mon Père ne vous refusera rien de ce que vous lui demanderez en mon nom. »

    Puisque la prière est toute-puissante sur le cœur de Dieu, et que nous pouvons en appliquer la valeur et la satisfaction aux saintes âmes du purgatoire, elle a donc vraiment le pouvoir de les soulager dans leurs souffrances. Nous verrons dans le chapitre suivant comment nous devons nous servir de la prière pour atteindre ce but.

    PRIÈRE.

    Qu'il est doux, qu'il est consolant pour mon cœur, ô mon Dieu ! de savoir que la voix de mon humble prière peut toucher le vôtre et fléchir votre justice, non-seulement lorsque j'implore votre miséricorde pour moi-même, mais encore lorsque je la sollicite en faveur de ceux dont la mort m'a séparé, mais qui n'ont pas cessé de m'être chers. Daignez écouter, Seigneur, les supplications que je vous adresse en leur faveur ; faites que le souvenir et l'affection que je leur garde leur soient encore utiles, et que mes larmes, les regrets que je donne à leur mémoire, sanctifiées par la résignation, par la soumission à votre volonté qui a voulu notre séparation, soient devant vous comme un sacrifice que je vous offre pour l'acquit de leurs dettes. Daignez l'agréer, ô mon Dieu ! ne refusez pas l'offrande de mon indigence, puisque je l'unis pour vous la présenter aux mérites de Jésus-Christ notre adorable Sauveur, et que c'est en son nom que je vous supplie d'avoir pitié des âmes de mes parents, de mes amis, de mes bienfaiteurs et de tous les fidèles trépassés. Adoucissez leurs souffrances, o mon Dieu ! abrégez le temps de leur expiation et accordez-leur bientôt le repos, la lumière et le bonheur éternels. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    L'empereur Théophile, après avoir été pendant sa vie un persécuteur déclaré des saintes images, reconnut son erreur avant de mourir et détesta sincèrement ses fautes ; mais il ne put dans ses derniers moments les expier par la pénitence qui lui resta à subir dans le purgatoire. Son épouse Théodora, qui avait tant fait pour le convertir, fit davantage encore pour le délivrer des peines de l'autre vie. Non seulement elle versait des larmes abondantes et faisait de ferventes prières avec toute sa cour, mais elle demanda des messes et d'autres suffrages dans tous les monastères, et par l'intermédiaire de saint Méthodius, patriarche de Constantinople, elle fit multiplier les prières publiques et privées dans le clergé et dans le peuple. Le cœur de Dieu ne put résister à la force de tant de supplications ; et le vénérable prélat, se livrant dans l'église de Sainte Sophie aux actes de ces dévotions solennelles, vit apparaître un envoyé divin qui lui dit : « Evêque, tes prières sont exaucées et Théophile a obtenu sa grâce. » Théodora eut en ce même temps une vision qui lui annonça que ses prières et celles de ses prêtres avaient délivré Théophile du purgatoire. Aussi les supplications se changèrent en actions de grâces, et toute la ville de Constantinople se réjouit d'avoir obtenu la glorification de son empereur défunt.(Le Mois des Ames du Purgatoire, traduit de l'italien, par l'abbé de Valelle.)

    PRATIQUE.

    Prendre la résolution de ne laisser passer aucun jour sans prier pour les âmes du purgatoire ; offrir en leur faveur la peine que nous cause soit les distractions que nous avons à combattre pendant la prière, soit l'aridité de notre cœur pendant ce saint exercice.

     

    XVIIe Jour

    Suite du même sujet. La prière, premier moyen de soulager les âmes du purgatoire.

    Demandez et vous recevrez, frappez et on vous ouvrira.

    Ier Point. Saint Augustin dit que la prière du juste est la clef du ciel. Il dit la prière du juste, c'est-à-dire de celui Iqui possède la grâce de Dieu ; alors, ajoute-t-il, la prière monte et la miséricorde descend. 0ui, nous le répétons, les humbles supplications d'une âme en grâce avec Dieu sont toutes puissantes sur son cœur ; elles l'inclinent à la miséricorde, à la compassion, et si la prière est la clef du ciel, ne peut-on pas dire également qu'elle est aussi la clef qui peut ouvrir le purgatoire et fermer l'enfer. Servons-nous donc de cette clef mystérieuse pour adoucir les souffrances des saintes âmes du purgatoire.

    Un feu terrible, sans cesse alimenté par le souffle de la justice de Dieu, dévore ces saintes âmes le juste prie, et la rosée du ciel descend et vient tempérer l'activité de ses flammes dévorantes ; la tristesse la plus profonde, la douleur la plus intense accable ces pauvres captives. Le juste prie, sa prière ouvre le ciel, l'espérance et la joie en descendent et viennent adoucir leurs tourments. Ces saintes âmes sont captives, le juste prie, le ciel s'ouvre, la liberté et la vie en descendent ; elles voient tomber leurs chaînes brûlantes et commencer pour elles la vie éternelle.

    « Si vous priez pour les pauvres, pour les affligés, pour les malheureux, disait autrefois saint Ambroise, votre prière entre dans la grâce, c'est-à-dire, dans la demeure même de Dieu. » Dans son sermon sur la virginité, saint Ephrem assure que la prière de celui qui aime Dieu pénètre incessamment le ciel. Saint Bernard affirme de même que la prière de l'âme fervente monte jusqu'au ciel et qu'elle n'en redescend jamais sans être exaucée. Si elle demande l'amour de Dieu, elle en est aussitôt remplie ; si elle demande l'humilité, elle en est aussitôt ornée ; si elle demande la délivrance d'une âme du purgatoire, elle a également la puissance de l'obtenir.

    Saint Denis, dans son livre des noms divins, au chapitre troisième, compare la prière à une chaîne merveilleuse qui part du ciel et descend jusqu'à terre ; quand nous prions, nous montons par les anneaux de cette chaîne comme par autant de degrés, nous arrivons jusqu'à Dieu, et alors s'accomplit un véritable miracle.

    Tous les saints, tous les Pères de l'Eglise sont unanimes sur la puissance et l'efficacité de la prière ; avec elle nous pouvons tout obtenir de Dieu, et nous sommes en quelque sorte plus forts et plus puissants que lui, malgré notre faiblesse et notre impuissance personnelle.

    Ce qui porte Dieu à châtier les hommes coupables, ce qui le porte à leur refuser la rémission des peines qu'ils ont encourues par leurs péchés, c'est sa justice ; toutes ses autres perfections l'inclinent à pardonner. Arrrêtez la justice de Dieu par vos prières, vous ne rencontrerez plus que sa miséricorde. Et cette justice de Dieu, nous pouvons avec la prière en arrêter le cours, non-seulement pour nous, mais pour les autres. L'Ecriture sainte nous en fournit de bien remarquables exemples.

    Israël est devenu idolâtre. Il s'est fait un veau d'or et prosterné devant lui, il lui a offert un encens sacrilége. Indigné de l'ingratitude de son peuple, la colère du Seigneur s'allume et sa justice se dispose à frapper. Mais Moïse est là, et tremblant pour ce peuple que Dieu lui a confié, il vient se placer entre lui et les foudres de la justice divine. Prosterné devant le Seigneur, il monte jusqu'à lui par l'ardeur de sa prière, il le sollicite, il le presse, il le conjure d'avoir pitié des coupables, et les mains de Dieu sont comme enchaînées par les prières de son serviteur. « Moïse, lui dit-il, laisse-moi contenter ma juste colère. » Moïse continue sa prière, la justice de Dieu lutte avec la charité et la persévérance du saint homme, cette prière est comme un lien qui arrête le bras du Seigneur et le rend impuissant. « Laisse-moi, Moïse, cesse ta prière, répète le Seigneur; » mais Moïse redouble d'instances. Dieu ne peut résister, il se rend et pardonne.

    Nous pouvons, comme le saint conducteur d'Israël, nous interposer entre la justice de Dieu et les âmes du purgatoire. Son bras n'est pas seulement prêt à les frapper, déjà il les frappe et sévit sur elles par les plus terribles châtiments ; mais nous pouvons le retenir et arrêter les coups qu'il leur porte. Prions, luttons s'il le faut avec Dieu, par notre charité et notre persévérance, et quand il devrait nous dire comme à son serviteur : Laissez-moi, ces âmes sont coupables ; il faut que ma justice sévisse contre elles, et qu'elles reçoivent le châtiment de leur ingratitude, loin de nous décourager, redoublons d'instances, faisons par nos supplications, par nos larmes, une sorte de violence à Dieu, et bientôt il se laissera fléchir, son cœur s'attendrira, il pardonnera à ces âmes qu'il ne châtie qu'à regret, et notre prière aura vraiment été pour elles la clef qui leur aura ouvert le ciel et les aura jetées dans les bras de notre père commun.

    Qu'elle est grande la bonté de notre Dieu qui permet à de pauvres pécheurs de l'implorer, non-seulement pour eux, mais pour leurs frères, qui nous donne la consolation de pouvoir soustraire à sa justice les êtres chéris que nous pleurons, et de leur donner même au delà de la tombe des preuves de la sincérité et de la constance de notre dévouement et de notre amour.

    IIe Point. Saint Jean, au huitième chapitre de l'Apocalypse, rapporte qu'il vit un ange qui portait à la main un encensoir d'or, et cet encensoir était rempli de parfums, et la fumée de ces parfums montait jusqu'au trône de Dieu ; et l'ange prit les charbons sacrés qui étaient allumés sur l'autel, et il les répandit sur le monde, et il se fit alors des tonnerres, des éclats de voix et des tremblements de terre.

    Il est facile de comprendre le sens de cette vision et d'en donner l'explication. L'encensoir de l'ange est le cœur des saints et des justes de la terre ; les parfums dont il est rempli et la fumée qui s'en exhale sont les prières qu'ils adressent à Dieu et qui s'élèvent jusqu'à son trône comme un encens d'agréable odeur. Les charbons sacrés pris sur l'autel et jetés sur le monde sont les grâces et les bénédictions que la prière fait descendre, et sur ceux qui prient et sur ceux pour lesquels ils prient. Les tonnerres, les voix et les tremblements de terre sont les prodiges qu'elle opère dans le ciel en désarmant la justice de Dieu sur la terre, en convertissant les pécheurs, en changeant des vases de corruption et d'ignominie en vases d'élection, et jusqu'au fond des abîmes du purgatoire, d'où elle arrache les âmes qui y sont captives.

    Ce ne serait pas seulement une indifférence qui nous rendrait coupables devant Dieu, mais une véritable cruauté que de refuser à ces saintes âmes un secours qu'il nous est si facile de leur procurer. Prions donc, montons au ciel par la prière, sollicitons, pressons, et Dieu nous accordera ce que nous lui demanderons. Descendons ensuite en purgatoire, pour porter à ces âmes souffrantes le secours et la consolation qu'elles attendent de nous. Prions le jour, prions la nuit ; que chacune de nos paroles, chacune de nos actions, chacun de nos soupirs soit une prière qui aille comme autant de gouttes de rosée tempérer l'activité des flammes qui les dévorent, nous le pensons en les offrant tous à Dieu en leur faveur, et sans quitter aucune de nos occupations, sans négliger aucun de nos devoirs, nous pouvons devenir réellement les libérateurs de ces saintes âmes, en dirigeant notre intention dans le but de les soulager. De cette manière, nos plus petites actions, nos plus légères souffrances, sont de vraies prières qui plaident sans cesse leur cause auprès de Dieu, et qui après s'être élevées jusqu'au ciel, comme la vapeur embaumée de l'encens, descendent dans les brûlants abîmes où elles gémissent comme une pluie rafraîchissante.

    L'amour est la vie du cœur, et la reconnaissance est sa mémoire. Quel est celui de nous qui n'a pas vu la mort lui ravir quelques-uns des objets de ses affections ? Hélas ! combien ont arrosé successivement de leurs larmes la dépouille mortelle de tous ceux qui leur étaient chers, d'un père, d'une mère, d'un bienfaiteur, auquel les attachaient non pas seulement les liens de la nature, mais ceux aussi forts, aussi étroits, de la reconnaissance. Cet amour si tendre, si dévoué, cette reconnaissance si vive se seraient-ils donc éteints avec la vie de ceux qu'ils ont aimés ? Ah ! le supposer serait leur faire injure, un bon cœur ne cesse pas d'aimer ; une âme élevée, une âme chrétienne, surtout, ne sait pas oublier ; elle porte vivant en elle le souvenir de ceux qu'elle ne voit plus, mais qui n'ont pas cessé de lui être chers, et si elle garde en elle-même sa douleur et ses regrets, si elle parle rarement de ceux qui les lui inspirent, c'est qu'elle sait que les créatures se lassent du récit de nos peines ; que nos larmes, nos plaintes, qui d'abord excitèrent leur compassion, leur deviennent bientôt importunes ; mais il n'en est pas de même de Dieu, elle sait que lui seul ne se lasse pas du récit de nos douleurs ; c'est dans son sein qu'elle verse avec ses larmes, ses prières, ses ardentes supplications en faveur de ceux qu'il a élevés à sa tendresse, et c'est ainsi que le souvenir qu'elle leur garde leur est réellement utile.

    Mais ce n'est pas seulement pour ceux que nous avons aimés d'une affection naturelle que nous devons prier ; la charité nous fait un devoir d'offrir nos suffrages pour toutes les âmes qui souffrent en purgatoire. Saint Paul nous assure que la charité est la plus grande, la plus excellente des vertus chrétienne, et on exerce cette vertu dans son plus haut degré quand on soulage les âmes souffrantes du purgatoire ; sans doute, c'est exercer la charité et faire des œuvres très agréables à Dieu que de nourrir celui qui a faim, de vêtir celui qui souffre des rigueurs du froid, de visiter l'infirme sur son lit de douleurs, le prisonnier dans son cachot ; mais l'objet de cette charité est le corps, tandis que les prières, les bonnes œuvres faites pour les morts n'ont que l'âme pour objet, et comme l'àme est inflniment plus précieuse que le corps, l'acte de charité exercé envers les saintes âmes du purgatoire est par là même plus excellent, et l'emporte sur toutes les œuvres de miséricorde temporelle qu'on peut faire en faveur des vivants.

    Nous sommes loin de dire, qu'on le comprenne bien, que la charité que nous exerçons envers les morts nous dispense de l'exercer envers les vivants ; l'une ne doit pas exclure l'autre ; le but de l'âme pieuse doit être de les unir, de les pratiquer ensemble, d'essuyer d'une main les larmes du pauvre, et de l'autre celles des âmes du purgatoire. Par la pratique de cette double charité on se rend plus utile aux uns et aux autres, on acquiert une plus grande ressemblance avec notre adorable Sauveur, dont la charité embrassait à la fois toutes les misères de l'âme et du corps, et on attire sur soi des grâces et des bénédictions plus abondantes.

    PRIÈRE.

    0 Jésus ! notre adorable Sauveur, qui avez fait à la prière de si magnifiques, de si consolantes promesses, qui nous avez assuré que tout ce que nous demanderions à votre père, en votre nom, serait accordé, nous venons, plein de confiance en ces divines promesses et en la bonté de votre cœur sacré, vous supplier d'abaisser un regard de miséricorde sur les âmes souffrantes du purgatoire, particulièrement sur celles de nos parents, de nos amis, de nos bienfaiteurs, sur celles surtout qui ont été le plus dévouées à votre divin cœur, qui vous ont le plus ardemment aimé pendant leur séjour sur la terre, et qui ont eu elles-mêmes une plus grande charité pour les âmes dont elles partagent aujourd'hui les douleurs. Ne regardez pas, Seigneur, à l'indignité de ceux qui vous implorent pour ces âmes qui vous sont si chères, ne voyez que la foi qu'ils ont eue en vos promesses,et par votre douleur au jardin de Gethsémani, par la soif que vous avez endurée sur la croix, par l'abandon et le délaissement de votre douloureuse agonie, faites miséricorde à ces âmes pour lesquelles nous vous implorons ; étanchez la soif d'amour qui les consume en leur ouvrant les portes du ciel et en les unissant éternellement à vous. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    Surius raconte que le grand docteur saint Thomas, se trouvant à Paris, vit un jour l'une de ses sœurs, morte à Naples, paraître à ses regards avec les dehors de la plus profonde tristesse, et l'entendit implorer le secours de ses prières et de celles de ses frères.

    Le saint docteur se hâta d'obtempérer à ses désirs, et suppliant ses frères de s'intéresser au sort de la pauvre âme, il y eut parmi eux comme une sorte d'émulation pieuse et charitable. Cependant, après quelque temps, espérant que les besoins de la défunte étaient satisfaits, il diminua ses prières pour elle. Il ne se trompait pas.

    Un jour qu'il s'acheminait vers Rome, il vit de nouveau sa sœur ; mais cette fois elle était environnée de lumière et portait toutes les marques de la joie et de la gloire. « Mon frère, lui dit-elle, grâce à vos prières et à la miséricorde de Dieu, qui a bien voulu les accepter, mes tourments sont finis, et c'est parce que le Seigneur veut récompenser votre charité qu'il m'a été permis de vous annoncer qu'aujourd'hui mon bonheur commence. »

    Tous les protecteurs des pauvres âmes du purgatoire ont un semblable mérite, alors même qu'ils ne recevraient pas sur la terre les mêmes témoignages de reconnaissance. (L'Echo du Purgatoire, juin 1867.)

    PRATIQUE.

    Prier spécialement aujourd'hui pour les âmes qui ont eu le plus de charité pour les âmes du purgatoire, et qui ont elles-mêmes le plus prié pour elles.

     

    XVIIIe JOUR

    L'aumône second moyen pour soulager les âmes du purgatoire.

    L'aumône délivre du péché et de la mort ( Tobie, I. *, c. t1. )

    Ier Point. Si la prière est toute-puissante sur le cœur de Dieu, nous pouvons assurer que l'aumône ne l'est pas moins, qu'elle double la force de nos prières, qu'elle en assure le succès en attendrissant le Seigneur sur les misères de celui qui, pour obtenir la miséricorde qu'il implore, l'exerce lui-même en faveur de ses frères. Le Saint-Esprit lui-même nous a révélé la puissance de l'aumône, en disant dans l'Ecclésiastique que comme l'eau a la force d'éteindre le feu le plus ardent, de même l'aumône a la vertu d'effacer le péché. Au livre de Tobie, il dit également que l'aumône a la puissance de délivrer de tout péché et même de la mort.

    Aussi, d'après ces paroles, les saints Pères n'ont pas cru aller trop loin en comparant la puissance de l'aumône à la puissance même du baptême. Saint Ambroise, dans son sermon sur l'aumône, interprète ainsi l'oracle de l'Esprit saint. «L'eau ;qui éteint le feu, dit-il, c'est l'eau du baptême ; elle éteint le feu de l'enfer, de même l'aumône éteint le feu du péché. »

    Si nous considérons les effets du saint baptême et ceux produits par l'aumône nous y découvrirons de bien grands rapprochements. Le principal effet du baptême est de purifier du péché et d'en remettre la peine. L'aumône produit un effet pareil, non pas, il est vrai, de la même manière, ni avec la même efficacité que le baptême, car le baptême agit efficacement, et par une vertu qui lui est propre ; il suffit qu'un homme le reçoive pour que tous ses péchés soient effacés et que toutes les peines qui leur sont dues lui soient remises, tandis que l'aumône agit moins directement et ne justifie pas par elle-même ; elle dispose seulement celui qui la fait, s'il n'a pas la grâce, à la recouvrer.

    Nous savons tous que quand un homme est en état de péché mortel il est souillé d'une tache qui le rend ennemi de Dieu, et en même temps il est redevable à sa justice d'une peine éternelle. Pour être purifié de la tache du péché, il faut qu'il recouvre la grâce sanctifiante, et pour être délivré de la peine qu'il a encourue, il faut qu'il fasse des œuvres satisfactoires. 0r, l'aumône peut servir à ces deux fins, car un pécheur en faisant l'aumône attire sur lui la miséricorde de Dieu et le dispose à lui accorder une grâce de conversion, s'il correspond à cette grâce, il recouvre l'amitié de Dieu, il est purifié de la tache dont son âme était souillée, la peine éternelle qu'il avait encourue lui est remise, et s'il fait alors de nouvelles aumônes, il acquitte la dette qu'il a contractée envers la justice divine, et satisfait ainsi en tout ou en partie pour la peine temporelle qui lui restait à subir soit dans cette vie, soit dans l'autre.

    Ainsi, par l'entremise de l'aumône, l'homme reçoit en quelque sorte les mêmes priviléges que lui avait conférés le saint baptême ; ce qui justifie cet autre mot de saint Ambroise : « L'aumône est un second baptême. » Mais le même docteur va plus loin, et il ne craint pas d'avancer que l'aumône est sous quelques rapports plus avantageuse que le baptême, et il en donne plusieurs raisons.

    La première est que le baptême ne se donne qu'une fois, qu'il n'efface qu'une seule fois les péchés qu'on a commis, tandis que l'aumône peut se réitérer autant de fois que l'on veut, et que si elle est faite pour l'amour de Dieu, on mérite la rémission de ses péchés autant de fois qu'on la fait.

    Un second avantage de l'aumône sur le baptême, vient de ce que le baptême ne profite qu'à celui qui le reçoit, tandis que l'aumône est utile à celui qui la fait et à ceux qui la reçoivent, et même à ceux en faveur de qui on la fait, elle profite à la fois aux vivants et aux morts, et tous en recueillent les douceurs et les bénéfices.

    Le troisième privilége de l'aumône est de pouvoir se donner de différentes façons. Le baptême ne peut se donner qu'avec de l'eau ; l'aumône se donne avec de l'or, avec de l'argent, avec un morceau de pain, avec un verre d'eau, avec un vêtement.

    Quelle que soit la manière dont vous fassiez l'aumône, qu'elle soit considérable ou qu'elle ne le soit pas, si vous la faites dans la grâce de Dieu et en faveur des saintes âmes du purgatoire, vous leur donnez une sorte de baptême, car Dieu ne regarde pas à la valeur de votre don, mais aux dispositions avec lesquelles vous le faites.

    Les âmes du purgatoire, nous le savons, sont purifiées de leurs péchés, mais il leur reste une peine à subir. Or, les aumônes que l'on fait en leur faveur peuvent non-seulement adoucir et abréger cette peine, elles peuvent encore y mettre fin. Alors ces âmes bienheureuses se trouvent dans l'état où elles étaient au jour de leur baptême, et ainsi, il est vrai de dire qu'à la faveur et par la vertu de l'aumône elles sont comme une seconde fois baptisées.

    IIe Point. Mais pourquoi l'aumône est-elle si puissante sur le cœur de Dieu et pourquoi se montre-t-il sensible à la miséricorde que l'homme exerce envers son semblable ? Devant une aumône, Dieu apaise sa colère, il retient sa justice, il oublie et il pardonne ; d'où vient cela ? Ah ! c'est que Dieu est la miséricorde même, et que celui qui l'exerce se rend en quelque sorte semblable à lui. Saint Léon nous l'apprend, quand il nous dit qu'il n'y a rien de plus auguste que de voir un homme imiter son auteur, et selon la mesure de ses forces exécuter des œuvres divines. Or, quand il donne à manger à celui qui a faim, à boire à celui qui a soif, quand il habille ceux qui sont nus, qu'il vient au secours de ceux qui souffrent, il imite la bonté du Créateur, dont la main libérale s'étend sur toutes ses créatures pour les nourrir et les combler de bienfaits.

    Celui qui fait l'aumône n'imite pas seulement le Seigneur, il devient son ministre, l'instrument dont sa Providence se sert pour secourir le pauvre, et en accomplissant une œuvre de miséricorde, il fait réellement l'œuvre de Dieu. Si donc l'homme qui fait l'aumône est semblable à Dieu, si sa main est la main de Dieu, si l'acte de charité qu'il accomplit en faveur d'un de ses frères souffrants, est l'œuvre et la gloire de Dieu, il ne faut plus s'étonner que l'aumône soit si puissante auprès du Seigneur.

    Ce qui nous montre combien la miséricorde est agréable au Seigneur, c'est la promesse expresse et mille fois réitérée qu'il fait dans les livres saints de la récompenser avec magnificence. « Ce que vous ferez au moindre de mes frères, qui sont pauvres, nous dit notre adorable Sauveur, vous me le ferez à moi-même, et je vous le rendrai au centuple. » Nous lisons au livre des Proverbes ces autres paroles : « Celui qui a pitié du pauvre prête au Seigneur, et il lui prête à intérêt. Le Seigneur lui rendra avec usure ce qu'il lui aura prêté (1). » (I) Proy. 19, 17.

    « Esprit divin, père des lumières, s'écrie saint Chrysostome, faites-nous comprendre comment celui qui est tout-puissant, qui a revêtu les cieux de clarté et les astres de lumière, peut se trouver lui-même dans la personne du pauvre. Faites-nous comprendre comment celui qui nourrit et sustente toutes les créatures, qui ne laisse pas mourir de besoin le plus petit des oiseaux, le plus imperceptible des moucherons, souffre la faim dans celui qui n'a rien à manger. Faites-nous comprendre comment celui qui est la source vive de toutes les eaux, qui a fait l'Océan, et qui dirige les pluies, est altéré et brûlant de soif, dans celui que la fièvre dévore.

    Faites-nous comprendre comment Celui pour qui les cieux sont trop étroits, qui remplit l'univers de son immensité, se couvre et se cache sous l'habit d'un mendiant.

    Faites-nous comprendre comment Celui qui possède les mondes, se dépouille de tout et se fait nécessiteux avec les nécessiteux ? comment Celui qui donne aux riches leurs richesses demande un verre d'eau, un morceau de pain, une obole ? comment Celui qui est Dieu et qui, par conséquent, se suffit à lui-même, s'abaisse ainsi pour les pauvres, qu'il n'est pas seulement comme eux, mais qu'il est en eux, pauvre lui-même et dénué de tout ?

    Dites-le nous vous-même, ô Pauvre mystérieux, Fils de Dieu et Fils de l'homme ; oui, dites-nous comment vous vous êtes ainsi transformé ; comment vous avez ainsi confondu et comme incarné les pauvres en vous. Ecoutez comme parle le divin Sauveur, ajoute le même saint. Il ne dit pas : le pauvre a eu faim, et vous m'avez donné du pain ; mais, j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ; le pauvre a eu soif, et vous m'avez donné de l'eau ; mais, j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire.

    Quel prodige ! un Dieu proclame qu'il a reçu lui-même ce qui a été donné aux pauvres ; qu'il a mangé ce que le pauvre a mangé ; qu'il a bu de sa propre bouche ce que le pauvre a bu de la sienne. C'est trop, ajoute le même saint, oui c'est trop que le pain grossier que nous donnons aux pauvres devienne le pain d'un Homme-Dieu ; c'est trop qu'un verre d'eau ordinaire que nous donnons à un malheureux puisse désaltérer le Fils unique de Dieu. »

    Il y a quelque chose de plus surprenant encore, c'est qu'au dernier jour du monde, le souverain Juge des vivants et des morts avouera ses dettes en présence des anges et de toutes les générations humaines rassemblées à ses pieds, et reconnaîtra solennellement qu'il nous est redevable de tout ce que nous avons fait pour les pauvres. Il oubliera, pour ainsi dire, toutes les autres vertus des justes, pour ne se souvenir que de leur charité.

    Puisque la parole de notre adorable Sauveur est infaillible, et qu'il s'est engagé formellement vis-àvis de celui qui fait l'aumône, nous pouvons être assurés qu'il ne manquera pas à sa parole et qu'il tiendra ses engagements. Faisons donc des œuvres de miséricorde en faveur des âmes du purgatoire, et réclamons ensuite avec confiance ce que Jésus a promis de nous donner, ce qu'il nous doit en quelque sorte. Disons avec une respectueuse liberté à notre divin Sauveur : « Seigneur, j'ai exercé en votre nom la miséricorde envers le pauvre qui implorait ma pitié ; accomplissez votre promesse, faites aujourd'hui vous-même miséricorde à cet autre pauvre, à un pauvre du purgatoire en faveur duquel j'implore la vôtre. J'ai partagé mon pain avec celui qui avait faim ; j'ai donné à boire à celui qui avait soif, et puisque vous avez dit : Ce que vous avez fait aux miens, vous l'avez fait à moi-même, acquittez votre dette en admettant à votre table éternelle les âmes qui me sont chères et que la soif de vous posséder dévore. Nous verrons dans le chapitre suivant comment nous devons faire l'aumône pour qu'elle soit utile aux âmes du purgatoire.

    PRIÈRE.

