• Mois de Saint Joseph : composé de trois neuvaines et un triduum pour tous les jours du mois de mars

     
     

    Mois de Saint Joseph : composé de trois neuvaines et un triduum

    pour tous les jours du mois de mars

     

    Le mois de saint Joseph

     

     

    Veille du 1er mars

    1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 - 10 - 11 - 12 - 13 - 14 - 15 - 16 - 17 - 18 - 19 - 20 - 21 - 22 - 23 - 24 - 25 - 26 - 27 - 28 - 29 - 30 - 31

      

    Grand saint, c'est pour votre gloire, c'est par amour pour vous que je commence ce travail, et je l'entreprends avec bonheur. Je vous le consacre et je vous prie de le bénir.

     

    Jésus a dit que tout ce que l'on demanderait en son nom au Père céleste, on l'obtiendrait : pourrait-il lui-même rien refuser de ce qu'on lui demande au nom de son Père terrestre, c'est-à-dire de celui qui l'a gardé, nourri, et si bien soigné sur la terre ?

     

    Non, c'est impossible ; il vous obéissait ici-bas, il fera ce que vous voudrez dans le ciel... Cette pensée me donne la plus douce confiance qu'il daignera lui-même m'inspirer et me diriger dans cette pieuse entreprise.

     

    De son côté, la Vierge immaculée, votre glorieuse épouse, Marie, qui vous était également soumise à Nazareth, ne peut rien vous refuser non plus. Elle sera touchée de la prière que je lui adresse en ce moment, et elle sera la lumière de mes pensées ; son cœur fidèle et reconnaissant se réjouira de voir célébrer vos vertus et raconter vos bienfaits. Elle sera l'espérance et la force de mon âme.

    Jésus, Marie, Joseph, je vous donne donc, je vous consacre tout ce travail ; Jésus, Marie, Joseph assistez-moi du haut des cieux et dirigez ma plume, la plume sainte qui m'a déjà servi pour écrire les deux Mois de Marie (1)...

    (1) Cette plume à été donnée à l'auteur par Pie IX, comme il est raconté dans une note à la première page du Mois de Marie de 1867. [L'Éditeur.)

    Mais vous surtout, ô bon saint Joseph, daignez être mon guide et mon soutien. Vous que depuis plusieurs années déjà je me suis efforcé de faire connaître et aimer, dans notre pieuse association de la Bonne Mort... Vous le savez, c'est principalement pour nos associés que j'ai recueilli les pensées de ce livre, et je vous conjure encore de le bénir.

    Qu'ils y trouvent comme un souvenir des entretiens simples et familiers de nos belles neuvaines, et qu'ils voient croître dans leur cœur la confiance et l'amour envers leur saint protecteur.

    Paris, 1" juin 1807.

     

     

    A TOUS LES ASSOCIÉS DE LA BONNE MORT

    C'est à vous, ô mes frères et mes bien chères sœurs, que je consacre et dédie ce Mois de saint Joseph ; mais à vous surtout, membres de l'Association établie depuis quelques années dans notre église du Jésus, à Paris, Ce travail a été fait pour vous ; c'est un souvenir de nos pieuses neuvaines et des instructions familières qui vous préparaient à la fête solennelle du Patronage. Ce livre vous appartient de droit ; on pourrait même le regarder comme la suite du Manuel de notre association. Si nous avons cru devoir donner une forme nouvelle à quelques sujets de méditations que vous aviez déjà dans les deux neuvaines du Manuel, c'est seulement pour mettre un peu plus d'unité et d'ensemble dans la composition de cet ouvrage.

    Priez saint Joseph avec ferveur et confiance, et ce petit livre ; en faisant connaître notre œuvre, augmentera encore le nombre de ceux qui s'efforcent d'obtenir, par l'intercession de ce grand saint, la grâce la plus précieuse de toutes, la grâce d'une bonne Mort.

     

    PRÉFACE

    Aussitôt que le Mois de Marie sur les Mystères a paru, on a demandé à l'auteur un Mois de saint Joseph. On le voulait même avant un second Mois de Marie, qui avait été comme annoncé et promis dans la préface du premier. Cette demande était faite par des personnes dont les désirs seront toujours des ordres pour moi, et ne me laissaient plus la liberté de choisir.

    Je suis d'autant plus heureux de céder à cette pensée, que j'avais été comme préparé à ce travail par la méditation des sujets que je vais traiter. Directeur de l'Association de la Bonne Mort, au Jésus de Paris, depuis près de dix ans, j'ai été plusieurs fois appelé à donner la neuvaine solennelle qui nous prépare à la fête du Patronage, et je puis espérer de trouver, dans les sujets de ces instructions familières, de quoi remplir le plan d'un Mois entier.

    Nous garderons même dans la division de cet ouvrage le nom de neuvaines ou de triduums aux différentes parties qui le composent, sans manquer toutefois d'assigner la lecture pour chaque jour du mois.

     

    La première neuvaine contiendra une étude préliminaire sur les plus beaux titres de saint Joseph, sur les mystères divins dans lesquels il est plus particulièrement entré, et sur les vertus qu'il a pratiquées dans ces mystères sacrés. Trois titres, trois mystères, et trois vertus qui forment un ensemble de relations et d'analogies pleines de lumières, et qui donneraient un sujet de méditations distinctes pour trois triduums, si on voulait les séparer.

    La seconde renferme des considérations toutes pratiques sur quelques autres vertus de ce grand saint.

    La troisième, que nous appellerions volontiers la neuvaine des Patronages de saint Joseph, nous apprendra comment et pourquoi tous les chrétiens peuvent et doivent toujours espérer dans sa puissante intercession.

    Ces trois neuvaines, avec un triduum, donnent justement une méditation pour chaque jour du Mois de saint Joseph.

    C'est la première et la principale partie de cet ouvrage.

    Dans la seconde, nous ferons un choix des plus belles prières connues en l'honneur de saint Joseph. Le pieux lecteur pourra choisir celles qu'il voudra réciter pendant le cours du mois.

    Mais je tiens à rappeler ici que la prière la plus efficace de toutes, pendant les neuvaines à saint Joseph, c'est ou trois Pater et trois Ave Maria, ce qu'on appelle la petite neuvaine ; ou bien sept Pater et sept Ave, ce qu'on regarde comme la grande neuvaine. 

    Il y a des chrétiens fervents qui, aux trois ou aux sept Pater et Ave Maria ajoutent autant à Ave Joseph, et qui par ce moyen ont obtenu des grâces merveilleuses ; mais nous pouvons affirmer qu'il a suffi bien souvent de la petite neuvaine pour toucher le cœur de saint Joseph et mériter d'être exaucé.

    Que pourrait-il donc refuser à celui qui, à la méditation de chaque jour de ce mois béni, ajouterait encore la récitation des prières de la grande ou de la petite neuvaine ?...

    Comme le mois de mars, consacré à saint Joseph, tombe toujours pendant le carême, il y a peu d'églises où l'on puisse faire ce mois publiquement, et par des exercices réguliers ; mais les vrais serviteurs de ce grand saint ne manquent pas de le célébrer en particulier, et c'est pour les aider, que nous allons présenter dans ce livre une suite de méditations pratiques et un choix de belles prières.

    Nous commençons ce travail avec d'autant plus de bonheur qu'il y a très-peu de Mois de saint Joseph, tandis qu'on trouve partout un grand nombre de Mois de Marie. Heureux si, après avoir essayé nous-même de donner à la Mère de Dieu cette preuve de notre amour, nous pouvions réussir à faire connaître, honorer et aimer son glorieux Époux, le Père nourricier de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le bon et puissant saint Joseph!

     
     

    OUVERTURE du MOIS DE SAINT JOSEPH

    (LA VEILLE DU 1er MARS)

    Il est le protecteur de tous ceux qui espèrent en lui. (Ps. XVII, 31.)

    Comme les Enfants de Marie aiment à célébrer les fêtes de leur mère, et le beau mois qui lui est consacré, ainsi les fidèles serviteurs de saint Joseph s'empressent de lui témoigner leur profonde et respectueuse tendresse, et de recourir à sa puissante protection, non-seulement dans ses principales solennités, du 19 mars et du Patronage, mais encore pendant un mois entier, dont tous les jours deviennent ainsi pour eux des jours de fête et de grâces.

    Nous viendrons donc tous les soirs au pied de ses autels, pour étudier ses vertus, méditer sur la gloire de ses priviléges, et nous apprendrons à le prier avec plus de confiance, en lisant le récit des prodiges obtenus par tous ceux qui ont imploré son secours.

    Si vous ne pouvez faire tous les jours cette lecture, et les prières qui doivent l'accompagner, dans un sanctuaire spécialement consacré à saint Joseph, je vous conseille d'avoir un petit oratoire, ou du moins une statue, une image de ce bon saint, que vous regarderez de temps en temps ; et je vous promets qu'il y aura, dans ce regard pieux, une grâce singulière et pleine de douceur pour vous.

    Nous commencerons aujourd'hui par une considération générale sur la protection de saint Joseph. Le but de cette première méditation est de nous porter à une confiance sans bornes, car il ne peut laisser sans secours ceux qui espèrent en lui... Protector est omnium sperantium in se.

    J'avertis une fois pour toujours que ce texte, ainsi que la plupart de ceux qui seront cités dans la suite, ne doivent s'entendre directement que de Dieu, seul tout-puissant, en qui seul nous devons mettre toutes nos espérances ; mais rien n'empêche que nous ne les appliquions, soit à Marie mère de Dieu, soit à saint Joseph, qui ont tant de crédit auprès du Seigneur.

     

    Voici maintenant toute la pensée du premier exercice : Pour mériter notre confiance, il faut qu'un protecteur ait ces deux qualités essentielles, la puissance et la bonté ; sans cela notre espérance serait vaine, et nous ne pourrions rien attendre de lui.

    Supposez, en effet, à un homme autant de puissance que vous pouvez l'imaginer, donnez-lui tous les trésors, tous les titres possibles, c'est en vain que vous aurez recours à lui, s'il manque de bonté, de bienveillance pour vous ; il méprisera votre prière et vous laissera dans l'abandon.

    Donnez-lui, au contraire, toute la bonté que vous voudrez, supposez qu'il vous porte le plus tendre intérêt ; il sera profondément touché de vos larmes, il vous plaindra sincèrement ; mais s'il n'a pas de puissance, s'il manque de crédit, sa pitié sera toujours vaine et stérile et sa bonne volonté absolument inefficace. Il faut donc ces deux conditions encore une fois : puissance et bonté.

    Aussi, voyez comme l'Église même, dans presque toutes ses prières, se plaît à nous rappeler ces deux attributs de Dieu, ou de sa glorieuse Mère, pour exciter la confiance dans notre cœur. La plupart de ses oraisons commencent par ces mots : Omnipotens et misericors Deus Dieu tout-puissant et plein de miséricorde, écoutez-nous, ayez pitié de nous... et dans les belles litanies de Lorette : Virgo potens, virgo démens, Vierge puissante, vierge pleine de bonté, priez pour nous.

     

    Eh bien, nous allons prouver que saint Joseph possède éminemment ces deux qualités d'un protecteur sûr et vraiment utile : 1° la puissance, et 2° la bonté.

    I. La Puissance d'abord.

    Mais Dieu seul est puissant, direz-vous ! Sans doute : c'est le nom de Dieu même, parce que c'est le premier et le plus essentiel de ses attributs de gloire : omnipotens ! le Tout-Puissant.

    Mais le Seigneur ne peut-il pas communiquer une partie de ce pouvoir suprême, une portion de ce souverain domaine des cieux, comme les rois de la terre, qui abandonnent et laissent à ceux qu'ils veulent honorer, une partie de leur autorité ?

    Ainsi les ministres dans l'État, les généraux dans l'armée, les préfets dans la province peuvent ordonner, commander et gouverner même sous leurs ordres. Ne les voit-on pas tous les jours distribuer des grâces et des faveurs, sous le regard et sous la dépendance du prince ?

    Cela est juste, et nous disons aussi avec raison que la Mère de Dieu, la sainte et immaculée Vierge Marie est puissante, toute-puissante même dans le ciel : omnipotentia supplex, mais toute-puissante par sa prière, à laquelle Dieu ne peut rien refuser.

    Voyez la différence : Dieu est tout-puissant par sa volonté, son empire, il commande en maître ; Marie est toute puissante par sa prière, sa tendresse, son amour, elle demande en mère.

    Tout ce que Dieu veut se fait, tout ce que Marie désire lui est accordé : omnipotentia supplex. 

    — Un saint docteur n'a pas craint même de dire que Dieu avait en ce sens partagé son empire avec elle ; il a gardé le haut domaine, la force, la justice, mais il lui a cédé la grâce, les miséricordes, et dans cette partie du royaume, Marie a la toute-puissance ; elle peut tout.

     

    Eh bien, après cette Vierge très-pure, c'est saint Joseph qui d'abord a le plus de droits à cette autorité ; et qui, de fait, a obtenu le plus de faveurs auprès de Dieu. C'est lui qui a le plus de crédit et de puissance. Pourquoi ?

    Parce que tous les autres peuvent être les serviteurs fidèles, les amis du Roi des cieux, mais seul il a été, il est le gardien, le père nourricier de Jésus ; seul il a été le protecteur même de son Dieu, alors que ce Dieu était sur la terre ; et il est impossible que ce Dieu l'oublie dans le ciel.

    Autrefois Joseph parlait avec une autorité réelle, et Dieu lui obéissait : erat subditus. Aujourd'hui il parle encore, il exprime un désir, il prie, et ce même Dieu s'empresse d'accorder tout ce que son Père lui demande.

     

    Cette vérité est incontestable. Mais il y a dans l'exercice de ce pouvoir extraordinaire de saint Joseph au ciel, il y a, dis-je, une remarque particulière et des plus intéressantes à faire pour ses fidèles serviteurs ; et j'ai hâte de le dire au premier jour de nos exercices : Il est certain que l'on peut partout et en tout temps recourir à sa protection, mais c'est surtout aux jours de ses fêtes qu'il semble vouloir être invoqué, et qu'il aime à faire éclater les merveilles de sa puissance.

    On dirait qu'en ces jours de grâce, le Seigneur Jésus lui rend tous les droits qu'il avait autrefois sur la terre, et qu'il le constitue de nouveau non-seulement son trésorier, mais le maître de tous ses biens et de toutes ses richesses : omnis possessionis suæ. 

    C'est principalement dans ses pieuses solennités que Jésus semble nous dire d'aller à Joseph : ite ad Joseph... Il vous donnera tout ce que vous demanderez ; faites seulement ce qu'il vous dira.

    Nous avons deux preuves certaines de ce fait ou plutôt de cette importante observation : l'autorité des Saints, et le témoignage même de l'expérience.

    Nous nous bornerons à rappeler ce que sainte Thérèse affirme. Jamais elle n'a invoqué ce puissant protecteur sans obtenir ce qu'elle avait demandé.

    C'est même sur les paroles de cette grande sainte que l'on a composé la prière dite le Memorare de saint Joseph, comme on s'est servi des paroles de saint Bernard, pour faire la prière des miracles, le Memorare de la sainte Vierge. Toujours efficace, cette prière à saint Joseph a surtout une puissance merveilleuse, aux jours de fêtes de notre bon protecteur.

     

    Combien d'âmes pieuses, après avoir fait avec dévotion le mois de saint Joseph, après s'être préparées par une simple neuvaine à célébrer sa fête, le 19 mars, ou le jour de son Patronage, le troisième dimanche après Pâques, ont éprouvé les effets les plus touchants de ce pouvoir extraordinaire !

    Nous aurons l'occasion d'en citer bien des traits, dont nous avons pu nous-même constater l'authenticité, dans les Annales de l'Association de la Bonne Mort, établie dans notre église du Jésus, à Paris.

    Il n'y a pas d'années que le directeur de cette pieuse confrérie ne reçoive une foule de lettres qui rapportent ces merveilles, à l'occasion de la neuvaine solennelle qui se fait dans cette chapelle.

    Déjà le P. Patrignani, dans un ouvrage célèbre sur la dévotion à saint Joseph, avait raconté de semblables prodiges, et prouvé cette puissance merveilleuse de saint Joseph, aux jours des ses fêtes ; et chose remarquable, tous ces miracles, comme ceux de Jésus lui-même, comme ceux de Marie, sont toujours des grâces, des bienfaits singuliers ; en un mot, il ne montre son pouvoir que pour faire du bien, sa puissance ne se révèle que par des actes de bonté : c'est ce que nous allons méditer dans la seconde partie de cet exercice.

     

    II. Bonté de saint Joseph.

    — Il semble que ce soit le caractère même de ce grand saint et de ses œuvres.

    Aussi partout maintenant on ne l'appelle plus que le bon saint Joseph Gloire incomparable et qui n'est partagée que par la sainte Vierge Marie, sa glorieuse épouse.

    Comme dans notre belle et sainte langue française, je dis sainte, parce que venue après la foi, et formée par le christianisme, elle en a les inspirations, les lumières et les sentiments, comme nous disons le bon Dieu, en parlant de JésusChrist Notre-Seigneur, sans jamais séparer ce touchant attribut de sa divinité ; comme nous disons la bonne mère, en parlant de la Vierge toute-puissante et immaculée, ainsi dans un langage simple et familier, sans doute, mais aussi sublime que touchant, nous disons : le bonsaint Joseph ! Il faut demander cela au bon saint Joseph !

    Aussi bien, tous ses miracles, disions-nous, comme ceux de Jésus et de Marie, sont des actes de compassion et des traits d'une bonté admirable.

    Quiconque a lu l'Évangile avec attention aura été singulièrement frappé de ce caractère des œuvres de Jésus-Christ et de tous ses prodiges. Il ne peut rien refuser de ce qu'on lui demande. Il suffit de pleurer devant lui, de montrer une souffrance, son cœur est touché. Il fait des miracles à chaque pas, mais on dirait qu'il ne fait ces miracles que par amour, plutôt même que pour prouver sa divinité.

    Tel est aussi le caractère des prodiges opérés par la sainte Vierge, et c'est ce que ne peuvent ignorer ceux qui ont lu les annales de ses plus beaux sanctuaires, et considéré avec attention les ex-voto qui couvrent les murailles de ses temples, ou que l'on voit suspendus au-dessus de ses autels. On n'a d'ailleurs, pour s'en convaincre, qu'à se rappeler les noms bénis que la reconnaissance lui a donnés partout dans ses pèlerinages célèbres ; ils indiquent assez la nature des grâces qu'on lui demande, et que l'on y obtient chaque jour. C'est Notre-Dame de Paix, de Consolation, de Délivrance, de la Garde, de Bon-Secours... Elle est puissante sans doute, mais surtout elle est bonne, douce et clémente, c'est la bonne Mère.

    Eh bien, tel aime à se montrer notre glorieux protecteur et père, saint Joseph. Il ne peut résister à la prière des âmes qui souffrent ; son cœur est sensiblement touché à la vue de nos peines, et les prodiges se multiplient à ses saints autels.

    Déjà, pour augmenter la foi et la confiance dans l'âme du pieux lecteur, nous avons indiqué la raison générale et les preuves de ce double caractère de puissance et de bonté dans notre saint patron. Ce sont les titres qu'il a reçus du ciel, et ses relations intimes avec Dieu, ses mérites personnels enfin, et ses vertus incomparables.

    Il ne s'agit donc plus pour nous que de nous attacher désormais à montrer les caractères particuliers et les traits les plus frappants de cette protection ; en un mot, et comme on parle maintenant, les spécialités des grâces que nous pouvons demander à saint Joseph, et que nous devons espérer dans ce mois béni et le jour de sa fête.

    Or, nous dirons dès aujourd'hui, avec plusieurs auteurs qui ont parlé de ce sujet, que le trait le plus singulier de la dévotion à saint Joseph, c'est qu'il n'y a personne qui ne puisse recourir à lui, et qu'il n'y a pas de grâces qu'on ne puisse lui demander, parce que sa puissance ne saurait avoir de bornes, et qu'il est bon pour tous ceux qui l'invoquent avec confiance.

    Tandis que le Seigneur semble n'avoir accordé à ses plus grands saints qu'une faible partie de ses dons célestes, il a laissé la garde et la distribution même de tous ses trésors à saint Joseph, et il ne peut rien lui refuser.

    Et cependant, nous dirons aussi qu'il y a des âges, des positions auxquelles il semble que saint Joseph s'intéresse encore avec plus de bonté. Nous parlerons de certaines conditions qu'ils paraît accueillir et en quelque sorte favoriser avec plus d'empressement ; nous prouverons qu'il y a des grâces que l'on est en quelque sorte encore plus sûr d'obtenir de lui, et nous chercherons ainsi à augmenter la confiance dans tous les cœurs, et la ferveur de la prière. Nous nous proposons de traiter tous ces sujets et de donner ces preuves dans une série d'instructions particulières sur la fin du mois, dans la neuvaine des patronages.

    Donc, aujourd'hui même, mon cher lecteur, qui que vous soyez, et quels que soient les besoins de votre âme, priez avec amour, et ne doutez pas que saint Joseph ne puisse et ne veuille vous exaucer. Il est puissant au ciel, il est bon envers tous ceux qui espèrent en lui : protector est omniumsperantium in se.

    Vour terminerez cet exercice par la récitation du Souvenez-vous à saint Joseph.