    Vous êtes ma miséricorde, ô mon Dieu, s'écriait le Roi-Prophète transporté de reconnaissance au souvenir de vos bontés. Souffrez, ô mon Sauveur, que j'emprunte ce cri de son cœur, et qu'en souvenir de tout ce que vous avez fait pour moi, je répète après lui : Vous êtes ma miséricorde, ô Dieu sauveur. Oui vous êtes ma miséricorde dans l'étable de Bethléem où vous naissez pour me sauver ; vous êtes ma miséricorde dans votre vie cachée, dans votre vie publique, où vous m'instruisez et par vos exemples et par vos leçons ; vous êtes ma miséricorde sur la croix, où vous mourez pour me racheter ; vous êtes enfin ma miséricorde, dans votre Eucharistie, où vous me faites la magnifique aumône de vous-même, où vous nourrissez mon âme de votre chair adorable, où vous la lavez de votre sang et couvrez sa misère du riche manteau de vos mérites. Mais si vous êtes ma miséricorde, ô mon Jésus, vous voulez qu'à mon tour je sois miséricordieux envers mes frères, et que je rende dans la personne des pauvres, qui sont vos membres souffrants, ce que vous faites pour moi. Plein de foi en vos paroles, désormais, ô mon Sauveur, je ne verrai plus que votre personne adorable cachée sous celle de l'indigent qui implorera ma pitié. Je déposerai avec respect mon aumône dans la main qu'il me tendra, pensant que c'est à vous que je donne ; je m'estimerai heureux d'apaiser votre faim, d'étancher votre soif dans la sienne et d'essuyer vos larmes en essuyant celles que je lui verrai répandre. Mais, ô mon Dieu, ma charité ne se bornera pas aux vivants ; je veux qu'elle s'étende jusqu'aux morts, et que ce que je ferai pour les pauvres de la terre soit fait en faveur des pauvres de l'éternité, et porte aux saintes âmes du purgatoire le soulagement et la consolation, en attirant sur elles l'effusion de votre miséricorde. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    Un ouvrier napolitain qui avait grand mal à subvenir aux nécessités de sa famille fut emprisonné pour dettes, laissant la charge de ses petits enfants à sa malheureuse femme, qui n'avait d'autres ressources que le travail de ses mains et sa confiance en Dieu. Elle conjurait avec foi la divine Providence de lui venir en aide et surtout de délivrer son mari. Ayant appris qu'il y avait dans la ville un seigneur de grande charité, elle se hasarda de lui envoyer une supplique ; mais elle n'en reçut qu'une légère aumône, un carlin, pièce du pays qui vaut un peu moins de 50 centimes. Désolée, elle entre dans une église pour supplier le Dieu des indigents de la protéger dans sa détresse ; tout à coup il lui vient à la pensée d'intéresser à sa situation les âmes du purgatoire. Presque consolée, elle entre à la sacristie, offre sa petite pièce et demande une messe des morts. Un bon prêtre qui était là s'empresse de la satisfaire, et monte à l'autel en son nom pendant qu'elle prie prosternée sur le pavé.

    Elle sort presque sûre qu'elle sera exaucée, et elle se voit abordée par un bon vieillard qui lui demande la cause de sa tristesse. Elle dit tout ; le vieillard se montre touché, lui adresse quelques paroles d'encouragement et lui remet un billet avec ordre de le porter de sa part à une personne qu'il lui désigne. La pauvre femme s'y rend sans tarder, trouve le cavalier et lui fait sa commission Celui-ci ouvrant le papier semble sur le point de se trouver mal ; il a reconnu l'écriture de son père, mort depuis quelque temps déjà... D'où vous vient cette lettre, s'écrie-t-il hors de lui. Monsieur, répond la brave femme, c'est un charitable vieillard qui m'a abordée dans la rue et m'a dit de venir vous voir de sa part. Il avait tels et tels traits, à peu près comme ceux que je vois dans le cadre que vous avez là.

    De plus en plus interdit, le cavalier reprend le billet et lit tout haut : Mon fils, votre père vient de quitter le purgatoire grâce à une messe que la pauvre femme qui vous portera ces lignes a fait célébrer ce matin. Elle est dans une grande nécessité, et je vous la recommande moi-même. Surmontant alors son émotion et s'adressant à la messagère qui attendait craintive : Pauvre mère, lui dit-il, vous avez assuré la félicité de celui qui m'a donné la vie, je veux à mon tour assurer la vôtre. Je me charge de vous et de votre famille : il ne vous manquera rien, j'en fais le serment.

    Comprenons par cet exemple qu'il n'y a pas de petite charité pour les membres de l'Eglise souffrante, et tout ce qu'on fait pour eux attire des miracles de miséricorde.

    (Les Merveilles divines dans les âmes du purgatoire, par le P. G. Rossignoli.)

    PRATIQUE.

    Faire aujourd'hui une aumône en faveur des âmes du purgatoire, qui sont pour nous les pauvres spirituels.

     

    XIXe JOUR

    Suite du même sujet.

    Donnez et on vous donnera.

    On dit avec raison que la clef d'or exerce une bien grande puissance ici-bas ; car avec elle on peut ouvrir les portes de toutes les prisons, de toutes les villes, et trop souvent corrompre les volontés et perdre les âmes. Mais si avec de l'or on peut faire beaucoup de mal, on peut aussi faire beaucoup de bien et en l'offrant à Dieu par les œuvres de la charité, il peut devenir une clef assez puissante pour ouvrir même les portes des prisons où sa justice retient captives les saintes âmes que la mort a surprises avant qu'elles n'aient entièrement acquitté la dette qu'elles ont contractée envers elle.

    Oui l'aumône est un des moyens les plus efficaces que nous puissions employer pour soulager les âmes du purgatoire ; mais pour qu'elle leur soit utile, il faut qu'elle soit faite avec les dispositions qui seules peuvent la rendre agréable à Dieu et lui donner de la valeur et du mérite à ses yeux. Il faut d'abord qu'elle soit faite en état de grâce, car tout ce qui vient d'un mort, dit l'Ecclésiastique, même la louange, est devant Dieu sans valeur (1).

    (1) Eccl. 27, 20.

    Ainsi, comme nous l'avons dit dans le chapitre précédent, le pécheur, en faisant l'aumône, attire sur lui la miséricorde de Dieu ; mais il ne mérite rien, et son action, quelque bonne qu'elle soit en elle-même, est une œuvre morte, n'étant pas vivifiée par la grâce ; et s'il en reçoit une récompense, ce ne peut être qu'une récompense temporelle que Dieu accorde très souvent aux vertus naturelles de ses ennemis.

    Secondement il faut faire l'aumône pour Dieu, pour son amour et non pour soi. Si on la fait pour être vu, pour être loué, glorifié par les hommes, elle n'est plus alors qu'ostentation, que vanité, et n'a ni force ni vertu. Il ne faut pas la faire non plus uniquement par un sentiment de compassion naturelle qui nous émeut à la vue des misères de nos frères et nous porte à les secourir. Sans doute ce sentiment n'est pas répréhensible ; il est l'indice d'un bon cœur ; mais il faut le spiritualiser en y joignant l'intention de plaire à Dieu et en lui offrant même la jouissance qu'il a attachée à l'exercice de la charité.

    Faites l'aumône avec ces dispositions, et vous serez comme cet ange dont saint Jean parle dans l'Apocalypse, qui tenait dans ses mains la clef de l'abîme ; cette clef dans votre main sera l'or, l'argent, le vêtement, le morceau de pain, le verre d'eau froide même que vous donnerez aux pauvres pour l'amour de Dieu ; avec elle vous ouvrirez les portes de l'abime, et vous y irez consoler les saintes âmes qui y gémissent.

    Peut-être même Dieu vous accordera-t-il de faire davantage et se servira-t-il de vous pour délivrer quelques-unes de ces pauvres captives, comme ils se servit autrefois de son ange pour délivrer saint Pierre de la prison d'où il ne devait sortir que pour être conduit à la mort. La mort nous a séparés de parents, d'amis bien chers ; vous les regrettez, vous les pleurez encore, quoique bien des années aient passé sur le jour qui les enleva à votre tendresse. Mais souvenez-vous que si la justice de Dieu les retient encore dans le lieu de l'expiation, ils attendent de vous autre chose que des larmes et de stériles regrets. Prouvez-leur donc votre affection en venant à leur aide d'une manière efficace, et en les aidant à acquitter leurs dettes, et par vos prières, et par vos aumônes. Donnez un morceau de pain à ce pauvre qui a faim, donnez un breuvage rafraîchissant à celui que la fièvre dévore sur son misérable grabat, donnez à cet autre qui tremble de froid auprès de son âtre éteint un peu de bois pour réchauffer ses membres glacés, votre charité attendrira le cœur de Dieu, et peut-être aura-t-elle la force de fléchir sa justice et d'arracher des prisons où elles les retient les âmes que vous avez perdues et que vous pleurez.

    Ici, les personnes peu fortunées, les pauvres s'affligeront peut-être en pensant qu'il n'appartient qu'aux riches de venir au secours de ceux qu'ils ont aimés par d'abondantes aumônes. Ce serait une erreur de le penser, car Dieu ne regarde pas à la quantité et à la qualité de ce que nous lui offrons, mais à l'intention que nous avons de lui être agréable et à l'amour avec lequel nous lui faisons notre don dans la personne du pauvre. Ainsi l'obole que l'indigent donnera à son frère plus indigent encore que lui, pèsera sans doute davantage devant Dieu que la poignée d'or que le riche jettera dans la bourse d'une quêteuse ou d'une sœur de charité, parce que l'un donne de son nécessaire, l'autre ne donne que son superflu, et lors même que la pureté de l'intention serait égale dans tous les deux, l'aumône du pauvre aurait toujours devant Dieu plus de mérite que celle du riche, parce que la privation qu'il s'impose pour la faire en double la valeur.

     

     

    Cette vérité est confirmée par ce trait du saint Evangile. Un jour Jésus se tenait à la porte du temple de Jérusalem, et il considérait la foule des riches qui venaient déposer leurs offrandes dans le tronc. Une pauvre femme s'approcha et y jeta deux petites pièces de monnaie. Jésus s'adressant alors à ses disciples, leur dit : « En vérité, cette pauvre femme a donné plus que tous les autres, car tous les autres ont donné de leur abondance, et elle, elle a donné de son indigence, même tout ce qui lui restait pour vivre. »

    Suivez donc le conseil que Tobie donnait à son fils. « Soyez miséricordieux, lui disait-il, autant que vous pouvez l'être. Si vous avez beaucoup, donnez beaucoup ; si vous avez peu, donnez peu, mais donnez de bon cœur. »

    IIe Point. Ce ne sont pas toujours les personnes les plus favorisées des dons de la fortune qui distribuent de plus abondantes aumônes en faveur de leurs parents décédés. Et cependant c'est pour elles une injustice et une ingratitude de ne pas le faire. C'est une injustice, car les richesses dont elles jouissent, de qui les tiennent-elles ? à qui appartenaient-eiles avant de leur appartenir ? A leurs parents , à leurs bienfaiteurs. La mort les a fait passer dans leurs mains, et aujourd'hui qu'ils sont dénués de tout, et dans l'impossibilité de faire les bonnes œuvres, les aumônes qu'ils ont peut-être négligé de faire pendant leur vie ; aujourd'hui que du fond de leurs brûlants cachots, ils demandent en gémissant à ceux auxquels ils ont laissé leur bien, de les secourir en en versant une faible partie dans le sein des pauvres, n'est-ce pas une injustice et une véritable cruauté de la part de ceux-là s'ils négligent de le faire ?

     

     

    Ce n'est pas seulement une injustice, c'est encore une ingratitude. En effet, cette fortune dont jouit ce jeune homme, cette jeune personne, peut-être leur a-t-elle été acquise au prix des labeurs, des veilles, des sueurs d'un père qui s'oubliait pour leur assurer ce qu'on appelle dans le monde un heureux, un brillant avenir. Peut-être la doivent-ils encore à l'ordre, à l'économie d'une tendre mère qui, pour leur assurer plus d'aisance, s'est condamnée à toutes les privations, à tous les sacrifices : et maintenant ils jouissent de ces biens si péniblement acquis, ils les prodiguent pour satisfaire à tous les caprices du luxe et de la mode ; ils vivent dans les délices, sans penser que ceux auxquels ils doivent leur bien-être sont en proie à de continuelles souffrances, qu'ils pourraient adoucir et même faire cesser entièrement en donnant aux pauvres en leur nom une faible partie des sommes qu'ils dépensent en inutilités et en caprices.

    Ah ! si Dieu permettait qu'ils entendissent les plaintes déchirantes de ceux qu'ils abandonnent ainsi, les supplications qu'ils leur adressent au milieu des flammes qui les dévorent, sans doute leurs cœurs seraient attendris, et ils rougiraient d'une ingratitude dont ils-ne se croient pas coupables, parce que les pensées de la foi ne leur sont pas habituelles, et qu'elles sont étouffées en eux par le bruit du monde, par ses plaisirs et les préoccupations des choses de la terre.

     

     

    Prêtons-donc notre voix à ces âmes délaissées, oubliées peut-être de ceux qu'elles ont tant aimés, et puissent les plaintes que nous leur adressons en leur nom toucher leurs cœurs et les porter à les secourir.

    Ne viendrez-vous pas à notre aide, ô vous que nous chérissons, que nous avons entourés pendant tant d'années des soins les plus tendres, de l'amour le plus généreux ; le plus dévoué. Vous, qui nous aimiez aussi et qui tant de fois avez protesté de votre reconnaissance et de votre dévouement, hélas ! la mort nous a-t-elle donc si vite effacés de votre souvenir ? N'avez-vous plus pour nous ni amour, ni reconnaissance, et notre pensée ne dit-elle donc plus rien à votre cœur, n'y fait-elle plus vibrer aucune fibre de tendresse ? 0 mon fils, souvenez-vous de votre père, de mes travaux, de mes sacrifices, de tout ce que j'ai fait pour vous amasser la fortune dont vous jouissez maintenant. C'est pour vous que je me suis consumé de veilles et de labeurs, j'ai tout fait pour vous assurer l'aisance, le bien-être, et vous m'oubliez, et vous me laissez en proie aux plus cruelles douleurs ; vous vivez dans les délices et je suis dans les tourments. Ingrat, n'est-ce pas de moi que vous tenez tous ces biens, toutes ces richesses que vous dissipez avec une aveugle prodigalité ? N'est-ce pas de moi que vous tenez ces maisons, ces terres dont vous employez les revenus à contenter vos désirs les plus insensés ? Ah ! si vous aviez employé à soulager les pauvres un peu de cet or que vous dissipez si follement, il y a longtemps, peut-être, que mes tourments auraient cessé ; mais, hélas ! vous m'oubliez ; le fils vit dans les plaisirs, le père est dans la douleur ; et pour calmer la douleur du père, le fils ne sacrifierait pas le moindre de ses plaisirs.

     

     

    0 ma fille, s'écrie d'un autre côté une de ces âmes infortunées, toi que j'ai tant aimée, aie pitié de ta mère, souviens-toi des soins dont j'ai entouré ton enfance, de mon dévouement, de ma sollicitude pour éloigner de toi la plus légère souffrance, pour calmer tes moindres douleurs. Hélas ! tu ne songes qu'à satisfaire ta vanité, tu te couvres des plus riches vêtements, et ta mère est enveloppée de flammes qui la dévorent et qui la brûlent. Ingrate, tu sacrifies des sommes énormes pour contenter les caprices d'une vanité toujours croissante, d'un luxe ruineux, et tu crains de donner aux pauvres quelques pièces d'or pour ouvrir le ciel à ta mère. Mon Dieu, quel douloureux contraste ! Ma fille est couronnée de fleurs, et je suis plongée dans un abîme de feu ; et pour éteindre ce feu qui me dévore, ma fille ne sacrifierait-elle donc pas une seule des fleurs dont elle orne sa tête, une de ces bagatelles auxquelles elle attache plus de prix qu'au bonheur de sa mère.

    Imprudents que nous avons été, disent encore ces pauvres âmes abandonnées, si nous vous avions moins aimés, si nous eussions été moins préoccupés de nos intérêts temporels, nous n'en serions pas réduits à implorer vainement votre pitié. Oh ! que nous eussions été plus sages de faire nous-mêmes d'abondantes aumônes, et de distribuer aux pauvres une partie des biens que nous vous avons laissés, aujourd'hui nous ne pouvons plus rien, nous comptions sur vous ; hélas ! nous sommes-nous donc trompés ?

    Non, non, âmes suppliantes, vous ne serez pas trompées. Vos enfants, vos amis entendront vos justes plaintes, s'attendriront sur vos douleurs ; ils n'y sont insensibles que parce qu'elles ne frappent pas leurs yeux ; désormais ils ne seront plus ingrats, et par leur charité, par leurs aumônes, ils s'efforceront d'adoucir vos souffrances et d'y mettre un terme.

    PRIÈRE.

    Dieu de bonté et de clémence, qui avez donné à l'aumône le pouvoir de fléchir votre justice et d'attirer votre miséricorde sur nous et sur ceux que nous aimons, vous qui avez voulu qu'elle soit utile, non seulement aux vivants, mais encore aux morts, qu'elle puisse couvrir la multitude de nos péchés et acquitter les dettes de ceux que nous pleurons. Soyez béni, Seigneur, d'avoir mis en notre pouvoir un moyen si facile et si doux de leur venir en aide. Si jusqu'à présent nous-avons négligé de l'employer, nous rougissons de notre ingratitude, et nous prenons à vos pieds, ô mon Dieu, la ferme résolution de la réparer en donnant selon nos moyens. Si nous avons beaucoup, nous verserons dans le sein du pauvre d'abondantes aumônes. Si nous avons peu, nous donnerons peu, mais nous donnerons de bon cœur, avec joie et pour votre amour, nous nous estimerons heureux de nous imposer quelques privations pour augmenter la somme de nos aumônes, en pensant qu'elles seront d'autant plus agréables et utiles à nos chers trépassés, qu'au mérite de la charité se joindra celui du sacrifice. Daignez, ô mon Dieu, bénir ces résolutions, et nous accorder la grâce de les accomplir avec fidélité. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    Denis le Chartreux raconte avoir assisté à la mort d'un jeune novice de la Chartreuse de Ruremonde, qui, averti de songer à son éternité, manifesta une grande terreur.

    Il regrettait surtout d'avoir négligé la récitation de deux psautiers dont il avait contracté l'obligation ; il craignait d'avoir à expier sa négligence par un long et rigoureux purgatoire. Denis releva sa confiance en lui promettant de s'acquitter luimême de ce vœu en son nom.

    Le novice mourut ; mais Denis, qui était supérieur de la communauté, se trouvant encombré d'affaires, oublia bientôt sa promesse. Dieu permit alors à l'âme du novice de venir lui rappeler son engagement.

    Triste, désolée, elle lui apparut, lui disant avec un profond soupir : « Miserere mei. Mon Père, ayez enfin pitié de moi, je vous en conjure. » Denis, confus et ému, crut pouvoir rejeter son oubli involontaire sur la multiplicité de ses occupations : n'est pas, lui dit-il, non ce n'est pas avec préméditation que j'ai omis ces deux psautiers. » « Ah ! s'écria le novice en l'interrompant ; ah ! mon Père, si vous enduriez la millième partie de mes tourments, vous n'admettriez pas plus que moi d'excuses, aucune raison ne vous paraîtrait légitime, vous ne différeriez pas même d'une minute, personne ne sait ce que c'est que souffrir en purgatoire. » (Les Saintes Ames du purg. connues, aimees et soulagées, par un religieux de Notre-Dame de la Trappe.)

    PRATIQUE,

    Se priver de faire l'achat de quelque objet qui ferait plaisir, et en donner le prix aux pauvres en faveur des âmes du purgatoire.

     

    XXe JOUR

    Troisième moyen de soulager les âmes du purgatoire. La souffrance.

    Heureux ceux qui souffrent.

    Ier Point. Il est un moyen de secourir les âmes du purgatoire qui n'est pas moins puissant que celui de l'aumône et que Dieu a mis à la portée de tous, du pauvre comme du riche, du petit comme du grand ; ce moyen est la souffrance ; et quel est celui qui n'a rien à souffrir ici-cas ? Quel est celui qui soit à l'abri des douleurs physiques ou des douleurs morales ? Hélas ! la souffrance est universelle, elle s'attache à tous les corps, elle pénètre dans toutes les âmes, elle torture tous les cœurs. Le riche, sous les lambris dorés de sa somptueuse demeure, n'est pas plus à l'abri de ses atteintes que le pauvre sous son toit de chaume ; elle s'attache à l'enfant et au jeune homme, à l'homme fait comme au vieillard. Personne ne peut se soustraire à ses atteintes, parce que c'est par elle que Dieu purifie le monde et qu'il sauve les âmes ; mais dans son immense amour, ce Dieu de bonté veut que rien ne nous soit aussi salutaire, aussi réellement utile que les afflictions, les épreuves auxquelles il ne nous soumet jamais que dans des vues de miséricorde sur nous.

    Nos souffrances, nos peines soit de corps, soit de cœur, sont pour nous des occasions de mérites que nous serions bien coupables de perdre par nos impatiences, nos plaintes et nos murmures contre la Providence. Chaque jour nous pouvons acquérir de nouveaux trésors pour le ciel, augmenter la somme de bonheur qui nous y est réservée, car c'est tous les jours que nous avons à souffrir quelques peines, soit dans le corps, soit dans l'âme. Mais la souffrance n'est pas seulement méritoire, elle est aussi satisfactoire ; elle sert à l'expiation de nos fautes, si nous l'acceptons avec résignation et si nous la supportons avec patience.

    Le mérite de la souffrance comme celui de toutes les bonnes œuvres que nous pouvons faire nous est personnel, il est incommunicable, et Dieu n'a pas permis que nous puissions nous en dépouiller en faveur de personne, parce qu'il nous est indispensable pour assurer notre bonheur éternel. Le grand apôtre nous dit que chacun moissonnera ce qu'il aura semé, et dans le cinquième chapitre de sa seconde épître aux Corinthiens , il dit : « Il faut que nous comparaissions tous devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive la récompense ou le châtiment, selon qu'il aura fait le bien ou le mal pendant qu'il était revêtu de son corps. » C'est donc une vérité de foi que nous ne serons admis à la gloire du ciel que d'après nos mérites seulement, et non pas d'après les mérites d'autrui.

    Nos souffrances, nous l'avons dit, ne sont pas seulement méritoires, elles sont aussi essentiellement satisfactoires. La satisfaction nous, sommes libres de la conserver pour nous-même et de l'offrir à Dieu pour nos propres péchés, mais nous pouvons aussi la transporter à un autre pourvu que l'âme en faveur de laquelle nous nous en désaisissons soit en état de grâce. Or, les âmes du purgatoire sont dans cette condition ; non-seulement elles possèdent la grâce de Dieu, mais elles y sont confirmées, elles ne peuvent plus la perdre, c'est encore là un article de notre foi. Nous pouvons donc transporter à ces saintes âmes nos satisfactions, et payer les dettes qu'elles ont contractées envers la justice de Dieu ; si nous le faisons nous brisons les liens qui les retiennent en purgatoire, et nous leur ouvrons les portes du ciel auquel elles aspirent avec tant d'ardeur.

    Mais n'oublions pas que pour que nos souffrances soient méritoires pour nous et qu'elles soient satisfactoires, soit pour nous, soit pour les autres, il est nécessaire que nous soyons en état de grâce, car dans l'état du péché mortel il est impossible de mériter et de satisfaire à la justice de Dieu pour soi-même, et bien moins encore pour les autres. C'est là la doctrine de saint Thomas. Quel malheur ne serait-ce pas pour nous de perdre par notre faute le mérite de tant de souffrances, de tant de sacrifices qui sont inévitables dans la vie et qui, supportés avec résignation, accomplis avec courage, nous font acquérir d'immenses trésors pour le ciel si nous sommes en état de grâce, et peuvent même nous en ouvrir les portes aussitôt après notre mort, si nous les supportons avec une parfaite conformité à la volonté de Dieu qui nous les impose.

    Oh ! qu'il est triste de penser qu'une multitude de pauvres pécheurs dont la vie n'est pas plus à l'abri que celle des justes, des souffrances, des épreuves et des afflictions, en perdent absolument tout le mérite, parce qu'ils vivent dans l'inimitié de Dieu. Quelles que soient leurs douleurs, leurs peines soit morales, soit physiques, aucune d'elles ne leur sera jamais comptés, tout est perdu, tout est inutile pour eux, et les souffrances qu'ils endurent en ce monde ne les exempteront pas de celles que la justice de Dieu leur infligera dans l'autre. Demandons donc à Dieu, qui ne les éprouve que dans sa miséricorde, et que pour les forcer en quelque sorte à revenir à lui, de dessiller leurs yeux, de toucher leurs cœurs et de leur faire comprendre au plus tôt le tort irréparable qu'ils font à leur âme.

     

     

    Quant à ceux qui ont le bonheur de posséder la grâce de Dieu, qu'ils la conservent avec soin, qu'ils se réjouissent dans leurs souffrances en pensant à la magnifique récompense qui en sera le prix, et qu'ils ne laissent rien perdre des précieux trésors que Dieu met chaque jour entre leurs mains.

    IIe Point. Lorsque nous possédons la grâce de Dieu, nous pouvons, comme nous venons de le dire, satisfaire à la justice de Dieu pour les âmes du purgatoire par nos souffrances, soit que nous nous en imposions de volontaires, soit que nous offrions en leur faveur celles que la Providence nous ménage. Les souffrances volontaires que nous pouvons nous imposer et offrir à Dieu à leur intention, sont le jeûne et toutes les pratiques de pénitence autorisées par l'Eglise. Si nous n'avons pas le courage de nous astreindre à des pratiques de pénitence que notre lâcheté nous fait ordinairement regarder comme au-dessus de nos forces, ayons au moins le courage d'accomplir celles qui nous sont imposées par l'Eglise et qui, par là même, sont obligatoires pour nous, à moins que de graves motifs de santé ne nous en dispensent.

     

     

    Mais si nous n'avons pas la force de jeûner et de pratiquer aucune austérité en faveur des âmes du purgatoire, quel est celui qui peut dire qu'il n'a pas la force de pratiquer pour elles le jeûne spirituel et de s'imposer en leur faveur quelques petites mortifications, quelques légers sacrifices. Ainsi vous ne pouvez pas jeûner ; mais vous pouvez dans un repas vous priver d'un mets qui flatterait votre goût et votre sensualité. Vous ne pouvez pas vous livrer à des veilles qui altéreraient votre santé, mais si vous êtes parfois privé de sommeil vous pouvez offrir à Dieu vos insomnies pour ces saintes âmes, vous pouvez vous priver pour elles de la vue des objets qui satisferaient votre curiosité, faire le sacrifice d'une lecture qui vous ferait plaisir, d'un concert qui charmerait vos oreilles. Enfin, vous pouvez pardonner une injure, vous en venger par un bienfait. Toutes ces choses sont faciles, il ne faut qu'un peu de bonne volonté pour les faire, et toutes cependant sont de véritables moyens de satisfaire à la justice de Dieu pour les âmes qui nous sont chères.

    Si ce moyen de soulager les âmes du purgatoire est encore au-dessus de votre courage, la Providence vous en fournit d'autres auquels il n'est pas en notre pouvoir d'échapper, et que nous serions inexcusables de laisser perdre, et pour nous et pour les autres. Ces moyens, nous l'avons déjà dit, sont les souffrances qui ne sont pas de notre choix et qui, par cela même, n'en sont que plus méritoires. Ce sont les afflictions, les épreuves, les peines de corps et de cœur, inévitables dans la vie. Hélas ! nous le savons, on en trouve partout, dans tous les états, dans toutes les conditions ; tantôt l'épreuve descend du ciel, tantôt elle monte de l'enfer. Dieu nous l'envoie, ou bien il permet à l'esprit du mal de nous éprouver par la tentation. Non, non, les occasions de souffrir ne nous manquent pas, c'est nous qui manquons d'en faire un saint usage et qui, par nos impatiences, par nos murmures, abusons d'une des plus précieuses grâces que Dieu nous accorde pour notre salut.

     

     

    Tout est tour à tour pour nous une occasion de souffrances. Tantôt nous souffrons dans notre esprit, qui est sans cesse ballotté par les vagues toujours flottantes de nos pensées, pensées que nous devons souvent combattre pour échapper au mal, et qui parfois nous poursuivent avec d'autant plus d'acharnement et de persistance, que nous les repoussons avec plus de force et de constance. D'autres fois ce sont des pensées tristes qui portent le trouble dans notre imagination, le découragement et l'abattement dans notre âme. Nous souffrons également du changement bizarre de nos désirs, de l'inconstance de notre volonté, des ténèbres qui si souvent obscurcissent notre intelligence.