     

     

    PREMIÈRE NEUVAINE

    TROIS TITRES. - TROIS MYSTÈRES. TROIS VERTUS

     

    PREMIER JOUR

    JOSEPH PÈRE NOURRICIER DE JÉSUS-CHRIST

    Celui qui est le gardien de son Seigneur sera glorifié.

    (Prov. XXVII, 18)

    De tous les titres de saint Joseph, le plus beau, le plus glorieux sans contredit est d'avoir été le gardien, le père nourricier de Jésus, de son Dieu... C'est le principe même de toute la puissance et la preuve des mérites exceptionnels de ce grand saint.

    Cette méditation renfermera deux parties : I. Quelques réflexions sur ce titre de saint Joseph ; II. Et sur les conséquences que nous pouvons en tirer.

    I. N'est-il pas vrai que plus on approche du trône et de la personne sacrée des rois, plus on est élevé, plus on a de crédit, de puissance même et d'autorité ? N'est-il pas vrai encore que plus ce trône est brillant, plus ce roi ou cet empereur a lui-même de sujets et son empire d'étendue, plus aussi il y a de gloire à le servir, à entrer dans ses conseils, à partager sa puissance ? Ainsi un soldat a moins d'honneurs qu'un général ou qu'un ministre...

    Mais si ces relations avec le pouvoir deviennent encore plus intimes et plus familières, si ce n'étaient plus seulement des rapports de dépendance et de soumission, si c'étaient par exemple, des liens d'affection, comme il en existe entre des personnes de même famille qui, ne s'étant jamais quittées, ont toujours conservé ces sentiments naturels et si doux, n'est-il pas vrai que la puissance augmenterait encore avec la tendresse ? ainsi un ami, un parent, un frère : le frère d'un roi est prince et peut tout sur son cœur, il touche de bien près au trône.

    Mais si enfin ces rapports, demeurant toujours aussi tendres et affectueux, allaient jusqu'à demander, exiger de la part de celui qui a l'autorité, plutôt un caractère de reconnaissance et même de soumission, n'est-il pas vrai que le pouvoir et le crédit prendraient encore des proportions plus grandes ? Ainsi, un père qui aurait abdiqué en faveur de son fils ; une mère surtout, une mère ; car si on ne refuse rien à un fidèle serviteur, à un ami d'enfance, à un frère, on peut encore moins refuser à son père, à sa mère, à celle dont on a reçu le bienfait de la vie.

    Ces réflexions si simples, et qui nous montrent quel pouvoir la sainte Vierge doit avoir dans les cieux, peuvent, dans une juste proportion, s'appliquer aussi à Joseph qui, sur la terre, pendant toutes les années de l'enfance et de la vie cachée de Jésus, avait avec ce Dieu des relations si intimes et si familières, que c'était l'Enfant-Dieu lui-même qui devait obéir et qui obéissait réellement à cet homme juste ; et c'était Joseph qui le nourrissait, le gardait et le protégeait : autos Domini sui.

    Si on ambitionne l'honneur de servir les rois de la terre, si on recherche avec tant d'ardeur la gloire des charges qui attachent à leurs personnes, les fonctions qui approchent de leur trône, que sera-ce d'être appelé à servir le Roi immortel de la gloire, le Dieu tout-puissant du ciel et de la terre ? que sera-ce surtout de pouvoir lui parler chaque jour avec tendresse et familiarité ? que sera-ce enfin, de lui commander avec une autorité réelle et incontestable ?... Ce fut la destinée et le glorieux privilége de saint Joseph ! et seul, entre tous les hommes, il a été choisi pour ces sublimes fonctions : custos Domini sui.

    Mais remarquez bien, mon cher lecteur, qu'il ne s'agit pas ici d'un vain titre, d'une stérile attribution. Il a été réellement et de fait le gardien de son Dieu ; il l'a nourri, protégé, sauvé aux jours de sa vie mortelle. Ses services étaient non-seulement utiles, mais nécessaires au divin Jésus, pendant toutes les premières années de son enfance.

    Pour vous en convaincre, lorsque vous méditerez ces grands mystères de la vie cachée de notre Sauveur, il vous suffira de faire une simple hypothèse dont la pensée seule vous fera frémir : Supposez un instant que Joseph ne soit pas à Bethléem, pour protéger la Mère et l'Enfant, quand Marie, ayant vainement cherché une petite place dans les hôtelleries, fut obligée d'aller se réfugier dans une étable, et qu'elle y enfanta Jésus ; supposez que Joseph ne soit pas là, quand il fallut partir la nuit, et fuir en Egypte pour éviter la mort de ce petit Enfant que l'Impie Hérode voulait immoler à son ambition; supposez que dans cette terre d'exil, et plus tard même à Nazareth, supposez que Joseph ne soit pas là, pour travailler et gagner le pain de chaque jour... Que seraient devenus et la Mère et l'Enfant ?... qui les aurait protégés, sauvés, nourris ? — N'est-il pas réellement le gardien, le père ?... Custos Domini sui.

     

    Que si déjà c'est une gloire d'avoir mérité d'être ainsi choisi, seul entre tous les hommes, c'en est une plus grande encore d'avoir répondu parfaitement à cette élection divine. Joseph l'a mérité par la sainteté et la justice de son cœur, il y a répondu par la fidélité admirable avec laquelle il a rempli une si haute mission.

    L'Évangile parle peu des vertus de Joseph ; il ne dit qu'un mot de sa sainteté, mais ce mot suffit, il dit tout : cum esset justus (Matth. I, 19) ; il était juste aux yeux de Dieu, qui voit des taches même dans ses anges ; il vivait donc de foi, car le juste de Dieu n'a pas d'autre vie : justus autem meus ex fi.devivit (Rom. I, 17). Au milieu des enfants d'Israël, il s'élevait comme le palmier, et ses fleurs embaumaient le ciel, et ses fruits abondants couvraient la terre... Justus ut palma florebit (Ps. xci, 13). Dieu même le préparait et le rendait ainsi digne des honneurs dont il allait le combler, en le désignant pour époux à Marie, la Vierge immaculée, ce trésor caché dans son temple, Marie prédestinée pour être la mère d'un Dieu. Voilà pour la grâce d'élection.

     

    Mais la gloire de saint Joseph, avons-nous dit, ce n'est pas tant d'avoir été choisi et appelé, c'est d'avoir si parfaitement répondu aux desseins de Dieu.

    Il a en effet montré, dans l'exercice de sa charge, toutes les vertus que demandait cette sublime vocation.

    Ce Dieu tout-puissant, Père éternel, au jour de l'élection sainte et des premiers mystères de la vie de Jésus, semble avoir dit à Joseph, comme la fille de Pharaon à la mère du petit enfant Moïse : Accipe pnerum istutn, et nutri mihi, ego dabo tibi mercedem tuam: ( Exod. Ii, 9) : Prenez cet enfant, gardez-le, nourrissez-le pour moi, et je vous donnerai votre récompense... Et il le prit, il le garda, il le nourrit ; mais avec quelle prudence et quel dévouement, avec quel courage et quelle tendresse !

    Rappelez-vous l'histoire de la naissance de Jésus dans l'étable, et surtout le mystère de la fuite en Egypte, vous y verrez briller à la fois toutes ces admirables vertus. Il a donc été fidèle dans sa garde, il a mérité la récompense promise, et cette récompense ne pouvait être que Dieu même, qui s'est chargé de le glorifier : ero merces tua magna n'imis... Custos Domini sut glorificabitur.

     

    II. Il nous reste à tirer de ces pieuses considérations quelques conséquences utiles à l'âme de nos lecteurs ; car enfin tous ces exercices du Mois de saint Joseph ne peuvent avoir qu'un but, celui de nous apprendre à imiter les vertus de ce grand saint.

    Or, nous aussi, nous devons garder Jésus dans notre cœur, nous devons le secourir et le protéger... .Il nous a été réellement confié, lorsque, par la grâce des sacrements, il a commencé à vivre en nous.

    1° Nous devons le garder, le protéger : comment ? C'est l'Apôtre qui va nous l'apprendre : sa vie n'est-elle pas menacée à chaque instant ? Un cruel ennemi, le plus vil usurpateur n'a-t-il pas juré de lui donner la mort ? et dans combien de cœurs ne parvient-il pas à le crucifier chaque jour ?... Rursumcriicifigentes in semetipsis filium Dei (Hebr. vi, G). C'est donc le péché qui est son ennemi, le vrai bourreau qui lui donne la mort ; et, si nous sommes fidèles, si nous fuyons à la vue du danger, si nous résistons avec courage aux mauvaises suggestions de cet ennemi perfide, si nous ne lui permettons pas d'entrer dans notre cœur, nous y garderons Jésus, nous sauverons ses jours, comme Joseph fidèle à la voix des anges, l'a sauvé de la fureur d'Hérode. Priez donc saint Joseph, imitez-le dans les tentations.

     

    2° Nous devons aussi nourrir Jésus dans notre cœur. Comment ?

    Mais par les sacrifices de l'amour, c'est-à-dire en faisant pour lui tous les petits sacrifices qu'il nous demande ; car c'est l'honorer et le nourrir de la substance même de notre âme, d'après la parole admirable de l'Écriture sainte : Honora Dominum de tua substantia (Prov. m, 9). Il faut donc nous vaincre, et nous sacrifier à l'amour.

    Mais ne craignez pas, il suffira de bien peu pour nourrir ce divin Enfant, surtout au commencement de sa vie en nous ; il ne demande, pour ainsi dire, que ce qu'il nous donne, il se contente de notre bonne volonté. Ne lui refusez pas au moins ces petits efforts, et surtout pendant le cours de ce mois, ne laissez passer aucun jour sans donner à Jésus cette nourriture sacrée, et il grandira, il se fortifiera en vous jusqu'à la plénitude de sa vie divine.

    Or, voici les conditions mêmes et la loi de ce progrès de la grâce en nous : Dieu y grandira à proportion que nous diminuerons nous-mêmes : oportet illum crescere, me autem minai (Joan. m, 30).

    Méditez cette parole de l'ange de Jésus, et croyez que c'est une des plus profondes et des plus mystérieuses de l'Évangile. Si vous vous humiliez, Jésus s'élève et grandit en vous. Si vous vous abaissez encore, si vous vous anéantissez, si vous mourez par le sacrifice et l'holocauste, Jésus grandit et s'élève encore ; il vit, il régne pleinement en vous, il devient la vraie vie de voire âme ; mais si vous refusez de le nourrir, si le moi vit toujours en vous, ce Dieu bientôt ne pourra plus y demeurer, il cessera d'y vivre ; il y mourra !

     

    Or, je le répète, il n'est pas difficile de donner à Dieu cette nourriture mystérieuse qui entretient sa vie, et le fait grandir dans une âme. Les plus petits sacrifices suffisent pour cela : réprimer la vaine curiosité d'un regard, retenir une parole inutile sur nos lèvres ; lui offrir une légère mortification dans un repas, se lever exactement à l'heure, etc.. c'est assez pour contenter l'amour de Notre-Seigneur et ravir son cœur, en assurant sa vie en nous.

    Prenez donc cette résolution aujourd'hui même, et jusqu'à la fin du mois gardez bien Jésus dans votre cœur, nourrissez-le par les sacrifices d'amour qu'il vous demandera ; offrez-lui, par les mains de saint Joseph, ces petites victoires que vous remporterez sur vous-même, vous serez aussi un jour glorifié avec lui dans les cieux ; le Dieu que vous aurez honoré, nourri de votre substance sur la terre, vous remplira de sa vérité, de sa lumière, de sa vie immortelle dans la pairie de l'éternité.

    Amen!

     

     

    DEUXIÈME JOUR

    JOSEPH ÉPOUX DE LA VIERGE MARIE

    — DEUXIÈME TITRE —

    Joseph époux de Marie mère Jésus. (Matth., I, 16.)

    Après le titre incomparable de gardien et père nourricier de Jésus : custos Domini, il ne pouvait y en avoir de plus glorieux que celui-ci : virum Marise, époux de la vierge Marie et protecteur de la Mère de Jésus. Le premier titre nous prouve que Joseph était l'homme le plus saint, le plus juste du monde ; le second, qu'il était l'homme le plus pur, le plus parfait de la terre. Un Dieu n'a pu être déterminé à ce choix que par les vertus mêmes de Joseph ; un Dieu a dû combler de grâces celui qu'il prédestinait à cette divine mission.

    Qu'il est doux à l'âme fidèle de contempler ce tableau ravissant de la Sainle famille ! A toute heure du jour, quelles que soient les occupations qui les fixent et les attachent, les trois personnes qui composent la petite maison de Nazareth ne peuvent être séparées ; vous les verrez toujours ensemble, unies de cœur et d'âme dans la prière, comme dans le travail. C'est Joseph qui préside et commande, il a seul toute l'autorité. Non-seulement il est parfaitement à sa place entre Jésus et Marie, mais encore il est le chef de cette sainte famille, en qualité d'époux de la Mère de l'Enfant-Dieu.

     

     

    I. Nous méditerons d'abord sur la vérité de ce titre : virum Mariae. II. Puis, à cette occasion, nous ferons quelques réflexions sur les mariages d'aujourd'hui, et dans les familles même qui se disent chrétiennes.

    I. Il est certain et de foi divine que Joseph a été l'époux de la vierge Marie. L'Évangile et toute la tradition constante de l'Église ne peuvent laisser le moindre doute à ce sujet. Ce n'était pas un vain titre, comme le prouvent les textes sacrés de saint Luc et de saint Matthieu : Missusest AngelusGabriel a Deo... advirginem riesponsatam viro cuinomen erat Joseph. L'ange Gabriel fut envoyé par le Seigneur à une jeune vierge mariée à un homme appelé Joseph. Si la généalogie de l'un et de l'autre se trouve également dans ces deux auteurs sacrés, c'est pour donner une raison légale de leur sainte union.

     

     

    Le ciel aussi reconnaît à Joseph la qualité d'époux légitime et de chef de famille : c'est à lui seul que les anges portent les ordres du Seigneur ; après la naissance du Sauveur, et même avant l'accomplissement de ce mystère, un autre envoyé céleste lui avait dit : Noli timere accipere Mariantconjugem tuam : Ne craignez pas, Joseph, de garder Marie votre épouse, quod enim in ea natum est, de Spiritu Sancto est. (Matth. t, 20.)

    Enfin la sainte Vierge elle-même le reconnait encore d'une manière plus éclatante, non-seulement en suivant Joseph, comme une femme fidèle et soumise, mais en lui donnant le nom de père auprès de son divin Fils : ego et pater tuus dolentes quxrebamus te (Luc, n, 48): Votre père et moi nous vous cherchions, bien tristes et dans les larmes.

    La tradition la plus respectable et la plus antique atteste également le mariage de Joseph avec la vierge Marie. Non-seulement la tradition écrite, comme nous la trouvons dans les saints Docteurs et Pères, nos maîtres dans la foi, et qui ont interprété dans leurs touchantes homélies les paroles sacrées des textes cités plus haut, mais encore la tradition monumentale, l'histoire écrite sur la pierre des temples et sur les murs sacrés des catacombes...

     

     

    Vous y lirez avec admiration le récit même du miracle des fleurs, par lequel le ciel déclara que, parmi tous les jeunes prétendants de la tribu de Juda à la main de Marie, Joseph seul était digne de ce bonheur...

    Tout le monde sait que le souvenir de ce miracle célèbre a donné ù Raphaël le sujet d'un de ses plus magnifiques chefs-d'œuvre. On voit, dans cette page sublime de l'art chrétien, Marie et Joseph en présence du prêtre qui les unit devant Dieu.... Joseph tient à la main le rameau fleuri miraculeusement dans l'arche sainte, tandis que la foule des autres jeunes, gens de sa tribu envie sa gloire et son bonheur, et que l'un d'eux, dans son désespoir, brise sur ses genoux la tige aride qui vient de lui être rendue.

    Les fleurs mystérieuses que saint Joseph porte à la main, dans toutes ces images antiques et vénérées des premiers siècles de l'Église, ne rappellent pas seulement ce prodige, elles révèlent aussi la pensée universelle de ces temps de foi, où l'on a toujours cru que Joseph avait épousé vierge, la vierge Marie, et qu'il avait, comme elle, toujours conservé la belle fleur de cette vertu angélique .

    Joseph et Marie, au pied des autels du Seigneur, se prêtèrent donc un serment mutuel d'amour ; les liens de cetle alliance sacrée et indissoluble furent bénis par Jéhovah, dont les conseils, éternellement médités dans les cieux, allaient enfin s'accomplir sur la terre, et demeurer quelque temps cachés sous le voile de ce mariage. Le pontife saint qui présidait à la cérémonie de cette union en ignora lui-même tout le mystère. Les anges seuls eurent la révélation du secret de ces deux cœurs les plus purs, et contemplèrent avec ravissement ce glorieux sacrifice.

    Dès ce jour, et jusqu'à son dernier soupir,

    1 Pourquoi faut-il que de nos jours on semble ignorer ce privilège glorieux du céleste époux de la Vierge immaculée ?... Sur la parole au moins téméraire de quelques auteurs sans croyances religieuses, on a osé répéter que Joseph n'a épousé Marie qu'en secondes noces, et après avoir eu plusieurs enfants d'un premier mariage. De pareilles assertions étonnent, scandalisent la piété des enfants de Marie et des fidèles serviteurs de saint Joseph ; elles sont contraires à Renseignement universel de l'Église. Il est triste surtout de les voir reproduites dans des livres qui sembleraient destinés à être mis dans les mains de tout le monde, et jusque dans des recueils de cantiques, heureusement fort peu connus.

     

     

    Joseph ne quitta plus la sainte Vierge. Ils vécurent ensemble dans la plus douce et la plus parfaite union. Comme deux lis dont les tiges éclatantes de blancheur s'élèvent, et, mêlant leurs parfums embaument les airs ; comme deux astres dont les rayons venant à se rencontrer dans les cieux, répandraient une plus douce clarté, ainsi Joseph et la Vierge très-pure dans l'ardeur de la prière, unissaient leurs vœux et leurs plus saints désirs pour la rédemption d'Israël. Ils appelaient la rosée des cieux ; ils conjuraient la terre d'enfanter son Sauveur... ils priaient, et le Seigneur touché de leurs soupirs, y répondit après quelques mois seulement de ce mariage céleste.

    Dieu envoya l'ange Gabriel à la jeune Vierge qui avait épousé ce saint patriarche : Missus est angelus Gabriel a Deo*.. et l'ange la salua pleine de grâce, et elle conçut du Saint-Esprit, et le Verbe s'est fait chair, et il habita parnii nous : Et Verbum caro factum est, et habi-. tavit in nobis (Joan. i, 14). Gloire à la Mère de Dieu, gloire à Joseph époux de cette Vierge féconde, et père nourricier de Jésus ! — C'est à lui que le Seigneur a confié la Mère et l'Enfant ; il était digne de ce choix ; il a rempli sa mission avec fidélité.

     

     

    Mais nous ne pouvons douter qu'il n'ait gardé, même dans le ciel, une partie de l'autorité qu'il avait ici-bas sur Jésus et Marie. Jésus et Marie ne peuvent rien refuser dans le ciel à celui dont ils ont toujours respecté les ordres sur la terre.

    II. Il y aurait une foule de réflexions à faire sur ce titre sacré d'époux de la Vierge : virum Marix ; et nous pourrions insister sur la gloire et la puissance qui découlent nécessairement de cette élection divine. Mais il nous parait plus utile encore de nous arrêter quelques instants à méditer, avec le pieux lecteur, sur la manière dont on devrait se préparer dans les familles chrétiennes, à la réception de ce grand sacrement du mariage.

    Nous disons avec vérité, dans un langage éminemment chrétien, que les beaux mariages, c'est-à-dire les mariages saints et heureux sont écrits là-haut, au ciel... Mais qu'il est rare dans le monde que l'on cherche à y lire, et qu'il y a peu de parents et d'enfants qui pensent à consulter les anges !... Aussi voit-on bien peu de ces unions saintes et vraiment heureuses ! Il n'y a presque plus rien de sacré dans les conseils dont on s'environne, avant de fixer son choix : à peine si l'on prie même le jour où l'avenir de la vie se décide ! Le mariage est devenu pour beaucoup d'hommes une affaire, une spéculation, et on y trompe, on y est trompé, comme dans les autres industries.

     

     

    Où se traitent en effet ces affaires-là, où se décident ces grandes questions ?... la plupart du temps, c'est dans le monde, c'est-à-dire dans les bals. Et qui en régle les bases définitives ? les notaires, comme pour l'achat ou la location d'une maison, et la mise à prix d'une ferme. Voilà pour les préludes ; et tous les articles préliminaires se réduisent, le plus souvent, à l'âge, la fortune, la santé. Puis on s'occupera du caractère, et des principes religieux ensuite. Je sais qu'il y a des exceptions, et des familles pour lesquelles ce dernier point paraît capital ; aussi ces familles peuvent-elles espérer d'être visitées et bénies par les anges de Dieu.

    Pour le jour même de la célébration du mariage, quelle différence encore ! Ces familles s'y préparent avec ferveur par la prière, par la fréquentation des sacrements : on voit les jeunes fiancés communier, la veille, à l'autel de Notre-Dame des Victoires ou dans quelque autre sanctuaire privilégié. Les parents, les amis invités les accompagnent avec bonheur et espérance. Tandis que le plus grand nombre des autres mariages se font dans les vaines préoccupations de la toilette, la dissipation des spectacles profanes, et quelquefois l'intempérance même des banquets prolongés bien avant dans la nuit.