    A combien de douleurs notre corps n'est-il pas sujet ? à combien de misères, d'infirmités, nos sens, dont chacun nous est si précieux, ne sont-ils pas exposés ? Nous pouvons perdre la vue, l'ouïe ; nous sommes tantôt péniblement affectés par les répugnances de l'odorat, par celles du goût, par les impressions douloureuses de l'attouchement ; puis, en avançant dans la vie, nos forces s'épuisent, notre vigueur s'éteint, nous décroissons, nous vieillissons, et notre corps ressemble à une mine dont chaque jour fait tomber une pierre, jusqu'à ce que le souffle de la mort le renverse entièrement. Enfin nous avons encore à souffrir de l'inclémence des saisons, de la rigueur du froid, ou des brûlantes chaleurs de l'été ; nous sommes exposés aux orages, aux désastres par le désordre des éléments, en un mot à tous les maux que peuvent subir des êtres mortels et corruptibles. *

     

     

    Notre vie sur la terre, on peut le dire avec vérité, n'est qu'une longue et continuelle douleur. Devons-nous nous en plaindre ? Non, puisque toutes nos peines peuvent devenir pour nous, si nous le voulons, des sources de mérites et de vertus que Dieu couronnera un jour de sa gloire et de sa propre félicité.

    Toute notre vie est une souffrance ; mais sachons faire de cette souffrance un moyen de salut pour nous et pour les autres ; servons-nous-en pour soulager la plus cruelle de toutes les douleurs, celle que subissent les saintes âmes du purgatoire. La faim, la soif, le froid, le chaud, les travaux, la lassitude, les maladies nous font tour à tour sentir leurs douloureuses atteintes ; jetons tout cela dans l'un des plateaux de la balance de la justice de Dieu, et mettons dans l'autre les âmes de nos morts ; nos souffrances l'emporteront, et de plus, par le même mouvement, elles élèveront au ciel les âmes que nous aimons.

    Mais surtout n'oublions pas que le chrétien en état de grâce est un membre vivant de Jésus-Christ qui lui communique son esprit et sa vie. Celui qui demeure dans mon amour, dit le Sauveur, demeure en moi et je demeure en lui. D'après cela, nos souffrances, nos bonnes œuvres ne doivent plus être considérées comme des œuvres humaines ; il faut les regarder comme divinisées par l'influence de Jésus-Christ, qui souffre et agit alors en nous, et ces souffrances et ces œuvres, qui, par leur union avec celles de notre adorable Sauveur, deviennent en quelque sorte les siennes, ne nous méritent pas seulement une éternelle participation à la gloire de Dieu, elles acquièrent encore une vertu capable de satisfaire à sa justice, soit pour nous, soit pour les autres.

    PRIÈRE.

    Soyez béni, ô mon Dieu, qui avez voulu que les souffrances, que les peines incessantes dont notre vie est semée deviennent pour nous une source si abondante de mérites et un moyen de satisfaire à votre justice pour les âmes que nous aimons. Désormais, ô mon Dieu, loin de nous plaindre de la pesanteur de nos croix, de la multiplicité de nos afflictions, de la longueur de nos infirmités, nous les regarderons comme des marques de votre amour, comme des grâces de choix et un signe de prédestination ; loin d'en murmurer, nous les supporterons avec patience, avec résignation, heureux si à l'aide de votre grâce nous pouvions arriver à les aimer et à les supporter avec joie. Nous les unirons toujours à celles de notre divin Sauveur, puisque cette union seule peut les rendre méritoires, et nous vous supplierons de les accepter pour l'expiation des âmes qui nous sont si chères et qui n'ont pas encore acquitté tout ce qu'elles doivent à votre justice. Daignez , Seigneur, abaisser sur nous et sur les âmes pour lesquelles nous vous offrons nos souffrances, un regard de miséricorde. Ainsi soit-il.


    EXEMPLE.

    On lit dans les Annales de la Visitation, de Dijon, le trait suivant :

    La sœur Marie-Bernarde Chicolier, qui s'est élevée à une si haute sainteté, fut prévenue, dès ses jeunes années, de grâces particulières ; elle conçut de bonne heure le dessein de se consacrer à Dieu. Elle fut admise au saint habit et à la sainte profession sous le gouvernement de notre mère Anne-Liduvine Boulier. La mère Chahu, qui lui succéda, soutint cette chère sœur au milieu des grandes épreuves par lesquelles il plut au Seigneur de la faire passer. En effet, Dieu imprima dans son cœur l'horreur la plus vive pour les moindres imperfections, en permettant qu'une âme du purgatoire lui apparût et lui fût en quelque sorte toujours présente. Notre mère, à qui cette chère sœur découvrit ce qu'elle souffrait, la fit examiner par M. Chaudot, notre supérieur, et par le R. P. Jaquinot, provincial de la Compagnie de Jésus, lesquels jugèrent, après un sérieux examen, qu'il n'y avait en cela ni illusion ni imagination. Il fut donc décidé que la communauté ferait célébrer un grand nombre de messes et réciterait tous les jours un De profundis pour le repos de cette àme, et que la sœur Chicolier aurait la liberté de faire des pénitences particulières à cette intention. Cette chère sœur pratiqua de grandes austérités, offrant d'ailleurs pour cette àme toutes ses bonnes œuvres, qui étaient en grand nombre, et ne se permettant pas un seul mouvement naturel ni la plus légère satisfaction. Le prêtre chargé de célébrer les messes était un religieux capucin d'une grande sainteté, qui ignorait complétement ce qui s'était passé. Il vint un jour trouver notre mère Ghahu, et l'assura que l'âme pour laquelle elle faisait prier depuis longtemps était entrée en possession de la gloire du ciel. (Mois consolateur des âmes du purgatoire, par le R. P. Huguet.)

    PRATIQUE.

    0ffrir aujourd'hui toutes nos peines, soit de corps, soit de cœur ou d'esprit, pour le soulagement des âmes du purgatoire.

     

    XXIe JOUR

    Quatrième moyen de soulager les âmes du purgatoire : La sainte Communion.

    Celui qui mange ma chair a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour.

    Ier Point. Pendant le cours de leur pèlerinage ici-bas, les parents, les amis qui nous ont précédés dans l'éternité se sont assis comme nous et peut-être souvent avec nous au banquet divin de l'Eucharistie. Le pain sacré que Jésus, dans son immense amour, leur a donné comme il nous le donne à nous-méme, a été pour leur âme un gage de vie et d'immortalité, et à leurs derniers jours, ce viatique céleste est venu les fortifier dans le passage du temps à l'éternité, leur assurer la victoire dans le dernier combat et déposer dans ces corps, dans lesquels la vie s'éteignait sous les douloureuses étreintes de la mort, le germe de cette glorieuse immortalité, fleur divine qui a ses racines dans le corps glorifié de Jésus ressuscité, et qui, au dernier jour du monde, s'épanouira dans une magnifique floraison en chacun de ses élus.

    Ce pain de vie qui a fait les délices de quelques unes de ces saintes âmes, est refusé maintenant à leurs désirs, à leur sainte avidité, Cette manne céleste ne tombe pas sur la terre de feu qu'elles habitent, et l'éternelle communion du ciel est la seule qui puisse maintenant avoir lieu pour elles. 0h ! avec quelle ardeur, quelle sainte impatience elles la désirent et elles l'attendent. Les désirs les plus vifs, les plus brûlants des saints qui ont été les plus saintement passionnés pour la sainte Eucharistie, les langueurs, les amoureuses défaillances que leur causait la privation de cet aliment divin ne peuvent nous donner qu'une imparfaite idée de la vivacité, de l'ardeur avec laquelle ces pauvres exilées du ciel soupirent après le moment où elles seront pour toujours unies à ce Dieu si bon de l'Eucharistie, qui leur a si souvent laissé entrevoir ses amabilités dans le sacrement de son amour ; et qui va bientôt leur permettre de s'abreuver au torrent de délices dont sa bonté leur a laissé parfois entrevoir les inénarrables voluptés.

    Cette table eucharistique, où il n'est plus permis à ces âmes élues de venir prendre place, est encore dressée pour nous. L'amour de notre divin Sauveur nous invite à venir nous y asseoir ; il nous presse de lui ouvrir l'entrée de nos cœurs et de le laisser venir à nous pour nous communiquer sa vie, sa force, ses lumières, pour nous combler de ses grâces et de ses consolations. Puis, dans son infinie bonté, il veut encore que nous puissions faire participer les âmes des fidèles défunts aux grâces qu'il répand alors sur nous avec tant de libéralité, et que la sainte communion soit encore pour nous un moyen puissant et efficace de les soulager. Il y a, il est vrai, dans la sainte communion des grâces qui sont personnelles à celui qui la fait et auxquelles il ne peut faire participer ni les vivants ni les morts. Ainsi la communion est la nourriture de notre âme ; elle la soutient, la fortifie, la fait croître en vertu, conserve et augmente en elle la vie de la grâce. Or il est certain que la nourriture ne peut profiter qu'à celui qui la prend ; la communion ne peut donc produire tous ses effets que dans celui qui la reçoit.

    La communion produit encore dans celui qui la reçoit avec les dispositions nécessaires d'autres effets non moins précieux. Elle lui donne les grâces actuelles dont il a besoin pour faire le bien et pour éviter le mal ; elle lui remet les fautes vénielles qu'il aurait omis de confesser ; elle lui remet enfin la peine, ou une partie de la peine temporelle qu'il a pu encourir par ses péchés. Or aucun de ces admirables effets ne peut être transféré à un autre ; ils sont personnels, et il est facile de le prouver.

    Ainsi la grâce sanctifiante ne peut se transporter à un autre, parce que c'est un don personnel qui demeure dans l'âme de celui qui la mérite et qui la reçoit.

    Il en est de même des lumières et des pieuses inspirations que nous appelons grâces actuelles, parce que Dieu nous les accorde spécialement pour nous et qu'elles viennent en certains temps, en certains lieux, en certaines circonstances, comme les suites et le fruit de la communion que nous avons eu le bonheur de faire, et comme le complément de la grâce sanctifiante que cette communion a fortifiée et augmentée en nous.

    Le troisième effet, qui est la rémission des péchés véniels, ne peut pas non plus être appliqué aux âmes du purgatoire, car ces âmes sont sans péché ; elles ont seulement à subir les peines qu'elles ont encourues par leurs péchés, qui leur ont été pardonnés pendant qu'elles étaient encore sur la terre.

    Pour la remise des peines temporelles accordée par la communion, elle ne peut pas davantage être concédée. Saint Thomas en donne deux raisons. La première, c'est que l'Eucharistie, en tant que sacrement, n'a point été instituée pour remettre les peines temporelles aux personnes qui ne s'en approchent pas. La seconde est que tout ce qui se donne par les sacrements, en vertu et par la force de ces sacrements, est personnel aux âmes qui les reçoivent, Nous ne pouvons céder à autrui que ce que nous sommes libres de donner.

    Mais il y a une autre manière d evisager la communion, et c'est dans ce second sens qu'elle peut être profitable aux âmes du purgatoire. 0n peut considérer la communion par rapport à la personne qui la fait, et alors elle est une œuvre véritablement satisfactoire ; rien n'est plus facile à prouver.

    Il y a parmi les théologiens, sur le principe de la satisfaction en général, deux opinions. Les uns disent que la bonté de l'œuvre suffit pour la rendre satisfactoire, bien qu'elle soit facile à faire. Autrement, toutes les actions que la sainte Vierge et les saints ont faites avec tant de consolations et de douceurs n'auraient pas été satisfactoires, l'exercice de la charité, de l'aumône, qui procure à l'âme de si ravissantes jouissances, ne le serait pas non plus, ce qui n'est pas soutenable, d'où nous devons en conclure que la sainte communion, quoiqu'elle soit la plus douce de toutes les actions que nous puissions faire, est néanmoins une œuvre satisfactoire.

    Les autres enseignent que la bonté de l'œuvre est le principe du mérite, et sa difficulté le principe de la satisfaction. Ainsi plus une œuvre est sainte, plus elle est méritoire ; plus elle est difficile, plus elle est satisfactoire. Mais quelque sainte et quelque élevée qu'elle soit, une œuvre est dépourvue de satisfaction si elle se fait sans difficultés. Ces deux opinions viennent à l'appui de ce que je veux prouver. Si la bonté d'une action suffit pour la rendre satisfactoire, la communion l'est essentiellement, car quelle action est meilleure, plus sainte et plus excellente ?

    En suivant la seconde opinion, je dis encore que la communion est satisfactoire, car il ne faut pas la considérer seulement dans la réception dusacrement, qui n'est nullement pénible, mais dans les actes qui la précèdent, qui l'accompagnent et qui la suivent, et qui, par les difficultés qu'ils présentent, deviennent de véritables œuvres satisfactoires. Qui ne conviendra qu'il en coûte pour rentrer en soi-même et sonder les replis de sa conscience ; qu'il en coûte plus encore pour faire l'humble et sincère aveu de ses fautes ; qu'il en coûte enfin pour apporter à cette grande action toutes les dispositions qu'elle demande ?

    IIe Point. Quand nous avons le bonheur de communier, nous sommes unis à Jésus-Christ d'une manière si intime, que chacun de nous peut dire après cette grande action ce que disait l'Apôtre des nations : « Non, ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi. » 0ui, notre adorable Sauveur, qui nous transforme alors en lui, s'empare en quelque sorte de notre vie pour vivre en nous, pour donner à chacune de nos actions un mérite qu'elles ne sauraient avoir par elles-mêmes, et qu'elles tirent uniquement de leur union avec lui. Ainsi, après la sainte communion, nos prières, nos actions de grâces sont les prières, les actions de grâces de Jésus. C'est lui qui prie, qui demande en nous ; nos souffrances sont le complément, la continuation de celles de sa Passion, puisque nous sommes des membres vivants. Enfin nous aimons Dieu en quelque sorte avec le propre cœur de Jésus, avec son amour, car c'est alors surtout qu'il augmente dans nos âmes ce feu sacré qu'il est venu apporter sur la terre, et dont il désire nous voir tous embrasés.

    Après la communion, le Père céleste abaisse sur nous un regard de complaisance ; il ne nous voit plus nous-mêmes, car alors nous disparaissons complétement à ses yeux, cachés sous le riche manteau des mérites de son Fils bien-aimé, et nos prières sont bien plus facilement exaucées dans ce moment que dans tout autre, car comment Dieu pourrait-il rejeter une prière qui est annoncée par la voie de ce fils, objet de ses complaisances et de son amour. 0ui Jésus est alors un même esprit, un même cœur, une même langue avec nous. Il parle en nous, nous parlons en lui, il prie par nous, nous prions par lui, enfin il est entendu de son Père par l'entremise de nos paroles, et nous sommes exaucés par l'entremise de ses mérites.

    Saint Grégoire de Nysse dit de même que lorsqu'une personne a mangé d'un fruit parfumé elle en exhale une odeur douce et agréable ; de même quand nous avons mangé le pain des anges et toutes les délices du ciel, notre bouche en porte le parfum délicieux jusqu'au trône de Dieu. Nous plongeons nos langues dans les plaies adorables du Fils, dit encore saint Cyprien, comment ne toucheraient-elles pas le cœur du Père ?

    Non, il n'est pas possible que le cœur de Dieu ne soit pas touché par les humbles prières que lui adresse une langue encore empourprée du sang de Jésus-Christ, et qu'il n'accorde pas aux âmes du purgatoire la miséricorde qu'elle implore pour elles. Ce sang adorable, dit le grand apôtre, parle plus éloquemment que le sang d'Abel. Le sang d'Abel demandait justice contre son frère, et il l'obtint. Celui de Jésus demande grâce pour les âmes qui lui sont chères, comment ne l'obtiendrait-il pas ? A la voix du sang d'Abel, Dieu fit une action contraire à son inclination naturelle, il châtia un coupable. A la voix du sang de son Fils bien-aimé, il refuserait une grâce qui est si conforme à l'inclination de son infinie miséricorde ! Ah ! ne le croyons pas, et soyons assurés au contraire que chaque goutte de ce sang adorable dont nous sommes couverts après la sainte communion est une voix toute-puissante qui s'élève jusqu'à Dieu et à laquelle son cœur ne résiste jamais.

    Une raison qui doit encore nous engager à communier souvent pour les âmes du purgatoire, c'est que la communion, en augmentant en nous la grâce sanctifiante, nous rend plus agréables à Dieu et donne par là même plus de prix, plus de mérite à ses yeux à toutes les bonnes œuvres que nous lui offrons dans l'intention d'obtenir le soulagement des âmes du purgatoire. Ne refusons donc pas d'employer un moyen si doux et si facile de leur venir en aide, de soulager leurs souffrances et même d'y mettre un terme. Oui, quand Jésus est en nous par son Eucharistie, nous participons en quelque sorte ii sa puissance, et par nos prières nous pouvons alors ouvrir les portes du purgatoire pour en faire sortir les saintes âmes qui y gémissent, ouvrir le ciel pour leur en donner le bonheur et la gloire.

    Si un suppliant veut obtenir d'un prince une faveur qu'il désire ardemment, il s'efforce de le disposer à la lui accorder en lui offrant, s'il le peut, des présents précieux, auxquels il sait qu'il attachera un grand prix. Agissons de même avec Dieu ; après la communion, nous pouvons lui offrir un don qui surpasse en valeur tout ce que nous lui demandons. Ce don est son Fils bien-aimé. Il nous appartient, puisqu'il s'est donné lui-même à nous pour être notre bien, notre propriété, pour- que nous puissions en user comme d'un trésor qui nous appartient. Usons-en donc en faveur des âmes qui nous sont chères, offrons-le à Dieu pour leur rançon, pour le prix de leur délivrance, et disons-lui sans crainte : Mon Dieu, en vous demandant de hâter le bonheur éternel de mon père, de ma mère, de mon enfant, de mon ami, je vous demande une grande grâce ; mais en vous offrant Jésus, je vous offre infiniment plus que je ne vous demande. Je ne vous dis plus, Seigneur, d'oublier les droits de votre justice, puisque Celui que je vous offre les a tous sauvegardés en se faisant lui-même victime pour nos péchés. Ses mérites, son sang, il m'a tout donné en se donnant lui-même à moi par la sainte communion, et je vous l'offre lui-même avec tous les biens que je tiens de sa libéralité pour obtenir la délivrance de ces âmes, qu'il aime plus encore que je ne peux les aimer moi-même.

    Communions donc, communions souvent pour ces âmes tant aimées dont le bonheur nous est cher à l'égal de notre propre bonheur, et bientôt, croyons-le, l'éternelle communion commencera pour elles, et elles iront contempler dans sa gloire celui que nous n'entrevoyons ici-bas qu'à travers les ombres de la foi, ce Jésus qui, après avoir été dans le sacrement de son amour le consolateur des douleurs de notre exil, sera un jour, espérons-le, notre bonheur dans la patrie. Ainsi soit-il.

    PRIÈRE.

    Vous êtes juste, ô mon Dieu, mais votre miséricorde surpasse votre justice, non que vous ne soyez infini dans toutes vos perfections, mais parce que vous retenez toujours les effets de l'une, tandis que vous ne mettez pas de bornes à ceux de l'autre. Vous ne châtiez qu'à regret, vous laissez apercevoir votre amour à travers vos plus terribles rigueurs, et en appesantissant votre bras sur les saintes âmes du purgatoire, vous nous laissez voir que vous désirez avec ardeur que nous venions nous opposer à votre justice et arrêter les coups dont elle les frappe. Oh ! que c'est avec raison, ô mon Dieu, que le prophète Habacuc s'écriait : « Lorsque s'allumera votre colère, vous vous souviendrez de votre miséricorde. » Vous ne sauriez l'oublier celte miséricorde, Seigneur, et si vous blessez d'une main, vous guérissez de l'autre.

    En effet, si votre justice a préparé dans l'autre vie un lieu d'expiation où les âmes les plus saintes doivent se purifier encore avant d'être admises dans votre royaume, vous vous laissez fléchir par nos larmes, et il ne faut souvent qu'un soupir de notre cœur pour que le vôtre leur fasse grâce. Vous retenez ces saintes captives dans un feu qui brûle comme le feu de l'enfer. Mais si nous nous rappelons que Jésus a donné pour elles les larmes de ses yeux, le sang de ses veines, l'eau qui sortit de son divin cœur entr'ouvert sur la croix, ce feu terrible perd ses ardeurs et il s'éteint bientôt. Vous retenez les âmes de nos proches dans les prisons de votre justice, mais vous voulez qu'en mangeant le pain des anges nous puissions leur en ouvrir les portes. Soyez donc béni, ô Père infiniment miséricordieux, et recevez la promesse que je vous fais aujourd'hui de communier souvent en faveur des saintes âmes du purgatoire, afin que vous ne voyiez plus en moi que votre Fils bien-aimé, et que ma voix, couverte par la sienne, parvienne jusqu'à vous et m'obtienne plus sûrement la grâce que je sollicite. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    Un jour, les anges apportèrent une hostie consacrée à la bienheureuse Jeanne-de-la-Croix, religieuse de l'ordre de Saint-François, afin qu'elle communiât pour la délivrance d'un âme qui avait eu une ardente dévotion envers le très-saint Sacrement. Pendant son oraison, la sainte fut ravie en esprit, et demeura quelque temps comme privée de sentiment. Une religieuse était entrée dans la cellule de la bienheureuse, la tira de cette extase par le bruit qu'elle fit en dérangeant un meuble. « Retirez-vous, lui dit vivement Jeanne, et prenez garde de toucher à l'objet qui est posé sur le linge que vous voyez là, car c'est la divine Eucharistie apportée par les anges. — Comment cela peut-il être ? demanda la sœur stupéfaite. Jeanne lui fit part, sous le sceau du secret, de ce gui venait d'arriver. Un pécheur endurci, après avoir longtemps vécu dans la disgrâce de Dieu, venait d'être condamné au feu de l'enfer. Croyant à une conversion sincère, on lui avait donné le saint viatique : et la mort avait surpris cet homme ayant encore la sainte hostie dans la bouche. Les anges, ajouta-t-elle, ne pouvant souffrir une telle profanation, avaient retiré de cette bouche impure la divine hostie et venaient de la lui apporter. De plus, continua Jeanne, ils m'ont ordonnné de communier demain matin en faveur d'une âme du purgatoire ; qui avait une grande dévotion au très-saint Sacrement. Les mêmes anges m'ont avertie de votre présence pour que je vous prévinsse de ne pas toucher à cet adorable objet. Elle communia en effet avec cette hostie, et fut bientôt assurée que l'âme pour laquelle elle avait offert cette communion était montée au ciel.

    PRATIQUE.

    Faire une communion en faveur des âmes du purgatoire et promettre à Dieu d'employer souvent ce moyen de les secourir.

     

    XXI Ie JOUR

    Le saint sacrifice de la Messe, cinquième moyen de soulager les âmes du purgatoire.

    Le sang des boucs et des taureaux, ne vous était plus agréable, et j'ai dit : Me voici, pour accomplir votre volonté.

    Ier Point. « Il y a, dit un pieux auteur, entre le sépulcre et le purgatoire plus d'un rapport mystérieux. Le sépulcre est comme le purgatoire du corps, et le purgatoire est comme le sépulcre de l'âme. Dans le sépulcre, le corps se dissout et se transforme ; dans le purgatoire, l'âme se purifle et se transfigure. Le sépulcre tire vengeance des excès commis par le corps, le purgatoire fait justice des fautes commises par l'âme. Dans le sépulcre le corps attend le signal de la résurrection donné par la trompette des anges, car la trompette sonnera, a dit le grand apôtre, et les morts sortiront de leurs tombeaux. Dans le purgatoire les âmes attendent la résurrection de la bouche des hommes (l). »

    Mais comment pouvons-nous ressusciter ces âmes ? Par la vertu de celui qui a dit : « Je suis la résurrection et la vie. Jésus-Christ est devant un tombeau ; le mort qu'il renferme exhale déjà l'odeur de la putréfaction. Jésus jette un cri, Lazare sort du tombeau, et Lazare est ressussité. Le sang de Jésus-Christ a plus de puissance encore que sa parole ; il ressuscite les âmes ; servons-nous de ce sang adorable par le saint sacrifice de la messe ; et si nous ne ressuscitons pas les saintes âmes du purgatoire à la vie, puisqu'elles la possèdent par la grâce dans laquelle elles sont confirmées, nous les mettrons en possession de la vie bienheureuse, dont celle de la grâce est pour elles le gage certain. »

    De tous les moyens que nous avons indiqués jusqu'ici pour le soulagement des âmes du purgatoire, aucun n'est aussi puissant, aussi efficace que le saint sacrifice de la messe, dont nous allons nous occuper aujourd'hui. C'est un article de notre foi, et pour comprendre la vertu de cet adorable sacrifice, rappelons-nous ce qu'étaient ceux de l'ancienne alliance.

    Il y avait autrefois trois sortes de sacrifices, l'holocauste, le pacifique et le propitiatoire. L'holocauste, dans lequel la victime était entièrement détruite et consumée par le feu, s'offrait pour rendre à Dieu le culte et les adorations qui lui sont dues, et pour reconnaître son souverain domaine sur toutes les créatures. Le pacifique s'offrait, ou en actions de grâces des bienfaits reçus, et il se nommait eucharistique, ou pour demander de nouvelles faveurs, et alors il prenait le nom d'impétratoire. Le sacrifice propitiatoire s'offrait pour apaiser la justice de Dieu et pour obtenir le pardon des péchés commis, en même temps que la rémission des peines qui en sont les suites.

    Le saint sacrifice de la messe est l'unique sacriflce de la loi de grâce, mais il renferme en lui seul la vertu de tous les anciens sacrifices. Non seulement il renferme toutes leurs vertus, mais il les surpasse tous en valeur et en excellence. Qu'étaient, en effet, toutes les victimes offertes à Dieu sous la loi de crainte, en comparaison de l'adorable victime que nous lui offrons aujourd'hui ; quelle valeur pouvait avoir le sang des animaux qui rougissait ces autels, si on le compare au sang divin de la rédemption qui, tous les jours et à chaque instant du jour, coule pour sa gloire et pour notre salut, sur tous les autels du monde catholique. Ah ! tous les anciens sacrifices n'étaient agréés du Seigneur que parce qu'ils étaient la figure du grand sacrifice offert pour la première fois sur le Calvaire, et que l'Eglise continuera à lui offrir jusqu'à la consommation des siècles. Toutes ces victimes égorgées sur ces autels ne pouvaient lui être agréables que parce qu'elles étaient l'image de l'Agneau divin immolé sur l'autel de la croix ; ce n'était qu'en vue de ses mérites que Dieu agréait les adorations des hommes, qu'il abaissait un regard de miséricorde sur la terre, qu'il pardonnait aux coupables, et répandait ses grâces et ses bienfaits sur le genre humain.

    Le saint sacrifice de la messe, qui est le même que celui de la croix, rend à Dieu une gloire infinie, et nous avons raison de dire qu'il renferme en lui seul la vertu de tous les anciens sacrifices. Il procure à Dieu un honneur que les autres ne pouvaient pas lui procurer. Il est, par lui-même, le sacrifice d'actions de grâces par excellence ; seul il a le pouvoir d'attendrir son cœur, de le toucher en notre faveur, de nous obtenir le pardon de nos fautes, et la remise des peines qu'elles nous ont fait encourir. Si le sang des boucs et des taureaux, dit saint Paul, si l'aspersion de l'eau mêlée à la cendre d'une génisse, répandue sur le peuple hébreu, suffisait pour le purifier, à combien plus forte raison le sang de Jésus-Christ, immolé sur nos autels , et présenté à Dieu par celui qui est à la fois prêtre et victime, ne doit-il pas purifier nos âmes. »

    0ui, quelque grandes, quelque nombreuses que soient nos fautes, il ne faut qu'une goutte de ce sang adorable pour les effacer toutes. « Voulez-vous savoir, dit saint Augustin, ce que Dieu peut vous pardonner, voyez ce que Jésus-Christ a donné pour mériter votre pardon. Il a donné tout son sang, et rien dans le ciel, rien sur la terre ne saurait égaler la valeur de ce sang divin. Dieu peut en appeler à sa justice contre nous, il peut réclamer tous ses droits, nous n'avons rien à craindre : le sang de Jésus-Christ est suffisant pour satisfaire à tout et pour acquitter toutes nos dettes.

    Mais notre dette est infinie, nos offenses ont été sans nombre, elles méritent des peines éternelles. Ne craignons rien encore et mettons toute notre confiance dans le sang de l'adorable victime que nous offrons à Dieu pour notre rançon. La vertu de ce sang est toute-puissante, elle est infinie ; une seule goutte suffit pour effacer une multitude de fautes, pour remettre une éternité de peines, et Jésus-Christ nous a prodigué cette divine liqueur, il nous l'a donnée jusqu'à la dernière goutte. Par cette oblation, dit le grand Apôtre, il a consommé la sanctification des âmes pour l'éternité.

    IIe Point. Le saint sacrifice de la messe n'est pas seulement utile aux vivants, il l'est également aux morts, et la voix toute-puissante du sang adorable de la victime sans tache que nous offrons à Dieu, ne s'élève pas seulement vers lui pour lui demander grâce et miséricorde pour les tldèles qui militent encore sur la terre, mais aussi pour les âmes des fidèles trépassés. Ce sang divin se répand sur les uns pour les soutenir et les fortifier dans les combats de la vie présente, pour les laver de leurs souillures, et les préserver d'en contracter de nouvelles. Il descend sur les autres comme une douce rosée qui les rafraîchit en tempérant l'activité des flammes qui les dévorent. Il dépend en quelque sorte de nous de l'y faire descendre non par gouttes , mais par torrents, et alors il ne tempérera pas seulement l'activité du feu qui tourmente ces saintes âmes, il l'éteindra entièrement si nos prières sont assez ferventes pour leur obtenir cette grâce. Le sang de Jésus-Christ, dit saint Bernard, est la vraie clef du paradis.

    Il faut distinguer dans le saint sacrifice de la messe une triple puissance, et d'abord une puissance d'action, c'est-à-dire que cet adorable sacrifice nous communique une grâce spéciale ; cette grâce nous est donnée en proportion des dispositions que nous apportons à la recevoir.

    Les théologiens nous le font entendre, quand ils nous enseignent que la grâce qui vient des sacrements correspond à la dévotion avec laquelle on s'en approche. Ainsi, un homme communie avec un degré de ferveur, il reçoit par la vertu du sacrement un degré de grâce ; il communie avec plusieurs degrés de ferveur, il reçoit plusieurs degrés de grâce ; il communie avec toute la ferveur dont il est capable, il reçoit une grâce qui est en rapport avec les dispositions de son âme.

    La seconde puissance de cet adorable sacrifice est une puissance d'extension, c'est-à-dire que le fruit de la sainte Messe se multiplie selon le nombre des personnes qui y participent. Augmentez ce nombre à l'infini, il se multipliera à l'infini. Ainsi, bien que nous assistions au saint sacrifice avec une multitude de fidèles, nous recevrons la grâce avec autant d'abondance que si nous étions seul à y assister ; les trésors des mérites et du sang de JésusChrist sont inépuisables, tous peuvent y puiser non seulement sans en tarir la source, mais sans même les diminuer. Autrefois les victimes propitiatoires étaient offertes pour tout le peuple, et elles avaient la puissance d'opérer en même temps une multitude d'expiations ; la puissance du saint sacrifice de la Messe n'est pas moindre dans son extension ; elle ne s'étend pas seulement sur ceux qui ont le bonheur d'y assister, mais encore sur ceux qui s'y unissent, et jusqu'aux âmes des fidèles qui ont emporté la grâce de Dieu dans l'éternité, mais auxquelles il reste encore une expiation à subir.

    Enfin, le saint sacrifice de la Messe a une puissance de médiation, il peut tout obtenir de Dieu. Et comment, en effet, Dieu pourrait-il refuser quelque chose à son Fils unique et bien-aimé ? à ce Fils qui s'est rendu obéissant à sa volonté, jusqu'à la mort de la croix ? à ce fils qui s'est anéanti pour le glorifier, et qui, semblable à un agneau, s'est immolé pour son amour.

    « Dans les jours de sa chair, dit le grand apôtre, J.-C. offrant ses supplications et ses prières à son Père, avec des cris et des larmes, a été exaucé à cause de la grandeur de son hommage. Et, en effet, quelle éloquence ne dut pas avoir auprès de Dieu la voix de ce suppliant, couronné d'épines, déchiré de coups, couvert de blessures, et teint de son propre sang, quand dans ce suppliant il reconnaissait son Fils, ce Fils qui lui est égal en toutes choses, fit qu'il engendra de toute éternité, dans la splendeur de sa gloire.

    Le suppliant qui implorait sur l'arbre de la croix, le pardon des hommes coupables, est le même qui l'implore encore chaque jour sur tous les autels où il s'immole par le ministère des prêtres, et sa voix n'est pas moins puissante aujourd'hui sur le cœur de son Père qu'elle ne l'était alors. Ah ! comment pourraient-elles ne pas toucher son cœur les prières qui lui sont adressées par cette bouche qui a été abreuvée de fiel et de vinaigre, et brûlée par les ardeurs de la soif, et qui maintenant lui fait encore amende honorable pour les outrages commis envers sa divine majesté ?

    - Ces mains que Jésus élève pour nous à son Père, sont les mêmes qui ont été percées de clous, et qui ont laissé échapper les ruisseaux de sang qui ont payé notre dette à la justice divine et effacé la cédule de notre condamnation. Ce cœur qui demande notre grâce a été ouvert par une large blessure, afin que chacun de nous puisse y trouver un sûr asile, et quand il fait entendre en faveur des pécheurs la voix de son amour, leur cause est gagnée et Dieu fait descendre sur eux les flots de sa miséricorde. Oui, à la voix de ce cœur adorable, Dieu s'apaise, Satan abandonne sa proie et fuit épouvanté, les flammes du purgatoire s'éteignent, et le ciel ouvre ses portes aux saintes captives qui, libérées de toutes leurs dettes, viennent pour y bénir, pour y aimer éternellement leur divin libérateur.

    L'Eglise sait bien quelle est la puissance, l'efficacité du saint sacrifice de la Messe ; aussi ce sacrifice adorable qui fait descendre sur elle toutes les grâces, toutes les bénédictions du ciel, n'est-il jamais interrompu. Ses ministres l'offrent à toutes les heures, à tous les instants du jour, et quand le soleil se retire de notre hémisphère, il se lève sur un autre pour éclairer l'immolation de la victime sans tache. Sous tous les cieux, sous tous les climats, du nord au midi, de l'orient à l'occident, elle est offerte à Dieu pour les vivants et pour les morts, et si Dieu, en abaissant ses regards vers la terre, la voit partout couverte de nos crimes, il la voit aussi couverte du sang de Jésus-Christ, et si les uns provoquent sa justice et appellent ses justes vengeances, l'autre appelle sa miséricorde, et les foudres de la colère de Dieu viennent se briser et s'éteindre sur les autels où s'immole son Fils.

    PRIÈRE.

    Comment pourrions-nous ne pas tout attendre de votre miséricorde, ô mon Dieu, puisque nous avons auprès de vous un si puissant médiateur ? Nous sommes coupables et souverainement indignes de votre clémence ; par nous-mêmes nous ne méritons que votre colère et vos châtiments. Mais celui qui sollicite notre pardon est digne de tout votre amour, puisque pour l'obtenir il s'est immolé et s'immole encore pour nous. N'a-t-il pas offert à votre justice toutes les réparations qu'elle avait le droit d'exiger. Une seule goutte de son sang eût suffi pour effacer toutes les iniquités du monde, et il l'a répandu à flots, il vous l'a offert jusqu'à la dernière goutte. Ecoutez donc, Seigneur, la voix de ce sang adorable, qui ne crie pas pour demander vengeance, mais grâce et miséricorde. Jour et nuit la voix de notre divin médiateur s'élève vers le trône de votre infinie Majesté, pour vous faire encore entendre ces paroles d'une inénarrable charité, qui pour la première fois s'échappèrent de ses lèvres mourantes, alors qu'il agonisait sur l'arbre de la croix. « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. » La victime qne nous vous offrons sur cet autel est la même, ô mon Dieu, qui s'immola sur le Calvaire. Voyez ses larmes, écoutez sos soupirs, souvenez-vous de ses douleurs, des plaies dont elle a été couverte, et au nom de son sang, de ses mérites, de sa mort, ouvrez en notre faveur les trésors de votre miséricorde, qu'elle se répande sur tous les rachetés du Calvaire, sur les justes pour les maintenir dans la justice, sur les pécheurs pour les convertir et les arracher à l'enfer ; qu'elle se répande surtout sur les saintes âmes du purgatoire, pour adoucir leurs peines, tempérer l'ardeur des flammes qui les dévorent, les éteindre et les laisser libres de s'envoler au ciel. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    Dans le monastère de Clairvaux, alors gouverné par saint Bernard, vivait un religieux peu observateur de la règle, peu attaché à la solitude, et ne craignent pas d'en sortir facilement. Ce religieux mourut. Pendant la cérémonie des obsèques, la communauté réunie autour de la bière chantait les prières accoutumées, lorsqu'un des moines, vieillard d'une éminente sainteté, crut voir une troupe de démons pleins de joie s'écrier : Nous n'avons encore pu tirer qu'une seule àme de cette indigne vallée (allusion au nom de Clairvaux), mais celle-là nous l'aurons.

    La nuit suivante, le saint vieillard vit en songe le défunt, le visage abattu, poussant de profonds soupirs, qui lui dit : « Hier vous avez eu connaissance de mon supplice et de la joie des esprits infernaux ; voyez maintenant les tortures auxquelles m'a livré la justice divine pour les fautes que je n'ai pas suffisamment expiées sur la terre. Il le conduisit en esprit à un puits profond « où, dit-il, les démons me précipitent, et me retirent pour me précipiter de nouveau sans me laisser un instant de repos. » A cette révélation, le moine, saisi de tristesse, courut de grand matin en informer saint Bernard, qui, de son côté, avait eu la même apparition. Le saint abbé convoqua le chapitre et raconta à ses religieux comment Dieu pour les instruire avait permis au frère défunt de révéler son état présent. Il leur rappela l'importance de la fidélité aux petites choses dont la négligence est une tentation fréquente parmi les religieux. Il termina en demandant pour fléchir la colère céleste en faveur de cette âme infortunée, des prières ferventes avec des jeûnes, des macérations, et surtout l'oblation du divin sacrifice. Dès le jour même plusieurs messes furent dites.

    Peu de jours après, le vieillard fut encore visité par le défunt. Mais cette fois il apparut resplendissant de lumière. Interrogé sur l'état où il se trouvait : « Grâce à la bonté divine et à la charité de mes confrères, je suis très-heureux, répondit-il. » Interrogé sur l'œuvre expiatoire qui lui avait été le plus salutaire, au lieu de répondre, il prit par la main le vieux moine et le conduisit à l'église, où l'on célébrait la sainte messe : « Voici, dit-il, les armes qui ont opéré ma délivrance. Voici le prix de ma rançon, c'est la salutaire hostie qui efface les péchés du monde. A de telles armes, à un tel trésor, à une telle vertu, rien ne résiste, sinon le cœur endurci qui s'est enfoncé dans l'abîme de sa perversion. » L'apparition fut annoncée aux religieux, qu'elle confirma dans la dévotion au saint sacrifice. (V. Henri Grandgermain, Mag. Spec. Exemp., dist. m.)

    PRATIQUE.

    Lorsqu'on a le bonheur d'assister au saint sacrifice de la messe, l'offrir à Dieu pour le soulagement des âmes du purgatoire.

     

    XXIIIe JOUR

    Suite du même sujet.

    On offrira en mon nom une victime sans tache.

    Ier Point. Il s'est immolé sur l'autel de la croix pour glorifier son Père, et son Père l'a glorifié lui-même, en faisant de l'instrument de son supplice le trône de sa gloire, le sceptre avec lequel il régit le monde et le soumet à son empire, l'arme avec laquelle il terrasse ses ennemis, la clef avec laquelle il ferme l'enfer et ouvre à son gré le purgatoire et le ciel. Le Sauveur continue tous les jours sur l'autel le sacrifice offert pour la première fois sur la croix, et en le continuant, il se rend à lui-même, et il rend à son Père une gloire infinie.

    Pour comprendre quelle est la gloire qui revient à Jésus-Christ de son sacrifice et de son immolation sur la croix et sur l'autel, il faut poser en principe que toute la gloire d'un être dépendant d'un autre vient de sa soumission à l'être dont il dépend. Ainsi, comme le corps dépend de l'âme, sa gloire ou sa perfection est de lui être soumis. Il en est de même de tous les êtres subordonnés, ils n'atteignent leur perfection ou leur gloire qu'en se soumettant aux êtres qui les dominent.

    Jésus-Christ, par sa nature divine, est égal en tout à son Père, et son Père n'est pas au-dessus de lui. Mais il est constant qu'en s'unissant à la nature humaine, en la prenant dans l'adorable mystère de l'Incarnation, notre divin Sauveur s'est mis au-dessous de son Père. Il le proclame hautement, et en fait lui-même un article de notre foi, lorsqu'il dit dans le saint Evangile : « Mon Père est plus grand que moi. » D'où il faut conclure que la gloire de Jésus-Christ en tant qu'homme consiste dans sa parfaite soumission à son Père.

     

     

    Or, quand Jésus-Christ est-il plus soumis à son Père, quand il se faît victime, se sacrifie, s'immole, s'anéantit en quelque sorte pour témoigner sa dépendance ? Sa soumission ne saurait aller plus loin, elle ne peut descendre au-dessous de l'immolation ou du néant. Et Jésus-Christ est véritablement immolé au saint sacrifice de la messe. « Quand nous sacrifions, dit saint Ambroise, Jésus-Christ est présent , il est immolé ; la voix du prêtre est comme le glaive qui divise la victime. Ces quatre paroles : Ceci est mon corps, mettent le corps adorable de Jésus d'un côté. Le sang n'est sous l'espèce du pain, d'après la théologie que par concomitance. Ces autres paroles : Ceci est mon sang, mettent le sang de Jésus-Christ d'un autre côté, et ce n'est également que que par concomitance que le corps du Sauveur se trouve sous l'espèce du vin. Les paroles de la consécration sont pratiques, elles n'opèrent directement par leur propre force que ce qu'elles signifient. Ainsi, si les apôtres eussent consacré au temps de la mort du Sauveur, ces paroles : « Ceci est mon corps, » n'eussent produit que le seul corps de Jésus-Christ, séparé de l'âme et du sang sous l'espèce du pain, et celles-ci : « Ceci est mon sang, » n'eussent également produit que le sang, séparé de l'âme et du corps sous l'espèce du vin. Mais comme Jésus-Christ ressuscité ne doit plus mourir, et comme toutes les parties qui composent son humanité sont désormais inséparables, bien que la consécration du pain ne produise que son corps, et que celle du vin ne produise que son sang, par la vertu des paroles que prononce le prêtre, Jésus-Christ, cependant, se trouve tout entier sous l'espèce du pain, et tout entier sous l'espèce du vin.

    Si l'immolation est le plus haut témoignage de dépendance que l'on puisse donner, si la soumission poussée jusqu'à cette dernière limite est la perfection et la gloire de l'être dépendant, il suit de là que Jésus, par son sacrifice, est arrivé au suprême degré de la perfection, et que rien n'est plus glorieux pour le Fils de Dieu, que d'être immolé à la gloire de son Père. Mais par un retour admirable, rien n'est plus glorieux pour le Père que d'être honoré par le sacrifice de son propre Fils.

    Mais quelle est la gloire qui revient à Dieu du sacrifice de son divin Fils ? Ah ! elle est au-dessus de toute gloire ; par ce sacrifice on offre à Dieu, le premier, le plus grand, le plus excellent de tous les actes religieux, un culte qui n'est dù qu'au maître souverain de la vie et de la mort, et qui ne peut être rendu ni à la sainte Vierge, ni aux anges, ni aux saints.

    Ce n'est pas le sacrifice de l'encens le plus pur, d'un agneau sans tache, d'une innocente colombe, c'est le sacrifice d'un Dieu immolé. Et comment notre divin Sauveur s'immole-t-il au saint sacrifice de la messe ? De la manière la plus miraculeuse. Il se détruit lui-même autant qu'il le peut. Considérez-le sur l'autel. Il est mort, non pas, il est vrai, d'une mort naturelle, comme celle à laquelle il se soumit sur le Calvaire, son corps immortel et glorifié ne peut plus mourir, mais d'une mort apparente, mystique et sacramentelle. En effet, il est tout entier sous les saintes espèces, et il y est avec tous ses membres, avec tous ses sens, et il n'en fait nul usage, tout est caché, tout est mort, tout est en quelque sorte anéanti. 0ù sont ses pieds, ses mains, ses yeux, ses oreilles, son cœur ? Nous n'en pouvons rien découvrir, et pourtant il nous voit, il nous entend, il nous appelle, il nous bénit. Il fait plus, il se donne à nous, et qu'arrive-t-il alors ? Les saintes espèces se consument, la victime disparaît et le sacrifice est consommé.

     

     

    0 amour infini d'un Dieu pour de misérables créatures, et en même temps, o gloire infinie pour le Dieu a qui est offert une semblable victime. Un Dieu immolé aux pieds d'un Dieu ! un Dieu comme anéanti pour rendre hommage à un Dieu ! Tel est le prodige qui se renouvelle des milliers de fois chaque jour par le saint sacrifice de la messe.

    Ainsi, Dieu estplus glorifié par une seule messe que si nous brûlions sur les autels tout l'encens et tous les parfums du monde, plus glorifié que si nous lui offrions des millions de victimes, et par la seule oblation de l'adorable sacrifice de nos autels, sa justice est plus satisfaite qu'elle ne le serait par l'immolation de tous les êtres de l'univers. Aussi le Seigneur, en considérant dans l'avenir cet auguste sacrifice, nous dit, par l'organe de son prophète, qu'il ne peut plus agréer les offrandes de son peuple. Que pouvait, en effet, lui offrir le peuple juif, qui fut digne de son infinie majesté ? De l'encens ? il se dissipait en fumée. Des prémices ? ce n'étaient que des fruits qui se corrompaient en quelques jours. Des victimes ? mais en quoi leur sang pouvait-il le glorifier ? Ah ! pour honorer, pour glorifier dignement un Dieu, il fallait que ce fut un Dieu qui l'honorât et qui le glorifiât. Pour reconnaître son souverain arbitre, il fallait qu'une victime divine lui immolât sa propre vie.

    IIe Point. Puisque le saint sacrifice de la messe est de tous les actes religieux celui qui glorifie le plus notre Dieu, qui l'honore davantage et qui lui est le plus agréable, nous devons en conclure qu'il n'en est aucun qui soit aussi capable d'attirer sur nous ses grâces et ses bénédictions, et de le disposer à nous accorder les faveurs que nous sollicitons de sa bonté. Concluons-en de même que c'est le moyen le plus sûr, le plus infaillible de soulager les âmes du purgatoire.

    En effet, tous les moyens que nous avons indiques jusqu'à présent, comme la prière, l'aumône, la souffrance, la communion, demandent de ceux qui les emploient des dispositions particulières. Pour qu'ils soient efficaces, il faut être en état de grâce Ainsi priez, faites l'aumône, souffrez, jeûnez, si vous êtes privé de la grâce, tout cela est inutile et ne sert pas au soulagement des âmes du purgatoire. Mais il n'en est pas de même du saint sacrifice de la messe, il a toujours son efficacité ; quelles que soient les dispositions de celui qui y assiste, quelles que soient celles du prêtre qui l'offre, il soulage infailliblement les âmes pour lesquelles il est célébré ; car toute l'efficacité du saint sacrifice de la messe venant de ce qu'il est offert en la personne et au nom de Jésus-Christ, il ne peut manquer d'être toujours infiniment agréable à Dieu. Dieu ne regarde pas si les mains du prêtre sont souillées, si son cœur est pur, il ne voit que les mains innocentes de son Fils bien-aimé, il n'entend que la voix de son divin cœur, car lui seul est la victime et le seul véritable sacrificateur.

    Nous voyons, d'après ce que nous venons de dire, que le saint sacrifice de la messe est le moyen le plus sûr de soulager les âmes du purgatoire. Ajoutons qu'il est encore le plus facile.

    Voulez-vous briser les portes du purgatoire et ouvrir celles du ciel aux âmes qui vous sont chères, écoutez le conseil qui nous est donné par le vénérable Pierre, abbé de Celles : « Quand l'agneau de » Dieu, dit-il, est offert et sacrifié, trempez votre doigt » dans son sang immaculé, levez-le vers le ciel, et que le sang de Jésus-Christ vous soit une clef pour  en faire l'ouverture. Les portes du ciel ne sauraient résister à la puissance de ce sang divin. A sa vue, les anges s'empressent de les ouvrir, ils se prosternent devant lui avec tremblement, ils l'adorent, et descendant au fond de l'abîme, dans le purgatoire, ils en délivrent les âmes, car il n'y a rien de fermé qu'ils ne puissent ouvrir par la vertu du sang de Jésus-Christ. 

    Lorsque vous assistez au saint sacrifice de la messe, offrez-le à Dieu pour les saintes âmes du purgatoire ; priez-le, au nom des mérites et du sang adorable de son divin Fils, d'avoir pitié de vos parents, de vos amis, des âmes pour lesquelles vous avez pu être une occasion de scandale et de péché, et qui expient peut-être par de cruels tourments les fautes que vous leur avez fait commettre, et la vertu du saint sacrifice se répandra sur elles ; le sang de l'Agneau sans tache descendra sur elles comme une douce et rafraîchissante rosée. Mais ne vous contentez pas d'offrir le saint sacrifice de la messe pour les âmes du purgatoire ; lorsque vous y assistez, faites-le célébrer à leur intention, c'est le plus sur moyen d'abréger leurs souffrances et d'y mettre fin. Ah ! que vous seriez coupable de refuser d'employer un moyen si facile de mettre un terme aux tourments de ces âmes que vous avez aimées, que vous aimez encore, et qui du fond de leur brûlante prison vos adressent des prières aussi ardentes que le feu qui les purifie, et vous demandent, par les entrailles du Sauveur crucifié pour vous et pour elles, d'avoir pitié de leurs tourments, et de leur venir en aide en faisant offrir quelquefois le saint sacrifice de la messe en leur faveur.

    Ah ! que personne ne soit insensible aux souffrances des saintes âmes du purgatoire ; que chacun se souvienne que notre adorable Sauveur a versé son sang pour éteindre le feu qui les brûle ; que pour adoucir leurs douleurs il a offert son corps innocent aux fouets, aux épines, aux clous, à toutes les tortures ; il est mort sur un gibet d'une mort ignominieuse et cruelle pour les faire jouir d'une immortalité bienheureuse, et quelque coupable que nous soyons, fussions-nous le plus grand pécheur de l'univers, nous pouvons faire jouir ces saintes âmes de tous ces bienfaits en leur appliquant, par le saint sacrifice de la messe offert en leur faveur, les mérites infinis du Rédempteur. Faisons donc pour elles ce que demain, peut-être, nous serons bien aises qu'on fasse également pour nous, et souvenons-nous que Dieu, dans son infinie justice, permettra que la mesure de notre charité envers les morts soit la mesure de celle que les vivants auront un jour pour nous.


    PRIÈRE.

    0 Jésus, adorable victime, qui vous êtes immolé pour le salut du monde, vous dont le sang a payé notre rançon, dont les souffrances ont pleinement satisfait à la justice de votre Père, souffrez que, prosterné au pied de cet autel où vous renouvelez encore le sacrifice de la croix, je vous offre à votre Père, ô Agneau sans tache, non-seulement pour mon salut, mais encore pour celui de mes frères ; souffrez surtout que je lui offre toutes vos souffrances, tous vos mérites pour les saintes âmes du purgatoire qui n'ont pas encore entièrement acquitté tout ce qu'elles doivent à sa justice, parlez vous-même en leur faveur, élevez pour elles, vers votre Père, vos mains percées de clous, montrez-lui votre cœur ouvert pour leur amour, votre tête couronnée d'épines, votre corps couvert de meurtrissures et de plaies, offrez-lui pour leur délivrance une seule goutte du sang que vous avez prodigué pour elles, et aussitôt sa justice, pleinement satisfaite, laissera un libre cours à sa miséricorde ; les chaînes de fer qui retiennent loin de vous ces âmes qui vous sont si chères se briseront, et libres, pures de tontes souillures, elles s'envoleront vers le ciel en chantant un cantique d'actions de grâces, de reconnaissance et d'amour envers leur divin libérateur. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE,

    Parmi les étudiants des cours supérieurs de l'université de Cologne, on distinguait deux religieux dominicains liés d'un même attrait pour la sainteté ; l'un était le bienheureux Suzo. Quand ils eurent terminé leurs études, étant à la veille de se séparer, ils se promirent mutuellement que le premier des deux qui mourrait aurait droit chaque semaine, de la part de l'autre, le lundi, à une messe de Requiem, et le vendredi à une messe de la passion, autant que le permettraient les rubriques. Après que tous deux eurent servi Dieu avec la plus édifiante ferveur, pendant plusieurs années, Suzo reçut la nouvelle de la mort de son ami. Il pria beaucoup pour lui, s'imposa de grandes mortifications, mais oublia totalement d'acquitter les messes convenues. Un matin qu'il méditait à l'écart, son ami lui apparaît, et le regardant affectueusement, lui reproche néanmoins d'avoir été infidèle à une parole donnée. Le bienheureux surpris cherche à s'excuser de son involontaire oubli, sur les oraisons et les mortifications qu'il faisait pour une âme dont le salut lui était aussi cher que le sien. « 0h ! non, mon frère, cela ne suffit pas, reprit l'âme souffrante, c'est le sang de Jésus-Christ qu'il faut pour éteindre les flammes dont je suis consumé ; c'est l'auguste sacrifice qui me rachètera de mes épouvantables tourments ; je vous conjure de tenir votre parole. » Pour réparer sa faute involontaire, Suzo s'empressa de lui promettre un nombre plus considérable de messes qu'il ne s'était primitivement engagé à dire.

    Dès le lendemain, plusieurs prêtres avertis par le bienheureux, s'unirent à lui au saint autel, et continuèrent plusieurs jours de suite cet acte de charité. Au bout de ce temps, le défunt revint ; une vive et pure lumière l'environnait, la joie brillait sur ses traits : « Je vous rends grâce, mon fidèle ami, du soulagement que je vous dois, dit-il ; me voici, grâce au sang du Seigneur Jésus, délivré de l'expiation, et je monte au ciel où je pourrai contempler Celui que nous avons si souvent adoré ensemble sous les voiles eucharistiques. » Suzo se prosterna à son tour pour remercier Dieu, et comprit mieux que jamais le prix inestimable du très-saint sacrifice de l'autel. [Histoire de saint Dominique, Ferd. de Castille, IIe partie, l. H, ch. 1.)

    PRATIQUE.

    Faire offrir souvent le saint sacrifice de la messe en faveur de nos parents et de nos amis décédés.

     

    XXIVe JOUR

    Les indulgences, sixième moyen de soulager les Ames du purgatoire.

    Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel.

    Ier Point. A la mort de Jésus, son âme sainte, empressée de jouir des fruits de la rédemption, descendit aux limbes aussitôt qu'elle fut séparée de son corps pour consoler, réjouir par sa divine présence les âmes des justes captives depuis tant de siècles, et soupirant après le divin Libérateur qui devait leur ouvrir les portes du ciel fermées par le péché d'Adam. Mais ce ne fut qu'au jour de sa glorieuse Ascension que Jésus, impatient de contenter son amour pour elles, emmena avec lui au ciel ces saintes âmes et les mit en possession du bonheur qu'il venait de nous acheter à un si haut prix.

    Le cœur sacré de Jésus a-t il oublié, en montant au ciel, les âmes que dans son infinie prescience il prévoyait devoir, dans la suite des siècles, subir les douloureuses expiations du purgatoire ? Ah ! son cœur n'a rien oublié, son amour a pourvu a tout ; il a laissé à son Eglise le trésor de ses mérites, avec le pouvoir de l'ouvrir en leur faveur et de les y faire participer aussi largement qu'elle le voudra. Jésus ne veut pas être seulement la gloire et le bonheur de l'Eglise triomphante, l'appui, le guide de l'Eglise militante, il veut être encore l'espoir, le consolateur de l'Eglise souffrante, et son cœur, comme celui d'une mère, s'incline vers elle avec une tendresse d'autant plus grande qu'il la voit plus affligée.