     

     

    Enfin, à l'heure même du sacrifice, au moment solennel du sacrement qui va unir pour toujours ces deux âmes, fixer pour elles l'avenir de cette vie, et décider probablement le sort de leur éternité ; d'un côté il y aura des prières et des larmes d'espérance et d'amour, et de l'autre, c'est le sentiment qui dominait au contrat de la veille, et la pensée fixe d'une affaire conclue.

    Mais, après cette belle cérémonie, il y aura bien sans doute aussi quelque différence. Oui, certainement, les déceptions, les désespoirs ne tarderont pas à venir pour les uns ; et, si pour les autres il y a quelques peines réelles, car la vie de tout le monde est semée d'épines, au moins on ne manquera jamais de force, de résignation, de patience, et d'espérance surtout. En un mot, la religion peut seule rendre plus douces les joies du mariage, en les sanctifiant ; seule, elle peut ôter l'amertume des peines de cet étal, en donnant la grâce et en gardant l'espérance dans les cœurs. Voilà ce que l'expérience de tous les jours devrait apprendre aux hommes, mais ils ne veulent pas comprendre, ils vivent dans l'illusion d'abord, et meurent dans le désespoir.

    Nous conclurons ces réflexions, en invitant le pieux lecteur à prier toutes les fois que, pour lui ou pour ceux qu'il aime, il serait question de vocation, ou de mariage. Oui, priez la Sainte Famille, mais surtout saint Joseph, qui est le protecteur des chrétiens dans ces graves circonstances de la vie. Nous en parlerons nécessairement plus tard, lorsque nous serons dans la neuvaine des patronages, mais nous ne pouvons manquer de saisir aussi cette occasion ; nous ne pouvons jamais trop répéter ce conseil d'où dépend le bonheur et le salut même de beaucoup d'âmes.

    Par l'intercession de ce grand saint, on évitera les dangers auxquels sont exposées de nos jours les familles même les plus chrétiennes, dangers d'être cruellement trompées, et sur les points les plus essentiels. Souvent saint Joseph a préparé et béni les plus saintes et les plus heureuses alliances ; plus souvent encore il a brisé des unions désirées, et qui allaient être contractées pour le malheur d'un enfant chéri, comme on l'a bientôt reconnu ; et la reconnaissance était bien plus grande que n'avait été la peine d'un premier désenchantement.

    Priez donc, priez avec ferveur, priez pour vous et vos enfants ; vous surtout, mères chrétiennes, priez pour tout ce que vous aimez ; priez saint Joseph, le glorieux époux de la Vierge Marie, priez-le avec encore plus de ferveur, quand vous assistez à une messe de mariage.

     

     

    TROISIÈME JOUR

    JOSEPH ENFANT DE PROGRÈS

    — TROISIÈME TITRE —

    Joseph, mon fils, c'est un enfant de progrès, il grandira toujours.

    (Gen. XLIX 22.)

    Le patriarche Jacob, à l'heure de la mort, fit venir ses enfants et petits-enfants, et levant la main sur leur tête, il les bénit tous avec les tribus de leur nom. Chaque parole était, dans la bouche du saint vieillard, une prière touchante, et ensemble une prophétie solennelle. Lorsque ce fut le tour de Joseph, car il les appela tous par leur nom, il s'arrêta un instant, et d'une voix émue il prononça ces mois : « Pour Joseph mon fils bien-aimé, ce sera un enfant de progrès, il ne cessera de grandir : Filius accrescens Joseph, filius accrescens et decorus aspectu; sa gloire, sa beauté doivent toujours s'élever et briller d'un éclat plus doux et plus grand aux yeux du monde.

     

     

    Ces paroles inspirées rappelaient toute l'histoire du patriarche Joseph, son fils, premier ministre de Pharaon, roi d'Egypte, et renfermaient l'éloge prophétique de Joseph l'époux de Marie, le père nourricier de Jésus, Notre Sauveur. L'un par sa haute sagesse n'avait cessé de grandir en puissance et de s'élever dans la gloire, aux yeux du roi et de son peuple, qu'il avait sauvé de la mort et des horreurs de la famine ; l'autre par sa fidélité, sa justice, et la perfection de toutes ses vertus, a mérité non-seulement de grandir en sainteté devant Dieu, mais aussi de voir la gloire de son culte croître et s'élever dans tous les siècles, et son amour dans tous les cœurs : filius accrescens Joseph. 

    Cette interprétation ne peut paraître étrange ni arbitraire ; les saints Docteurs ont appliqué dans ce sens les textes sacrés de la Genèse à saint Joseph, et l'Église même, dans l'office de sa fête, en nous rappelant l'histoire de ce saint patriarche, nous indique assez clairement qu'elle le regarde comme la figure du chaste époux de la Vierge immaculée.

    Il y aura deux points dans cette méditation. I. Saint Joseph n'a pas cessé un instant de s'élever à la perfection. II. La gloire extérieure de son culte n'a pas cessé de grandir jusqu'à nos jours.

     

     

    I. Et d'abord progrès de saint Joseph dans la sainteté.

    Commençons par rappeler ici deux principes de la théologie dogmatique et morale :

    - le premier, c'est que la grâce croît dans un cœur en proportion de la fidélité avec laquelle on y répond.

    - Le second, non moins incontestable, c'est que Dieu donne toujours sa grâce proportionnée à la vocation ou à la destinée des âmes, c'est-à-dire en rapport avec les obligations qu'il leur impose, et avec le ministère auquel il les appelle ; en un mot, il y a des grâces d'état, et ces dons de Dieu sont plus ou moins abondants, selon que les devoirs sont ou deviennent plus ou moins difficiles et importants.

    Ces principes bien compris, je dis d'abord que saint Joseph, appelé à cette dignité incomparable de Père nourricier de Jésus et d'Époux de la sainte Vierge, a dû recevoir du ciel des grâces extraordinaires, des dons nécessairement supérieurs à tout ce que nous pouvons concevoir, si nous exceptons toujours la Vierge fidèle, sa glorieuse épouse, dont les titres sont encore bien plus élevés, puisqu'elle est réellement la Mère de Dieu.

    J'ajoute que, par sa fidélité à tant de faveurs, saint Joseph a grandi sans cesse, et qu'il a fait monter son cœur, par tous ces degrés de sainteté, à la perfection même de la justice... Ascensiones in corde suo disposuit (Ps. Lxxxiii, 6).

    Pour juger plus facilement de ces progrès immenses, le pieux lecteur pourra partager la vie de saint Joseph en trois époques principales : avant son mariage, depuis ce jour jusqu'à la naissance de Jésus-Christ, et enfln sa vie de Nazareth jusqu'à sa mort bienheureuse.

    Avant son mariage avec la sainte Vierge, un mot de l'Evangile suffit : Il était juste, et par ses vertus, il a mérité d'être choisi : cum esset justus (Matth. i, 19). C'est la raison même du choix de Dieu et de cette glorieuse élection. Le ciel ne pouvait prendre qu'un homme digne de cette mission, le plus digne même, c'est-à-dire le plus saint.

    A dater de ce jour, dès que saint Joseph devenu l'époux de Marie commença à vivre avec elle, à prier avec elle, qui pourra comprendre les merveilles de la grâce dans ce cœur fidèle ?

    Témoin des vertus de la reine des Anges, et chaque jour éclairé, nourri de sa parole sainte, quels progrès il dut faire dans la perfection ! L'Évangile n'en dit aussi qu'un seul mot, mais il suffit encore pour révéler ces prodiges de la grâce aux âmes réfléchies. Joseph alors, quand un doute terrible vint un instant troubler son esprit, mérita par sa prudence et son humilité, d'apprendre les secrets de Dieu même, de la bouche des anges.

     

    Mais c'est surtout depuis la naissance de Jésus à Bethléem, que saint Joseph a grandi, et qu'il est devenu saint.

    Toutes les vertus de foi, d'espérance, d'amour ; la justice, la prudence, la force ; les dons les plus parfaits de l'Esprit Saint et les fruits les plus doux de grâces pour la vie éternelle, tous les biens du ciel, en un mot, vinrent à Nazareth avec l'Enfant-Dieu. Joseph en fut comblé, ainsi que la vierge Marie, et sous les yeux du Seigneur qu'il pouvait appeler aussi son enfant, il s'élevait à la plus haute sainteté. Tous les jours il approchait davantage de cette perfection infinie qu'il pouvait contempler tous les jours.

    Ouvrez les saints Évangiles et vous pourrez, pour ainsi dire, suivre ces progrès admirables dans la série des mystères de la sainte enfance de Jésus, et jusqu'à la mort de ce bienheureux patriarche.

    Quelle obéissance, à la fuite en Egypte ! quel amour, quel dévouement, quelle tendresse, quand avec la Vierge mère, il revient à Jérusalem chercher l'Enfant qu'il croyait perdu ! Pendant les années de sa vie cachée à Nazareth, quelle ardeur pour le travail, quelle pureté d'intention dans toutes les actions ordinaires de chaque jour ! Et quand vint pour ce juste du Seigneur l'heure de mourir, quelle résignation, quelle confiance et quel saint abandon !

     

    Mais ce qu'il importe essentiellement de remarquer ici, c'est qu'il a fallu à Joseph une fidélité d'autant plus grande que sa vertu a nécessairement rencontré plus d'obstacles, jusque dans la nature même de ses relations incessantes avec le Dieu Sauveur. Pour ne parler que du danger de se familiariser avec cette position si exceptionnelle, qui ne sait que, par suite de l'habitude, un fatal esprit de routine se glisse trop souvent dans les cœurs qui sont plus près de Dieu ?

    Les saints mystères, les plus touchantes merveilles de la grâce cessent de frapper ceux qui vivent toujours environnés de ces faveurs : Assididtate vilescunt... dit saint Augustin.

    L'habitude où l'on est de voir ces grandes choses finit par diminuer l'admiration, le respect : c'est comme pour le spectacle de la nature auquel on est accoutumé dès l'enfance ; la beauté de l'aurore, l'éclat du soleil en son midi, les fleurs qu'il jette sur la terre, en se levant ou en se couchant, tout cela ne nous touche plus, ni la douce clarté de l'astre des nuits, ni ces milliers d'étoiles suspendues à la voûte des cieux ; nous restons indifférents à la vue de toutes ces merveilles, qui n'ont plus rien de nouveau pour nous.

    Eh bien, c'était un danger pour saint Joseph. Sans une grâce toute spéciale, et sans une grande fidélité à cette grâce, il pouvait s'habituer aussi à voir un Dieu si près de lui, un Dieu si caché, si anéanti. Quelle vertu il fallait pour le reconnaître et l'adorer dans ce pauvre enfant qu'il avait sauvé aux premiers jours de sa vie, dans ce petit apprenti auquel il apprenait à travailler, ou dans cet ouvrier qu'il voyait manger et dormir, comme les autres enfants des hommes !... Mais bien loin d'avoir laissé cette foi diminuer dans son âme, et l'amour s'éteindre dans son cœur, il n'a cessé, je le répète, de faire des progrès dans toutes ces belles vertus, jusqu'à la mort.

    C'est pour cela, et nous aurons souvent l'occasion de le dire, que l'on invoque dans l'Église saint Joseph comme le protecteur spécial de la vie intérieure et des âmes qui vivent dans la pratique habituelle des vertus chrétiennes, et plus particulièrement encore comme le patron des prêtres de Jésus-Christ ; car leur vie, toute consacrée aux choses divines, pourrait aussi les exposer à traiter trop familièrement les mystères sacrés : or l'expérience a depuis longtemps appris qu'il n'y a rien de plus opposé à la vraie piété et à la ferveur que cet esprit de routine. Saint Joseph en préservera tous ceux qui recourent à lui, et surtout les prêtres qui l'invoquent avec confiance.

     

    II. Mais disons maintenant un mot de la prophétie renfermée dans le texte divin : Filius accrescens Joseph, filins accrescens. 

    Nous l'entendons ici du progrès singulier de la gloire de saint Joseph et de son culte extérieur au sein de l'Église.

    Pour tous ceux qui ont étudié les annales des siècles ecclésiastiques, cette interprétation ne pourra manquer de paraître aussi juste que simple et naturelle.

    C'est un fait incontestable que, pendant les premiers âges de la foi, et par un dessein mystérieux du Seigneur, à peine si nous pouvons trouver quelques souvenirs de ce culte des peuples pour notre saint patriarche, et quelque trace de la dévotion des fidèles.

    Les SS. Pères même et les premiers docteurs semblent avoir voulu garder sur le père nourricier de Jésus un silence relatif qui nous étonne, et qu'il nous est impossible de ne pas regretter.

    Quant aux monuments de la tradition, il n'y a rien de plus que ce que l'Évangile même rapporte ; on voit Joseph dans l'étable, on le voit dans la fuite en Egypte et dans la petite maison de Nazareth... Voilà tout pour les premiers âges. Ce n'est que bien plus tard qu'on a fait le tableau de la mort de saint Joseph, qui depuis a été mille et mille fois reproduit.

    Quelques auteurs pieux, comme le P. Lallemant et Patrignani, ont voulu donner une raison de ce divin conseil.

    Les motifs qu'ils ont trouvés pour justifier en quelque sorte la Providence de Dieu dans ce fait, ne paraissent pas dénués de fondement, et peuvent édifier la piété, en nous portant à la reconnaissance, nous qui sommes témoins de l'exaltation progressive de la gloire de notre grand saint.

    Ils disent donc d'abord, et Bossuet paraît approuver aussi cette explication, que les esprits des nouveaux convertis à la foi n'étaient pas encore capables de comprendre une parole aussi sainte ; qu'ils auraient été portés à confondre la gloire de Joseph avec celle de l'incomparable Vierge mère de Dieu, et qu'on aurait craint de les exposer à croire que Joseph était réellement le père de Jésus.

    Ils ajoutent que, dans ses divins conseils sur le gouvernement de son Église, le Seigneur a voulu réserver certaines grâces de choix et plus en rapport avec les besoins des époques diverses qu'elle devait traverser ; et, comme il a donné au siècle d'indifférence la révélation des trésors cachés dans son Cœur adorable, ainsi, dans un temps où les liens de la famille semblent se relâcher, dans un temps où l'autorité paternelle est moins respectée, il a voulu que nous puissions trouver, avec la dévotion à saint Joseph et dans l'étude de ses vertus, un secours qui préserverait ses enfants de ce danger, et un exemple qui pourrait les sauver de ce malheur.

    Toujours est-il que nous avons le privilége de cette grâce réservée ; et le culte de saint Joseph, qui avait déjà bien grandi du temps de sainte Térèse, comme le prouve la tendre dévotion de cette sainte, n'a pas cessé de faire des progrès dans les cœurs.

    La lumière cachée pendant bien des siècles a soudain éclaté sur nous, et elle brille de l'éclat le plus doux.

    Il est évident qu'un courant de grâces extraordinaires entraîne les cœurs vers les autels de ce grand saint ; et tous les jours le ciel se plaît à manifester sa puissance par des bienfaits nouveaux. Il approuve donc par des miracles nombreux et éclatants la dévotion des peuples envers le chaste époux de la Vierge fidèle, et partout désormais où l'on consacrera un autel à Marie, on s'empressera d'en élever un au bon saint Joseph.

     

     

    Tous les enfants de l'Église catholique se réjouissent de pouvoir assister à ce triomphe glorieux, et de voir la progression miraculeusement rapide du culte de ce grand saint. Ils sont deux fois certains de ne pas se tromper dans ce sentiment qui entraîne les âmes fidèles ; car Dieu seul a pu donner aux cœurs ce mouvement universel de confiance et d'amour ; et, s'il y avait là une erreur, c'est Dieu même qui en serait l'auteur, puisqu'il semblerait l'avoir autorisée par tant de prodiges obtenus chaque jour à l'autel de Joseph.

    Mais, si à cette voix imposante du ciel, et au témoignage sûr et incontestable des miracles, nous ajoutons la parole du pontife suprême qui gouverne l'Église de Jésus-Christ, quel doute pourrait-il'encore rester dans l'esprit ?

    Or, du haut de la chaire sacrée, non-seulement le saint-père l'immortel Pie IX a vu, constaté ce progrès de la dévotion à saint Joseph, mais il l'a encouragé de tout son pouvoir, il l'a approuvé en comblant de grâces et de priviléges nombreux les associations érigées en son honneur et les autels consacrés à sa gloire.

     

     

    0 mon Dieu, que je serais heureux si, par ce petit livre, je pouvais aussi contribuer à faire connaître, aimer et glorifier ce bon saint Joseph ! si je pouvais augmenter son amour dans les cœurs et porter quelques âmes fidèles à imiter ses vertus ! C'est la seule grâce que j'aie demandée à Jésus, à Marie, à Joseph !

    Pour vous, mon cher lecteur, vous ferez, en terminant cet exercice une réflexion et une prière.

    Cette réflexion de l'Imitation vous humiliera peut-être ; mais il faut la méditer devant Dieu : ne pas avancer dans la voie de la perfection, dans la route du ciel, c'est reculer, et s'exposer à se perdre. Courage donc et confiance ! saint Joseph sera votre guide et votre protecteur.

    La prière.

    Vous lui demanderez son secours, en récitant avec dévotion ou l'Ave Joseph, ou l'oraison même de sa fête :

    Sanctissimae Genitricis tux sponsi, quxmmus Domine, meritis adjuvemur ; ut, quod possibilitas nostra non obtinet, ejus nobis intercessionedonetur.

     

     

    Seigneur, je vous en prie, venez à mon aide, par les mérites et l'intercession du chaste époux de votre très-sainte Mère, et accordez-nous de faire ce que, sans cette grâce, nous ne pourrions jamais espérer.

    Ainsi soit-il.

     

     

    Quatrième jour

    La fuite en Egypte

    Première mystère

    Et voilà qu'un ange du Seigneur apparut à Joseph pendant son sommeil, et lui dit : Levez-vous, prenez l'enfant et sa mère, et fuyez en Egypte. (Matth. n, 13.)

    Après avoir médité sur les trois plus beaux titres de saint Joseph, nous allons entrer dans l'étude de sa vie, et afin de mettre, autant que possible, de l'unité dans le plan de cette première neuvaine, nous ne prendrons que trois mystères et trois vertus, mais des mystères qui nous prouveront la vérité, la réalité de ces titres glorieux ; et des vertus qui nous montreront combien il a été fidèle à sa haute mission, et digne de cette gloire. Ce sont les mystères de la vie cachée de Jésus, de sa vie de famille, et les petites vertus qui en font le charme et le mérite.

     

     

    Nous commençons par la fuite en Egypte.

    Rappelez-vous d'abord le sujet de la méditation ou le fait évangélique. Jésus venait de naître dans l'étable de Bethléem ; Joseph a vu les bergers de la montagne, qui sont venus adorer ce petit enfant, sur la parole des anges ; puis, les rois accourus du pays de l'aurore avaient brûlé de l'encens autour de son berceau, et déposé à ses pieds le tribut mystérieux de l'or et de la myrrhe...

    Mais voilà que la scène change soudain ; un roi cruel et jaloux, Hérode, a résolu de tuer cet enfant dont on vient de lui parler, et il donne des ordres si bien inspirés par la passion, qu'il semble impossible que la victime puisse échapper à sa fureur.

    Voyez plutôt et méditez : On lui a dit que le nouveau roi est né à Bethléem ; pour ne pas le manquer, il ordonne de massacrer tous les enfants de cette ville et des environs : il ne doit y avoir encore que quelques jours, il ordonne de les tuer tous jusqu'à l'âge de deux ans. Il était donc bien sûr, et il s'applaudissait de ses mesures et de ses calculs si sages.

    Mais que peuvent donc les pensées, la prudence et la politique des hommes contre Dieu ? 

    Et ecce... En ce moment, comme l'ordre était donné, et que les soldats d'Hérode, ou plutôt ses bourreaux allaient partir : el ecce unijelus Domini... l'ange du Seigneur apparut à Joseph pendant son sommeil, et lui dit : Vite prenez l'Enfant et sa Mère, et fuyez en Egypte, et n'en partez pas que je ne vous le dise...

    Et Joseph se leva, et prenant l'Enfant et sa Mère, il partit cette nuit même.

    0 Mystère admirable ! simplicité sublime de l'Évangile ! caractère divin de l'éternelle vérité ! malheur à celui qui ne comprendrait pas, et ne goûterait pas de semblables paroles !...

    Nous allons les méditer, nous, avec bonheur, et réfléchir sur ce mystère touchant, mais en nous arrêtant de préférence sur la part que le ciel semble y réserver à Joseph, notre saint protecteur.

     

     

    I. Admirons d'abord la vérité des titres glorieux que nous avons reconnus en lui. 

    Custos Domini, — virum Marix... il est le gardien de Jésus, l'époux de Marie, en un mot le chef de la famille sainte, et c'est en cette qualité qu'il reçoit l'envoyé du Seigneur.

    Ce n'est qu'à lui que les ordres sont donnés, parce que tout dépend de lui ; il n'aura qu'à parler et faire exécuter...

    Et, en effet, se levant, il prend la Mère et l'Enfant, et cette nuit même ils partent. Marie, au premier signe de la volonté de son époux, obéit en silence : virum Maria ?, et pour l'Enfant, on ne le réveilla même pas ; sa mère le prit entre ses bras ; mais elle sentit le cœur de Jésus palpiter sur son cœur. Il obéissait aussi à l'ordre de Joseph, dont la parfaite soumission à la voix de l'ange allait l'arracher à la mort.