    L'Eglise, aussi tendre et dévouée à tous ses enfants, ouvre en leur faveur ce trésor inépuisable des mérites de son divin Epoux ; elle ne l'ouvre pas seulement en faveur des vivants, mais aussi en celle des morts ; son cœur s'émeut à la pensée des souffrances de ces âmes qu'elle a portées dans son sein, nourries de sa foi, de ses saints enseignements, et qui lui sont d'autant plus chères qu'elle les sait dans la peine et dans la douleur. Aussi voyons-nous que presque toutes les indulgences accordées aux fidèles par les souverains Pontifes sont applicables aux âmes du purgatoire. Ils semblent par là vouloir, non pas seulement seconder notre charité pour nos frères souffrants, mais encore nous engager à nous oublier quelquefois pour eux en leur cédant les indulgences que nous pourrions gagner pour nous-mêmes.

    "Nous pouvons considérer cette multitude d'indulgences que l'Eglise, dans sa maternelle sollicitude, nous prodigue avec tant de libéralité comme une pluie merveilleuse avec laquelle nous pouvons éteindre les flammes du purgatoire. Aucune comparaison ne me parait plus propre à exprimer la nature et les effets des indulgences, car de même qu'il n'y a pas d'eau qui éteigne plus promptement la flamme des incendies que celle de la pluie qui tombe des nues, il n'y a pas de grâce avec laquelle nous puissions aussi facilement éteindre le feu du purgatoire qu'avec les indulgences qui nous viennent du Ciel.

    Il y a entre les pluies naturelles et les indulgences de mystérieux rapports. Dieu a ses réservoirs d'où il tire les eaux qui forment les nues et qui retombent sur la terre pour la rafraîchir et la fertiliser. Ces réservoirs sont l'océan, les lacs, les fleuves et les fontaines.

    Dieu a également ses trésors, d'où il tire les grâces qu'il répand sur les âmes pour les purifier et pour les sauver. Ce sont d'abord les mérites de Jésus-Christ, semblables à un océan sans limites et sans fond ; ce sont ensuite les mérites de la sainte Vierge et des saints, pareils à des lacs, à des fleuves, à des fontaines.

    Pour comprendre toute la richesse du trésor des indulgences, il faut comprendre avant tout la valeur des satisfactions qui le composent. Or quel n'est pas le prix, le mérite des satisfactions de Jésus-Christ ? Considérons-les d'abord par rapport à la dignité de sa personne. Jésus-Christ est le fils de Dieu ; il est Dieu lui-même ; sa dignité est infinie, par conséquent toutes ses satisfactions, toutes ses œuvres ont un mérite, une valeur infinie. Supposez qu'une infinité d'hommes et d'anges aient commis contre Dieu, pendant des siècles et des siècles, des crimes sans nombre, une seule larme de Jésus-Christ offerte à son Père en réparation de ces crimes suffirait et au delà pour satisfaire à sa justice. En versant cette larme, Notre-Seigueur rendrait à son Père infiniment plus de gloire que la multitude des anges et des hommes ne lui en auraient été en l'outrageant pendant des siècles.

    Accumulons maintenant tous les travaux, toutes les fatigues de la vie publique de notre divin Sauveur, toutes les privations, toutes les humiliations de sa vie cachée à Nazareth, toutes les souffrances, les ignominies de sa douloureuse Passion, les fouets, les épines, les clous, la croix. la mort et toutes les tortures de l'âme et du corps qu'il a bien voulu subir, et jugeons, si nous le pouvons, de la valeur de ces satisfactions ; elles sont infinies.

    0r il est certain que les satisfactions divines n'ont jamais été entièrement appliquées, qu'elles ne le seront même jamais, puisque la source est inépuisable". 0n ne peut supposer qu'elles soient inutiles, Dieu ne saurait permettre que de pareils biens fussent perdus ; nous devons croire qu'il les tient en réserve comme un trésor de grâces que l'Eglise a le pouvoir d'ouvrir à ses enfants, par le moyen des indulgences, pour les soulager dans leurs besoins.

    IIe Point. Les mérites du Sauveur, ses satisfactions, voilà la première source des indulgences : il y en a d'autres encore, ce sont les satisfactions de la sainte Vierge et des saints. La Mère de Dieu, par un privilége spécial, a été, nous le savons tous, préservée de la souillure originelle. Non-seulement nous le savons, mais nous croyons de cœur, nous adhérons avec bonheur à ce privilége si glorieux pour noire divine Mère, devenu maintenant un dogme de notre foi, et nous répétons avec une sainte joie l'éloge que lui donne le Saint-Esprit : Vous êtes toute belle, ô ma bien-aimée ! et il n'y a point de tache en vous. Et cependant Marie, quoique exempte de tout péché, n'a pas été exempte de douleurs ; ses souffrances ont surpassé celles de tous les saints. Elle a donc offert à la justice divine d'immenses satisfactions, non pour elle, puisqu'elle était immaculée, et que n'ayant contracté aucune tache pendant sa longue vie, elle ne pouvait avoir aucune peine à subir.

    Oui pourrait dire ce qu'ont été les douleurs de la trés-sainte Vierge pendant la passion de son divin Fils ? Contemplons-la sur le Calvaire Elle aime Jésus plus qu'aucune mère n'aima jamais son enfant, et elle le voit attaché par d'énormes clous à un infâme gibet, la tète couronnée d'épines, le corps couvert de meurtrissures et de blessures saignantes. Elle l'entend se plaindre de la soif, et non-seulement elle ne peut pas approcher de ses lèvres desséchées un breuvage rafraîchissant, mais elle le voit abreuvé de flel et de vinaigre. Elle entend les insultes, les railleries amères des scribes et des chefs de la nation, qui se rient des douleurs de l'adorable victime. Enfin elle suit avec ce regard si intelligent des mères, qui devinent toutes les angoisses, toutes les souffrances de leurs enfants, toutes les phases de l'agonie de son divin Fils, elle s'associe à l'abandon, au délaissement dont Jésus endure toutes les horreurs, et quand elle lui voit rendre le dernier soupir, le glaive que le saint vieillard Siméon avait fait briller à ses yeux dansle temple s'enfonce tout entier dans son cœur.

    Toutes les douleurs de la sainte Vierge étaient satisfactoires, et puisque pour elle-même elle n'a pas besoin de satisfaction, seront-elles donc perdues ? Ah ! gardons-nous de le penser. Dieu ne laisse pas perdre des biens aussi précieux et auxquels il attache un si haut prix ; il les a joints aux satisfactions de son divin Fils, pour augmenter encore le trésor de ses indulgences.

    Ce n'est pas tout encore. Un grand nombre de saints ont vécu dans la plus parfaite innocence, et malgré leur pureté angélique, ont passé cependant par les plus rudes épreuves, ont enduré des souffrances de tous genres, et se sont condamnés eux-mêmes à toutes les rigueurs de la plus austère pénitence. Combien de jeunes vierges ont subi le martyre, combien d'apôtres se sont dévoués, qui avaient depuis longtemps satisfait à la justice divine pour leurs péchés ! Qu'est devenue la surabondance de tant de satisfactions ? A-t-elle été perdue ? Non, elle avait trop de valeur pour que Dieu ne songeât pas à la recueillir. Est-elle restée inutile ? Non encore ; elle avait trop de puissance pour que Dieu la laissât sans action. Elle est entrée aussi au trésor des indulgences. Elle est venue se mêler aux satisfactions de l'homme-Dieu et à celles de sa sainte Mère, et puisque les riches et les pauvres, les justes et les pécheurs, les saints du ciel et les saints de la terre, et les saints du purgatoire, ne forment qu'une seule Eglise, sont les membres d'un même corps, ne faut-il pas qu'il y ait communion entre eux, qu'ils participent réciproquement aux biens qu'ils peuvent produire. Oui, il est juste que les satisfactions surabondantes des uns subviennent à la nécessité des autres.

    Nous voyons donc que, comme l'Océan, les fleuves, les lacs, les fontaines, sont les sources d'où sortent les pluies naturelles, de même les satisfactions de Jésus-Christ, de la sainte Vierge et des saints sont les sources d'où sortent les pluies célestes des indulgences.

    Pour poursuivre jusqu'au bout notre comparaison, disons que de même qu'il y a diversité de pluies, il y a aussi diversité d'indulgences. Il y a des pluies qui sont universelles, d'autres qui ne sont que particulières. Il en est encore de même des indulgences : les unes sont pour tous les fidèles, les autres sont particulières à une partie des fidèles. Il y a des pluies abondantes qui pénètrent et abreuvent la terre, il y en a d'autres moins fortes qui ne font qu'humecter sa surface. C'est une image de nos indulgences plénières et de nos indulgences partielles. Les premières remettent toute la peine due aux péchés confessés et pardonnés, les secondes n'en remettent qu'une partie.

    Il y a des pluies qui submergent tout et produisent des inondations. Alors les cataractes du ciel s'ouvrent, les mers et les fleuves se confondent et couvrent d'immenses étendues de pays. Elles sont la figure de nos jubilés universels, où le souverain Pontife ouvre les sources sacrées et fait pleuvoir les grâces en abondance, c'est-à-dire les indulgences pour purifier les âmes et les sauver. Ces jours de jubilé sont réellement des jours de salut. Alors les péchés réservés jusque là sont absous, le choix des confesseurs est libre, les pénitences extraordinaires sont remises, toutes les satisfactions du Sauveur coulent à flots sur l'Eglise ; il n'y a plus dans le sein de l'Epouse immaculée du Christ que des miséricordes, des faveurs, que d'immenses pardons pour chacun de ses enfants. Enfin les pluies et les indulgences se ressemblent dans leurs effets. Les pluies fécondent la terre, elles lui donnent sa parure et ses richesses. Elles se changent en blé dans le froment, en vin dans le raisin, en fruits dans les fleurs de l'arbre, en éclat et en parfum dans les fleurs. Les indulgences n'opèrent pas moins de prodiges : elles deviennent la consolation de ceux qui pleurent, le rafraîchissement de ceux qui sont altérés, le courage de ceux qui languissent, la guérison de ceux qui sont malades. Elles font plus encore, elles peuvent pénétrer jusque dans l'éternité, et, si nous le voulons, nous pouvons les faire descendre jusque dans les brûlants abîmes du purgatoire. Alors elles se changeront, pour les âmes auxquelles nous les appliquerons, en souveraine béatitude. Les douleurs de Jésus-Christ, qui leur sont appliquées par les indulgences, acquittent tout ce qu'elles doivent à la justice divine. Les épines de sa couronne se changent pour elles en diadème de gloire, ses larmes deviennent leur rançon ; les clous, la lance qui l'ont percé deviennent les clefs qui ouvrent la porte de l'abîme où elles sont ensevelies, pour les en délivrer. Ne serions-nous pas inexcusables de priver ces saintes âmes d'un secours si précieux, et qu'il nous est si facile de leur procurer ?

    PRIÈRE.

    Soyez béni, ô adorable Sauveur ! d'avoir laissé à votre Eglise le pouvoir d'appliquer à ses enfants les fruits surabondants de votre passion et de votre mort, d'avoir voulu qu'au trésor infini de vos satisfactions et de vos mérites viennent encore s'ajouter les satisfactions de notre divine Mère et des saints». Vous connaissiez notre indigence, la profondeur de nos misères, ô mon Jésus ! et dans l'excès de votre miséricorde, vous en avez eu pitié, et vous avez voulu que nous trouvassions en vous de quoi suppléer à tout ce qui nous manque. Comment, ô mon Sauveur ! eussions-nous jamais pu nous acquitter des dettes que nous avons contractées envers la justice de votre Père, si vous n'étiez venu à notre aide en soldant vous-même les dettes que nous étions dans l'impuissance de solder ? Hélas ! chaque jour nous en contractons de nouvelles, et notre faiblesse est si grande qu'à peine purifiés nous nous souillons de nouveau. Mais vous la connaissiez, cette faiblesse, ô mon Jésus ! et votre amour a su trouver encore le remède de notre fragilité, en inspirant à votre Eglise de nous ouvrir, par le moyen des indulgences, le trésor de vos satisfactions ; de nous les accorder si nombreuses, si multipliées, que nous puissions y puiser chaque jour, non seulement pour nous, mais aussi pour les âmes des fidèles trépassés auxquelles la plupart des indulgences que nous pouvons gagner sont applicables. Les souffrances de ces saintes âmes, ô mon Dieu ! sont bien grandes, et pour les soulager nous voulons souvent oublier nos propres besoins, pour les faire jouir d'un bien dont pour elles-mêmes elles ne peuvent plus avoir la jouissance. Daignez, Seigneur, ne pas avoir égard à notre indignité et leur accorder les indulgences que nous nous efforçons de gagner et que nous vous offrons pour elles. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    Sainte Marie-Madeleine de Pazzi avait, avec une grande charité, assisté à ses derniers moments une sœur de son 0rdre qui était parvenue à un grand degré de perfection. Les religieuses s'étaient empressées de réciter, non-seulement les offices ordinaires, mais elles lui avaient appliqué toutes les indulgences qu'elles avaient pu gagner dans la journée. Le corps était encore exposé dans l'église, et de la grille où elle se tenait, Marie-Madeleine le regardait avec des sentiments de tendresse en priant pour le repos de la défunte. Tout à coup elle vit l'âme resplendissante de lumière sortir de cette froide dépouille, et s'élever au ciel pour y recevoir la couronne de gloire. La sainte ne put s'empêcher de crier : « Adieu, sœur, adieu ; âme bienheureuse qui entrez dans le ciel avant que votre corps soit déposé dans la tombe, souvenez-vous, dans les embrassements du céleste Epoux, de nous qui soupirons sur la terre ! » A ces paroles, Jésus, pour la consoler, lui apparut et lui dit que cette âme avait été si promptement délivrée du purgatoire par la vertu des saintes indulgences. Depuis lors, la dévotion aux indulgences devint telle dans le monastère, qu'on se serait fait scrupule d'en négliger une seule. (VUt de sainte Madeleine de Pazzi, 1.l, ch. 39.)

    PRATIQUE.

    Ne laisser perdre par notre faute aucune des indulgences que nous pouvons gagner et les offrir à Dieu pour le soulagement des âmes du purgatoire.

     

    XXVe JOUR

    Suite du même sujet.

    Le Seigneur est plein de miséricorde et la rédemption qu'il nous prépare est abondante.

    Ier Point. « Un jour, notre divin divin Sauveur dit à saint Pierre : Simon, fils de Jonas, je te donnerai les clefs du royaume des cieux ; tout ce que tu lieras ou délieras sur la terre, sera lié ou délié dans le ciel. » Jésus a tenu sa promesse, les clefs du royaume des cieux ont été données à saint Pierre et à ses successeurs, et c'est par la puissance de ces clefs mystérieuses que les souverains Pontifes ouvrent le trésor des indulgences et nous y font participer.

    Or, qu'est-ce qu'avoir les clefs du ciel, si ce n'est pouvoir l'ouvrir et ôter tout ce qui en ferme l'entrée ; et qu'est-ce qui peut empêcher que les âmes justes sortant de cette vie n'y entrent incontinent, sinon la peine temporelle due à leurs fautes, qu'il leur faut subir avant que la porte leur en soit ouverte.

    Celui donc qui a reçu les clefs du ciel a reçu aussi le pouvoir d'oter cet empêchement, afin que les âmes ne devant rien à la justice divine ne sortent de la prison de leur corps que pour passer à la gloire éternelle. Le Sauveur marque expressément ce pouvoir lorsqu'il dit : « Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. » Il n'excepte rien, et par conséquent tout ce qui peut lier une âme et lui être un obstacle pour aller au ciel, que ce soit un péché qui n'est pas remis ou la peine d'un péché déjà pardonné, tout est compris dans ce mot : « Tout ce que vous délierez. »

    Ainsi nous nu donnons pas à saint Pierre plus d'autorité que Jésus-Christ ne lui en a donné, mais nous croyons à toute l'étendue de celle qu'il lui a donnée, et que dans sa personne il a donnée à tous ses successeurs. De même que quand un Pontife mourait dans l'ancienne loi, un autre Pontife lui succédait avec les mêmes droits, les mêmes prérogatives, les mêmes obligations de veiller sur le troupeau confié à sa garde ; de même dans la loi nouvelle, après la mort de saint Pierre, la succession des souverains Pontifes n'a jamais été interrompue. Comme les premiers fidèles nous sommes le troupeau de Jésus-Christ, nous avons le même pasteur, qui est saint Pierre, dans la personne de son successeur, qui en s'asseyant sur son siége a hérité de son autorité, de sa puissance, et qui peut comme lui rompre tous les liens soit du péché, soit de la peine du péché, qui nous arrêtent dans la voie du ciel.

    Laissons les hérétiques contester aux souverains Pontifes le pouvoir de remettre les peines dues au péché par le moyen des indulgences, et, enfants soumis de l'Eglise, soyons heureux de puiser dans le trésor qu'ils nous ouvrent souvent avec tant de libéralité, non-seulement pour nous, mais encore pour les âmes de ceux qui nous furent si chers et qui nous ont précédés dans l'éternité.

    Les âmes du purgatoire ne peuvent être secourues et délivrées par les indulgences, comme par tous les autres moyens dont nous avons parlé jusqu'à présent, que par voie de suffrage. Nous allons le comprendre.

    Quand Jésus-Christ donna à saint Pierre et à ses successeurs le pouvoir de lier et de délier, il les établit juges des consciences, mais pour les vivants seulement ; les morts ne sont plus soumis à la juridiction de l'Eglise ; de là vient une différence entre la manière de donner les indulgences aux vivants et celle de la donner aux morts. Quand les souverains Pontifes accordent des indulgences aux fidèles vivants, ils agissent comme juges, ils examinent la dette qui a été contractée par le péché, et ils imposent des conditions auxquelles sont attachées les indulgences, et quand ces conditions ont été remplies, ils déclarent, par forme d'absolution, que la dette est acquittée.

    Ils ne font pas de même pour les morts. Ne pouvant plus prononcer de sentence sur eux, puisque Dieu même les a jugés, ils n'agissent que comme trésoriers de Jésus Christ, qui leur a confié les clefs de ses trésors pour en disposer même à l'égard des âmes qui ne sont plus soumises à leur juridiction. Les indulgences qu'ils accordent alors et que nous pouvons gagner pour elles sont accordées par forme de suffrage.

    On exemple va vous faire comprendre cette vérité. Un magistrat est chargé de la cause d'un homme qui est appelé à rendre compte d'une somme importante qui lui a été confiée. Ce magistrat est à la fois juge et ami ; il peut procéder de deux façons : comme juge, il peut absoudre l'accusé et ledéclarer quitte de la somme demandée ; comme ami, il peut offrir l'argent nécessaire pour le libérer.

    De même une âme a une peine à subir pour satisfaire à la justice de Dieu. Si cette âme est sur la terre, l'Eglise lui accorde une indulgence, et si elle gagne cette indulgence, l'Eglise déclare que cette peine lui est remise : c'est une absolution. Si cette âme est dans le purgatoire, l'Eglise offre pour elle à Dieu une partie des satisfactions de Jésus-Christ dont elle a la disposition, et elle lui obtient la rémission de sa peine : c'est un suffrage.

    Les indulgences accordées aux âmes du purgatoire par forme de suffrage sont aussi certaines et aussi infaillibles dans leurs effets que les indulgences accordées aux vivants par forme d'absolution. Ainsi, si nous accomplissons religieusement les conditions prescrites par l'Eglise pour gagner les indulgences, il nous est aussi facile de soulager et de délivrer les âmes du purgatoire que d'obtenir pour nous-mêmes l'entière rémission des peines que nous avons encourues par nos péchés.

    IIe Point. Les indulgences, soit plénières, soit partielles, que nous pouvons gagner et qui sont applicables aux âmes du purgatoire, sont innombrables ; mais pour les gagner il faut des dispositions particulières. La première de toutes est d'être en état de grâce. Il faut de plus avoir une foi vive dans les mérites du Rédempteur et une ferme confiance en l'infinie bonté du Seigneur, qui veut bien nous les appliquer par le moyen des indulgences. Il est indispensable encore de remplir toutes les conditions imposées par le souverain Pontife qui accorde l'indiligence qu'on se propose de gagner. La communion est presque toujours prescrite pour gagner une indulgence plénière. Les personnes qui sont dans la pieuse habitude de communier plusieurs fois la semaine ne sont pas tenues à faire précéder chacune de leurs communions par la confession. Il suffit qu'elles se confessent tous les douze ou treize jours ou même tous les quinze, dans certains diocèses, pour qu'elles puissent gagner les indulgences. Quant à celles qui ne sont pas dans l'habitude de la communion fréquente, la première condition requise pour qu'elles puissent gagner une indulgence plénière est la confession et ensuite la communion.

    Il est cependant des indulgences plénières qu'on peut gagner sans qu'il soit nécessaire de se confesser et de communier, pourvu qu'on soit en état de grâce. Telles sont les innombrables indulgences plénières et partielles attachées à la récitation des six Pater, des six Ave et des six Gloria Patri du Scapulaire bleu de l'Immaculée Conception de la sainte Vierge. Toutes ces indulgences sont applicables aux âmes du purgatoire, et on peut les gagner, non pas seulement une fois le jour, mais aussi souvent qu'on voudra réitérer la récitation des prières que nous venons de mentionner.

    On m'objectera peut-être qu'il faut des dispositions si parfaites pour gagner une indulgence plénière, qu'on ne peut se flatter de les avoir et qu'on n'a jamais la certitude de les avoir gagnées. A cela je répondrai qu'il faut faire tout ce qui dépend de soi pour avoir ces dispositions, les demander à Dieu avec ferveur, s'en rapporter à sa bonté et mettre en lui toute sa confiance. Si vos dispositions ne sont pas assez parfaites pour que vous puissiez recevoir l'indulgence dans toute son étendue, vous en obtiendrez au moins une partie, et Dieu ne laissera pas vos efforts sans récompense, comme il ne laissera pas sans soulagement les âmes auxquelles vous désirez que les indulgences soient appliquées.

    Les indulgences sont ordinairement attachées à des actes très faciles à accomplir, à de courtes prières, à de bonnes œuvres qui durent peu et sont à la portée de tous les fidèles. L'Eglise entre en cela dans les desseins de Dieu ; elle ne veut et n'ordonne que ce que Dieu veut et lui ordonne lui-même. Dieu et l'Eglise veulent donc que nous gagnions des indulgences, et que nous en gagnions non-seulement pour nous, mais aussi pour les morts.

    L'auguste Pie IX, dont le cœur est si tendre, si compatissant, a une dévotion spéciale aux saintes âmes du purgatoire et un zèle plein de dévouement pour elles. Dans la plupart des indulgences accordées par lui aux fidèles, Sa Sainteté ne manque pas de spécifier qu'elles sont applicables aux âmes du purgatoire.

    Pie IX a fonde une messe quotidienne pour le repos de ceux qui sont morts glorieusement en défendant les droits du Saint-Siége. Une cloche particulière se fait entendre chaque soir dans les appartements du Pape et sonne l'heure des morts. Pie IX ne manque jamais d'obéir à ce son funèbre qui lui rappelle les souffrances de ceux de ses enfants qui ne sont plus de ce monde et il prie pour eux. Cette pratique de prier tous les soirs au Vatican pour les morts n'est d'ailleurs pas nouvelle, et ce De profundis de Pie IX, comme on l'a appelé, a été, du moins depuis l'année 1736, le De profundis de tous les Papes qui l'ont précédé. Ce fut en effet en 1736 que le souverain Pontife Clément XII, pour exciter la piété des fidèles à l'égard des saintes âmes du purgatoire, accorda le premier à tous les chrétiens, par son bref Cœlestis Ecclesix thesaurus, une indulgence de 100 jours, chaque fois qu'au son de la cloche, à une heure de nuit, ils réciteront dévotement le De profundis, suivi du Requiem aeternam, pour les âmes du purgatoire.

    Efforçons-nous donc de seconder la tendre compassion que l'Eglise éprouve pour ceux de ses enfants qui sont entrés dans leur éternité sans avoir entièrement acquitté la dette qu'ils avaient contractée envers la justice de Dieu. Il dépend de nous de seconder la charité de notre Mère commune, et de réaliser le désir qu'elle éprouve de venir en aide à nos frères souffrants, en ne négligeant aucune occasion de gagner les indulgences que nous pouvons leur appliquer. Faisons pour eux ce que nous désirons qu'on fasse un jour pour nous, et songeons que si nous gagnons pour ces saintes âmes une indulgence partielle, nous abrégeons le temps de leur expiation. Si nous sommes assez heureux pour en gagner une plénière, l'âme à laquelle nous l'appliquons est aussitôt libérée de toute sa dette, le ciel s'ouvre pour elle, et elle s'y envole radieuse, emportant aux pieds du Seigneur la reconnaissance qu'elle voue et qu'elle conservera éternellement à son bienfaiteur.

      

    PRIÈRE.

    0 Jésus ! Dieu d'amour et de miséricorde, qui avez donné à l'Eglise notre Mère le pouvoir de nous ouvrir le trésor de vos mérites, et de nous appliquer par les indulgences le fruit de vos souffrances et de votre mort, nous vous bénissons d'une grâce si précieuse, et nos cœurs, pénétrés d'une vive reconnaissance, viennent vous demander de nous accorder des dispositions assez saintes, assez parfaites pour gagner les indulgences que l'Eglise met à notre disposition. Nous ne pouvons les avoir de nous-mêmes, mais vous pouvez nous les donner, ô adorable Sauveur ! et votre divin cœur ne nous les refusera pas, puisqu'en les lui demandant, c'est surtout votre gloire et le soulagement des saintes âmes du purgatoire que nous avons en vue.

    Votre cœur, ô mon Jésus ! s'enflamme d'une sainte ardeur à la pensée de pouvoir mettre un terme aux souffrances de ces âmes qui vous sont si chères, de hâter le moment tant désiré par elles, où elles iront s'unir éternellement à vous. Ce moment, ô Jésus ! vous le désirez plus encore qu'elles ne le désirent elles-mêmes ; ces âmes sont vos amies, vos épouses bien-aimées, et il vous tarde de récompenser leurs vertus, en les associant à votre gloire et à votre éternel bonheur.

    Formez donc vous-même dans nos âmes, aimable Sauveur, les dispositions que vous exigez de nous pour que les indulgences que nous désirons gagner pour elles leur soient accordées ; purifiez de plus en plus nos cœurs, et faites qu'ils deviennent des vases propres à recevoir l'abondance de vos miséricordes et à la faire déborder sur les âmes de ceux qui nous sont chers. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    Il fut révélé à sainte Thérèse qu'une de ses religieuses, qui d'ailleurs n'avait pas été en tout un modèle de perfection, était allée droit au ciel, grâce à la confiance qu'elle avait eue dans les indulgences et à son empressement pour les gagner. C'est se racheter, et racheter à bon marché ses frères de tourments incalculables.

    Saint Ignace, saint Liguori et mille autres ne cessaient de recommander à leurs disciples de gagner des indulgences. Il est dangereux de penser et d'agir autrement que les saints.

    Le capitaine X..., émigré polonais, demeurant à Rome (1860), passe depuis quinze ou vingt ans une partie de son temps à courir d'église en église, partout où il sait pouvoir gagner des indulgences. Nul ne le sait si bien que lui. Il applique toutes ses indulgences aux âmes du purgatoire, et lorsqu'il croit en avoir délivré une (il le croit probablement sur de bonnes raisons), il lui confie une âme de ce monde, ami, adversaire, quelqu'un qu'il voit dans une grande peine, et il recommande à cette âme qu'il a délivrée cette autre qu'il sait être en souffrance ou en péril.

    Ce qui peut prouver la solidité d'une telle dévotion, c'est le genre de vie que mène le capitaine. De ses nuits, il en écoule d'abord une partie en adoration devant le Saint-Sacrement, et ensuite il va se mettre au service d'un malade, ami ou autre. Il ne donne pas ses soins, il ne croit pas s'y entendre ; il reste dans l'antichambre, il prie ou dort. Il est là pour aller au besoin chercher le médecin. Lui, Polonais, a ainsi passé un mois dans l'antichambre d'une dame russe. Tout son petit revenu passe aux pauvres. Il se nourrit d'un morceau de pain, par vertu autant que par la glorieuse nécessité de ses aumônes.

    S'il se trouve chez un ami au moment du diner, et qu'il ait le temps de dîner, il dîne, mais il paie aux pauvres le repas qu'on lui a donné. Il est le cicérone des pèlerins pauvres. Il leur montre Rome, que nul ne connaît mieux que lui. Il leur trouve un gîte et un repas, lorsqu'il ne peut suffire lui-même à leurs besoins. [Parfum de Rome, L. Veuillot.)