     

     

    Vous contemplerez ce tableau ravissant de la fuite en Egypte, tel que la tradition s'est plue à nous le représenter... La Vierge mère est modestement assise sur un âne ; elle porte l'Enfant, qui dort entre ses bras... et Joseph en silence dirige la marche.

    De temps en temps il écoute, il regarde ; mais, plein de confiance, il lève les yeux au ciel dont il exécute les ordres sacrés. Les anges qui protégent la pieuse caravane dans le désert, les anges apportent la nourriture à la Sainte Famille, et s'empressent de les servir.

    C'est donc lui, c'est saint Joseph qui est le maître, lui qui régle tout, et les heures du départ et les heures de repos ; seul il dirige la marche ; c'est son droit, comme c'est son devoir. Custos Domini... virum Marix ; la Vierge mère, l'Enfant-Dieu n'avaient qu'à obéir et suivre sa direction.

     

     

    II. Mais surtout admirez la fidélité avec laquelle ce saint patriarche accomplit sa mission. Toutes les vertus de son cœur brillent du plus doux éclat dans ce mystère.

    Quelle foi n'a-t-il pas fallu pour reconnaître son Dieu dans un enfant persécuté et obligé de se cacher, obligé de fuir pour éviler la mort ! Quel dévouement, quelle prudence et quel courage n'a-t-il pas montrés dans ce jour, mais surtout quelle soumission ! quelle obéissance !... Déjà, pour reconnaître un Dieu dans l'Enfant de la crèche, il fallait tant de vertu ! mais enfin le ciel avait parlé, les anges avaient envoyé des adorateurs à cette étable ; Joseph avait vu des rois prosternés aux pieds de ce petit orphelin confié à ses soins ; et maintenant il faut fuir ! Quelle épreuve !... et quelle fidélité !...

    Pour juger de la perfection de son obéissance dans ce mystère, mettez-vous un instant à la place de Joseph... Il dormait tranquille et heureux de posséder un Dieu et sa mère ; et ecce angelus... quand un ange lui apparaît et lui ordonne de partir sur-le-champ, avec la Mère et l'Enfant, et d'aller en Egypte pour y rester jusqu'à nouvel ordre. Méditez toutes ces circonstances, et voyez que de raisons, que de prétextes au moins durent s'élever dans l'esprit de Joseph, et le détourner de ce projet.

    Ne pouvait-il pas d'abord douter de la réalité même de la vision ? Était-ce bien un ange qui venait de lui apparaître, un ange du ciel ? ne pouvait-il pas être le jouet d'une imagination vaine, d'un songe ordinaire, et assez facile à expliquer dans les circonstances où il se trouvait ? Puis, quel est cet ordre étrange, sans qu'on lui en donne la moindre raison : partir, et partir sur-le-champ au milieu de la nuit ? et pour aller où ? en Egypte, dont il ignore la langue... en Égypte, cette terre la plus idolâtre du monde ! Mais enfin, pour combien de temps ?... Usque dum dicam tibi! jusqu'à nouvel ordre ! On le laisse ainsi dans le vague et l'incertitude... C'est un exil qui peut durer bien des années, peut-être toute la vie.

    Et Joseph, sans plainte, sans murmure, sans demander la moindre explication à cet ange, sans songer aux moyens d'existence qui pouvaient lui manquer, sans délibérer avec sa sainte épouse, à l'instant même, au milieu de la nuit, prend la mère et l'enfant, et s'enfuit en Égypte : accepit puerumet matrem ejus et fugit in JEgyptum... (Matth. n, 14.) Peut-on rien imaginer de plus beau que cette foi, rien de plus sublime que cette obéissance ? Si cette simplicité de l'Évangile ne parlait pas à votre cœur, c'est que vous n'en auriez pas ! Humiliez-vous devant Dieu, et il aura pitié de vous ; priez saint Joseph, il intercédera pour vous.

     

    III. Maintenant, pour vous animer à la pratique de ces mêmes vertus, pensez un instant, et demandez-vous ce qui serait arrivé si Joseph n'avait pas été fidèle à la voix de l'ange, s'il avait voulu délibérer, prendre conseil, et attendre seulement jusqu'aù lendemain. Ce qui serait arrivé ?...

    C'est que l'Enfant Jésus aurait été égorgé sur le sein de sa mère, comme tous les autres enfants de son âge, à Bethléem... Pauvres petits innocents, premiers martyrs de Dieu, immolés pour son amour, priez pour nous...

    Ah! qu'ils sont heureux, malgré les larmes et les cris de leurs mères !... Jésus leur envoyait des couronnes par la main de ses anges, et leur ouvrait la porte des cieux, où ils ne cesseront de le bénir, en se jouant dans la gloire avec leurs palmes brillantes : palma et coronis luditis!

    Une autre réflexion se présentera encore à votre esprit et vous éclairera sur ce mystère.

    Je ne veux pas parler de la nécessité de vaincre toutes les passions de notre cœur, quoique certainement cette pensée dût nous paraître bien naturelle en voyant Hérode emporté si loin par son ambition et sa jalousie cruelle ; je ne veux pas non plus m'arrêter à une autre considération qui se rattache également à notre sujet, je veux dire l'inutilité de tous les vains efforts des hommes, l'impuissance de leur haine contre Dieu et contre son Christ...

    Le ciel se rira de leurs complots perfides, quelque bien concertés qu'ils paraissent, et il se rira de leur fureur, quoiqu'elle semble inspirée par toute la prudence de l'enfer.

    Hérode s'applaudissait, il croyait avoir immolé cet Enfant qui lui portait ombrage, et Jésus reposait doucement sur le sein de sa mère ; et, en mettant le pied sur la terre d'Egypte, il renversait les idoles de cette contrée infidèle et imposait silence à ses oracles imposteurs.

     

    Après le grand exemple des vertus de Joseph dans ce mystère, il y a une pensée qui me paraît dominer toutes les autres, et elle ne pourra manquer de frapper un esprit sérieux, une âme attentive. C'est le bonheur de ces petits enfants.

    Quand on voit tomber ces tendres victimes sous le fer des bourreaux, quand on entend leurs cris et les gémissements de leurs mères, on ne peut s'empêcher sans doute d'être touché.

    Plusieurs des bourreaux d'Hérode ont dû mêler des larmes aux larmes et au sang qui coulaient de toutes parts ; vous pleurerez aussi vous-même avec Rachel ; mais, quoiqu'elle ne veuille pas se consoler, vous pourrez cependant essayer d'arrèter le cours de ses pleurs, en lui parlant du bonheur qui est assuré à ces enfants chéris, et de la gloire qu'ils sont sûrs de trouver dans les cieux. Fleurs des martyrs, moissonnées, brisées par le premier orage de la persécution, anges de la terre, petits Innocents, rappelés si tôt auprès de Dieu, et frappés pour lui, que vous êtes heureux dans la patrie !... Priez pour l'enfance exposée de nos jours à tant de dangers et de persécutions de la part d'un monde jaloux et cruel. Ah! c'est sur la mort de ces pauvres victimes que l'Église notre mère verse des pleurs, et rien ne peut la consoler de la perte de ses enfants, qu'elle voit tous les jours tomber dans les passions et la mort.

     

    Quelle différence, en effet, et quelle destinée ! Dites-moi, que seraient donc devenus les enfants immolés par Hérode, s'ils avaient vécu ?

    Tous, peut-être, des ennemis, des bourreaux de Jésus-Christ, comme la plupart de leurs contemporains. Et ils sont maintenant si heureux d'avoir trouvé la couronne du martyre, et moissonné des palmes glorieuses !

     

    0 parents chrétiens, on ne peut pas vous défendre de pleurer, quand la mort vient vous prendre un petit ange, un enfant chéri, un fils unique ; la religion elle-même ne condamne pas votre douleur ; mais ne pleurez pas comme ceux qui n'ont pas la foi et l'espérance... Songez que ces enfants vous devront un bonheur éternel ; ils vont au ciel : et souvent, quand Dieu les appelle et les prend ainsi au berceau, à l'âge d'innocence, c'est qu'il a prévu qu'ils seraient bien exposés à se perdre dans le monde, qu'ils deviendraient peut-être des ennemis du Christ, des bourreaux de Jésus, et qu'ils se perdraient dans la mort éternelle... Consolez-vous par ces paroles.

    Vous demanderez, par l'intercession de saint Joseph, la grâce de mourir, plutôt que d'offenser Dieu, et d'imiter les vertus de ce saint patriarche, et vous finirez par un colloque avec la Sainte Famille, et une prière aux Saints Innocents.

    CINQUIÈME JOUR

    JÉSUS PERDU ET RETROUVÉ A JÉRUSALEM

    — Deuxième mystère —

    Mon fils, pourquoi avez-vous agi ainsi envers nous ? Voilà que nous vous cherchions tout affligés, votre père et moi. (Luc. II, 48)

    Nous méditerons aujourd'hui sur un des mystères les plus étonnants de la vie de Jésus-Christ Noire-Seigneur.

    Il n'est pas surprenant que des esprits superbes et ignorants se soient révoltés, scandalisés en quelque sorte, et qu'ils aient été jusqu'à blasphémer ce qu'ils ne pouvaient comprendre, puisque des âmes simples et fidèles ont eu quelquefois de la peine, en lisant dans le texte sacré la demande de Marie à Jésus : Fili, quid fecisti nobissic ? Mon fils, pourquoi en avez-vous agi ainsi avec nous ? et la réponse de Jésus-Christ à sa mère : Quid est quod me quxrebatis ? Nesciebatis quiain his, quœ Patris mei sunt, oportet me esse? Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je dois être tout aux choses qui regardent mon Père ?

    — Mais pourtant, si on voulait penser à la manière dont ces paroles ont été dites, au sourire plein de douceur et de respect, qui sans doute les accompagna, au ton de la voix même si calme et si pénétrante, au regard enfin si tendre et si caressant de la mère et du fils, non-seulement on ne trouverait plus de difficulté pour comprendre, mais on n'aurait plus même besoin d'interprétation, tant les choses sembleraient naturelles ; et les cœurs dociles trouveraient dans ce fait évangélique, une source abondante de lumières célestes et des plus sublimes enseignements.

     

    Commençons par la traduction de quelques versets qui précèdent le récit mystérieux.

    Saint Matthieu raconte en quelques mots toute l'histoire du retour de la Sainte Famille à Nazareth : mais il y en a un si simple et si beau, que je ne puis m'empècher de le faire remarquer : « Hérode étant mort, voilà que l'ange du Seigneur apparut à Joseph pendant son sommeil et lui dit : Levez-vous, prenez l'Enfant et sa Mère, et allez dans la terre d'Israël, car ils sont morts ceux qui en voulaient à sa vie. Il revint donc au pays d'Israël, et se fixa dans une petite ville appelée Nazareth. »

     

    Defundi sunt ! ils sont morts. C'est ce mot que j'aime bien. Oui, ils sont morts les ennemis de Jésus, ou ils vont mourir ; c'est là leur sort : et lui, Jésus-Christ, il vit et il vivra ! Chris tus hodie et in sxcula. Il les verra tous mourir... sur leur tombe on mettra sa croix... et si on ne l'y met pas, qu'importe ! Defundi sunt ! Parlez donc, impies, criez tant que vous voulez, écrivez, blasphémez... Le Dieu vivant attendra quelques jours, quelques années, et vous mourrez à votre tour, et on le priera pour vous... Votre mère , une pauvre servante peut-être , demanderont votre pardon à ce Dieu, et elles s'efforceront de l'obtenir par bien des larmes !

    Il paraît que Joseph resta en Egypte six ou sept ans, et, pendant ce temps d'exil, sans doute que, malgré le travail continuel de son chef, la Sainte Famille eut à souffrir bien des privations.

    Mais aussitôt après la mort d'Hérode, sur l'avis de l'ange, elle s'en revint à Nazareth, et y fixa pour toujours sa demeure.

    Remarquez encore ici en passant que c'est toujours Joseph qui agit seul et le premier, en vertu du pouvoir qu'il a comme chef de maison : custos Domini... virum Marise. Il est le maître, il parle, les autres n'ont qu'à obéir.

     

    Mais venons vite au sujet de la méditation. Tous les ans, la Sainte Famille allait à Jérusalem, pour la fête de Pâques.

    Vers l'âge de douze ans, Jésus s'y rendit avec Joseph et Marie. Les jours de la fête passés, ils s'en revinrent, mais l'Enfant demeura à Jérusalem, sans qu'ils y prissent garde, pensant qu'il était avec ceux de leurs parents qui avaient été à la ville comme eux, et ils marchèrent toute la journée.

    Arrivés à Nazareth, sans avoir pu Je trouver, ils retournèrent aussitôt le chercher.

    Mais ce ne fut qu'au bout de trois jours qu'ils le virent dans le temple, au milieu des docteurs... et c'est alors que sa mère lui dit : «Mon fils, pourquoi avez-vous agi ainsi envers nous ? Voilà que nous vous cherchions tout affligés, votre père et moi. » Et Jésus lui répondit : « Pourquoi me cherchiez-vous ?... etc. »

    Il est difficile de trouver, même dans l'Évangile, une page aussi belle. Vous commencerez votre exercice par entrer dans le cœur de Marie et de Joseph, pour comprendre leur douleur, quand ils crurent que Jésus était perdu. O Joseph ! ô Marie ! quel malheur ! et qu'avez-vous fait ?... Il est vraiment impossible de se figurer leur inquiétude et leur chagrin...

     

    Suivez-les sur la route de Jérusalem : ils interrogent avec anxiété toutes les personnes qu'ils rencontrent, et demandent si on n'a pas vu ce divin entant, dont ils font le portrait le plus vrai, et par conséquent le plus ravissant.

    — Non, il n'y a rien de plus poétique à la fois et de plus touchant que cette situation, et si on médite sur l'amour infini que devaient avoir de tels parents pour un tel enfant, on verra qu'il ne put jamais y avoir de douleur comparable à leur douleur.

    Ces angoisses mortelles durèrent trois jours, après lesquels ils retrouvèrent l'enfant, dans le temple du Seigneur, où il interrogeait les Docteurs de la loi, et répondait à leurs questions avec une sagesse divine.

    Dans la plainte si tendre de Marie, vous verrez quelle a été sa douleur : dans la réponse de Jésus vous reconnaîtrez sans doute le Dieu qui se révèle; mais ces paroles ont été dites avec tant de douceur, que l'Enfant n'a pas pu même contrister sa mère. Tous les trois revinrent immédiatement à Nazareth, et nous verrons dans la prochaine lecture ce qu'ils y faisaient.

    Aujourd'hui nous nous bornerons à quelques réflexions sur le mystère, et nous verrons I. Comment on peut perdre Jésus. II. Comment il faut le chercher, et III. Où l'on peut espérer de le retrouver.

    I. Comment pouvons-nous perdre Jésus ? — Hélas ! il n'est que trop vrai que bien des âmes ont ce malheur, et au lieu de pleurer et de le chercher à l'imitation de Marie et de Joseph, il y en a un grand nombre qui restent dans l'indifférence et s'habituent à vivre sans ce Dieu. On peut perdre Jésus de deux manières : ou bien en effet on s'éloigne de lui, on s'en sépare, ou bien c'est lui-même qui s'en va, ou du moins qui fait semblant de se retirer, de s'enfuir : et dans ce dernier cas c'est un châtiment ou une épreuve.

    La plus fatale manière de perdre Dieu, c'est par le péché, qui va jusqu'à lui donner la mort dans notre âme. Il est vraiment perdu pour ces cœurs coupables et ingrats, dans lesquels il est crucifié, dit le saint apôtre. Interrogez-les....

    Dieu n'est plus dans leur intelligence ; la lumière des cieux y est éteinte ; leur esprit s'est plongé dans la nuit et se nourrit de mensonge. Sondez leur cœur, Dieu n'y est plus dans l'amour, et ils n'ont plus d'autre nourriture que la boue des passions honteuses. Voilà pour les pécheurs, ils ont perdu Jésus.

     

     

    Quant aux justes, ils peuvent le perdre aussi, en obligeant ce Dieu à s'en aller, à fuir, et c'est bien leur faute, car c'est la suite de leurs infidélités et d'une coupable négligence.

    Il y en a souvent qui résistent au Saint-Esprit, et qui lui refusent tous les petits sacrifices d'amour qu'il demande, et cet Esprit, contristé par tant d'ingratitudes, se retire et les abandonne, parce qu'il a été abandonné le premier : Non deserit nisiprius ipse deseratur (S. Aug.).

    On peut dire que pour ces âmes infidèles, Jésus est vraiment perdu ; il n'est pas mort, comme pour les pécheurs, mais il s'est en allé, on l'a mis en fuite, et c'est un malheur et un châtiment.

    Il y a une autre sorte de personnes qui peuvent perdre aussi Jésus, sans qu'il y ait réellement de leur faute. Je veux parler ici des âmes ardentes et même généreuses... Quelquefois le Sauveur Jésus semble les abandonner ; il est comme perdu. On ne le voit plus, et c'est en vain qu'on le cherche ; on ne l'entend plus, il n'y a même personne qui puisse donner à cette âme des nouvelles de celui qu'elle aime, et dans cet état elle se plaint, elle gémit, elle languit et meurt d'amour...

    Heureusement cette épreuve ne durera pas longtemps. Le bien-aimé n'est pas loin, il a fait semblant de s'en aller : fmxit longius ire... (Luc. xxiv, 28) pour augmenter encore l'ardeur de ses désirs et sa vive reconnaissance.

    Alors même qu'on le croyait si loin et perdu pour toujours, il était à la porte du cœur ; il voyait les larmes, il comptait les soupirs, et il se disposait à revenir avec plus de lumière et de grâces.

    Ces mystérieux secrets de l'amour divin ont été admirablement révélés au Cantique des cantiques, et l'épouse inconsolable nous apprend comment elle a cherché et retrouvé son céleste époux, qu'elle ne perdra plus... Terni eum, nec dimittam; dilectus meus mihi (Cant.).

    Il est à moi, dit-elle avec transport, mon bien-aimé, je l'ai trouvé, je le tiens et je ne le laisserai plus partir, je le retiendrai toujours avec moi.

    II. Comment faut-il chercher Jésus, quand on l'a perdu ? — L'Évangile nous l'apprend par un mot admirable : dolentes ; Marie et Joseph allaient partout, cherchant avec larmes ce cher Enfant qu'ils avaient perdu : dolentes. Il faut le chercher avec douleur, comme eux. C'est un si grand malheur de perdre un Dieu ! c'est le malheur suprême des abîmes éternels, et comme il n'y aura plus d'espérance de pouvoir jamais le retrouver dans l'enfer, ce sera un mal infini. Mais nous qui vivons, nous pourrons encore le retrouver ce grand Dieu, si nous le cherchons avec repentir.,. Tous, même les pécheurs, le retrouveront ; car il ne veut pas leur mort, il est toujours prêt à revenir et à leur rendre la vie.

     

     

    Quant aux âmes tièdes et languissantes, qui ont aussi perdu Dieu par leur faute, elles ne pourront également le retrouver qu'à cette même condition : dolentes, la douleur ; et peut-être que Jésus ne reviendra pas sitôt, pour les punir d'abord, et parce qu'il a moins d'attraits pour elles. On dirait qu'il doute, et veut s'assurer de la vérité de leur conversion. Mais s'il voit une douleur sincère, un désir véritable, un commencement d'amour, il reviendra certainement ; il remplira le cœur de sa grâce sensible, signe et gage précieux de sa divine présence.

    Pour les âmes ferventes, que le Seigneur a voulu seulement éprouver en se dérobant à leurs recherches, en se cachant pour ainsi dire à elles, comment doivent-elles le chercher ? toujours : dolentes, avec larmes, oui, sans doute, comme Joseph et Marie, mais sans trop d'empressement naturel, et surtout avec confiance et amour, bien sûres qu'il ne pourra pas refuser longtemps de revenir. Je l'ai dit Jésus plein de bonté se montrera toujours à ces âmes qu'il aime, et dont il veut être aimé encore plus ardemment.

     

     

    III. Maintenant, où pouvons-nous espérer de retrouver notre Dieu, quand il a été perdu ? C'est dans le temple saint, comme Joseph et Marie, car tout est dans l'Évangile que nous méditons. Ils ne l'ont pas trouvé dans le chemin, dans la foule, ni dans les rues de Jérusalem : Intemplo. 

    Or il y a deux temples, où Dieu se trouve et peut même parfois se cacher : ses églises d'abord, ses autels ; et puis aussi le tabernacle de notre cœur. C'est là qu'il faut aller le chercher.

    Que les pécheurs, comme le juste éprouvé, aillent donc se prosterner dans le sanctuaire ; qu'ils aillent pleurer au pied des saints autels, où Jésus-Christ demeure ; qu'ils cherchent, qu'ils frappent ; Jésus-Christ répondra, il ouvrira, et ils le retrouveront bien certainement.

    Que si ce bon maître paraissait vouloir encore se taire et se cacher, qu'ils rentrent en eux-mêmes, et ils le reverront soudain dans leur cœur ; il y est encore, il y est toujours. Médius vestrum sletit, quem vos nescitis (Joan. i, 26). et il dira, surtout à l'âme troublée, découragée peut-être : Modicsefidei, quare dubitasti ? (Matth. xiv, 34). Pourquoi doutiez-vous de ma miséricorde et de mon amour ? Et il la remplira de l'abondance de sa grâce et de célestes consolations.