    PRATIQUE.

    Se préparer toujours par la regret de ses fautes et une grande pureté de conscience, à gagner les indulgences.

     

    XXVIe Jour

    Quelles sont les âmes pour lesquelles nous devons spécialement prier.

    Je suis devenu semblable au pélican du désert, semblable au passereau resté seul sous le toit. (Ps. 101, ». 7, 8.)

    Ier Point. Si la charité nous fait un devoir de prier en général pour toutes les âmes des fidèles trépassés, elle nous en fait un bien plus spécial de prier pour celles de nos parents, de nos amis et de nos bienfaiteurs. Mais notre cœur se porte de lui-même à l'accomplissement de ce devoir, et nous en avons assez parlé dans le cours de cet ouvrage pour que nous n'ayons pas à y revenir aujourd'hui.

    Mais outre les prières que nous devons faire en général pour tous les morts, il est des âmes pour lesquelles nous devons prier d'une manière plus particulière. Les premières sont celles des personnes dont nous avons eu à nous plaindre et qui ont été pour nous une occasion d'épreuves et de peines. Notre divin Maître n'exclut personne du grand précepte de la charité fraternelle. Il nous ordonne d'aimer même nos ennemis, de prier pour eux, de les assister et de leur rendre le bien pour le mal, alors même que nous n'aurions aucun espoir de les voir revenir à la vertu et à la justice. Et notre adorable Sauveur, pour donner plus de force encore à ce précepte de l'amour des ennemis et nous en rendre l'accomplissement plus facile, a voulu le confirmer par son exemple lorsque, attaché à la croix, la première prière qu'il offrit à son Père sur cet autel sanglant fut une prière en faveur de ses bourreaux. « Mon Père, pardonnez leur, car ils ne savent ce qu'ils font. »

    C'est donc entrer dans l'esprit de notre divin Sauveur que de prier souvent et d'une manière spéciale pour les âmes des personnes qui ont été pour nous un sujet de peine et peut-être de grandes peines. Pendant leur vie, elles nous étaient hostiles, et il est possible que tout en leur pardonnant du fond du cœur nous n'ayons pas trouvé l'occasion de leur rendre le bien pour le mal et de leur prouver que nous ne conservions contre elles aucun ressentiment. Ce que nous n'avons pu alors, nous le pouvons aujourd'hui, nous pouvons les consoler, adoucir leurs souffrances, peut-être y mettre un terme, en priant pour elles, en offrant en leur faveur quelques œuvres satisfactoires. Poursuivons de notre charité les âmes de nos ennemis jusqu'entre les- mains de la justice divine, c'est le plus sùr moyen d'attirer sur elles et sur nous les miséricordes de Celui qui qui a dit : « Heureux les miséricordieux, parce qu'ils obtiendront miséricorde.

    Et puis ces saintes âmes ont reçu leur pardon ; elles ne sont plus ni les ennemis de Dieu, ni les nôtres. Elles nous aiment maintenant d'un amour d'autant plus fort qu'elles nous ont moins aimé et qu'elles nous ont fait plus de mal pendant leur vie. Elles regrettent, elles pleurent leurs torts envers nous, elles les expient, et si elles le pouvaient, elles se prosterneraient à nos pieds pour implorer notre pardon. Estimons-nous donc heureux de pouvoir leur prouver que depuis longtemps ce pardon leur a été accordé, que nous les aimons et les avons toujours aimées.

    Il est encore d'autres âmes en faveur desquelles la justice élève sa voix sévère et nous fait un devoir impérieux de prier. Ce sont les âmes des personnes que nous avons pu scandaliser et porter au mal, soit par un exemple peu édifiant, soit par un conseil imprudent ou peu conforme à la vertu. Rappelons nos souvenirs, examinons notre conscience, et si nous avons quelques fautes de ce genre à nous reprocher, souvenons-nous qu'étant la cause directe des souffrances de ces pauvres âmes, nous sommes tenus, en justice, à chercher à les soulager par tous les moyens en notre pouvoir, et à les aider à acquitter la dette qu'à notre instigation elles ont contractée envers la justice divine.

    Si nous voyions un de nos amis, un étranger même tombé dans un précipice par notre faute, l'abandonnerions-nous et ne ferions-nous rien pour l'aider à en sortir ? Loin de là, nous mettrions tout en œuvre pour le délivrer, et s'il le fallait, nous exposerions même notre vie pour réparer le mal que lui aurait causé notre imprudence.

    Faisons, sans nous flatter, un retour sur nous-mêmes, et voyons si notre vie a toujours été assez pure, assez évangélique pour que nous n'ayons jamais été un sujet de scandale et de péché pour quelqu'un de nos frères. Ah ! si nous avons eu le malheur de scandaliser une âme qui a déjà subi son jugement, quelque édifiante qu'ait pu être sa fin, ne nous rassurons pas trop vite sur son compte, comptons sur la miséricorde de Dieu pour cette âme comme nous y comptons pour nous-mêmes, mais n'oublions pas sa justice. Nous avons l'espérance que la coulpe de son péché lui a été pardonnée, mais nous ne pouvons avoir la certitude que les peines qu'elle avait encourues en péchant lui aient été remises, et nous devons nous dire en gémissant : Hélas ! en ce moment cette âme infortunée pleure et expie au milieu de flammes dévorantes les fautes que je lui ai fuit commettre. Elle déteste le jour où elle m'a connu, la crainte qu'elle a eu de me déplaire en résistant à mes pernicieux conseils ; sans moi, elle serait dans la société des anges, et à cause de moi elle gémit et gémira peut-être longtemps encore dans ces flammes vengeresses. Ce feu qui la consume, c'est moi qui l'ai allumé, et si le ciel ne s'est point encore ouvert pour elle, c'est moi qui lui en ai fermé l'entrée. Ah ! c'est moi, ô mon Dieu, que devrait d'abord frapper votre justice ; c'est sur moi que devrait s'appesantir votre bras vengeur. Mais puisque vous m'épargnez, je ne veux pas aggraver mon crime par une coupable indifférence pour cette âme dont j'ai causé le malheur, et je ne me donnerai pas de repos avant d'avoir apaisé votre colère par mes larmes et par ma pénitence.

    IIe Point. Nous devons encore prier pour les âmes du purgatoire qui y subissent des peines plus grandes, et dont la durée doit être plus longue. Dieu, nous le savons, est souverainement équitable, et par là même il ne peut frapper également toutes les âmes qui ont besoin d'être purifiées. Aussi une proportion exacte est-elle gardée entre la mesure, le temps, l'intensité de leurs souffrances, et la matière, la grièveté, la multitude des fautes dont elles ont à laisser la rouille dans ce redoutable creuset.

    Nous ne saurions comprendre autrement la justice de Dieu et elle doit nécessairement établir dans les peines qu'elle inflige les mêmes gradations qui ont existé dans l'offense. D'où nous devons conclure que Dieu, mesurant les douleurs à la dette relative de chaque âme. il s'en trouve parmi elles qui ont a subir des expiations et plus longues et plus terribles ; et de même que dans le séjour des éternelles récompenses il y a des trônes plus ou moins élevés et que Dieu distribuera à ses élus selon leurs mérites, il y a aussi plusieurs demeures, plusieurs degrés de peines dans la prison de la justice divine, qui sont assignées et infligées aux âmes qui y sont détenues, selon le degré de leur culpabilité.

    Dans le Deutèronome, Moïse régla que les prévaricateurs de la loi qui seraient condamnés à la flagellation reçussent un nombre de coups de verges déterminé par les juges selon la gravité des délits. Ainsi en agit le souverain Juge vis-à-vis des saintes âmes du purgatoire, et si notre regard pouvait plonger dans ces régions de ténèbres et de douleurs, nous reconnaîtrions des nuances infinies dans les peines. Mais nous pouvons faire desappréciations.

    Parmi ces âmes souffrantes il en est qui, revenues au Seigneur après une vie de dissipation et de plaisirs coupables, n'ont fait de leurs fautes passées qu'une pénitence molle, insuffisante, et sont entrés dans leur éternité chargées d'immenses dettes qu'elles doivent y acquitter. Qui pourrait douter que leurs souffrances ne doivent être et plus longues et plus intenses que celles des âmes qui, après avoir passé les années de leur vie terrestre dans la pratique de toutes les vertus chrétiennes, n'ont emporté au tribunal du souverain Juge que quelques légères fautes échappées à la fragilité et à la faiblesse de la nature humaine ?

    Il est d'autres âmes en purgatoire qui n'ont été revêtues de la grâce sanctifiante qu'au moment de comparaître devant leur Juge ; leur expiation doit nécessairement être terrible, et il ne viendra à la pensée de personne de supposer qu'elle doive être semblable à celle du religieux qui a porté le joug du Seigneur dès sa jeunesse et à qui n'ont été reprochées que de légères infidélités. Il est donc vrai qu'un grand nombre de ces saintes âmes souffrent tout ce que les expiations du purgatoire ont de plus cruel et de plus désolant. 0r, si pour les âmes les moins redevables à la justice divine, la double peine des sens et du dam est déjà si terrible par elle-même, que sont donc les peines réservées aux autres ?

    Parmi les innombrables visions dont fut favorisée sainte Brigitte, il en est une qui confirme ce que nous venons d'avancer. Transportée en esprit en face des gouffres de l'enfer, la sainte vit dans le fond de l'abîme une fournaise indescriptible par l'horreur des ténèbres, la fumée et les flammes qu'elle vomissait. Volcan éternel dont les laves embrasées et bouillonnantes arrivaient à grands flots jusque sur l'orifice du soupirail. Au-dessus de ce soupirail, recevant les premiers jets des flammes, les premières exhalaisons du gouffre infernal, gisaient les âmes de la première région du purgatoire, celles qui avaient besoin d'une plus grande expiation. Plus loin étaient d'autres régions plus ou moins rapprochées de l'affreux soupirail, selon le degré de peines auxquelles étaient condamnées les âmes qui les remplissaient.

     

     

    Saisie d'horreur à cet affreux spectacle, la sainte avoue qu'elle sentit son sang se glacer dans ses veines, et que pénétrée de douleur et d'une tendre compassion pour ces pauvres âmes qui enduraient de si cruels tourments, elle ne put que se jeter aux pieds de Notre-Seigneur en implorant sa clémence en faveur des âmes qui recevaient avec plus d'intensité l'ardeur de ces flammes vengeresses. Imitons la charité de sainte Brigitte et que les âmes les plus souffrantes du purgatoire aient aussi la plus grande part à nos prières et à nos œuvres satisfactoires.

    Parmi ces saintes captives, il en est d'autres encore qui doivent nous inspirer une tendre compassion et pour lesquelles la charité nous fait un devoir de prier d'une manière particulière. Ce sont les âmes abandonnées. Combien y en a-t-il dans ces tristes demeures qui n'obtiennent plus aucun souvenir des vivants. Peu leur importe, il est vrai, cet oubli, cet abandon des créatures. Elles ne tiennent plus qu'à Dieu, elles n'aspirent plus qu'à lui. Mais la conséquence de cet oubli est la privation de tout secours de la part des vivants, et cette privation leur est d'autant plus sensible qu'elles n'en peuvent plus attendre d'ailleurs.

    Combien n'y a-t-il pas de ces pauvres âmes dont les parents, après avoir donné quelques larmes à leur mémoire, peut-être offert à Dieu quelques prières pour elles, les oublient complétement ensuite, se laissant absorber par le soin de leurs affaires ou de leurs plaisirs.

     

     

    Combien encore de vieillards sans enfants, ou d'orphelins qui ne laissent après eux ni parents ni amis chrétiens qui puissent les suivre au-delà du temps de leur souvenir, de leur affection et de leurs prières !

    Combien encore de soldats, de marins, de voyageurs, d'étrangers, qui meurent loin de leurs pays et dont les familles ignorent longtemps la mort ! Combien d'indigents, dans les grandes villes, qui vivent et meurent méconnus de tous, et dont on ignore jusqu'au nom ! Qui s'occupe de cette multitude de pauvres âmes ?

    L'Eglise, il est vrai, ne délaisse, n'oublie aucun de ses enfants, et les âmes dont nous parlons ont part comme les autres aux prières que cette tendre mère adresse tous les jours au Seigneur en faveur de toutes les âmes du purgatoire en général ; mais outre ces prières communes, il ne leur vient de la terre aucun secours particulier.

    Hélas ! si ces saintes âmes n'ont que cette part commune que l'Eglise, dans son maternel amour, accorde à tous ses enfants décédés, si elles ont contracté pendant leur vie des dettes nombreuses, si elles ont beaucoup à expier, et qu'elles soient entièrement privées du bénéfice des messes, des aumônes, des prières qu'elles avaient droit d'attendre de leurs proches, quel triste horizon de douleur et de solitude ne s'ouvre pas devant elles, et quel surcroît d'affliction ne leur cause pas ce délaissement universel !

     

     

    Que nos cœurs s'émeuvent d'une tendre compassion à la vue des souffrances de ces pauvres âmes abandonnées, délaissées de tous. Si elles nous sont étrangères dans l'ordre de la nature, elles sont nos proches dans celui de la grâce ; les liens de la charité nous unissent à elles ; comme nous, elles sont membres de Jésus-Christ et enfants de son Eglise. Soyons donc leurs protecteurs, leurs consolateurs. Efforçons-nous de leur tenir lieu des parents qu'elles n'ont pas, ou de ceux qui les oublient, et de même que dans la distribution de nos aumônes nous devons assister de préférence les pauvres qui sont le moins secourus et dont la misère est plus grande, faisons ainsi pour les âmes abandonnées et donnons-leur, dans nos prières et dans nos bonnes œuvres, une plus large part qu'aux autres.

    Enfin nous devons encore prier pour les âmes les plus voisines de leur délivrance. Il y a en purgatoire un grand nombre d'âmes dont l'expiation touche à sa fin. Combien, parmi elles, n'attendent peut-être qu'une messe, une faible aumône, une légère mortification, la récitation de quelques prières, pour voir tomber leurs chaînes et s'ouvrir les portes de leur triste prison ! Ah ! ne leur refusons pas un si faible secours, soyons jaloux d'être leurs libérateurs, hâtons nous de finir d'acquitter leur dette et de leur ouvrir le ciel, où elles iront glorifier Dieu et prier pour nous. Ainsi soit-il.

    PRIÈRE.

    0 Jésus ! Dieu de bonté et de miséricorde, souverain juge des vivants et des morts, s'il se trouve dans le lieu de l'expiation quelques âmes que votre justice y retient pour les torts qu'elles ont pu avoir envers moi, je vous conjure, ô mon Dieu, de leur pardonner comme moi-même je les leur pardonne ; oubliez, Seigneur, comme je l'oublie moi-même, ce qu'elles ont pu me faire souffrir, faites descendre sur elles l'abondance de vos miséricordes ; je vous demande cette grâce et par le sang que vous avez versé pour nous, et par la charité qui vous porta à prier sur la croix pour ceux qui venaient de vous y attacher.

    Daignez aussi, ô mon aimable Sauveur, jeter un regard de compassion sur les âmes pour lesquelles j'ai pu être un sujet de scandale et de péché. Ah ! Seigneur, puisque leurs souffrances sont mon ouvrage, puisque je suis cause des tourments qu'elles endurent, je suis responsable envers votre justice. La dette qu'elles ont contractée envers elle est également la mienne, et désormais je m'efforcerai de l'acquitter, et pour elles et pour moi. Grâce, pitié, ô mon Dieu ! pour ces saintes âmes qui sont en quelque sorte mes victimes ; grâce, pitié aussi pour moi, qui ai à me reprocher le double malheur de vous avoir offensé et de les avoir portées soit par mes exemples, soit par mes conseils, à vous offenser aussi. Que mon repentir fléchisse votre colère, ô mon Jésus, qu'il plaide auprès de votre divin cœur et leur cause et la mienne, et que mes larmes, unies aux dernières larmes que vous avez versées sur la croix, éteignent le feu dévorant qui les brûle.

    Ayez aussi pitié, ô très miséricordieux Sauveur, des âmes qui, étant plus que d'autres redevables à votre justice, souffrent en purgatoire des souffrances plus intenses et qui doivent être plus longues. Ayez également pitié de tant de pauvres âmes abandonnées, oubliées sur la terre et qui languissent dans le délaissement et la douleur. Que votre cœur, si compatissant et si tendre, soit touché de leur triste sort et leur applique les mérites inflnis de votre délaissement sur la croix. Ayez encore pitié, ô miséricordieux Sauveur, des âmes les plus proches de leur délivrance ; laissez tomber sur elles une goutte de votre précieux sang, afln que, libérées de toutes leurs dettes, rien ne retarde plus leur éternel bonheur. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    Marie Villani, dominicaine, était continuellement occupée à soulager les âmes du purgatoire, et Dieu, récompensant sa dévotion, lui manifestait souvent leurs besoins.

    Un jour, tandis qu'elle priait avec beaucoup de ferveur pour elles, elle fut ravie en esprit et conduite dans le lieu de leurs supplices. Là elle vit, parmi une multitude d'âmes souffrantes, celle d'une personne qui avait vécu dans la dissipation et l'oubli de Dieu. Elle était plus éprouvée que les autres, elle était entourée, de la tête aux pieds, d'un vêtement de flammes pétillantes.

    Touchée de compassion, la religieuse s'approcha d'elle, et lui demanda si elle n'éprouvait jamais de soulagement ?» Je suis ici depuis très longtemps, répondit-elle, effroyablement châtiée pour mes vanités, mon luxe scandaleux ; je n'ai pas encore obtenu le moindre soulagement. Le Seigneur a permis que je fusse oubliée de mes parents, de mes enfants, de toute ma famille, de mes amis. Ils ne font aucune prière pour moi ; sur la terre, tout mon temps, toutes mes fatigues étaient consacrés à leur procurer du bien-être, de la fortune, des avantages temporels : j'en suis bien récompensée, vous le voyez, puisqu'ils me laissent à mes douleurs. »

    Ces paroles causèrent une vive impression de pitié à Marie Villani. Animée d'une nouvelle ardeur, elle ne cessa pendant deux mois de prier et de se macérer pour cette pauvre âme abandonnée. Après ce terme, l'âme lui apparut pour lui annoncer sa délivrance.

    PRATIQUE.

    0ffrir spécialement nos prières aujourd'hui pour les âmes du purgatoire qui pendant leur vie ont pu être pour nous un sujet de peine, pour celles que nous avons scandalisées, pour celles dont l'expiation est la plus douloureuse, enfin pour les âmes les plus abandonnées et les plus proches de leur délivrance. 

    XXVIIe JOUR

    Oubli, indifférence des vivants pour les morts.

    Voyez mon humiliation et ma peine et remettez moi tous mes péchés, ô mon Dieu ! Les afflictions de mon cœur se sont multipliées, tirez-moi de ma détresse. (Ps. 24, v. '7.) .

    Ier Point. Une des peines les plus sensibles au cœur de l'homme c'est l'indifférence, l'oubli de ceux qu'il aime. Cette peine est pour lui comme un poids qui l'étouffe, qui l'écrase et qui voue sa vie à la tristesse, à la douleur et aux larmes. Chacun de nous veut vivre dans le cœur, dans la mémoire de ses proches et de ses amis, non seulement ici-bas, mais chacun espère encore y vivre après sa mort. Quel est le père, la mère, qui ne soient convaincus que leur souvenir ne s'effacera jamais du cœur de leurs enfants ? l'époux qui, en quittant la vie, n'espère vivre toujours dans la mémoire de son épouse, l'ami dans celle de son ami ? Entourés à leurs derniers moments des témoignages d'une affection, d'un dévouement dont ils ne sauraient mettre en doute la sincérité, ils croient à leur durée. Mais, hélas ! disons-le, cette durée est bien courte. Dans les premiers jours de ces tristes séparations, les regrets sont vifs, la douleur souvent plus violente que profonde, les larmes semblent intarissables ; puis les jours, les mois s'écoulent, et avec eux les regrets s'adoucissent, la douleur s'affaiblit, les larmes cessent de couler, la vie qui avait paru devoir être à jamais décolorée, dépourvue de toutes joies, apparaît peu à peu sous un aspect plus riant, elle reprend ses enchantements, ses plaisirs. Le souvenir du parent, dé l'ami tant pleuré, tant regretté, ne revient plus qu'à de rares intervalles, puis il disparaît tout à fait comme lui-même a disparu.

    Je sais bien qu'il est des affections qui survivent à la mort, des souvenirs que le temps n'efface pas, des cœurs qui ne savent pas oublier. Je sais surtout que les affections qui sont ancrées en Dieu, et dont son amour est le principe et la fin, participent en quelque sorte à la nature de ce divin amour et sont immuables, immortelles comme lui. Ceux qui s'aiment ainsi peuvent être séparés par la mort, ils ne peuvent être désunis. Celui qui reste ici-bas, loin d'oublier l'ami, le parent qu'il pleure et qu'il regrette, le suit dans son éternité ; il le suit par ses prières, par ses bonnes œuvres, par son souvenir continuel qu'il porte devant Dieu ; enfin il sait encore lui prouver son dévouement et la constance de son amour par les sacrifices qu'il s'impose pour hâter son bonheur.

    Mais, disons-le, cette constance d'affection est rare, elle ne se rencontre que dans les vrais chrétiens ; car dans le monde rien n'est stable, et il ne faut compter ni sur la constance des affections qu'on y rencontre, ni sur les protestations de dévouement qu'on y prodigue ; tout cela est plus ou moins sincère, mais rien de tout cela ne peut durer, parce qu'il n'y a là que des sentiments purement humains, et qui participent nécessairement à la légèreté, à l'inconstance de notre pauvre nature. Les amitiés les plus chaudes, en apparence les plus vraies, résistent rarement à l'épreuve d'une longue absence ; comment résisteraient-elles à celle de la mort ? Rien dans le monde ne s'oublie aussi vite que la mort. Pourquoi ? parce que c'est une pensée qui attriste, qui porte à des réflexions sérieuses, et pour ne pas s'attrister, pour ne pas être forcé de réfléchir, on éloigne cette pensée, et avec elle le souvenir de ceux qu'on prétendait aimer et sur lesquels la tombe s'est refermée.

    Quelles sont les personnes du monde qui au bout d'un certain temps songent encore à prier pour les âmes des parents ou des amis qu'elles ont perdus ? Au moment de leur mort on se laisse absorber par une douleur qui n'a rien de chrétien et on ne prie pas. C'est à peine si l'on songe à faire célébrer quelques messes pour l'âme qui vient d'entrer dans son éternité. Quand au bout d'un an revient l'anniversaire de la mort d'un parent, un service est encore célébré pour le repos de son âme, puis tout est fini, et la pauvre âme, désormais abandonnée, n'a plus à attendre aucun secours de ceux qu'elle a tant aimés.

    Et puis dans le monde on se rassure si facilement sur le sort des morts, qu'il ne vient pas même à la pensée d'un grand nombre de personnes que ceux qu'ils ont perdus puissent avoir besoin de prières. Il suffit qu'à ses derniers moments un mourant n'ait pas refusé les secours de la religion, qu'il se soit réconcilié avec Dieu, qu'il ait manifesté quelques sentiments de foi et de repentir, pour qu'on soit complétement rassuré sur son sort, et qu'on dise, quels qu'aient été ses antécédents : « Il est bienheureux, il ne souffre plus, il a fait la mort d'un saint, maintenant il est au ciel. »

    Ce langage qui si souvent a attristé nos oreilles, et plus encore notre cœur, parce que nous en pressentions les tristes conséquences, prouve une grande ignorance dans ceux qui le tiennent ou une fausse et présomptueuse confiance en la miséricorde de Dieu. Sans doute on a raison de compter sur la miséricorde divine et pour soi et pour les autres, et de ne désespérer du salut d'aucune âme, quelles qu'aient pu être sa vie et ses erreurs, mais en croyant à l'infinie miséricorde de Dieu, il ne faut pas nier sa justice. Il est vrai que l'infinie bonté du Seigneur pardonne au pécheur en quelque temps qu'il revienne à lui ; fut-ce à la dernière heure du jour, il lui remet la peine éternelle due à ses égarements ; mais il est également vrai que sa justice exige qu'il subisse une peine temporelle, soit en ce monde, soit en l'autre, pour l'expiation de ses fautes, et si la mort ne lui laisse pas le temps de faire cette expiation ici-bas , il doit nécessairement la subir dans l'éternité. Et si les âmes les plus pures, les plus innocentes, le sont rarement assez pour aller droit au ciel, si presque toutes doivent passer par les flammes du purgatoire pour y laisser l'imperceptible poussière qu'elles emportent de notre terre de péché, n'est-ce pas une absurdité de se flatter qu'un pécheur qui, pendant de longues années, a avalé l'iniquité comme l'eau, qui, revenu a sa dernière heure sincèrement à Dieu, nous le croyons, mais qui n'a eu le temps de faire aucune pénitence, jouira d'un privilége à peine accordé aux âmes les plus saintes et sera mis immédiatement après sa mort en possession du bonheur éternel ? Le penser et le croire serait nier la justice de Dieu.

    Cette illusion devient funeste aux pauvres âmes sur le sort desquelles on se rassure si imprudemment ; car n'ayant plus aucune inquiétude pour elles, leurs proches négligent de prier pour elles et de travailler à les secourir les secourir. A quoi bon prier pour des âmes qu'on croit au ciel ? Hélas ! elles eu sont bien loin encore, et dans leur prison brûlante elles déplorent l'illusion qui les prive des secours qu'elles avaient droit d'attendre de leurs parents et de leurs amis.

    IIe Point. Gardons-nous de partager la fausse confiance dont nous venons de parler, et prions pour tous ceux que nous voyons sortir de ce monde, qu'ils soient justes ou pécheurs ! Prions même pour les âmes les plus saintes, car nul ne connaît les jugements de Dieu ; il ne faut souvent qu'une légère faute pour retenir une âme sur la route du ciel. Le Seigneur demandera beaucoup à celui à qui il a beaucoup donné ; d'ailleurs, si l'âme pour laquelle vous priez n'a pas besoin de vos prières, Dieu les appliquera à d'autres qui en ont besoin, et le mérite de votre acte de charité vous restera.

    Si tous les chrétiens écoutaient comme ils le doivent la triple voix de la religion, de la nature, de la reconnaissance, s'ils se rappelaient les obligations que leur impose ou la justice, ou leurs promesses, les suffrages descendraient dans le purgatoire comme une pluie assez abondante pour en éteindre les flammes. Mais l'oubli des morts est si général, l'indifférence pour leur sort au-delà de la tombe est si commune, que les âmes qui subissent les brûlantes ardeurs de ces flammes redoutables ne reçoivent pour la plupart qu'un faible soulagement. On pourrait comparer ce soulagement à la légère rosée du matin, qui dans l'été brûle les plantes plutôt qu'elle ne les rafraîchit. L'oubli, l'indifférence qui posent sur un si grand nombre dames du purgatoire aggrave encore leurs souffrances. Combien n'est-il pas triste pour elles de se sentir oubliées, abandonnées par ceux-là mêmes qu'elles ont comblés do leurs bienfaits, et qu'elles ont peut-être trop aimés !

    Quel triste parallèle, dit saint Cyrille, on peut établir entre le purgatoire et la terre ! Dans cette profonde prison, les âmes souffrent au milieu du feu des tourments inexprimables, et sur la terre personne ne daigne y faire attention. Leur voix plaintive implore du secours et des consolations, et nulle oreille favorable ne s'ouvre à leurs prières. Elles réclament l'accomplissement des promesses qu'elles ont reçues, des legs qu'elles ont faits, et cet appel à la charité et à la justice n'est pas entendu. Elles se désolent et versent des larmes de douleur, et pas un cœur ne s'émeut, pas une âme ne s'attendrit et ne songe à ouvrir les portes de leurs brûlants cachots. Qui peut excuser tant de dureté et d'ingratitude chez des parents, des amis, chez des chrétiens surtout ?

    Et que font ces saintes âmes en retour de tant de dureté ? Crient-elles vengeance contre les ingrats qui les oublient et les abandonnent ? Appellent-elles sur eux les châtiments du ciel, et excitent-elles par de justes plaintes la justice diviue déjà irritée de leur inhumanité ? Non, non ; fidèles imitatrices du Dieu qui sur la croix priait pour ses bourreaux, elles prient pour ceux qui les délaissent et elles s'écrient : Pardon, miséricorde, ô mon Dieu, pour cet enfant, pour cet époux, pour ce frère, cet ami qui nous oublie et qui prolonge le martyre que nous endurons dans ces flammes dévorantes ! Ne nous vengez pas, ô mon Dieu, mais pardonnez-leur comme nous leur pardonnons.