    Ames en peine, cœurs souffrants et délaissés, pauvres pécheurs, âmes tièdes et languissantes ; cœurs purs et brûlants d'amour, tous, vous cherchez Dieu... appelez Jésus à vous, il viendra, vous le trouverez... il est bien près de vous, je vous l'assure, Dominus prope est ! Son royaume est au milieu de vous... ou du moins il n'est pas loin... Apprupinquavit in vos regnum Dei. (Marc I, 15.)

    0 mon cher lecteur, qui que vous soyez, ayez donc confiance ; mais cherchez Jésus comme Marie et Joseph, avec Marie et Joseph, et quand vous l'aurez retrouvé, ne le perdez plus ; dites-lui avec l'épouse fidèle : Tenui eum, nec dimittam. Non, je ne le laisserai plus partir, maintenant que je le tiens, et qu'il est à moi, et que je suis à lui. Dilectus meus miki, et ego Mi... (Cant. II, 16).

     

     

    Sixième jour

    Nazareth

    - Troisième mystère -

    Et Jésus s'en revint avec eux à Nazareth, et il leur était soumis.

    (Luc. II, 51.)

    Joseph et Marie ayant retrouvé l'Enfant, comme nous l'avons vu dans la méditation précédente, s'en revinrent aussitôt chez eux, à Nazareth, et là, pendant bien des années encore Jésus demeura dans leur maison, et il y travaillait sous leurs ordres, obéissant fidèlement en toutes choses.

    J'ai le dessein de faire aujourd'hui une petite contemplation. Venez, pieux lecteur, venez avec moi à Nazareth ; tenez-vous humblement à genoux à la porte de cette humble maison et regardez : ce sera le Ier point de cet exercice. Pour le IIe point, nous tâcherons d'entendre et de garder dans notre cœur quelques paroles, précieux souvenir de notre visite à la famille sainte. Voir et entendre, c'est le sujet et la division de la contemplaljon deNazareth.

     

     

    I. Voir, regarder, examiner ; pesez la valeur de ces trois mots, et comprenez-en bien la différence. Ce n'est pas un coup d'œil superficiel, vague ou incertain, ce n'est pas un regard léger, rapide, distrait, mais un examen sérieux et attentif, une étude grave et prolongée ; que rien ne vous échappe, même des plus petits détails de cette vie de Nazareth. Contemplez avec soin et surtout avec amour ; profitez de tout ce que vous allez voir, et vous ne pourrez jamais vous lasser de regarder et d'examiner encore.

    Ce qui frappe tout d'abord, c'est la pauvreté de cette petite maison, et puis la propreté la plus admirable. Tout est si bien rangé et à sa place ; partout un ordre parfait. Et puis tout le monde y prie ou travaille. Enfin quel silence !... Voilà, en trois mots, ce qu'on remarque au premier coup d'œil dans cet intérieur. C'est un spectacle digne de Dieu, des anges et des hommes ; et en effet le Seigneur abaissait ses yeux sur cette humble demeure, il reposait ses regards de complaisance sur son fils devenu pauvre ouvrier sur la terre ; et les anges adoraient en silence un Dieu caché, le Verbe divin anéanti et obéissant.

     Mais vous comprenez que ce n'est là qu'un premier regard, à la surface, et, pour ainsi dire une simple construction de lieu, pour fixer immédiatement votre attention et vous attacher au sujet. Approchez donc un peu, et, sans oser encore entrer dans la maison, regardez de plus près et considérez les trois personnes qui l'habitent... et quand vous aurez vu leur extérieur, leur travail, ce qu'elles font ; entrez dans leur cœur pour en étudier les plus secrètes et le plus intimes pensées.

    Nazareth!... quoi ! c'est ici qu'habite le fils de David, le roi des cieux !... la fille de Juda, la Vierge immaculée, la mère d'un Dieu ?... et Joseph, le descendant des rois, le juste du Seigneur et son fidèle gardien !

    —Oui c'est ici... ce pauvre artisan que vous voyez travailler à la sueur de son front, c'est le maître de la maison, le charpentier Joseph ; cette pauvre femme qui travaille aussi, soit à réparer quelques vêtements, soit à préparer le repas frugal de midi, c'est Marie, l'épouse de Joseph, la mère de l'Enfant, et ce petit apprenti qui travaille de son côté, c'est Jésus, le Fils éternel de Dieu, le roi de la gloire, et dans le temps, fils de la vierge Marie.

     

    Contemplez-les un instant en silence, nourrissez votre âme de ce spectacle, songez que cet état a duré jusqu'à l'âge de trente ans ; que Jésus-Christ est resté tant d'années dans cette maison de Nazareth, à travailler ainsi, et qu'il savait bien pourtant qu'il ne devait en passer que trente-trois sur la terre !... Comprenez enfin quelle plaie l'orgueil avait faite au cœur de l'homme !... et apprenez à aimer le silence et le travail, l'oubli et les mépris : Amanesciri et pro nihilo repntari (Imit.).

    Ici encore vous ferez une remarque bien importante pour la gloire de saint Joseph, sur la vérité de ses titres et la réalité de ses pouvoirs dans la maison de Nazareth. Joseph dirige tout ; sa volonté est la seule régle, parce qu'il est le maître, comme père nourricier de l'Enfant, et comme époux de la mère de ce Dieu.

    Toutes les vertus sont dans cet intérieur ; mais il y en a cependant une qui doit principalement fixer notre attention dans cet exercice, puisque c'est la seule dont l'Évangile ait parlé ; je veux dire l'obéissance. Toute la vie de trente ans est renfermée en trois mots : Erat subditus Mis, Jésus leur obéissait.

    Vous méditerez donc sur l'excellence de cette vertu, pendant la contemplation que vous ferez avec délices, suivant tous les détails des actions ordinaires de la vie commune, et pendant le cours d'une journée entière.

    Ainsi cet exercice renfermera, avec le lever, les heures de la prière, du travail, des repas et des entretiens les plus intimes de cette sainte famille. Profitez bien de tout ce que vous verrez, pour élever votre âme jusqu'à cette perfection infinie.

    Mais il faut suivre notre contemplation, voir ce Dieu apprenti d'abord, puis simple artisan, qui travaille avec Joseph et sous ses ordres. Eratsubditus : quis? quibus? dit saint Bernard, Deus hominibus : Disce homo obedire, pulvis obtetnperare ! Deus se humiliat, et tu te exaltas!... Deus se subdit hominibus, et tu te tuo prxponis auctori!... Il obéissait, qui ? et à qui ? un Dieu, aux hommes ! Apprends donc, ô homme, à obéir, cendre et poussière apprends à rabaisser ! Un Dieu s'humilie, et tu voudrais t'élever !... un Dieu se soumet à la volonté des hommes, et tu voudrais préférer ta volonté à celle de ton Créateur ! Méditez donc.

    Quis?... C'est un Dieu qui obéit, c'est-à-dire la toute-puissance même et la sagesse éternelle... Celui qui commande au ciel et à la terre, aux anges et aux hommes, à la vie, à la mort, au néant même, qui a répondu à sa voix...

     

     Quibus?... Il obéit à Joseph, à Marie, et aux habitants de cette cité, aux riches fiers et dédaigneux qui lui parlaient avec hauteur... Et puis un jour, il obéira aux bourreaux qui lui ordonneront de se coucher sur la croix, qui lui demanderont sa main, pour y être clouée... Il obéira toujours et sans se plaindre, avec joie, avec amour, pour la gloire de son père céleste et pour le salut des hommes.
     
     
     
     

     

    Un Dieu qui obéit, mais en quoi, et de quelle manière ? Et quomodo ? Ah ! c'est ici que la contemplation vous découvrira une foule de ces actes, petits en apparence, et si grands, si méritoires dans la réalité.

    Vous ne pourrez vous empêcher d'admirer en silence ce divin Sauveur qui, au premier mot de Joseph, et sur un simple signe de la volonté de ce pauvre artisan, va, vient dans l'atelier, apporte un outil, en aiguise un autre, ramasse les éclats de bois et les met à l'écart, ouvre une fenêtre, ferme une porte, prépare ce qui est nécessaire pour le travail de son maître, l'aide à tracer une ligne droite sur une planche, et à la scier ensuite.

    Et il fait tout avec tant de simplicité, tant de joie et d'amour, que l'on dirait un ouvrier ordinaire qui n'a jamais fait que cela, et qui sait bien que, pour apprendre quelque chose, il faut commencer par obéir.

     

    Mais combien de temps devra durer cet apprentissage, et cette vie d'obéissance pour un Dieu ? Quandiu ? Je l'ai dit, trente ans, sur trentetrois... Ou, pour parler avec plus de vérité, jusqu'à la fin, jusqu'à la mort et la mort de la croix : factus obediens usque ad mortem, mortem autem crucis ; mais à Nazareth, dans cette petite maison, jusqu'à trente ans !

    Qui jamais, parmi les hommes, aurait imaginé une pareille destinée pour ce grand Dieu, et ce moyen pour sauver le monde ? Obéir, toujours obéir, s'humilier et toujours s'humilier ! Et pourtant il n'est vraiment rien de plus divin que ce conseil des anéantissements de notre Sauveur, et ce plan de notre rédemption.

    L'homme ayant voulu s'élever au-dessus de Dieu, ayant préféré sa propre volonté à celle de son créateur, c'est par la soumission, par l'obéissance que Jésus devait réparer l'outrage de nos révoltes, et qu'il pouvait guérir la plaie de notre orgueil : Disce homo subdi; pulvis, obtemperare ! N'apprendronsnous pas à obéira son exemple ? Cendre et poussière, ne saurons-nous pas enfin nous humilier !

    Vous ferez encore ici les plus simples réflexions sur le prix et le mérite des actions, que l'on est convenu d'appeler petites et ordinaires, et qui font comme l'essence de la vie de tous les hommes.

    La sainteté consiste surtout dans la perfection des œuvres communes.

    Pour apprendre à les sanctifier, vous entrerez dans le cœur de Jésus, de Marie, de Joseph.

    Quelles pensées, quels sentiments les animaient pendant ces heures consacrées au travail !

    Ces deux mots : gloire et amour à vous, ô mon père, paix et miséricorde à la terre, résument toutes les intentions les plus sublimes de ce divin Cœur... Et vous savez, par la théologie, qu'il aurait suffi d"un seul de ces petits actes d'obéissance du Dieu-homme, pour réparer tous les péchés du monde et sauver l'univers entier.

     

    0 fatale illusion d'une foule de chrétiens ignorants, qui négligent le travail de leur sanctification, par le mépris des petites choses, et qui prétendent bien un jour faire quelque chose de grand pour Dieu ! Mais vraiment, quand tous les hommes se réuniraient à la surface de cette petite terre, que pourraient-ils jamais faire de si grand et de si merveilleux ?... On ne se doute même pas de leur existence dans la planète qui est la plus près de nous, et dans les hauteurs des cieux, la terre est comme si elle n'était pas.

     

    Ce que Dieu regarde, c'est le cœur ; ce qui le glorifie, ce qu'il récompensera éternellement, c'est l'amour d'une âme fidèle à ses lois, et qui, dans l'humilité et dans l'obéissance, aura sanctifié ses jours, en imitant Jésus-Chrit son fils et notre maître. Et, comme ce grand Dieu, du haut de son trône éternel, n'avait de regards de complaisance que pour Nazareth, ainsi n'abaisse-t-il encore aujourd'hui ses yeux que sur les petits et les humbles, méprisant les sages et les conquérants du monde, dédaignant les esprits orgueilleux et les pauvres superbes de la terre.

    II. Entendre. Je ne puis plus qu'indiquer, en peu de mots, les réflexions que renfermerait la seconde partie de cet exercice. Vous commencerez par écouter..., c'est-à-dire admirer le silence, qui régne dans cette petite maison de Nazareth.

    Vous en goûterez les charmes avec délices, toujours les yeux fixés sur la Sainte famille. Quelle paix dans cette solitude !... Quand Jésus, Marie, Joseph parlaient, avec quelle douce et quelle modeste gravité !... Si le peuple était comme ravi, en écoutant les paroles pleines de grâce qui sortaient de la bouche de Jésus : mirabantur in verbis gratise quse procedebant de ore ipsius (Luc, iv, 22), combien plus doux et gracieux devaient être ses entretiens avec sa mère, et les intimes communications de leurs âmes ! Une parole révélée pourra seule vous en donner une idée : leur conversation était dans le ciel : conversatio in cœlis.

    Ici, vous ne vous contenterez pas d'entendre le son de leur voix, mais vous tâcherez de savoir quels devaient être plus ordinairement les sujets d'entretien de la Sainte famille, et vous apprendrez en un instant tout ce que vous devez vous efforcer d'éviter d'abord, et d'imiter ensuite, pour devenir semblable à Jésus-Christ ; car c'est là la fin de nos études, la régle de toute sainteté et la condition même de notre salut.

    Il y a tant de chrétiens dont la parole est vaine et frivole, amère et mordante, quelquefois même légère et licencieuse. On ne parle presque jamais dans le monde, du royaume de Dieu, ni des choses du ciel. On ne traite que des intérêts matériels, de la politique des empires ; on se déchire dans des discours pleins de médisance et de calomnies. La parole la moins coupable est celle que l'Évangile condamne comme inutile, et dont on doit rendre compte un jour, au tribunal de Dieu. Allez donc à Nazareth, et vous n'entendrez pas un seul discours de cette nature, mais tout est charité : la bouche y parle de l'abondance des cœurs, et les cœurs sont pleins de l'amour de Dieu.

    D'après le conseil de saint Ignace de Loyola, cet exercice doit se terminer par trois colloques à Jésus, Marie, Joseph, pour demander la grâce de comprendre ces mystérieux enseignements, et d'imiter les exemples de cet intérieur.

    Que je serais ingrat si j'oubliais jamais les lumières que j'ai vues, les grâces que j'ai reçues, les paroles que j'ai entendues dans la petite maison de Nazareth !... Qu'il est doux d'habiter dans cette solitude avec Jésus, Marie, Joseph ! c'est le ciel même sur la terre. Que ne puis-je y demeurer jusqu'à la fin de la vie, caché avec Jésus, Marie, Joseph !

    Je connais des prêtres, des religieux, des hommes même du monde qui, une fois introduits dans ce pieux asile, n'ont plus voulu en sortir... Depuis dix, douze, quinze ans, ils restent là, en qualité de petits serviteurs de la Sainte famille ; ils vivent de cette vie divine ! ils prient, ils travaillent toujours en compagnie de Jésus, Marie, Joseph, et comme sous leurs ordres. Demandez cette permission à Joseph, ô mon cher lecteur, et vous aussi, vous serez heureux à Nazareth !

    SEPTIÈME JOUR

    LA PATIENCE

    — PREMIERE VERTU —

    Mes frères, admirez ce grand temple de travail et de patience.

    (Jac. v, 10.)

    Les trois derniers jours de cette neuvaine seront consacrés à l'étude de trois petites vertus, comme les appellerait saint François de Sales : vertus de famille par excellence, et qui ont fait le bonheur et la gloire de Nazareth. Ces vertus sont : la patience, la simplicité et l'obéissance. Nous verrons qu'elles répondent admirablement aux titres et aux mystères que nous avons déjà médités, et, nous pourrons ainsi mettre une sorte d'unité parfaite dans tous les sujets de cette première partie du mois.

    Commençons par la patience. Elle est bien nécessaire à tous les hommes, dit saint Paul : patientia vobis necessaria est (Hebr. x, 36). Saint Joseph a été le plus parfait modèle de cette vertu, pendant tout le cours de sa vie ; mais c'est surtout dans les trois mystères de l'enfance de Jésus, qu'il nous semble l'avoir portée jusqu'à la plus haute perfection.

    — Ainsi, à Bethléem, au jour même de la naissance du Sauveur, quand on le repousse de toutes les hôtelleries, et qu'on lui dit qu'il n'y a pas de place pour lui, sans doute à cause de sa pauvreté ;

    — et lorsqu'au milieu de la nuit, réveillé par un ange, il reçut l'ordre de partir immédiatement en Egypte, avec la mère et l'Enfant ;

    — et lorsqu'il se vit obligé de revenir à Jérusalem, et de perdre trois jours à chercher partout le divin Jésus, qui était resté dans le temple, n'y avait-il pas de quoi troubler son esprit, agiter son cœur, et, disons-le simplement, de quoi impatienter même un saint ?

    Mais dans ces trois circonstances, on ne peut pas surprendre une plainte, ni le moindre murmure sur ses lèvres.

    — Il se retire humblement et finit par découvrir l'étable.

    — Il se lève aussitôt et il part pour l'exil.

    — Il retourne à Jérusalem et cherche l'Enfant, avec douleur sans doute, et s'attribuant peut-être la cause de ce malheur. Mais on ne voit pas qu'il ait un seul instant perdu le calme et la patience, ou qu'il ait proféré une plainte... Exemplum accipite, fratres, laboris et patientise !

     Je me propose de suivre ici la méthode la plus simple et la plus ordinaire : 1° un point de doctrine sur la vertu en question, et 2° une étude ou un examen pratique, pour nous initier à ses œuvres.

    1. Commençons par définir la patience.

    Il est remarquable que saint Thomas d'Aquin ait pris, sans y changer un mot, la définition du grand orateur et philosophe romain ; il dit avec Cicéron qu'elle consiste à souffrir avec courage et avec constance les difficultés, les peines de la vie : est rerum arduarum voluntaria et diuturna perpessio.

    Saint Augustin dit plus simplement que c'est une vertu qui nous fait supporter la douleur ou les contrariétés, avec calme et sans nous plaindre : virtus qua mala aequo unimo toleramus.

    Mais c'est dans le petit catéchisme espagnol du P. Ripalda que nous trouvons la plus charmante définition de la patience : P. Que es paciencia ? R. Tristeza moderada en los trabajos... D. Qu'est-ce que la patience ? R. C'est une peine modérée dans les difficultés ou les travaux de la vie. On peut donc sentir de l'ennui, du chagrin, mais on conserve le calme ; la patience bannit la plainte, arrête le murmure. La patience suppose une grande force, et saint Thomas dit qu'elle est même une des parties intégrales de cette vertu cardinale : fortitudo tua patientia est.

    Toutes ces définitions conviennent également à la patience naturelle, vertu simplement humaine et morale, et à la patience surnaturelle, vertu religieuse et divine ; mais nous ne parlerons que de cette dernière, dont le principe est bien plus élevé, et dont les actes sont bien plus méritoires. Ainsi, Socrate était patient, dit-on, mais Job, Tobie, nos saints l'ont été bien autrement. Socrate n'a pas eu même la force d'attendre la mort, et nos martyrs la recevaient avec bonheur.

    Il faut aussi distinguer deux sortes de patience, celle qu'on appelle intérieure, et qui consiste dans la paix du cœur, le calme de l'âme au milieu des épreuves, et la patience purement extérieure, qui se borne à réprimer les mouvements de vivacité, les plaintes et les murmures de la colère. L'une prévient l'agitation et le trouble, les découragements et les tristesses, l'abattement et le désespoir : l'autre réprime seulement les signes d'émotion et les paroles qui pourraient paraître inspirés par ces divers sentiments.

    Pour vous apprendre à aimer cette belle vertu, vous n'aurez qu'à la considérer en Dieu et méditer sur les fruits précieux qu'elle doit apporter à votre âme.

    Voyez donc la patience de Dieu, même envers les plus grands pécheurs. Il est vrai qu'il est éternel, mais comme il les attend, comme il supporte leurs ingratitudes et souffre leurs mépris ; comme il pardonne ! Sinite utraque crescere ! (Matin- xiu, 50) : Laissez-les grandir, l'ivraie et le blé, dit-il... Et solem suum oriri facit super jiistum et injustum (Mot!h. v, 45) : Et il fait lever son soleil sur le juste et sur le pécheur.

    Mais quelle patience surtout de Jésus-Christ, ce Dieu-homme, dans ses souffrances, et à la mort de la croix !... tanquamovis ad occisionem (Act. vin, 32). Il a été comme un doux agneau, sans se plaindre, au milieu des bourreaux, qui le faisaient mourir ; et, rassasié d'opprobres, il a gardé le silence. Jesus autem tacebat (Marc- xi, 61).

    Quant aux avantages de cette vertu, vous devrez considérer d'abord combien elle est nécessaire dans les combats et les peines de cette vie mortelle.

    L'homme, dans ces épreuves, le chrétien, dans ces luttes incessantes, se voient chaque jour exposés à perdre courage, à désespérer même de leur salut.

    C'est la patience seule qui nous donne la force, et le moyen de conserver et de sauver notre âme : in patientia vestra possidebitis animas vestras (Luc. xxi, 19).

    C'est par la vertu de patience que nous la gardons : Per quietum dominium, dit saint Thomas ; cet empire paisible d'un homme sur son cœur, ne peut s'obtenir que par une douce possession de soi-même, et, de fait, dans l'impatience et la colère, on est hors de soi, on ne se possède plus, on n'est plus maître de soi-même, ni de ce qu'on dit, ni de ce qu'on fait ; on ne le sait plus même quelquefois. Méditez toutes ces paroles que je souligne, et admirez la profonde sagesse de notre langue.

    Vous ne serez donc pas étonné de voir les éloges que le Saint Esprit même et les plus grands docteurs ont faits de cette vertu.

    Ils semblent la mettre au-dessus de toutes les autres.

    Ainsi, saint Grégoire l'appelle, comme l'humilité même, la source et la gardienne des trésors spirituels et de la grâce.