    Enfants, parents ingrats, dénaturés, si vous n'êtes pas touchés des souffrances de ces âmes qui devraient vous être si chères, soyez au moins touchés de leur charité, et de l'amour qu'elles vous conservent malgré votre ingratitude et votre coupable abandon ; que les sentiments de la foi et de la nature, en se réveillant dans vos cœurs, vous fassent rougir de votre dureté, et vous inspirent la généreuse pensée de la réparer en faisant désormais tous vos efforts pour venir au secours de ces âmes si longtemps délaissées.

    Souvenez-vous que l'indifférence, la dureté envers les saintes âmes du purgatoire, ne resteront pas impunies. Dieu se fera leur vengeur, et il les châtiera comme il châtie la dureté envers les pauvres ; il permettra qu'on vous oublie, qu'on vous délaisse, comme vous aurez vous-même oublié et délaissé les autres ; qu'on soit indifférant, insensible à vos souffrances comme vous l'aurez été pour celles de vos frères. Le jour viendra, et peut-être n'est-il pas loin, où vous passerez à votre tour de l'empire de la miséricorde de Dieu sous celui de sa justice. Alors vous connaîtrez par expérience ce que sont ces terribles expiations du purgatoire, dont vous vous préoccupiez si peu et pour les autres et pour vous, et vous regretterez, mais trop tard, de n'avoir pas eu pour les âmes que vous avez négligé de secourir, la charité que vous souhaiteriez que les vivants eussent pour vous.

    Si au contraire vous avez été compatissant, charitable pour ces saintes âmes, Dieu permettra qu'on le soit également pour vous, qu'on se serve pour vous de la mesure dont vous vous serez servi pour elles. Vous ne les avez pas oubliées, on ne vous oubliera pas non plus ; vous avez prié pour elles, on priera pour vous ; vous vous êtes chargé d'acquitter une partie de leur dette par des œuvres satisfactoires, d'autres, mus par la même charité, se chargeront d'acquitter une partie de la vôtre ; et en supposant que vous ne laissiez après vous sur la terre ni parents ni amis pour prier pour vous et vous procurer les secours que vous aurez vous-même procurés aux autres, Dieu saura bien y suppléer, soit en vous donnant une plus large part aux prières de son Eglise, soit en vous appliquant les messes et les prières qui lui sont offertes en faveur de tant d'âmes qui n'en ont plus besoin. La justice et la bonté du Seigneur ne permettront jamais qu'une âme qui pendant sa vie se sera montrée constamment compatissante et charitable pour les saintes âmes du purgatoire, soit un jour privée de secours et de consolations dans ce lieu de douloureuse expiation.

    PRIÈRE.

    Comment pourrais-je oublier, ô mon Dieu, ces âmes auxquelles vous aviez uni la mienne par les liens de l'affection ? Comment pourrais-je abandonner dans leurs cruelles souffrances ces êtres chéris qui m'ont donné pendant leur vie des preuves si multipliées d'une affection si tendre et si dévouée ? Ah ! puisque d'après le sentiment des saints et des docteurs de votre Eglise, les douleurs du purgatoire surpassent tous les tourments qu'on peut endurer ici-bas, comment mon cœur pourrait-il rester insensible, indifférent à ces terribles peines qu'endurent peut-être en ce moment les âmes de ceux que j'ai le plus aimés sur la terre ? Hélas ! je ne pouvais autrefois leur voir endurer la plus légère douleur sans mettre tout en œuvre pour les en délivrer ; je ne pouvais voir un nuage de tristesse obscurcir leur front sans chercher aussitôt à le dissiper par tous les efforts d'une inquiète tendresse ; leurs peines étaient mes peines, leur tristesse, leurs chagrins envahissaient mon âme, leurs larmes provoquaient les miennes, et aujourd'hui ! leurs tristes plaintes, leurs cruelles souffrances, leurs larmes brûlantes n'attendriraient plus mon cœur ? Non, non, mon Dieu, vous le savez, il n'en est pas, il n'en sera jamais ainsi. Les êtres chéris que vous avez enlevés à ma tendresse vivent toujours dans mon cœur. Ce cœur est tout plein de leur souvenir, chaque jour je le porte à vos pieds, et je m'oublierais plutôt moi-même avant de les oublier. La mort n'a pas éteint, elle n'a pas même affaibli l'amour que je leur avait voué, et cet amour, je veux le leur prouver toujours en ne cessant pas de prier pour eux, d'offrir en leur faveur des œuvres satisfactoires, en ne cessant jamais d'implorer pour eux votre infinie miséricorde. Daignez la répandre, ô mon Dieu, et sur ces âmes qui me sont si chères et sur moi-même, et nous réunir un jour au pied votre trône éternel. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    Un soir où le P. Joseph Anchieta, de la compagnie de Jésus, après la visite faite à un moribond, retournait très tard à son collége de Baja, il entendit des pleurs et des gémissements sortir du fond d'un étang près duquel il passait. Ces voix qui paraissaient humaines, effrayèrent son compagnon qui commença à trembler et se sentit couvert d'une sueur froide. Mais lui, le prenant par la main, l'attira plus près du bord, pour savoir ce que c'était, et plus ils approchaient de l'eau, plus il fut convaincu qu'il entendait des âmes du purgatoire. Alors plein d'étonnement et de compassion, il s'écria : « Dieu éternel, combien est grande votre puissance ! Et se mettant à genoux avec foi, il récita cinq Pater et cinq Ave en l'honneur des cinq plaies de Notre-Seigneur, pour obtenir le repos de ces âmes. Sa prière fut exaucée ; car ces plaintes lamentables cessèrent tout à coup et ne se firent plus jamais entendre.

    Combien souvent les âmes du purgatoire font aussi parvenir leurs cris à notre oreille, soit par la voix des ministres de la religion, soit par les bienfaits ou les châtiments qui nous arrivent, soit par les remords de la conscience ou les inspirations de la grâce. Mais sommes-nous portés à leur accorder un prompt secours ? Si nous y avons manqué, qu'il n'en soit plus ainsi à l'avenir.

    PRATIQUE.

    Se faire un devoir de ne passer aucun jour sans prier pour les âmes du purgatoire, ne pas se rassurer trop vite sur le sort de ceux qu'on a perdus, et prier pour eux, quelles qu'aient pu être l'innocence et même la sainteté de leur vie.

     

    XXVIIIe JOUR

    Reconnaissance des saintes âmes du purgatoire pour leurs bienfaiteurs.

    Faites vous des amis qui, lorsque vous viendrez à manquer vous reçoivent dans les tabernacles éternels.

    Ier Point. Quelle n'est pas la joie, le bonheur, le ravissement d'une âme qui, après les longues et douloureuses expiations du purgatoire, se voit enfin libérée de toutes ses dettes et libre de prendre son essor vers le ciel. Qui pourra nous peindre l'enivrement de cette âme et les divers sentiments qui se pressent en elle au moment où elle entre dans ce beau séjour de l'éternelle félicité, où, pour la première fois, la gloire de Dieu lui apparaît, l'investit, la pénètre de ses divins rayons et fait couler en elle un torrent de délices dont rien jusque-là n'avait pu lui donner la plus légère idée. Eblouie, ravie, transportée d'un inénarrable bonheur, cette âme qui se voit pour jamais en possession de tous les biens, s'élance avec la rapidité de la flèche qu'une main habile dirige vers son but, vers le trône immortel de l'Agneau divin auquel elle doit son éternel bonheur, et qui, en couronnant ses vertus, va couronner en elle ses propres dons.

    Jésus l'appelle. Pour la première fois elle entend sa voix, et cette voix la bénit d'une éternelle bénédiction ; pour la première fois elle le voit dans tout l'éclat de sa divine et ravissante beauté. Les yeux de son Sauveur s'attachent sur elle et l'enveloppent d'un long regard d'amour. Ah ! tous les autres objets disparaissent alors à sa vue, elle ne voit plus que Jésus ; plus prompte que l'éclair, elle s'élance vers lui et va tomber au pied de son trône, oubliant pour un instant et les neuf chœurs des anges qui par de nouveaux cantiques célèbrent sa bienvenue, et la multitude des saints qui applaudissent à son triomphe et se réjouissent de compter parmi eux un élu de plus.

    Mais comment nous former seulement une idée de ce qui se passe en cette àme, lorsque la main divine de Jésus, cette main qui conserve encore la glorieuse cicatrice des plaies reçues pour son amour, pose sur son front la couronne de l'immortalité, lorsqu'il la présente à son Père comme le prix de son sang et son héritage ; lorsqu'elle l'entend lui dire : « Tout ce que j'ai est à toi ; moi-même je t'appartiens, je suis ton bien, ta propriété pour toujours ; désormais rien ne peut plus nous séparer, rien ne peut rompre les liens qui nous unissent. Viens donc, jouis de mon bonheur, rassasie-toi de mon amour, et pour jamais vis de ma propre vie. » Comment dire ce qu'elle éprouve lorsqu'elle se sent investie de toutes parts de la lumière et de la gloire de son bien-aimé, lorsque son amour et sa vie s'insinuent en elle et pénètrent toutes ses puissances de si ravissantes délices et d'un bonheur si grand, si parfait, que nous ne pouvons ni l'exprimer, ni même le comprendre avant d'en avoir fait la douce expérience. 

    Ce qui ajoute au bonheur de cette âme, c'est que désormais rien ne peut plus le lui ravir. Pour elle plus de vicissitudes, plus de craintes, plus de combats, plus de dangers, tout est passé pour ne plus revenir. Toutes ses larmes sont essuyées, la source en est à jamais tarie. Plus de souffrances, plus de croix, plus d'inquiétudes, de trouble ; au lieu de tout cela, des joies sans cesse renaissantes, une sécurité parfaite, une paix profonde et désormais immuable. Et puis plus de maladies, plus de mort, de jugement à subir ; pour cette âme, l'épreuve de la vie mortelle est finie ; elle a atteint lebut de ses espérances, son sort est irrévocablement fixé ; elle possède Dieu, elle ne peut plus le perdre ; les siècles succéderont aux siècles, les générations aux générations, la terre qu'elle a habitée verra luire son dernier jour, et elle le possédera toujours. Elle est heureuse du bonheur de Dieu même, elle vit de sa vie, et ce bonheur, cette vie sont éternels comme lui.

    Supposez maintenant, vous qui lisez ceci, que cette âme, dont nous avons essayé de vous faire comprendre le bonheur, ait été délivrée par vous des peines du purgatoire, que par une fervente communion, une messe que vous aurez fait célébrer pour elle, une indulgence plénière que vous lui aurez appliquée, une aumône ou toute autre bonne œuvre que vous aurez offerte à Dieu en sa faveur, vous lui ayez ouvert les portes du ciel ; figurez-vous, si vous le pouvez, la reconnaissance dont elle se sent pénétrée pour vous qui avez été son libérateur et qui avez mis fin à ses cruelles souffrances. Ah ! il ne nous est pas plus possible de vous faire comprendre cette reconnaissance qu'il ne nous a été possible de vous donner une idée de sa félicité en entrant dans le ciel.

    Cette reconnaissance surpasse celle d'un pauvre prisonnier pour dettes qui, gémissant depuis de longues années dans un obscur cachot, aurait été rendu par votre générosité à la liberté et à sa famille ; car quelle est la prison, quelque triste, quelque affreuse qu'elle soit, qui puisse se comparer à celle où la justice de Dieu retient les âmes qui sont ses débitrices. En achevant d'acquitter les dettes de cette âme, vous avez brisé les liens qui l'y retenaient captive ; vous ne l'avez pas seulement rendue à la liberté, à sa famille, à ses amis, mais vous lui avez ouvert les portes de l'éternelle patrie, vous l'avez rendue à Dieu, qui faisait violence à son amour pour la retenir loin de lui, à ce Dieu auquel elle aspirait elle-même avec une si dévorante ardeur.

    Cette reconnaissance surpasse encore celle qu'aurait pour vous un malheureux que vous auriez, au péril de votre vie, arraché du milieu des flammes d'un violent incendie, où il allait périr sans votre généreux dévouement ; car vous avez arraché cette âme à des flammes bien autrement dévorantes que celles des plus violents incendies. Ces flammes, elle ne devait pas y périr, mais y vivre, et sans vous, peut-être, y eùt-elle vécu et souffert encore pendant de longues années. Jugez d'après cela de ce que doit être sa reconnaissance, combien elle doit être vive, profonde, et combien est ardent le désir qu'elle éprouve de vous rendre bienfait pour bienfait.

    Que ne vous doit-elle pas en effet ? Sans vous, sans votre charité, ses souffrances se seraient peut-être encore prolongées pendant de longues années, et quand vous ne les auriez abrégées que d'un mois, que d'un jour, que d'une heure, sa reconnaissance n'en serait pas moins vive. Pour le comprendre, il faudrait comprendre aussi ce que c'est qu'un mois, qu'un jour, qu'une heure passés au milieu de ces flammes dévorantes du purgatoire ; il faudrait surtout comprendre ce que c'est que le honneur de jouir de Dieu un mois, un jour, une heure plus tôt qu'on ne devait en jouir.

    II° Point. Sur la terre, il ne faut pas compter sur la reconnaissance de ceux qu'on a pu obliger ou secourir, ce serait s'exposer à d'amères déceptions : il faut faire le bien en vue de Dieu et n'en attendre la récompense que de lui seul. Le cœur de l'homme est naturellement ingrat, et, à part quelques rares exceptions, rien ne s'efface aussi vite de sa mémoire et de son cœur que le souvenir d'un bienfait. Mais il n'en est pas de même des âmes dont vous avez abrégé les souffrances et hâté le bonheur ; l'ingratitude, l'oubli sont bannis du ciel, et vous n'avez pas à craindre que les saintes âmes auxquelles vous en avez ouvert les portes oublient jamais ce qu'elles vous doivent. Eternellement elles vous regarderont comme leurs bienfaiteurs, et aussi longtemps que vous serez exposés aux misères et aux dangers de la vie présente, elles s'efforceront de vous prouver leur gratitude en se faisant auprès de Dieu vos avocates et vos médiatrices.

    0ui, croyez-le, vous aurez dans ces âmes, non seulement de puissantes, mais de zélées protectrices ; attentives à tous vos besoins, sensibles à toutes vos douleurs, elles veilleront sur vous avec toute la sollicitude du plus affectueux et du plus constant dévouement. Elles plaideront votre cause auprès de Dieu avec la chaleureuse éloquence d'un cœur qui déborde de reconnaissance ; sans cesse elles solliciteront pour vous de nouvelles grâces, de nouvelles faveurs ; vos intérêts, vos besoins spirituels deviendront en quelque sorte les leurs, et elles n'oublieront rien pour vous aider à atteindre l'heureux terme où elles sont parvenues.

    Elles redoubleront encore les efforts de leur zèle au moment de votre mort, à ce moment redoutable dont dépend votre éternité et qui y fixera à jamais votre sort. Prosternées alors devant le trône de Dieu, elles solliciteront pour vous la grâce de la persévérance finale ; leurs prières mettront en fuite les ennemis de votre salut ; elles intéresseront à votre cause la douce protectrice des mouvants, l'auguste Mère de Celui qui devra bientôt être votre juge, et leurs vœux, leurs prières vous suivront jusqu'au pied de son redoutable tribunal.

    Et puis si, à votre tour, vous avez à subir les douloureuses expiations du purgatoire, c'est alors surtout qu'elles s'efforceront de vous rendre ce que vous aurez fait pour elles, et de les abréger par tous les moyens en leur pouvoir. Compatissantes pour vos souffrances comme vous l'aurez été pour les leurs, elles offriront pour les abréger la surabondance de leurs mérites ; elles feront valoir auprès de Dieu la charité dont vous avez usé envers elles, et elles le supplieront, au nom même de sa justice, d'être miséricordieux pour vous comme vous l'avez été pour elles.

    Le Seigneur, ayez-en la douce confiance, ne rejettera pas les prières de ces âmes qui lui sont si chères, et il se plaira à acquitter lui-même la dette de reconnaissance qu'elles ont contractées envers vous, et puis, lui aussi est en quelque sorte votre débiteur, car vous l'avez rendu votre obligé, en secondant les désirs de son amour, en hâtant par vos suffrages et vos bonnes œuvres le bonheur de ces âmes que sa justice retenait loin de lui, mais qu'il ne frappait qu'à regret. Le cœur de Jésus ne sera pas ingrat, il se laissera aisément fléchir par les prières qui lui seront offertes en votre faveur, et au souvenir de votre charité, il se relâchera des droits de sa justice.

    Quelle joie ! quel bonheur pour vous, lorsque vous serez reçus et accueillis par ces âmes bienheureuses, qui peut-être vous sont inconnues, mais qui vous attendront aux portes du Ciel, vous saluant des noms si doux de frères et d'amis ; jalouses de vous introduire elles-mêmes dans les tabernacles éternels, votre félicité doublera en quelque sorte la leur, et leur voix s'élèvera encore jusqu'au trône de Dieu pour lui demander pour vous une augmentation de gloire et de bonheur en récompense de la charité et de la miséricorde dont vous aurez usé envers elles.

    Quel est celui d'entre nous qui ne se sentira pressé de la noble ambition de mériter la reconnaissance de ces saintes âmes ? Quel est celui qui ne désirera avoir auprès de Dieu des protectrices si puissantes et si dévouées ? Tous nous le voudrons, et désormais chacun de nous redoublera de zèle pour le soulagement et la délivrance de ces âmes si dignes de notre compassion et de notre amour.

    N'oublions pas que lors même que nous ne parviendrions pas à délivrer entièrement une âme du purgatoire, mais que nous ne ferions qu'adoucir ses souffrances et en abréger la durée, nous n'en acquerrions pas moins des droits à sa reconnaissance, et avant même son entrée dans le ciel, elle s'efforcerait de nous la prouver en priant pour nous, même au milieu de ses tourments, et si Dieu se montre inflexible aux prières de ces saintes âmes, qu'il aime cependant d'un si tendre amour, quand elles le prient pour elles-mêmes, il se montre au contraire empressé de les exaucer quand elles s'adressent à lui en faveur de leurs bienfaiteurs, leur montrant par là que malgré ses rigueurs, elles sont toujours les enfants chéris et bien-aimés de son cœur. Redoublons donc de zèle, de charité de dévouement, en nous oubliant en quelque sorte pour elles, nous n'avons rien à perdre, mais tout à gagner.

    PRIÈRE.

    Qu'il serait doux pour mon cœur, ô mon Dieu ! d'acquérir des droits à la reconnaissance de quelques unes de ces âmes qui vous sont si chères, et de les avoir pour protectrices, pour médiatrices auprès de vous. Mais surtout qu'il me serait doux, aimable Sauveur, de contenter les désirs et l'amour de votre cœur adorable, en hâtant le moment où elles iront jouir de votre divine présence et s'unir pour jamais à vous. Vous le savez, ô mon Jésus ! le désir d'ouvrir à ces saintes captives les portes de leur triste prison, d'avancer le moment où elles iront vous glorifier dans le ciel, est un de nos plus ardents désirs. Aidez-moi par votre grâce à pouvoir le réaliser, remplissez mon cœur de cette charité tendre, compatissante, généreuse, dévouée, qui se prouve par les œuvres et ne recule devant aucun sacrifice. Bénissez, Seigneur, la résolution que je forme aujourd'hui à vos pieds, de faire désormais pour ces saintes âmes tout ce que je souhaite qu'on fasse un jour pour moi, lorsque je serai comme elles sous l'empire de votre justice ; je ne veux passer aucun jour sans vous prier pour elles, et dès ce moment je vous offre en leur faveur mes peines, mes souffrances, mes œuvres satisfactoires, j'unis tout cela aux souffrances et aux mérites de votre passion, et je conjure Marie, la douce consolatrice de tous les affligés, de jeter sur ces pauvres âmes un regard de compassion et de miséricorde. Sur le Calvaire elle est devenue la mère de toutes les âmes pour le salut desquelles vous vous immoliez ; comment pourrait-elle ne pas avoir pitié de celles qui n'ont pas rendu inutiles les mérites de la Rédemption, et pour lesquelles votre sang n'a pas été répandu inutilement. Ah ! je le sais, ô mon Jésus ! le sceptre miséricordieux de Marie s'étend sur le purgatoire comme il s'étend sur la terre ; là elle est connue par ses bienfaits, comme elle l'est parmi nous, et les saintes âmes qui habitent ces tristes régions sont l'objet de sa plus tendre sollicitude, parce qu'elle voit en elles des enfants malheureux pour lesquels elle ne cesse d'implorer votre miséricorde. Exaucez-la, ô mon Dieu ! et en comblant les vœux de votre auguste Mère vous comblerez aussi les nôtres. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    Une pauvre servante, élevée chrétiennement dans un village, avait adopté la sainte pratique de faire dire chaque mois, sur ses modiques épargnes, une messe pour les âmes souffrantes. Amené par ses maîtres à Paris, elle n'y manqua pas une seule fois, se faisant d'ailleurs une loi d'assister elle-même au divin sacrifice, et d'unir ses prières à celles du prêtre, spécialement en faveur de l'àme dont l'expiation n'avait plus besoin que de peu de chose pour être achevée.

    Dieu éprouve bientôt cette fille par une longue maladie qui, non-seulement la fit cruellement souffrir, mais lui fit perdre sa place et épuiser ses dernières ressources. Le jour où elle put sortir. Il ne lui restait pour tout argent que vingt sous. Après avoir fait une prière pleine de confiance, elle se mit en quête d'une condition. Elle se rendait à un bureau de placement, situé à une autre extrémité de Paris, lorsque, apercevant l'église Saint-Eustache, elle y entra. La vue d'un prêtre à l'autel lui rappela qu'elle avait manqué ce mois à sa messe des défunts, et qu'elle était au jour où depuis bien des années elle faisait cette bonne œuvre. Après avoir un peu hésité entre sa dévotion et une réflexion suggérée par la prudence humaine, elle satisfit sa dévotion en se disant ; « Après tout, le bon Dieu voit que c'est pour lui plaire, il ne saurait m'abandonner ! » Elle entre à la sacristie, remet son offrande, puis assiste avec ferveur à cette messe demandée.

    Quelques instants après, elle continuait sa route, non sans une certaine inquiétude sur l'avenir. Dénuée de tout, que ferait-elle, si une place tardait à se présenter ? Elle était livrée à ces pensées, lorsqu'un jeune homme pâle, d'une taille élancée, d'un maintien distingué, s'approche d'elle, et lui dit : « Vous cherchez une place ? — 0ui ; monsieur. — Eh bien, allez dans telle rue, à tel numéro, chez madame X...; je crois que vous lui conviendrez et que vous serez bien là. » Et il disparut entre les passants sans attendre les remerciements de la pauvre fille.

    Arrivé à la rue indiquée, elle reconnaît le numéro, et monte à l'appartement. Une personne en sortait, tenant un paquet sous le bras, et murmurant des paroles de colère. — Madame y est-elle ? demanda la nouvelle venue. — Peut-être oui, peut-être non, répond l'autre. Que m'importe ? Madame ouvrira elle-même, si cela lui convient ; je n'ai plus à m'en mêler. Et elle descend. La pauvre fille sonne en tremblant, et une dame âgée, d'un aspect respectable, lui demande avec douceur ce qu'elle désire. Madame, répondit-elle, j'ai appris ce matin que vous aviez besoin d'une femme de chambre, et je viens m'offrir à vous. — Mais, ma chère enfant, ce matin je n'avais besoin de personne. Il y a à peine une demi-heure que j'ai spontanément chassé une insolente domestique, et ce fait est ignoré hors elle et moi. Qui donc vous envoie ? — Madame, c'est un jeune monsieur que j'ai rencontré dans la rue, qui m'a arrêtée pour cela, et j'en ai béni Dieu, n'ayant plus un sou. » La vieille dame se perdait en conjectures, lorsque la servante, levant les yeux, aperçut un portrait. « Ne cherchez pas plus longtemps, madame. Voilà exactement la figure du jeune homme qui m'a parlé, c'est de sa part que je viens... »

    A ces mots, la dame jette un grand cri, et semble prête à perdre connaissance. Elle se fait dire cette histoire, celle de la dévotion aux âmes du purgatoire, de la messe du matin, de la rencontre de l'étranger ; puis, se jetant au cou de la pauvre fille, elle l'embrasse avec effusion, et lui dit : « Vous ne serez point ma servante, vous êtes dès ce moment ma fille ! C'est mon fils unique, mon fils mort depuis deux ans que vous avez vu. Je ne puis douter qu'il ne vous doive sa délivrance, et Dieu a permis qu'il vous envoyât ici. Prions désormais ensemble pour tous ceux qui souffrent aupurgatoire.

    PRATIQUE,

    Faire offrir quelques fois le saint sacrifice de la Messe pour les âmes du purgatoire les plus abandonnées, ou pour celles qui sont le plus près de leur délivrance.

     

    XXIXe JOUR

    Ne pas différer d'accomplir les dernières volontés des défunts.

    Si nous avons négligé tes œuvres de miséricorde envers les morts qui ont eu confiance en nous, donnons leur une juste compensation et redoublons-les par notre ferveur.

    Ier Point. Si quelque chose oblige sur la terre et doit être respecté, ce sont il me semble les dernières volontés des morts. Tout le monde convient de cette vérité, elle est dans toutes les bouches, et chacun dit : « Les dernières volontés des mourants sont sacrées. »

    Et cependant, nous le disons en gémissant, il est très-peu de personnes qui les respectent, et dont la conduite ne soit pas à cet égard en désaccord avec les discours.

    Dans les siècles de foi, alors que la religion était en honneur, que les familles étaient chrétiennes et l'autorité des parents reconnue et respectée, leurs dernières volontés l'étaient aussi, et leurs enfants, habitués à l'obéissance, se faisaient un devoir de leur obéir après leur mort, comme ils leur avaient obéi pendant leur vie.

    Mais dans notre siècle de progrès, de liberté, d'indépendance, il n'en est plus ainsi. Comment ces jeunes gens, qui ont secoué le joug de la religion, souvent dès leur enfance, qui veulent à tout prix être indépendants, c'est-à-dire être libres de se livrer sans contrainte à toute la fougue de leurs passions, qui ne reconnaissaient pas même l'autorité de Dieu, reconnaltraient-ils celle de leurs parents ?

    Hélas ! habitués dès l'enfance à la méconnaître, à la mépriser , leur voix n'est pas plus écoutée que celle de Dieu, et après leur mort leurs dernières volontés ne sont pas plus sacrées, pas plus respectées par ces enfants dénaturés, qu'elles ne le furent pendant leur vie.

    Ce n'est plus que dans les familles chrétiennes, où avec la foi se sont conservés l'amour et le respect des parents, qu'après leur mort les enfants regardent comme un devoir sacré d'accomplir leurs dernières volontés, et regarderaient comme une injustice qui les rendraient coupables devant Dieu de ne pas le faire. En cela, ils ont raison, car les legs faits par les morts obligent en conscience leurs héritiers ; c'est pour eux une dette sacrée, qu'ils ne peuvent sans injustice se refuser d'acquitter.

    Le concile de Trente recommande aux Evêques de veiller attentivement à l'accomplissement des legs pieux faits par les fidèles défunts, et un autre concile, approuvé par saint Léon-le-Grand, ordonne de refuser les portes de l'église comme à des infidèles, à ceux qui s'approprient les dons faits par les morts, ou qui diffèrent de les remettre aux ministres sacrés.

    D'autres conciles vont jusqu'à priver de la communion ecclésiastique ceux qui se rendent coupables du même péché. Des lois si sévères nous font assez comprendre à quel point on se rend coupable, en privant les défunts dessuffrages qu'ils ont voulu s'assurer, en inscrivant dans leur testament leurs dernières volontés.

    La religion, comme la justice, commandent donc l'exécution des legs pieux, et ceux qui y manquent en s'appropriant les fonds ou les revenus qui y sont affectés, se rendent coupables de fraude et d'un vol sacrilége. Si ce sont des messes à faire acquitter pour leurs parents ou ceux dont ils héritent, en y manquant, ils privent ces pauvres âmes du soulagement qu'elles en auraient reçu, se constituent en quelque sorte leurs bourreaux, et deviennent responsables de leurs souffrances devant Dieu. Si ce sont des sommes destinées à être distribuées en aumônes, qui ne sait qu'en les retenant, en ne les employant pas à cet usage, ils s'attribuent un bien qui ne leur appartient pas, et se rendent coupables d'une véritable injustice ? Malheur à ceux qui s'engraissent de la substance du pauvre ! Ils croient la dévorer impunément, et ils ne s'aperçoivent pas qu'elle devient pour eux un poison mortel.