    Mais il faudra surtout méditer la parole célèbre de l'apôtre saint Jacques, qui seule suffirait pour nous en révéler l'excellence et le mérite incomparable : Patientia autem opus perfectum habet (Jac. i, 4) : Pour la patience, dit-il, seule elle peut faire toutes choses bien et dans la perfection.

    On peut donc assurer que cette vertu ferait le bonheur de la vie. Celui qui la posséderait serait aimé des hommes et chéri de Dieu ; il arriverait par la perfectien de ses œuvres, à régner dans les cœurs ; il posséderait la terre, il réussirait en tout : Perfectum opus habet.

    Il n'y a vraiment que la patience qui puisse faire ces merveilles.

    Ainsi, dans la nature, Dieu même travaille avec tant de patience et de douceur ; les arbres, les fleurs, tout vient, tout se fait dans le silence et le calme ; et, dans les arts, dans les sciences, si on se presse, si on se trouble, si on s'impatiente, on manque le but, on gâte, on perd tout. La patience seule peut obtenir la perfection, faire un chef-d'œuvre enfin, et nous disons, avec une vérité frappante : un chef d'œuvre de patience : perfectum opus habet.

    II. Étude pratique de la patience.

    — Nous avons ici deux questions à examiner ; d'abord par quels moyens on peut acquérir cette vertu, et puis nous indiquerons quelques régles qui en dirigent l'exercice ; et, pour ce dernier point, il sera très-utile d'entrer dans les plus petits détails de la vie ordinaire, puisque la patience doit assurer notre bonheur sur la terre et nous conduire à une grande sainteté.

    1° Il y a trois moyens pour obtenir la patience : la prière, la réflexion, le silence.

    — La prière, car la patience est une grâce et un don précieux du ciel... Il faut la demander avec humilité, avec confiance, avec persévérance. Il faut la demander à N. S. Jésus-Christ d'abord, à sa sainte mère, à saint Joseph, et aux saints qui ont le plus excellé dans cette vertu, comme saint François de Sales, etc.

    La réflexion ; non-seulement vous méditerez sur la beauté et les avantages de celte vertu, mais, au moment de l'épreuve, vous tâcherez de vous calmer un peu, et de ne rien décider avec précipitation. La réflexion préviendra toujours une parole vive dont vous auriez à vous repentir peut-être ; elle fait au moins gagner un peu de temps, et c'est déjà beaucoup.

    Le silence ; il est difficile sans doute de le garder, quand on est vif, mais il n'y a rien de plus efficace ; c'est arrêter la plainte, le murmure, et calmer le premier mouvement d'impatience. Si vous ne pouvez obtenir de vous taire, tâchez au moins de parler à voix basse, et ce sera déjà une victoire.

    2° Mais venons à l'exercice même de cette vertu, et, afin de mettre de l'ordre dans ces recommandations simples et pratiques, nous dirons qu'il faut être patient, d'abord avec Dieu, quand il nous éprouve ou nous frappe, et quand il se tait et se cache... Sustine Dominum (Ps. xxvi, 14). Attendez, priez, travaillez, souffrez, sans vous plaindre ; cherchez-le dans la paix, vous ne le trouverez que là et à cette condition : in pace locus ejus ; ubi Deus, ïbi patientia. Le trouble, un empressement inquiet, le désir trop ardent du bien est déjà un mal, dit Tertullien : malum impatientia boni est; donc,. patience avec Dieu.

    Patience avec nous-mêmes, malgré toutes nos misères, nos faiblesses et nos fautes. Il ne faut pas s'en étonner, ni s'attrister à l'excès, bien moins encore se fâcher ; mais supporter son âme avec douceur, et se relever toujours avec courage, à l'imitation de saint François de Sales qui disait après une chute : «Or sus, mon pauvre cœur... ah ! nous voilà tombés ! relevons-nous, et nous mettons en chemin de l'humilité. Courage, soyons désormais sur nos gardes. Dieu nous aidera, et nous ferons prou (mieux). »

    — Pensez que tel que vous êtes, Dieu vous supporte et vous aime ; patience donc !

    Patience avec tout le monde : femmes, enfants, domestiques, amis, pauvres, ennemis même. Qui que vous soyez, lisez et profitez.

    — Hommes, vous êtes plus forts et plus raisonnables ; soyez donc patients avec vos femmes, malgré tant de petits défauts, malgré leurs caprices, leurs jalousies, leur entêtement, leurs lenteurs, leurs dépenses.

    — Femmes, vous êtes plus pieuses ; patience avec vos maris, malgré leurs exigences, leur vivacité, leurs retards et leurs inexactitudes, malgré leurs injustices, leurs désordres même.

    — Patience avec les enfants, malgré leurs cris, et tant d'autres défauts de mensonge, de désobéissance, de paresse, de gourmandise, etc.

    — Patience avec les domestiques, malgré leur maladresse, leur ingratitude, leur insolence même et tous leurs torts.

    — Patience avec les amis, qui abusent, qui oublient, et qui vous ruinent ; avec les étrangers, qui vous importunent et vous accablent ; avec les pauvres, qui vous suivent malgré vous, et qui vous obsèdent ; avec les ennemis, qui vous poursuivent et qui vous calomnient ; patience et pardon ; ainsi vous posséderez votre âme, et vous deviendrez maître de tous les cœurs ; vous allez conquérir l'amour de tout le monde ;

    Patience envers les créatures, quelles qu'elles soient, animées ou inanimées, et l'on évitera bien des peines et bien des fautes aussi. Un chasseur se fâche contre un bon chien, tire et le tue ; un autre, contre un cheval, peut-être excellent, et le blesse... Celui-ci, contre une clef, et la brise dans la serrure ; celui-là, contre une plume, et la jette au feu. J'ai vu une jeune fille se pâmer de colère contre son aiguille, elle en tremblait, et ne put jamais y faire passer un fil. Je sais une noble marquise qui a donné un bel exemple de patience et de douceur à un cocher furieux qui ne pouvait, malgré ses cris et ses blasphèmes, faire avancer des chevaux rebelles et butés ; elle descendit de la voiture, et prenant le fouet, elle le leva, et, sans frapper, elle dit tout doucement : « Allez, petits ! » et les chevaux obéissants marchèrent aussitôt.

     

    Patience avec le chaud, le froid, la pluie, le vent, la boue, le soleil, les maladies, et dans tous les petits accidents de la vie. On est heurté dans la rue en passant, il ne faut pas se fâcher ; on se frappe contre un meuble, il ne faut pas jurer ; on glisse, on tombe, il ne faut pas crier, ni se mettre en colère pour cela. Dans toutes ces circonstances, la patience est bien nécessaire : Patientia vobis necessaria est ; de plus, elle est toujours utile, et la mauvaise humeur ne sert jamais de rien. Voyons ! quand vous vous fâcherez contre la pluie et le vent !... empêcherez-vous l'une de tomber, l'autre de souffler ?...

     

    Mais, c'est assez ; il ne faut pas, en parlant de la patience, s'exposer à abuser de celle du pieux lecteur. Je lui conseille, en finissant, d'adresser une fervente prière à Jésus, Marie, Joseph, en forme de colloque, pour obtenir la grâce de comprendre et de goûter les charmes de cette vertu.

    Ah ! qu'elle serait heureuse et sainte, la famille dont tous les membres, à l'imitation de Jésus, Marie, Joseph, pratiqueraient l'humilité, la douceur et la patience de Nazareth !

     

    HUITIÈME JOUR

    LA SIMPLICITÉ

    — DEUXIÈME VERTU —

    Il aime à s'entretenir avec les simples. (Prov. m, 32.)

    Voilà une petite vertu charmante et qui ravira votre cœur, si vous l'étudiez avec amour dans la vie de saint Joseph, si vous la contemplez à Nazareth, et dans les trois mystères que nous avons déjà médités.

    La simplicité ; tout le monde aime cette vertu ; Dieu la chérit et ne veut jamais parler qu'aux âmes simples ; les hommes aussi n'estiment que ces esprits droits et ces caractères sans feinte. Mais hélas ! qu'il y en a peu sur la terre, où tout est composé, faux, artificiel !

    On peut dire que la simplicité était un des caractères distinctifs de la sainteté du chef de la Sainte famille, notre puissant protecteur. C'est comme le trait principal de cette douce et noble figure. Si une image, si une statue de saint Joseph n'avait pas ce ton de vraie simplicité, elle ne dirait rien au cœur fidèle ; on n'irait pas prier à cet autel, et tout le monde dirait, en détournant les yeux : Ce n'est pas un saint Joseph ! Cette statue, fût-elle du marbre de Paros le plus pur et le chef-d'œuvre d'un grand artiste, ne fera jamais de miracle... Saint Joseph a été par excellence un homme simple et droit : vir simplex et rectus (Job, I, 1).

    Deux points, comme dans l'exercice précédent. I. Apprendre à connaître et à aimer cette vertu. II. Apprendre à la pratiquer, en imitant saint Joseph.

    I. Comment définir la simplicité ?

    Il est plus facile de sentir, de goûter ce sentiment parfait d'une âme pure que de l'exprimer.

    La simplicité, c'est la marque d'un caractère droit, qui évite la recherche, les déguisements et la ruse. C'est la naïveté du cœur.

    Une âme simple dit ce qu'elle pense, et croit ce qu'elle dit.

    Voyez un enfant, comme il est simple et naturel dans ses pensées, dans l'expression de ses sentiments, dans ses actions même ! Il ne dissimule, il ne cache rien, et c'est pour cela qu'on l'aime tant.

    Mais savez-vous pourquoi souvent on dit que les enfants sont terribles : c'est précisément parce qu'ils n'ont pas l'esprit du monde, et qu'ils parlent tout simplement ; ils vous compromettent en répétant ce qu'ils ont entendu.

    J'ai dit que Dieu lui-même ne peut s'empêcher d'aimer cette belle vertu, et voici la raison : Dieu est simple dans son essence, ainsi que l'enseigne l'école de théologie, et comme le prouve la philosophie naturelle ; il est la vérité et l'amour ; aussi ne peut-il converser et s'entendre qu'avec les âmes pures et simples : Et cum simplicibus sermoeinatio ejus. Jésus-Christ a non seulement loué, exalté les œuvres des cœurs droits, mais il a montré l'action et la vertu de cette pureté d'intention sur la vie entière des hommes, qu'elle justifie pleinement à ses yeux : Si oculus tuus fuerit simplex, totum corpus tnum lucidum erit (Matth., vi, 22). Aussi n'a-t-il voulu auprès de sa personne sacrée que des âmes simples, Marie, Joseph ; et, plus tard, ses apôtres, tous pauvres et simples dans leurs mœurs et leurs habitudes.

    Si vous avez étudié la vie des saints, il est impossible que vous n'ayez pas remarqué le même caractère de simplicité, dans ceux que le ciel a comblés de ses plus grandes faveurs, comme saint François d'Assise, saint François de Sales et tant d'autres.

    On pourrait même dire que les grâces extraordinaires dont ils furent prévenus, étaient en proportion de la simplicité de leur cœur, tant il est vrai que le Seigneur aime cette vertu, et qu'il se plaît à s'entretenir avec ceux qui en sont doués : Et cum simplicibus sermocinatiu ejus.

    Mais ce qui pourrait bien autrement nous étonner, après ce qui a été dit, c'est que le monde lui-même ne peut s'empêcher d'estimer aussi et d'aimer la simplicité ; le monde, dis-je, qui est si faux et si menteur : tolus in maligno positus est (I Joan., v, 19). Il est charmé, quand, par hasard, il rencontre une âme de ce caractère, et l'image même de cette douce vertu. C'est comme un diamant qu'on verrait briller dans la boue, et qu'on admire avec plus de bonheur.

    Ainsi les récits bibliques de la vie des patriarches, et la simplicité de ces mœurs antiques ravissent les esprits et charment les cœurs.

    La parole de Dieu, si simple au livre de l'Evangile, touche l'âme des impies eux-mêmes, quand ils savent encore lire et comprendre.

    Le pauvre philosophe de Genève était dans ce cas, et il avait plus de sincérité que certains incrédules de nos jours, quand il disait avec admiration : « La majesté, la simplicité de l'Évangile parle à mon cœur. Oui, Jésus-Christ est Dieu !... Ce n'est pas ainsi qu'on invente ! Et celui qui aurait inventé ce livre, serait plus grand même que le héros.»

    Chose étonnante ! Le monde, si faux en tout : totus in maligno positus, aime pourtant et veut la simplicité en toutes choses, dans la parole, la tenue, la mise... Il se moque de ce qui est affecté ou prétentieux ; il méprise ce qui paraît recherché ou seulement exagéré.

    N'est-il pas vrai que dans les informations que l'on prend sur le caractère d'une jeune personne à laquelle on penserait pour un mariage, on ne manque jamais de faire cette question, à laquelle on attache la plus grande importance : Est-elle simple ? et la réponse a souvent décidé tout un avenir, fixé un choix et déterminé la vie.

    Elle est si aimable, cette vertu de simplicité, que, je ne crains pas de le dire, rien ne peut lui résister, et qu'elle pourrait s'emparer de tous les cœurs et régner sur la terre par l'amour. Avez-vous, par exemple, rencontré dans votre vie un bon curé de campagne, une sœur de Charité, bien simples ! Quelle puissance pour le bien ! quel charme et quel pouvoir sur tout le monde !... C'est alors que la simplicité va jusqu'au sublime. On est ravi, on devient aussitôt la conquête de ces âmes célestes ; elles n'ont qu'à parler, on est trop heureux de leur obéir, de prévenir leurs vœux et leurs désirs.

    II. Maintenant, pour apprendre à pratiquer cette vertu, nous dirons d'abord ce qu'il faut éviter, et puis ce qu'il faut faire : Quid vitandum, quid agendum ; c'est ainsi que saint Thomas, le maître par excellence, a coutume de procéder dans son traité admirable des Vertus.

    1° Quid vitandum.

    — Le monde est plein de malice et de mensonges. On ne peut jamais trop se mettre en garde contre ses artifices, ni trop se défier de ses impostures. Il met de la politique, c'est-à-dire de la ruse et de l'hypocrisie partout, dans ses paroles, dans ses sentiments les plus beaux et dans ses actions les plus éclatantes. Que dis-je, la fraude et le mensonge entrent même dans ses vertus, ou les gâtent et les dénaturent entièrement. Ce sera de l'humilité parée, de la charité brillante, ou qui sonne de la trompette, comme dit l'Évangile.

    Défiez-vous de ces vains artifices. Rappelez-vous que vous vivez au milieu d'une foule de gens qui veulent vous tromper, et tenez-vous sur vos gardes, pour rester toujours dans la vérité et ne pas vous laisser entraîner dans l'erreur.

    Qu'il me soit permis d'employer ici une comparaison, tirée des usages même de ce beau monde dont je parle. Comme dans certains jours de fête on se réunit, sur invitation, pour de grandes soirées de bals travestis, où le plaisir principal consiste à tromper les autres sur son nom, sur son âge, sur ses qualités ; et comme, dans ces circonstances, chacun s'efforce de se déguiser parfaitement, ainsi dans les sociétés et dans les relations ordinaires du monde d'aujourd'hui, on ne cherche qu'à tromper, à mentir ; on s'étudie à dissimuler tous ses sentiments. Il n'y a que cette différence, c'est que dans un bal de cette nature, au moins on est averti, et l'on se tient sur ses gardes... Voilà un beau masque qui vous parle sous l'habit d'un grave magistrat, mais vous savez bien qu'il pourrait être tout simplement un repris de justice... En voilà un autre qui marche fièrement sous l'uniforme d'un général romain, russe ou autrichien, et c'est peut-être une femme timide. Vous ne savez pas, mais enfin vous êtes prévenu d'avance ; vous vous défiez... tandis que dans les relations ordinaires de la vie, et quelquefois les plus intimes, de famille, ou d'amis, vous êtes exposé aux mêmes erreurs, parce qu'on dissimule et qu'on ment partout, sans vous avertir. Demandez plutôt à cette dame son âge, et vous verrez !... à cet homme, sa fortune, et cela même quand il s'agit de renseignements positifs ; vous verrez !...

    Mais ce n'est pas assez de vous méfier du monde et de son beau langage. Vous éviterez, vous, cet esprit de dissimulation et tous les vains artifices que le père du mensonge apprend à ses partisans.

    Je m'imagine que, dans l'état où en sont les choses de nos jours, ce serait encore là la meilleure et la plus sûre manière de réussir, la simplicité.

    La vérité serait ainsi la plus habile diplomatie et la politique la plus adroite, selon la pensée d'un fameux ministre bien connu par son esprit.

    Comme on discutait sur les moyens d'avancer en cette carrière des ambassades, et d'y avoir le plus de succès possibles, l'un disait : Toujours mentir, et l'autre encore plus fin répondit : Non, mais dire la vérité simplement, et comme personne ne peut jamais y croire, on réussira toujours !

    Eh bien, moi je vous conseille ce moyen avec l'Évangile, parler avec simplicité : est, est ; non, non, oui ou non ; dire la vérité, comme les petits enfants. Évitez absolument le mensonge et l'hypocrisie : on vous croira, on vous aimera.

    2° Quid agendum.

    — Et que faut-il faire pour arriver à ce véritable esprit de simplicité ?

    Avant tout, il faut prier et demander cette grâce à Dieu, à Jésus, Marie, Joseph ; et aux saints qui vous sembleront avoir le plus excellé dans cette vertu, comme saint François d'Assise, sainte Geneviève ; et ce pauvre pèlerin, le bienheureux Joseph Labre, et cette humble servante, Germaine Cousin.

    L'Église les a dernièrement placés sur nos autels, comme pour confondre par leurs exemples ce siècle orgueilleux et menteur.

    Je vous conseille aussi de recourir aux saints Innocents, ces petits enfants, premiers martyrs de Jésus-Christ.

    Mais le moyen le plus puissant et le plus efficace, c'est de s'exercer à la pratique même de la simplicité.

    On ne parvient à une habitude que par des actes fréquents et souvent répétés.

    Vous ferez donc votre examen particulier sur cette vertu si rare, et vous commencerez par déraciner le mal de votre âme, en vous punissant sévèrement, toutes les fois que vous vous surprendrez dans le plus petit mensonge.

    Il faut une sanction ; car sans cela vous ne vous corrigeriez jamais : soit, par exemple, une aumône faite aux pauvres, en cas de chute, ou l'obligation de vous rétracter devant les personnes que vous auriez pu tromper. La fidélité à ce point, vous conduira en peu de temps, à remporter une victoire complète sur cet esprit de dissimulation, qui régne dans le monde.

    Mais vous ne vous contenterez pas de ce premier succès, et, après avoir triomphé du mal, vous vous attacherez à la conquête de la vertu même, tantôt par des actes intérieurs, et tantôt par des actes extérieurs.

    Étudiez-vous non-seulement à être, mais aussi à paraître simple en toutes choses ; simple et digne dans la démarche, dans la pose, dans la tenue, dans la mise, dans la parole surtout, le sourire et le regard.

    Voyez, examinez bien ce qui vous déplaît dans les uns, pour l'éviter ; ce qui vous plait dans les autres, pour l'imiter. C'était une des règles de perfection du B. Jean Berchmans, et en peu de temps, elle l'a porté à la plus haute sainteté.

    Oh ! qu'elle serait belle la société chrétienne, où régnerait cette noble et douce simplicité des enfants de Dieu ! Oh ! qu'elle serait sainte et heureuse la cité dont tous les habitants auraient ce caractère droit et sincère de la vertu, où régnerait la vérité même ! Oh ! qu'elle serait sainte et heureuse la famille dont tous les membres imiteraient la simplicité de Nazareth, de la petite maison de Jésus, Marie, Joseph !

    Demandez-leur donc cette vertu, dans un fervent colloque.

    Joseph étant le chef de la Sainte Famille, puisqu'il était l'époux de la vierge Marie et le père nourricier de l'Enfant Jésus, et plus tard son maître et son patron, il semblerait au premier aperçu que la vertu d'obéissance ne puisse lut convenir que d'une manière bien indirecte.

    N'est-il pas vrai qu'à Nazareth il avait seul toute l'autorité et que les autres n'avaient qu'à faire ce qu'il ordonnait ?

    Sans doute, et c'est là le principe de sa gloire et de sa puissance, encore aujourd'hui dans les cieux. Il n'avait d'ordres à recevoir de personne, seul il pouvait commander aux autres ; à qui donc et comment a-t-il pu obéir ?

     

    NEUVIEME JOUR

    L'OBEISSANCE

    - Troisième vertu -

    L'homme obéissant parlera de victoires. (Prov. XXI. 28)

    Ces réflexions sont bien vraies ; mais pourtant si un Dieu lui-même a pu se faire obéissant, s'il a voulu apprendre à obéir dans la douleur, comme dit saint Paul, et si, de fait, ce Dieu a obéi jusqu'à la mort, pourquoi saint Joseph ne le pourrait-il pas aussi ? Ah ! sans nul doute il l'a fait, et nous pouvons assurer qu'il a pratiqué cette vertu de la manière la plus parfaite, surtout dans le mystère de la fuite en Egypte, comme nous l'avons vu au quatrième jour de cette semaine, lorsqu'il se soumit à la parole de l'ange : Fuge in jEgyptum... et consurgens secessit in Aigtjptum (Matth. 11,13,14); l'ange lui dit : Fuyez en Egypte ; et se levant aussitôt, il partit pour l'Egypte. Peut-on concevoir une obéissance plus prompte et plus aveugle ?