    Peut-être cette somme léguée aux pauvres étaitelle, dans l'intention du testateur, destinée à réparer quelque injustice, qu'il n'était peut-être plus en son pouvoir de réparer autrement ; ses héritiers la retiennent, et par là privent cette âme du bénéfice de l'aumône ; car l'aumône qui rachète nos péchés, rachète aussi ceux des âmes qui souffrent (l). « C'est elle, disait l'ange à Tobie, qui arrache à la mort, qui purifie l'âme ; c'est elle qui ouvre les portes de la miséricorde et de la vie (2). »

    Et qui pense aujourd'hui dans le monde à se faire un scrupule de ne pas accomplir les legs pieux faits par les morts ? Quels sont ceux qui croient manquer en cela de justice et de probité ?

    Hélas ! on ne pense plus qu'à augmenter sa fortune, ses revenus, pour accroître la somme de ses jouissances matérielles, et on voit des héritiers avides empressés de s'enrichir des dépouilles de ceux qui meurent, se disputer sur des tombes à peine fermées, des biens que bientôt ils laisseront à leur tour à d'autres héritiers aussi avides qu'eux. Mais quant aux legs pieux, de tels hommes ne se mettent guère en peine de les accomplir. Des messes ? Mais à quoi bon ? Les morts n'en ont pas besoin. A leurs yeux le testateur était un fanatique ; ou ils rient de ses idées arriérées si peu en harmonie avec les progrès de notre siècle de lumières, et les messes ne sont pas acquittées. Quant aux aumônes, pourquoi leur imposer une charge si arbitraire, ne sont-ils pas libres de faire de leur héritage ce que bon leur semble, et de donner aux pauvres ce qu'il leur plaira. D'ailleurs, ont-ils plus qu'il ne faut pour subvenir aux exigences de leur position ? et les aumônes ne sont pas acquittées non plus. Cependant de tels hommes se vantent d'avoir de l'honneur, de la probité ; ils passent partout le front haut, et se vantent hautement de n'avoir jamais fait de tort à personne. N'en font-ils donc pas ainsi un bien réel, à ces pauvres âmes auxquelles ils doivent peut-être tous les avantages dont ils jouissent, et qu'ils privent des secours qu'ils leurs doivent, non pas seulement par reconnaissance, mais par justice ? N'en font-ils pas aux pauvres, en retenant à leur profit les aumônes qui leur étaient destinées ? Ah ! si le monde les absout de cette injustice, s'il ne la stygmatise pas de son mépris, Dieu ne les absoudra pas aussi facilement, qu'ils le sachent bien, et le jour viendra où il leur demandera un compte rigoureux de ces injustices qu'ils ne songent pas même à se reprocher.

    IIe Point. C'est donc un devoir, et un devoir de justice pour chacun, d'accomplir les dernières volontés des morts. d'acquitter les fondations, legs mentionnés dans leur testament ; et non-seulement on doit les acquitter, mais on doit le faire au plus tôt afin de ne pas priver ces âmes du soulagement que leur obtiendront, soit les messes qui seront célébrées pour elles, soit les prières des pauvres qu'on doit toujours engager, en leur remettant les aumônes qui leur ont été allouées, à prier pour leurs bienfaiteurs. Si on comprenait bien ce que sont ces terribles expiations du purgatoire, loin de différer de faire ce qui peut les adoucir, chacun s'empresserait d'apporter de prompts et efficaces secours à ces saintes âmes si dignes de notre compassion, et dont plusieurs doivent par tant de titres être si chères à chacun de nous.

    Pensez, enfants ingrats qui négligez d'accomplir les dernières volontés de vos parents, aux affreuses douleurs auxquelles vous les condamnez. Souvenez-vous que l'âme pour laquelle nous implorons votre pitié est celle de ce père qui vous a tant aimés. Quel fruit retire-t-il aujourd'hui de son travail, des fatigues, des sacrifices qu'il s'est imposés pour vous ? Hélas ! il a travaillé, il s'est dévoué en vain à votre bonheur ; vous l'oubliez, il souffre, il endure d'intolérables douleurs, et vous, insensibles à ses maux, vous l'abandonnez lâchement, ne pensant qu'à jouir, qu'à dissiper dans de coupables plaisirs les biens qu'il vous a laissés. Cette âme, c'est celle de votre mère, de cette mère dont vous étiez l'idole, et qui, pour vous établir plus richement, s'est montrée parcimonieuse envers les pauvres et ne leur a pas fait une part assez large de ses biens. Hélas ! elle souffre, elle gémit au milieu de flammes dévorantes, et sa fille la délaisse et s'abandonne à toutes les folles joies de ce monde.

    Cependant ces âmes avaient exprimé leurs volontés dernières ; elles avaient réclamé votre souvenir, vos prières. Elles avaient reçu vos promesses, elles y comptaient et elles en attendent en vain l'accomplissement. Hélas ! les promesses sont déjà oubliées, les dernières volontés n'ont pas été et ne seront jamais accomplies. Pourquoi ? Parce que, pour le faire, il faudrait peut-être s'imposer quelques privations, se priver d'acheter un objet inutile, une parure, un bijou, une futilité. Pourquoi encore ? Parce que la cupidité retient, parce qu'on craint de s'appauvrir, parce que, loin de trouver qu'on a, trop, alors même qu'on regorge de richesses, on trouve encore qu'on n'en a pas assez.

    Oh ! que les personnes qui ont été assez imprudentes pour confier à des héritiers sans foi et sans religion le soin d'accomplir leurs dernières volontés expient chèrement leur imprudence, et qu'elles eussent été plus sages de faire elles-mêmes ce qu'elles ont laissé à d'autres le soin de faire pour elles. Ne les imitons pas et assurons-nous nous-mêmes les secours que nous voulons avoir après notre mort. Déposons entre des mains sûres les sommes que nous destinons à faire célébrer des messes pour le repos de notre âme ; faisons-en de même pour celles que nous voulons être employées en aumônes et en bonnes œuvres. C'est le seul moyen d'être sûrs que nos volontés dernières seront accomplies, à moins que nous n'ayions le bonheur d'appartenir à une de ces familles chrétiennes qui, avec la foi, ont conservé le respect dû aux dernières volontés des morts.

    Quant à ceux qui ne se font nul scrupule de les enfreindre et de retenir à leur profit ce qui était destiné à d'autres, et qui, par conséquent, ne leur appartient pas, qu'ils se souviennent qu'ils péchent en agissant comme ils le font, qu'ils sont obligés, en conscience, à acquitter les legs de ceux dont les biens ont passé entre leurs mains. S'ils ne le font pas, cette obligation existera pour leurs héritiers comme elle existe pour eux-mêmes, et ceux-là à leur tour pécheraient en ne la remplissant pas, à moins qu'ils ne soient dans une impossibilité réelle de le faire. C'est là une dette qui passe du père au fils et qui ne s'éteindra qu'après avoir été acquittée.

    Et qu'on ne croie pas que l'injustice commise par ceux qui n'accomplissent pas un devoir aussi sacré puisse rester impunie. Non certes, il n'en sera pas ainsi. Dieu la punit souvent même dès ce monde par des châtiments temporels, et s'il ne le fait pas, ceux qu'il lui réserve dans l'autre vie sont bien plus à craindre et bien plus redoutables. Quelle ne sera pas la longueur et la rigueur des peines qu'auront à endurer dans le purgatoire les âmes qui auront à se reprocher l'injustice dont nous parlons ? Ah ! c'est alors qu'elles comprendront la grandeur de leur faute, qu'elles la déploreront amèrement, et qu'elles désireront, mais trop tard, de pouvoir la réparer. Maintenant elles ont le pouvoir de le faire, et elles n'en ont pas la volonté ; alors, elles en auront la volonté, mais elles n'en auront plus le pouvoir, et, pendant des siècles peut-être, elles auront à expier au milieu de ces flammes terribles, sans cesse entretenues et activées par le souffle vengeur de la justice divine, leur malheureuse cupidité. Craignons ces redoutables châtiments, faisons tout ce gui est en notre pouvoir pour les éviter, et surtout observons religieusement les dernières volontés de nos parents et de nos amis, ne différons pas de les accomplir, et ne leur faisons pas attendre le soulagement qu'ils ont voulu s'assurer après leur mort. Ils ont compté sur nous, justifions leur confiance, et montrons-leur que nous n'en étions pas indignes.

    PRIÈRE.

    Ne permettez pas, ô mon Dieu ! qu'une indigne cupidité ou une coupable négligence nous fasse jamais manquer à nos devoirs de justice envers les morts.

    Leurs droits sont sacrés, et leurs dernières volontés doivent également être sacrées pour nous.

    Nous avons joui de leur affection pendant qu'ils étaient sur la terre, maintenant nous jouissons de leurs biens, de ces biens qu'ils ont acquis par leur travail, par leurs peines, et qu'ils ont été heureux de nous laisser, ne s'en réservant que la faible partie qu'ils ont confiée à notre loyauté, en la destinant à des œuvres de charité qui doivent servir au soulagement de leurs âmes. 

     Comment pourrions-nous avoir le triste courage de les en priver et de frustrer la confiance qu'ils ont mise en nous ?

    Ah ! ce serait manquer à la fois et aux devoirs de la reconnaissance et à ceux de la justice, et encourir, ô mon Dieu, votre juste indignation.

    Mais non, Seigneur, il n'en sera point ainsi ;

    la confiance que nos chers défunts ont mise en nous ne sera point frustrée,

    nous satisferons pleinement et consciencieusement à toutes les obligations qu'ils nous ont laissées ;

    nous ne différerons pas d'accomplir leurs dernières volontés,

    heureux si nous pouvons, par notre empressement, par nos prières, aider ces âmes si chères à acquitter au plus tôt la dette qu'elles ont contractée envers votre justice, et accélérer par nos suffrages et nos bonnes œuvres le moment de leur bonheur. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE.

    Un brave soldat, qui jusqu'à sa vieillesse, avait humblement servi Charlemagne, fit appeler à son lit de mort un neveu, seul parent qui lui restât, et ne possédant que son cheval et son armure, le chargea de les vendre aussitôt après son décès, et d'en employer le prix pour le repos de son âme.

    Le neveu s'y engagea ; mais après la mort de son oncle il oublia sa promesse. Le cheval était très-beau, et le neveu s'en étant servi pour quelques voyages, le trouva si excellent, qu'il remettait de jour en jour la vente. A mesure que le temps s'écoulait, sa conscience s'assoupissait, si bien que perdant de vue l'obligation que son oncle lui avait imposée, il considéra le cheval comme sa propriété.

    Une voix lugubre vint le troubler pendant la nuit. C'était celle de son oncle qui lui reprochait sa négligence. « Pourquoi, lui disait-il, as-tu ainsi désobéi au commandement que je t'avais fait et violé ta solennelle promesse. Par ta faute, j'ai dû et je devrais encore souffrir de longs et cruels tourments dans le purgatoire, mais par la miséricorde de Dieu, m'en voici libre, et je vais dans le paradis jouir de la gloire éternelle. Pour toi, sache que ta conduite sera punie par une prompte mort, et qu'un châtiment tout particulier t'est réservé ; tu porteras la peine due à tes propres fautes, et tu souffriras à ma place toutes celles que je devrais encore souffrir pour satisfaire à la divine justice. » 

    Le neveu fut accablé par cette menace, et voulant mettre ordre à sa conscience, il se hâta de remplir les dernières volontés de son oncle, puis fit tout ce qu'il put pour éviter la mort éternelle ; mais il ne put éviter la mort du corps qui lui avait été été annoncée, et qui l'enleva à peu de jours de là. L'ingratitude et l'injustice envers les morts sont détestées de Dieu, qui les punit dans ce monde et dans l'autre..

    PRATIQUE.

    Regarder comme un devoir sacré, et qui oblige en conscience, l'accomplissement des dernières volontés des défunts, et ne pas différer de s'acquitter de ce devoir.

     

    XXXe jour

    Avantages que nous ponvons retirer de la pensée du purgatoire, et de la charité que nous aurons pour les saintes âmes qui y sont retenues.

    La crainte est le commencement de la Sagesse.

    ler Point. La pensée du purgatoire ramène tout naturellement à notre esprit celle de la mort, et par là même elle ne peut que nous être utile et nous inspirer de sages et salutaires réflexions. « Pensez à vos fins dernières, et vous ne pécherez jamais. »

    En effet, quel frein plus salutaire l'homme peut-il opposer à ses passions que la pensée de la mort qui peut le surprendre à tous les instants, celle du jugement redoutable qui doit la suivre, celle de l'enfer où un seul péché mortel peut le précipiter ; la pensée du ciel qu'il peut perdre, mais qu'il peut gagner s'il le veut sincèrement ; celle du purgatoire enfin, où les âmes expient par de si cruelles souffrances les fautes légères qu'on se permet si aisément et dont on fait si peu de cas dans le monde.

    Notre intention n'est pas de nous occuper, dans cette méditation, des avantages qui résultent pour l'âme de la pensée approfondie des fins dernières, nous nous bornerons à faire comprendre ceux qu'elle peut retirer du souvenir fréquent du purgatoire.

    Le premier avantage que nous y trouvons est de nous inspirer une crainte salutaire des fautes légères et de nous donner une haute idée de la sainteté de Dieu, qui ne peut souffrir l'ombre même du péché, et de sa justice, qui lui inflige de si terribles châtiments.

    Comment en effet ne pas concevoir une crainte salutaire du péché véniel, à la pensée de ces gouffres embrasés, de ces brasiers ardents, sans cesse attisés par la miséricordieuse justice de Dieu, au milieu desquels des âmes saintes, et dont la place est assurée dans le ciel, endurent pour expier des fautes légères, pour acquitter quelques restes de dettes, des souffrances auxquelles ne peuvent être comparées aucune de celles qui nous sont connues sur la terre ? Ah ! au souvenir de ce terrible lieu d'expiation, de ce purgatoire que saint Augustin, saint Thomas et d'autres docteurs appellent un enfer, moins le désespoir et la durée, un enfer raccourci, l'âme se forme une juste idée de la malice du péché véniel, elle en conçoit de l'horreur, elle veille sur elle pour ne pas le commettre, et elle évite avec soin ces mille petites fautes qu'elle ne pensait même pas à se reprocher.

    Oui, nous ne craignons pas de le dire, la pensée habituelle du purgatoire retrancherait de la vie des personnes pieuses une multitude de fautes légères. Si cette pensée leur était familière, les prières seraient faites avec plus d'attention, les sacrements reçus avec plus de foi et des dispositions plus parfaites, les devoirs plus religieusement et plus soigneusement accomplis, le support du prochain paraîtrait moins pénible, et la charité ne serait pas aussi souvent blessée.

    Qui oserait se permettre une légère médisance, une parole de mépris ou de moquerie, un murmure contre les supérieurs, une impatience, un léger mensonge, une pensée ou une parole d'amour propre ou de vanité, si l'on pensait qu'il faudra, si toutes ces fautes ne sont pas expiées en ce monde, en faire dans l'autre une si terrible pénitence.

    Si cette pensée venait quelquefois à l'esprit de ces femmes du monde qui font une idole de leur corps, qui ne songent qu'à le parer et à faire ressortir les avantages naturels dont elles sont douées, par tous les raffinements de la vanité et du luxe le plus effrené ; si elles voulaient s'arrêter quelquefois à cette pensée et y réfléchir sérieusement, comme à une vérité qui n'en est pas moins réelle, parce qu'elles l'éloignent de leur souvenir, et qui les regarde comme elle regarde la religieuse au fond de son cloître, nous ne craignons pas de dire que les futilités dont elles s'occupent perdraient bientôt l'importance qu'elles ont à leurs yeux, et qu'on ne les verrait pas si à l'affût des caprices de la mode, si empressées à s'y conformer dans tout ce qu'elles ont de plus bizarre et de plus ridicule ; elles ne perdraient plus à leur toilette un temps si précieux, en pensant qu'un jour Dieu leur demandera un compte sévère de ce temps qu'elles devraient employer à leur salut et qu'elles dissipent si follement dans l'oisiveté, la dissipation et le plaisir. Oui, si elles pensaient aux terribles expiations qui seront imposées à leurs vanités, à leur amour de la parure, à leur mollesse, à leur sensualité, leur vie, nous n'en doutons pas, deviendrait bientôt plus en harmonie avec leur titre de chrétienne et la gravité des devoirs qu'il impose, et en s'occupant moins de la parure de leur corps, elles s'occuperaient davantage de celle de leur âme, et par la pratique des vertus, elles s'efforceraient d'acquérir cette beauté qui est à l'abri des outrages du temps, qui ne se flétrit pas, et qui seule attire les regards de Dieu et a du prix à ses yeux.

    La pensée du purgatoire a pour second avantage d'inspirer l'esprit de pénitence et de mortification. En effet, cette pensée nous rappelle que si la justice divine est rigoureuse, elle n'est pas aveugle, qu'elle ne punit pas deux fois les mêmes fautes, et que si nous les expions en ce monde, nous ne les expierons pas dans l'autre. Elle nous rappelle également que si elle est justice inflexible, inexorable dans le purgatoire, nous pouvons aisément la fléchir et la désarmer tant que nous sommes sur la terre. L'âme, à ce souvenir, se sent remplie du désir d'échapper par la pénitence à ce feu terrible du purgatoire, qui ne peut exercer son action que sur les péchés qui n'auront pas été expiés. Si nous expions les nôtres par la pénitence, il n'aura plus rien à désirer en nous.

    Dieu, dans sa bonté, veut qu'une dette contractée par un délit volontaire puisse être acquittée par une satisfaction volontaire. Il ne nous châtie dans l'autre vie que parce que nous n'avons pas eu le courage de venger sur nous en celle-ci nos propres faiblesses. Il est donc de notre intérêt de chercher à prévenir ses jugements et sa justice par la pénitence ; quelle que soit celle que nous nous imposerons, elle sera toujours plus douce que le purgatoire. La main de Dieu est plus lourde que la nôtre. Cette pensée remplit l'âme d'un saint courage pour embrasser généreusement la mortification et la pénitence. Elle se dit à elle-même : Je veux enfin régler des comptes ouverts depuis si longtemps avec Dieu ; je veux profiter du temps que me laisse sa miséricorde pour satisfaire à sa justice ; je veux acquitter des dettes qu'il m'est si facile de solder avec un peu de générosité et d'amour. Je le puis, je le dois et je le veux.

    IIe Point. Le troisième avantage que nous procure la pensée du purgatoire est de nous rendre plus patients, plus courageux à supporter les peines et les épreuves de la vie ; elle nous apprend à les envisager comme un moyen que Dieu nous fournit dans sa miséricorde pour suppléer à ce qui manque à notre pénitence et nous aider à éviter les terribles expiations du purgatoire. Heureuse l'âme qui comprendrait bien cette vérité ; elle ne recevrait pas seulement les croix que lui ménage la Providence avec résignation, mais avec reconnaissance et avec joie, elle les regarderait comme un bienfait signalé de la bonté du Seigneur, comme une monnaie précieuse avec laquelle elle peut chaque jour solder une partie de ses dettes, et quelles que soient ces souffrances, quelque longues, quelque pénibles qu'elles puissent paraître à la nature, elle les supporterait en paix et bénirait Dieu en pensant aux biens qui en résulteront pour elle, et aux mérites qu'elles peuvent lui faire acquérir. « Mais, dit Fénelon, la nature ne veut de purgatoire ni en ce monde ni en l'autre. Alors qu'arrive» t-il ? Par nos chicanes avec Dieu, nous rendons celui-ci tellement inutile, que tout est à recommencer après la mort, et nous en faisons deux au lieu d'un. Il faudrait être dès cette vie comme les âmes du purgatoire, paisibles, souples dans la main de Dieu pour se laisser détruire par le feu vengeur de l'amour (1) ».

    La souffrance est un purgatoire de miséricorde en ce monde ; mais qui est-ce qui souffre comme les âmes que Dieu purifie par le feu de l'autre monde, sans se débattre sous sa main, avec un amour paisible qui grandit toujours. Tâchons de fonder ici-bas un purgatoire, comme nous fondons des hôpitaux avec la douleur (2). »

    Oui, ne l'oublions pas, les peines, les souffrances de la vie sont un purgatoire, l'âme se purifie sous le pressoir de la croix comme elle se purifie sous l'action vengeresse des flammes allumées dans l'autre vie par la justice de Dieu. Mais souvenons-nous également que l'âme peut se souiller au lieu de se purifier dans ce purgatoire de miséricorde ; et elle le fait si, au lieu de se soumettre avec paix et résignation à la volonté du Seigneur, elle se révolte contre elle, se laisse aller à l'impatience et aux murmures. N'abusons donc pas de la grâce si précieuse de la souffrance, et ne faisons pas du moyen que Dieu, dans sa bonté, nous accorde pour expier nos fautes une occasion d'en commettre de nouvelles. Souffrons, comme les saintes âmes du purgatoire, avec paix, avec résignation, avec amour, et nos souffrances auront le double avantage de nous purifier et de nous faire acquérir d'innombrables mérites.

    Le quatrième avantage que procure le souvenir habituel du purgatoire est d'entretenir l'âme qui s'en nourrit dans une ferveur continuelle. Il la rend plus vigilante sur elle-même, plus attentive à remplir avec fidélité tous ses devoirs envers Dieu, envers le prochain et envers elle-même ; plus soigneuse à bien faire ses plus petites actions, à purifier toutes ses intentions, à n'agir en tout que pour la gloire de Dieu et pour son amour. Enfin il lui fait éviter les plus légères imperfections, et cette seule pensée, combien de jours, de mois, d'années peut-être me faudra-t-il passer en purgatoire pour expier cette imperfection, cette petite faute que le monde traite de bagatelle, suffit pour la lui faire éviter ; car pour elle ce n'est pas une bagatelle que de passer des jours, des mois, des années au milieu de flammes dévorantes ; ce n'est pas surtout une bagatelle que de déplaire à Dieu et de rester longtemps séparé de lui après la mort.

    Le cinquième avantage que nous retirons de la pensée du purgatoire c'est la charité qu'elle nous inspire pour les saintes âmes qui y sont détenues. Le cœur s'émeut à la pensée de leurs souffrances ; il se sent pénétré d'une tendre compassion pour elles, et de la compassion au désir, à la volonté de leur venir en aide, de se dévouer à leur soulagement, il n'y a qu'un pas. Alors on prie, on se mortifie en faveur de ces saintes âmes, on s'efforce de les soulager par tous les moyens que nous avons indiqués dans le cours de cet ouvrage ; leurs intérêts deviennent en quelque sorte ceux de l'âme qui se dévoue à elles ; leurs souffrances deviennent, si je puis ainsi parler, ses propres souffrances ; elle souffre avec elles de leur éloignement de Dieu, et elle éprouve une sainte impatience de leur ouvrir les portes de leur céleste patrie. C'est ainsi que sans y réfléchir peut-être, cette âme pratique la charité dans tout ce qu'elle a de plus parfait, de plus héroïque, et qu'en croyant ne travailler que pour les autres, elle s'enrichit elle-même d'abondants mérites. En acquittant les dettes des âmes auxquelles elle se dévoue, elle acquitte également les siennes ; car si la charité est la plus excellente de toutes les vertus, si devant Dieu elle supplée à toutes les autres, les âmes qui la pratiquent envers les morts, loin de rien perdre pour elles-mêmes, ne peuvent qu'y gagner ; car si Dieu récompensera un jour d'une manière si magnifique un verre d'eau froide donné à un pauvre en son nom, combien plus magnifique encore ne sera pas la récompense qu'il accordera à ceux qui se seront dévoués au soulagement d'âmes qui lui sont si chères, et auxquelles il désire si vivement s'unir pour jamais.

    Nous le voyons, le souvenir habituel du purgatoire peut devenir pour nous une source abondante de biens spirituels ; ne l'éloignons donc pas de notre esprit, nourrissons-l'y au contraire avec soin, il contribuera d'une manière efficace à l'amendement de notre vie, à notre sanctification, et, espérons-le, il nous évitera de connaître un jour, par expérience, les terribles expiations dont nous nous serons occupés habituellement pendant notre vie, et que nous nous serons efforcés d'abréger pour nos frères. Ainsi soit-il.

    PRIERE.

    Ne permettez pas, ô mon Dieu ! que j'éloigne de mon esprit, par une fausse sensibilité, une pensée qui peut avoir des avantages si réels et pour moi et pour les autres.

    Faites que loin de chercher à me soustraire à la crainte salutaire qu'inspire le souvenir de votre justice et des châtiments qu'elle inflige dans l'autre vie aux âmes qui ont paru devant votre redoutable tribunal, sans l'avoir entièrement satisfaite en ce monde, je l'entretienne et la nourrisse avec soin dans mon cœur, comme un puissant moyen de me faire éviter le péché, quelque léger qu'il puisse me paraître, et de me donner la volonté et le courage d'expier par la pénitence ceux que j'ai eu le malheur de commettre.

    Accordez-moi encore, ô mon Dieu ! la grâce de recevoir désormais avec reconnaissance les peines qu'il vous plaira de m'envoyer, de les supporter non-seulement avec patience, avec résignation, mais avec joie et action de grâces, puisque, dans l'ordre de votre providence, elles doivent servir à me préserver des peines de l'autre vie, auxquelles toutes celles de la vie présente, quelque douloureuses qu'elles puissent être, ne peuvent pas se comparer.

    0ui, mon Dieu, aidé de votre grâce, je veux souffrir à l'avenir avec joie, avec amour : je veux vous servir avec fidélité, avec ferveur ; je veux faire avec soin mes plus petites actions, agir en tout avec pureté d'intention, éviter les plus légères imperfections, non pas seulement par la crainte de vos châtiments, mais parce que je vous aime et que je crains de vous déplaire.

    Je veux encore, ô mon Dieu ! redoubler de zèle pour le soulagement des saintes âmes qui nous sont si chères, et ne rien négliger à l'avenir pour leur venir en aide. Heureux si je puis par mon dévouement mettre un terme à leurs souffrances et leur ouvrir les portes du ciel. Ainsi soit-il.

    EXEMPLE. 

    Une jeune fille, nommée Gertrude, élevée dans une école de charité, avait appris dès ses plus tendres années à offrir toutes ses bonnes œuvres à l'intention des âmes du purgatoire. 

     Cette dévote pratique était si bien agréée dans le purgatoire et dans le ciel, que souvent le Sauveur se complût à lui désigner les âmes les plus souffrantes ; et celles-ci, délivrées par sa pieuse charité, se montraient à elles glorieuses pour la remercier, et lui promettaient de ne pas l'oublier au paradis.

    Elle avait passé sa vie dans ce saint exercice, et pleine de confiance, elle voyait avec paix approcher la mort, quand l'infernal ennemi, qui de tout essaie de se faire un moyen de tenter les hommes, lui représenta qu'elle s'était dépouillée de tout le mérite satisfactoire de chacune de ses bonnes œuvres, et qu'elle allait tomber dans le purgatoire pour expier toutes ses fautes dans de longues souffrances.

    Ce tourment d'esprit l'avait jetée dans une telle désolation, que son céleste époux daigna venir la consoler : « Pourquoi, Gertrude, es-tu si triste et si pensive, toi, qui naguère jouissais de la plus parfaite sérénité ?

    — Ah ! Seigneur, répondit-elle, dans quelle déplorable situation je me trouve ! Voilà la mort qui s'approche, et je suis privée de la satisfaction de mes bonnes œuvres que j'ai appliquées aux morts ; avec quoi pourrai-je payer la dette que j'ai contractée envers la justice divine ? »

    Alors le Seigneur reprit avec tendresse : « Ne crains pas, ô ma bien-aimée, car par ta charité, tu as au contraire augmenté la somme de tes mérites, et non-seulement tu en as assez pour expier tes légères fautes, mais tu as acquis un très-haut degré de gloire dans la béatitude éternelle. C'est ainsi que ma clémence reconnaîtra par une généreuse récompense ton dévouement pour les morts, et tu viendras bientôt la recevoir dans le paradis »

    A ces mots, il disparut, et l'âme de Gertrude, délivrée de ses angoisses, fut enflammée d'une ferveur toute nouvelle et d'un désir plus ardent de secourir les défunts.

    PRATIQUE.

    S'occuper souvent de la pensée du purgatoire, y réfléchir sérieusement et prendre tous les moyens que cette pensée nous suggérera pour nous préserver de ces longues et douloureuses expiations.

     

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