    Nous allons étudier cette vertu comme les autres : 1° dans sa nature ou ses caractères les plus essentiels ; et puis II° dans la pratique même, ou l'exercice de ses actes.

    I. Commençons par le point de doctrine, et disons d'abord la nature de l'obéissance : Est libéra abdicatio propris e voluntatis,

    — pro Deo (S. Th. d'Aq.), c'est le renoncement libre et volontaire à sa propre volonté, la soumission à la volonté d'un autre, mais en vue de Dieu : pro Deo; ce motif constitue l'essence de la vertu religieuse d'obéissance, bien supérieure à la vertu morale et humaine de soumission et de dépendance, qui ne laisse pas d'être aussi bien nécessaire, pour l'ordre et le bonheur de la société en général et de la famille en particulier ; mais enfin, autre est l'obéissance de l'esclave et du soldat, autre celle des enfants de Dieu et des religieux parfaits.

    Qu'elle est belle, pourtant, l'obéissance du brave soldat, a qui son capitaine dit : Marche !... et qui court à la mort ! Quel malheur que, parmi tant de héros, il y en ait si peu qui obéissent : pro Deo, pour Dieu !... Sans perdre leur croix d'honneur sur la terre, et il n'y en a pas beau, coup à qui on la donne ; ils seraient sûrs d'avoir une belle couronne dans les cieux ; comme l'intrépide soldat du Christ, à qui on dit aussi : pars, va... sur cette terre étrangère qui dévore ses habitants, va porter l'Évangile et montrer la Croix à ces peuples sauvages qui ont tué et mangé tes frères... et il obéit, il part dans l'espérance de mourir comme eux : pro Deo !

    Il faut distinguer l'obéissance intérieure ou de volonté, de l'obéissance purement extérieure ou d'action. Celle-ci est absolument nécessaire, mais elle est moins parfaite ; celle-là est supérieure et bien plus sainte. Mais quand, à la soumission de volonté on ajoute l'obéissance de jugement, c'est-à-dire quand on conforme non seulement son action et sa volonté, mais encore ses pensées et ses sentiments à la volonté et au jugement de celui qui commande au nom de Dieu , c'est alors que l'obéissance est toute divine, et qu'elle devient un holocauste parfait.

    Pour comprendre l'excellence et les avantages de cette vertu, vous considérerez que c'est par elle que l'homme s'immole en effet et se sacrifie généreusement à Dieu.

    C'est le véritable, le parfait holocauste, puisque la victime est entièrement consumée, en donnant et perdant en quelque sorte toute son âme à la gloire de Dieu : pro Deo ! en renonçant à son libre arbitre, à sa pensée, à son entendement même, pour ne plus voir, penser et vouloir enfin que par la volonté, le jugement de ses supérieurs, qui lui parlent au nom de celui de qui vient toute autorité : pro Deo !

    Mais, il faut bien le dire aussi, plus ce sacrifice est grand et glorieux aux yeux du Seigneur tout puissant, plus il est doux à l'âme qui s'immole. Non-seulement ce glaive de l'obéissance ne blesse pas les cœurs fidèles et soumis, mais il les remplit de la paix du ciel ; et la paix surpasse tous les autres dons de la grâce. Quelle sécurité, quel bonheur ! mais aussi quelle force et quelles victoires !... vir obediens loquetur victoriam (Prov. xxi, 28).

    C'est lui, c'est cet homme obéissant qui pourra parler de ses victoires ; car il triomphe de l'esprit du monde et de l'orgueil, il triomphe de l'enfer et de ses perfidies ; il triomphe de lui-même et de ses propres passions ; il triomphe en quelque sorte de Dieu même, qui ne refusera jamais sa grâce aux cœurs humbles, tandis qu'il résiste aux esprits orgueilleux et insoumis : Deus superbis resistit, humilibus autem dat gratiam (Jac.iv, 6).

    Vous ne vous étonnerez donc pas d'entendre la sainte Écriture et les Docteurs les plus célèbres, faire de cette vertu d'obéissance l'éloge le plus magnifique. Elle vaut mieux que toutes les victimes, dit Samuel, le grand prêtre de Dieu, à Saûl, roi prévaricateur : Melior est obedientia quam mttims e (I Reg. xv, 22).

    Et saint Grégoire assure que l'obéissance seule peut enrichir une âme de toutes les vertus et y garder ce trésor précieux : Obedientia sola est quse virtutes cseteras menti inserit, insertasque custodit.

    Il est évident que, pour nous procurer tous ces avantages, il faut que l'obéissance ait bien des qualités surnaturelles ; il faut qu'elle soit humble , prompte, entière, aveugle même.

    — Humble, puisque c'est à Dieu que vous devez vous soumettre, et qu'est-ce que l'homme devant ce Dieu, tout-puissant et éternel ?

    — Prompte, car si vous tardez, vous préférez votre volonté à celle du Seigneur, et peut-être qu'il ne sera plus temps de faire ce qui vous a été commandé, lorsque vous voudrez enfin obéir.

    — Entière, c'est-à-dire qu'il faut vous conformer absolument à tout ce qui vous a été prescrit, non-seulement pour l'exécution même de la chose, mais pour les circonstances du temps, du lieu et de la manière.

    — Aveugle enfin, sans discuter, sans chercher à pénétrer les motifs du commandement, mais en soumettant votre volonté et vos pensées mêmes à celles de votre supérieur.

    En un mot, il faut obéir comme Joseph, notre saint protecteur... Voyez : l'ange lui dit : partez... fuge in AEgyptum, et à l'instant même, sans raisonner, il se soumet à cet ordre qui devait cependant lui paraître si peu conforme au jugement de la prudence humaine.

    II. Mais venons à l'étude pratique de la vertu d'obéissance. Ce serait une erreur de croire que les religieux seuls sont obligés d'obéir. Tous les hommes, tous les chrétiens doivent s'efforcer d'acquérir cette belle vertu. Il est vrai que la perfection de ce sacrifice ne se trouve guère que dans la sublime vocation à cet état incomparablement plus saint et plus heureux. Là seulement, l'homme s'immole tout entier et meurt, pro Deo, devenant, disent les régles et les constitutions de ces grands ordres, comme un cadavre entre les mains de ses supérieurs, qui en font ce qu'ils veulent : perinde ac cadaver, paroles sublimes, que des ignorants n'ont pas su comprendre, ni traduire en bon français, mais qui expriment admirablement l'état de ces heureuses victimes d'amour : pro Deo.

    — Comme si le soldat n'obéissait pas aussi, et de la même manière que les capucins et les jésuites !...

    Mais, nous disions que tous les hommes doivent obéir, malgré le désir d'indépendance et de liberté qui entraîne les esprits à la révolte ; et nous ajoutons que tous les chrétiens peuvent, en obéissant fidèlement, pro Deo, mériter une récompense magnifique et une gloire immense dans les cieux. Tous n'ont-ils pas des maîtres ? et des maîtres auxquels il faut bien toujours obéir ?

    Et d'abord, tous doivent se soumettre à Dieu, obéir à sa loi sainte et aux préceptes de l'Église, qui a reçu de lui le pouvoir et l'autorité. Vous observerez donc les commandements du Seigneur votre Dieu, et vous suivrez fidèlement les préceptes de l'Église voire mère.

    Dans le même ordre d'autorité divine, vous devez obéir au père de votre âme, à votre directeur, persuadé qu'il ne peut se tromper, puisqu'il vous parle au nom de Dieu même. C'est lui qui vous fait connaître vos devoirs d'état, lui qui fixe et approuve la régle de votre vie, qui détermine le temps que vous devez consacrer à la prière, au travail.

    Sans la soumission à cet ordre, vos années s'écouleraient toutes stériles et sans mérite pour l'éternité.

    Le chrétien fidèle mettra toujours le devoir de cette obéissance divine au-dessus de tout, car, selon la parole de l'Apôtre, il faut plutôt obéir à Dieu qu'aux hommes : Obedire oportet Deo, magis quam hominibus (Act. v, 29).

    Et maintenant, pour rendre cet exercice encore plus sérieux et plus pratique à tous, en nous adressant aux diverses classes de lecteurs, nous dirons simplement, avec l'apôtre saint Paul : O vous, qui que vous soyez, obéissez à ceux qui ont autorité sur vous, soyez soumis à vos supérieurs ! subditi estote, obedite prsepositis veslris (Hebr. xm, 17).

    Vous qui régnez sur la terre, princes et rois qui gouvernez les nations, soyez soumis au Roi des rois, au Dieu puissant du ciel ; il est votre créateur.

    Et vous qui faites des lois, obéissez à la loi du Seigneur, il est votre maître.

    Et vous, peuples, obéissez aux rois, aux empereurs qui portent la couronne, ils sont l'image de Dieu ; et même, s'ils étaient infidèles, obéissez-leur toujours ; obéissez tant qu'ils ne commandent rien d'opposé à la loi du Seigneur, Dieu tout-puissant et éternel, qui est leur maître, et le seul souverain de tous : obedite prsepositis vestris.

    Puis, venant aux conditions particulières, et aux classes plus spéciales dont la réunion compose les sociétés humaines, nous dirons encore, avec le grand Docteur des gentils :

    Femmes chrétiennes, soyez soumises, obéissez à vos maris, comme à Jésus-Christ même : Muliei'es, subditse estote viris (Col. m, 18).

    Enfants, obéissez à vos parents : Filii, obedite... parentibus vestris (Eph. vi, 1).

    Et vous, serviteurs, soyez fidèles, obéissez avec crainte, mais aussi avec amour, et surtout obéissez dans la simplicité de votre cœur, et pour la gloire de Dieu : Obedite in simplicitate cor dis vestri, sicut Christo ( Ibid. ).

    Et vous aussi, pauvres ouvriers, simples artisans, hommes de peine, comme on dit, mais si souvent hommes de mérite, obéissez aussi à vos maîtres, à vos patrons ; faites ce que l'on vous commande, et faites-le comme on le veut... obedite ; vous ferez toujours bien devant Dieu qui jugera tous les hommes, et vous sauverez votre âme !

    Et vous enfin qui portez l'épée, pour la défense et lu gloire de la patrie, soldats, obéissez à vos chefs, honorez-les, respectez-les, gardez leurs ordres et la discipline : obedite; obéissez, s'il le faut, jusqu'à la mort, et donnez votre sang, mais que ce soit pro Deo ! pour Dieu, afin que tous vous ayez droit à la victoire et à la récompense promise.

    0 gloire ! ô bonheur de cette vertu ! Oui, heureux, mille fois heureux, celui qui n'a qu'à obéir !

    Dans cette condition, on est plus près de Dieu ; dans cet état, on peut mener une vie plus semblable à celle de Jésus-Christ sur la terre ; et, quelle paix, quelles consolations à l'heure de la mort ! Quels trésors immenses de gloire dans le ciel, puisque l'obéissance seule vaut mieux que toutes les vertus, dit saint Augustin : Una obedientia plus valet quam omnes virtutes ; et qu'aux yeux du Seigneur, elle vaut mieux que toutes les victimes : Melior est obedientia quam victimx (Reg.).

    Vous terminerez encore cet exercice par trois colloques :

    Le premier, à Jésus obéissant, non-seulement à Joseph à Nazareth, mais aux bourreaux du Calvaire, et obéissant jusqu'à la mort de la croix.

    Le second, à Marie, la plus humble servante du Seigneur et sa mère glorieuse.

    Le troisième, à saint Joseph, notre saint protecteur qui, après avoir obéi si fidèlement aux ordres du Seigneur, a eu seul la gloire de commander au Fils de Dieu et à la Vierge immaculée, mère de Jésus. Vous demanderez à Jésus, Marie, Joseph, la belle vertu d'obéissance.

     

    DEUXIÈME NEUVAINE

    OU

    NEUVAINE DES VERTUS

    FOI. - ESPÉRANCE. - CHARITÉ PRUDENCE. - JUSTICE. — FORCE. - TEMPÉRANCE HUMILITÉ. - PURETÉ

     

    DIXIÈME JOUR

    LA FOI


    Mon juste vit de la foi.

    (Hebr. X. 58.)

    Toute la seconde Neuvaine de ce mois béni de saint Joseph sera consacrée à l'étude de ses principales vertus.

    Nous les contemplerons dans son cœur, et nous nous efforcerons de les imiter, puisque c'est la meilleure manière de lui prouver notre amour, et d'attirer sur nous les effets de sa puissante protection.

    Joseph a possédé le trésor de toutes les vertus : en conséquence même de son élection divine et de ses relations incessantes avec Jésus et Marie, il a été prévenu, comblé de toutes les grâces du ciel, et, par sa fidèle correspondance à tant de faveurs, il a dû s'élever à la plus haute perfection.

    Nous suivrons l'ordre le plus simple et le plus naturel dans ces pieux exercices : trois jours seront consacrés aux vertus théologales, quatre aux vertus cardinales, et les deux derniers aux deux belles vertus d'humilité et de pureté, que nous appellerons fondamentales ou essentielles.

    Commençons par la foi. Elle est en effet la base et le principe de toute sainteté ; sans elle on ne peut pas même espérer de plaire au Seigneur : Sine fide impossibile est placere Deo (Hebr. xi, 6).

    Or toute la vie de saint Joseph a été un acte sublime de foi.

    Le juste de Dieu vit de la foi : Justus...meus ex fide vivit ; ne devons-nous pas en conclure que Joseph, le juste de Dieu par excellence, dut toujours vivre de cette vertu ?...

    Ouvrez l'Évangile : Joseph autem vir ejus, cum esset justus (Matth. I, 19), comme Joseph, époux de Marie, était juste..., c'est pour cela qu'il a été choisi et mis à la tête de la Sainte Famille, parce qu'il était juste, et par conséquent animé de la vie de la foi.

    Ce qu'il y a de plus admirable dans la foi de Joseph, c'est qu'elle n'a jamais cessé de croître dans son cœur, malgré le danger même de sa position ; car les âmes s'habituent facilement aux choses les plus saintes et les plus divines. La familiarité diminue ordinairement le respect : mais la foi de Joseph grandissait de jour en jour auprès de Jésus, ce Dieu anéanti, et qui lui obéissait en toutes choses. Aussi Lien est-ce pour cela, comme nous le dirons plus tard, qu'on l'invoque souvent, et que les prêtres surtout ont recours à lui, afin d'obtenir l'esprit intérieur et la vie spirituelle de la foi.

    Tous les exercices de cette neuvaine seront partagés en deux points. I. Une question dogmatique, où l'exposé simple de la doctrine sur la vertu que nous devons étudier. II. Une question pratique, c'est-à-dire un examen et une leçon pour apprendre et acquérir cette vertu.

    I. La foi est un don du ciel, une lumière, une touche secrète, un mouvement de l'Esprit Saint, qui nous porte à croire tout ce que Dieu a dit et révélé à son Église. C'est une vertu céleste, et on l'appelle théologale parce qu'elle unit l'âme fidèle à Dieu, comme les deux autres, l'espérance et l'amour.

    Pour bien concevoir la nature de cette vertu, vous n'avez qu'à méditer attentivement votre acte de foi : Mon Dieu, je crois fermement, etc.

    Vous remarquerez aussitôt l'objet de votre croyance, c'est tout ce que Dieu a dit ; et le motif ou la raison de votre foi, c'est la vérité même et l'autorité de ce grand Dieu.

    Vous comprenez immédiatement la nécessité de cet acte religieux, et pourquoi l'Apôtre a dit que c'était le premier pas à faire pour aller au Seigneur : Credere oportet accedentem ad Deum (Hebr. xi, 6).

    Comment en effet un homme pourrait-il s'entretenir, s'entendre avec son Dieu, s'il était assez téméraire pour refuser de le croire, assez orgueilleux pour rejeter sa parole sainte ?

    Mais, si au contraire l'âme, éclairée des splendeurs de la vérité éternelle, adore en silence, et croit fermement et avec amour, ce Dieu la remplit des plus ineffables consolations et s'unit à elle dans l'acte sublime de la foi : Sponsabo te mihi in fide (Osée, H, 20), dit-il, par un prophète.

    Nous ferons sur cet acte religieux deux remarques bien importantes ; et d'abord, prouvons qu'il ne peut rien y avoir de plus glorieux à Dieu que la foi.

    C'est le sacrifice, l'holocauste parfait de l'homme tout entier.

    Par la soumission à une parole nécessairement pleine de mystères, nous immolons à Dieu notre intelligence, et par la soumission à une parole toujours pleine de devoirs, nous immolons à Dieu notre cœur ; c'est donc mourir pour lui, mourir à nous-mêmes que vivre de la foi et de l'esprit de cette foi.

    Mais aussi, voyez comme dans tous ces mystères et dans ces sacrifices commandés par la foi, voyez comme l'amour vient aider à l'intelligence et au cœur de l'homme, jusqu'à lui rendre la parole de Dieu trop facile à croire, et le joug même de ses lois trop suave et trop léger : testimonia tua credibilia facta sunt tùmis (Ps. Xcii, 5).

    Il nous sera extrêmement doux de méditer un instant cette pensée féconde, en parcourant les plus grandes vérités de la révélation : l'incarnation, la rédemption, l'eucharistie... Quels mystères ! est-il possible ?... Pouvez-vous y comprendre un mot ? pouvez-vous croire cela. Mais on vous dit que c'est par amour pour vous que ce Dieu est né dans une étable !... par amour qu'il a voulu mourir sur une croix ! par amour qu'il veut se donner à votre âme !... Ah! vous commencez à comprendre, et bientôt vous- le croirez sans peine. L'amour explique tout, et vient en aide à la foi ; il n'y a plus de mystères pour votre cœur. 0 mon Dieu, votre parole devient trop facile à croire : Testimonia tua credibilia facta sunt nimis.

    De ces notions saintes et de toute cette doctrine sur le principe et les motifs de la foi divine vous pouvez encore tirer des conséquences déjà très-utiles pour la pratique, vous voyez quelles qualités doit avoir cette vertu religieuse. Il faut qu'elle soit humble et constante, active et généreuse.

    — Constante d'abord, car ce grand Dieu qui a parlé, ne changera pas : ego Dominus et non mutor (Malach. m, 6) ; et sa parole sainte est comme son trône, immuable et éternelle : verbum Domini manet in seternum. (I Petr. H, 25).

    — Active et généreuse ; car si l'esprit même de la foi, si cette vie n'animait pas vos pensées, vos sentiments et vos œuvres, votre foi serait vaine et stérile : vana est fides vestra (I Cor., xv, 17). Que dis-je ? elle serait morte : et fides sine operibus mortua est (Jac, il, 26), et votre condition deviendrait plus triste que celle des païens : et est infuleli deterior (I Tim., v, 8), car ils n'ont pas vu la lumière, ces malheureux, ils n'ont pas connu la vérité ; et vous, après l'avoir vue, vous auriez fermé les yeux, et résisté à l'Esprit-Saint.

    II. Nous n'avons plus qu'à examiner si nous avons la vie de la foi, qui est le commencement de la justice devant Dieu.

    C'est elle, avons-nous dit, c'est son esprit qui devrait animer nos pensées, inspirer les sentiments de notre cœur, diriger nos paroles et régler nos actions.

    Voyez donc si vous êtes riche de cette vie supérieure et divine : divites in Jide (Jac, n, v) ; si vous aimez et cherchez les choses d'en haut, les choses du ciel et de Dieu ; si surtout, avec cette arme de la foi, qui seule peut vaincre le monde, vous savez combattre et résister !

    N'est-ce pas plutôt le monde avec son esprit d'orgueil et de volupté qui est entré dans votre âme, et qui devient comme la régle de votre vie, dominant tout, la pensée, le sentiment, et donnant l'impulsion et le mouvement à votre cœur ? De quoi parlez-vous ? et quel est le fond de vos désirs, de vos espérances ? quelle est la fin, le but premier de toutes vos entreprises, de vos actions les plus ordinaires ? 0 mon Dieu ! si vous descendiez aujourd'hui sur la terre, et si vous veniez chercher la foi dans les plus belles cités du monde, que vous en trouveriez peu !.». Et qu'ils sont rares, les vrais chrétiens, ceux qui croient fermement à ce que vous avez dit et révélé !

    Oui, je l'affirme, il y en a peu qui croient même aux vérités purement spéculatives aux mystères de la révélation, à la sainte Trinité à la rédemption, à la divine eucharistie... Car, si on y croyait, on aimerait, on adorerait, et dans les églises où ce Dieu habite, on aurait plus de respect, on ne serait pas si indifférent ; on viendrait demander et manger le pain de la vie éternelle... Oh ! que nous croyons donc peu, même à ces grands mystères !

    Mais on croit encore moins aux saintes et fondamentales vérités du symbole : à la mort, au jugement, à l'enfer, à l'éternité ; car on vit à peu près comme si on n'y croyait pas du tout.

    Vous-même, mon cher lecteur, avouez que vous n'auriez pas beaucoup à changer à votre vie, si vous pensiez ne pas devoir mourir, et s'il n'y avait ni ciel, ni enfer, ni éternité pour vous ! avouez que, sous ce rapport, la foi pour vous est vaine et stérile ; qu'elle est bien près de mourir, si elle n'est pas morte ; en un mot, qu'elle est sans influence, sans action, sans force, et que vous êtes parfaitement indifférent à ces choses de l'autre monde.

    Puis, il y a encore d'autres paroles évangéliques essentiellement pratiques aussi, des vérités saintes qui, bien comprises et gardées dans un cœur docile, ne manqueraient pas de nous désillusionner des vanités de la terre et de nous conduire bientôt à la perfection même et à la sainteté ; mais qu'ils sont rares les chrétiens qui croient encore à ces divins oracles !

    Par exemple, vx mundo, vs e divitibas!... malheur au monde, malheur aux riches ! Et on aime le monde, on ne travaille que pour devenir riche, et rendre ainsi son salut plus difficile... Quserite primum regnum Dei... Beati pauperes !...

    Cherchez avant tout le royaume de Dieu... Heureux les pauvres ! Qui donc croit encore ces choses ? et surtout, qui pense à se conduire dans la vie, d'après ces principes de la foi ?

    Mais vous, mon cher lecteur, examinez donc où vous en êtes ; descendez sérieusement au fond de votre cœur, et vous constaterez d'abord le fait : vous avez bien perdu, vous n'avez plus autant de foi ; puis, quand -vous l'aurez reconnu, cherchez la cause de la diminution de ces vérités éternelles dans votre âme : diminutx sunt veritates a filiis hominum (Ps. xi, 2).

    Si vous ne pouvez pas trouver le principe du mal ; je vous le dirai, moi, avec saint Jean Chrysoslome, et soyez sûr que ce grand docteur n'a pu se tromper : c'est que votre cœur a perdu son innocence et sa pureté.

    Voilà la raison, la cause de toute incrédulité : Impossibile est, si vitam impuram habeas, in fide non vacillare : Il est impossible de ne pas être ébranlé dans la foi, si l'on se laisse aller aux vices impurs.

    Des nuages s'élèvent des cœurs corrompus, et bientôt ils obscurcissent ia lumière céleste des intelligences, et c'est toujours dans la boue que s'éteint le flambeau de la foi. Dites-moi si vous avez vu jamais le lis de l'innocence dans la main d'un incrédule ? Non, jamais ! !...

    Vous terminerez cet exercice par un colloque fervent avec saint Joseph, pour lui demander la grâce de la foi. Priez-le de rallumer ce divin flambeau dans votre âme : adjuva incredulitatem meam... (Marc, ix, 23). 0 Joseph, venez en aide à la faiblesse de ma croyance. Adauge nobis fidem (Luc, xvn, 5) : Augmentez la foi dans mon cœur.

     

    ONZIÈME JOUR

    L'ESPÉRANCE

    Le Seigneur est bon : heureux l'homme qui met en lui son espérance. (Ps. XXXIII, 9.)

    Le juste vit de la foi, et l'homme vit d'espérance ; aussi l'ennemi de Dieu et l'ennemi de l'homme cherche-t-il avant tout à nous ravir ce bien suprême qui nous rattache au ciel par l'ardeur des plus saints désirs, et qui nous unit à Dieu par la foi et la charité même, car cette vertu d'espérance tient à ses deux sœurs par des liens éternels ; la foi n'étant après tout que la substance de ce que nous devons espérer et posséder dans les siècles des siècles : fides est sperandarumsubstantielrerum (Hebr. xi, 1).

    Nous pouvons assurer que l'espérance a été une des vertus caractéristiques de saint Joseph, et l'on pourrait faire un beau panégyrique de ce grand saint, en développant seulement cette proposition : Dieu a mis sa confiance en Joseph, et Joseph a mis toute sa confiance en Dieu ; et parcourant les principaux mystères de la vie mortelle de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et les relations de Joseph son père nourricier avec ce Dieu homme jusqu'à sa mort, on ferait admirer les prodiges que cette vertu a opérés en lui. Mais, pour ne rappeler ici qu'un seul mystère, lisez le récit de la fuite de la Sainte Famille en Égypte, et vous verrez s'il est possible à un homme de porter plus loin l'espérance... C'est la perfection même de la confiance et de l'abandon.

    Nous suivrons le plan ordinaire. I. Nous dirons ce que c'est que l'espérance. II. Nous verrons si nous en avons encore.

    I. L'espérance est un désir, une aspiration du cœur vers un bien qu'on croit pouvoir atteindre, et posséder un jour ; un désir plein de confiance : on pourrait même définir l'espérance en général : la foi du désir.

    L'espérance chrétienne, la seule dont nous voulons parler ici, est une vertu qui nous fait désirer, demander et attendre avec confiance le ciel, et les grâces pour y arriver.

    Mais ici encore, pour bien comprendre la nature de cette vertu, nous allons en méditer l'acte ou la formule telle que l'Église l'apprend à ses enfants : Mon Dieu j'espère avec une ferme confiance que vous me donnerez, etc. . où nous voyons : 1° L'objet, le terme du désir, ou ce qu'on espère ; c'est la grâce de Dieu aujourd'hui, et demain, Dieu même au ciel ; 2° le motif ou la raison, c'est encore Dieu, Dieu seul ; ses attributs de puissance et de bonté ; 3° les conditions de notre part, pour arriver à la possession de ce bien infini ; c'est la fidélité à la loi, aux commandements du Seigneur.

    — Voilà donc l'espérance chrétienne, la vraie vertu d'espérance. Elle exclut, d'une part, la présomption qui anéantirait les conditions des divines promesses ; et, d'autre part, elle bannit les craintes, les défiances les découragements, les désespoirs ; sentiments plus coupables encore qui vont jusqu'à détruire les motifs de notre confiance, et outragent par conséquent les plus beaux attributs du Seigneur, sa puissance et sa bonté infinies.

    Or, si les actes de cette vertu glorifient Dieu, ils sont bien nécessaires à la vie de l'homme. Le chrétien peut triompher de tout par la force et la douceur de la sainte espérance.

    Dans l'ordre naturel même et le gouvernement du monde, l'espérance a une force vive à laquelle rien ne saurait résister ; et tant qu'on espère, on peut tout : le malade peut guérir, le soldat peut vaincre. C'est la lumière et la vie du cœur, c'est la fleur des ruines, l'espérance !

    Mais où est-elle, si ce n'est en Dieu seul ? Tu es, Domine, spes mea (Ps. xc, 9).

    — Jésus-Christ seul l'a donnée au monde ; toutes les autres religions n'en ont pas même l'ombre, et c'est pour cela que celle de Jésus-Christ seule est divine, car par cette vertu, elle prévient le mal suprême de cette vie et le malheur éternel de l'autre : le désespoir dans le mal et dans la haine. « Oui, elle est divine, ô mon fils, la religion qui a fait de l'espérance une vertu. » Cette parole, inspirée par le Génie du christianisme, a retenti dans tous les cœurs et les a consolés.

    Rien, absolument rien ne saurait ébranler l'espérance chrétienne ni diminuer la confiance des enfants du ciel, parce qu'elle repose en Dieu seul, et sur ses premiers et plus essentiels attributs, comme nous le dirons tout à l'heure, dans l'examen pratique de cette vertu.

    Nos faiblesses et nos péchés ne doivent pas altérer en nous le sentiment d'espérance, puisque même, dans ce cas, Dieu peut encore et veut toujours nous sauver. Tant qu'il n'aura pas été dépouillé de sa puissance et de sa miséricorde, nous pouvons, nous devons espérer en lui, et tant que nous espérerons, il ne pourra nous laisser périr ; il nous donnera le pardon, il nous donnera le ciel.

    Méditez plutôt ces paroles étonnantes de la sainte vérité... La miséricorde prévient celui qui espère en Dieu : Qui sperat in Domino, miserieordia prseveniet eum... La miséricorde le suivra : subsequetur... la miséricorde l'environnera de toutes parts : circumdabit... la miséricorde enfin reposera encore sur sa tête comme une couronne ! Qui coronat te in misericordia... et elle ne s'écartera pas un instant, de peur qu'il ne puisse échapper et périr... et non recedet... (Ps. xxn, xxxi, Lvm, Lxxxv),... etc.

    Peut-il donc y avoir dans la vie du chrétien un jour où il cesse d'espérer, quand il est sûr de sauver son âme et d'aller au ciel, tant qu'il espère !

    Mais, hélas ! c'est précisément à cause des avantages immenses de cette vertu, que l'ennemi de notre salut s'efforce de nous la ravir, et il le fait avec tant de perfidie, qu'il y en a bien peu qui résistent et qui sachent garder l'espérance dans leur cœur.

    Nous en serons convaincus si nous voulons examiner notre âme avec attention, dans la seconde partie de cet exercice.

    II. Ubi est spes tua? (Tob. vi, 2) : Où en est donc votre espérance ? qu'est-elle devenue ?

    — Ah ! si je pouvais sauver quelques âmes et les empêcher d'être précipitées dans l'abîme du désespoir, en leur montrant comment leur ennemi s'efforce de les entraîner ! que je serais heureux ! c'est la grâce que je demande en ce moment au bon saint Joseph pour tous ceux qui, un jour, liront cette page.

    Mais imaginezvous que le démon perfide a quelquefois ravi aux enfants de Dieu ce précieux trésor de l'espérance, avant même qu'ils se soient aperçus de ses attaques.

    Ce n'est presque jamais directement que ce cruel parvient à ce but horrible, mais par la ruse et le mensonge.

    Il ne nous arrache pas l'espérance du cœur ; mais, si je puis me servir de cette expression, il la soutire et l'enlève ; on ne s'en aperçoit que quand on n'en a vraiment plus !... Le perfide réussit presque tou jours à jeter, même les élus, dans une sorte d'hérésie pratique sur ce point, et dans la plus fatale des erreurs. Il finit par leur faire croire qu'ils ont commis trop de péchés pour être jamais sauvés.

    Or voici comme il procède ordinairement. Il commence par la tristesse, qui seule a suffi pour tuer bien des âmes : multos occidit trislitia (Eccl. xxx, 27). Puis il abat, il décourage par de vains prétextes et des craintes exagérées de la justice céleste, et, de là au désespoir même, il n'y a qu'un pas ! Il nous persuade bientôt que Dieu ne nous aime plus, parce que nous l'avons offensé. Mais c'est évidemment un mensonge de l'enfer, et, si vous vous obstinez à le croire, si vous le répétez sans cesse, je vous assure que c'est une hérésie véritable.

    Ah ! si vous disiez que Dieu n'aime pas le péché, à la bonne heure ! Non, certes, il ne l'aime pas, il le hait souverainement, il doit le haïr toujours ; mais le pécheur, le pauvre pécheur, son enfant, il l'aime, il ne peut s'empêcher de l'aimer, il ne veut pas sa mort ! C'est comme une mère, elle n'aime pas la boue dans laquelle son enfant est tombé, non, mais elle aime bien son enfant qui est tombé dans la boue, et, si ce pauvre enfant crie et pleure en tombant, fût-ce même par sa faute, est-ce qu'elle viendra pour l'écraser et le tuer ? Non, mille fois non ! elle accourt tout inquiète d'amour, elle le relève, elle essuie ses larmes et le sang qui coule, elle le presse sur son cœur, elle paraît l'aimer encore plus, parce qu'il pleure et qu'il souffre ! Et je vous dis que plus un pécheur est coupable, plus le Seigneur aura pitié de lui ! Plus cet enfant est malheureux, plus il est aimé ; et s'il espère, il est sauvé.

    N'est-ce pas ce qu'il a voulu nous révéler par ces belles paraboles :

    — du Bon Pasteur, qui court après sa brebis, et qui, triomphant d'amour, la rapporte au bercail ?

    — et de l'Enfant prodigue, à qui son père pardonne aussitôt, et qu'il presse sur son cœur ?

    N'est-ce pas ce que le roi David a voulu exprimer par un des plus beaux textes de ses prières sublimes : 0 mon Dieu, vous aurez pitié de moi, vous me pardonnerez, car j'ai beaucoup péché... Propitiaberis peccato meo, multum estenim(?s. xxiv, 11) ; comme s'il disait qu'il est plus digne de la miséricorde, parce qu'il est plus coupable, et qu'il espère, parce qu'il a été plus ingrat.

    Voilà pourtant la vérité, la parole de la foi. Mais le malheur, je le répète, c'est que l'enfer nous attaque avec tant de perfidie, qu'on ne s'aperçoit presque pas des ravages qu'il fait dans les âmes. Il y a peu de chrétiens qui combattent pour conserver leur espérance ; c'est à peine s'il y en a qui s'accusent de l'avoir perdue !

    Et vous qui lisez ces pages, rentrez ici en vous-même, et voyez donc si vous en avez encore un peu. Croyez-vous que Dieu vous a pardonné le passé d'abord, tout le passé ? Et pourquoi donc ces retours continuels, ces défiances et ces craintes ? Vous voulez avoir plus de mémoire que Dieu, qui a oublié tout cela !

    — Aujourd'hui même comptez-vous sur la grâce du ciel, grâce qui vous est nécessaire dans l'épreuve ? Et pourquoi donc ce trouble et ces vaines inquiétudes ?

    — Et pour demain, espérez-vous vraiment d'aller au ciel ? avez-vous cette confiance ? et pourquoi donc alors ces tristesses de cœur et ces découragements continuels ?

    Je connais des chrétiens, de bons chrétiens pourtant, mais hélas ! trop souvent abattus et trompés par le démon de la défiance, qui disent comme le malheureux Luther : Beau ciel ! je ne te verrai pas !... je ne te verrai jamais !

    — Et il y a cependant une belle place pour eux au ciel ; ils iront certainement, car le bon Dieu ne permettra pas qu'ils soient trompés jusqu'à la fin par l'ennemi de sa gloire et de leur bonheur. Ils retrouveront de l'espérance un jour et leur pardon.

    Mais qu'ils se hâtent de prier, qu'ils ne cessent d'implorer la miséricorde qu'ils ont indignement blessée par ces sentiments de désespoir ; qu'ils invoquent avec ferveur le secours de Marie immaculée, mère de la sainte espérance, et la protection de saint Joseph, le plus touchant modèle de cette douce vertu, et qu'ils espèrent enfin contre toute espérance : contra spem, in spem (Rom., iv, 18).

    Terminons par une prière de toute confiance à Jésus, Marie, Joseph. Ego autem semper sperabo (Ps. Lxx, 14) : Oui, Seigneur, j'espérerai toujours et j'espérerai tout de voire miséricorde ; je veux espérer jusqu'à l'abandon, et je ne serai pas confondu : In te, Domine, speravi, non confundar in seternum (Ps. xxx, 2).

     

    DOUZIÈME JOUR

    LA CHARITÉ

    Foi, Espérance, Charité, ce sont trois belles vertus, mais la plus belle c'est la Charité.

    (1 Cor.,XIII, 13.)

    Il est donc de foi révélée que la plus belle, la plus grande des trois vertus théologales, et par conséquent la plus sainte de toutes les vertus, la plus parfaite, c'est la charité. La charité, l'amour, c'est la fin, la consommation de la loi, la règle, la seule mesure du mérite et de la gloire.

    Nous ne craindrons pas de dire aussi que c'est la plus grande vertu de saint Joseph.

    Il a été saint par sa foi, saint par son espérance, mais bien plus saint par son amour.

    On conçoit de suite qu'après la Vierge Marie, sa glorieuse épouse, et mère de Dieu, il a dû aimer plus que tous les autres. Il suffit de savoir les titres qu'il porte, et les relations qu'il a eues avec Jésus, qui lui donnait le doux nom de père. Et qui donc aurait pu mieux que lui remplir la loi sacrée d'amour : Diliges !

    Mais aussi, qui pourra jamais dire les tendresses de son cœur pour Jésus, les dévouements de son âme pour celui qu'il pouvait appeler son enfant ?

    Qui pourrait concevoir ou rendre les communications ineffables, les doux entretiens de Jésus avec Joseph, quand celui-ci portait l'Enfant dans ses bras, et le pressait sur son cœur, en le regardant avec transport !...

    Et lorsque ensemble, à Nazareth, ils travaillaient des journées entières, ou qu'ils prenaient leur repas en famille !...

    L'âme se perd dans ces saintes contemplations, il se fait dans le cœur un grand silence... On croit voir et entendre Jésus, Marie, Joseph ! Oh ! qu'ils s'aimaient !

    Nous allons suivre le plan ordinaire : I. Une étude dogmatique sur la Charité ; II. Un examen pratique.

    I. Qu'est-ce que la charité, l'amour ?

    — Il n'est pas facile, mais heureusement il n'est pas nécessaire de définir ce sentiment affectueux de désir, ce transport de tendresse dans la possession. Aimer, c'est aimer. La charité est la plus excellente des vertus théologales parce qu'elle unit plus directement, plus parfaitement l'homme à Dieu par la vie du cœur ; elle l'atteint immédiatement, comme dit l'école, etelle va jusqu'à nous transformer en lui ; car, dit avec raison saint Augustin : Si vous aimez la terre, vous êtes de la terre : Terram amas, terra es ; mais si vous aimez Dieu, eh ! bien quoi ! Si vous aimez Dieu, vous êtes Dieu ! Deum amas, quid dicam? Deus es...!

    Pour bien comprendre l'essence de la charité, méditons notre acte d'amour, cette belle prière : Mon Dieu, je vous aime..., et nous y trouverons la notion la plus vraie de cette vertu ; 1° le terme ou l'objet de notre amour : c'est Dieu ; 2° le motif ou la raison : ce sont ses perfections infinies ; 3° la mesure, par-dessus toutes choses, de toutes nos forces ; car, dit saint Bernard, il ne peut pas y avoir de mesure dans l'amour d'un Dieu : Modus amandi Deum est amare sine modo.

    Or cette vertu est si nécessaire que, sans elle, on n'est rien, on ne peut rien : Nihil sum, nihil mihi prodest (I Cor. xni, 23)) et d'autre part, les effets de la charité sont si grands, qu'elle suffit dans l'ordre de la grâce et de la justice.

    Un seul acte de charité parfaite répare tout, purifie tout ; Elle justifie le plus coupable des pécheurs ; elle élève, elle embrase, elle transforme l'âme fidèle. C'est la sainteté, la perfection sur la terre ; elle sera le bonheur, la gloire dans les cieux.

    Mais aussi, qui pourra dire les transports et les sacrifices de l'amour divin ? Il faudrait aimer, aimer beaucoup pour en parler, aimer aussi pour comprendre : c'est ce que demandait saint Augustin : Da mihi amantem, et sentiet quod dico.

    Rappelez-vous au moins, mon cher lecteur, quelques paroles des saints, qui ont brûlé de cet amour, et vous verrez la force incomparable et les douceurs ineffables qu'il répand dans les cœurs.

    — Saint Paul s'écrie : Qui pourra me séparer de la charité de Jésus-Christ ? Et il défie le ciel, la terre, la mort et l'enfer de lui arracher cet amour : Qui nos separabit a charilate Christi (Rom. vin, 35) ?

    — Sainte Thérèse, dans ses exclamations, vous dira les délices, les langueurs, les larmes et les transports de son âme brûlée par le fer enflammé de la lance. L'amour, qui est sa vie, l'amour la fait souffrir et mourir, souffrir toujours, mourir sans cesse.

    Vous apprendrez aussi la nature même et l'essence de la charité vraie, qui se donne et s'immole, qui ne vit que de sacrifices et de larmes. Car c'est un doux tyran, l'amour : Dulcis tyrannus amor(saint Ambroise). Ce feu sacré ne s'entretient qu'avec le bois de la croix. Il faut tout donner, sans réserve, sans partage, sans retour ; il faut aimer comme Jésus-Christ a aimé, se donner comme il s'est donné, s'immoler enfin : Da mihi amantem, et sentiet quod dico.

    Mais hélas ! ne devons-nous pas dire avec saint Augustin : Amor non amatur ?... Non, l'amour n'est pas aimé. Nous voici arrivés au temps annoncé par le saint apôtre, temps malheureux, où la charité doit se refroidir sur la terre et dans le cœur d'un grand nombre : Refrigescet chantas multorum (Matth. xxiv, 12). Nous vivons dans le siècle d'indifférence... Examinons donc si nous avons encore un peu d'amour pour notre Dieu et Seigneur Jésus-Christ. Cherchons le moyen de rallumer ce feu sacré dans notre cœur.

    II. Représentez-vous votre Dieu Sauveur ; il vous regarde avec tendresse et vous demande, comme à saint Pierre, m'aimez-vous : Amas me ? et, avant de répondre, réfléchissez un instant, rappelez-vous deux principes aussi simples qu'incontestables, c'est que les cœurs qui s'aiment ont nécessairement une même et double action, sympathique et antipathique. C'est la loi même du mouvement des cœurs ; c'est-à-dire simplement, qu'on a les mêmes sentiments, les mêmes goûts, les mêmes aversions, les mêmes répugnances ; en un mot, on aime et l'on n'aime pas les mêmes choses, principe certain, loi générale, encore une fois, de l'amour.

    Or donc, si vous aimez le Sauveur Jésus, vous devez avoir les mêmes sympathies et les mêmes antipathies ; vous aimerez ce qu'il aime, vous aurez horreur de tout ce qui lui déplaît... Maintenant, répondez !

    — D'abord, avez-vous horreur du péché, du péché mortel surtout qui lui déplaît infiniment, qui l'outrage et lui donne la mort ?... Avez-vous horreur du péché véniel qui le contriste toujours, et qui a pour effet direct de diminuer son amour dans les cœurs ? Ah ! vous n'oseriez pas dire que vous aimez Dieu, vous qui le crucifiez si souvent dans votre âme, pécheurs, ingrats pécheurs !... Ni vous non plus, serviteurs infidèles, amis inconstants, qui ne cessez par vos fautes, que vous appelez vénielles, de percer son divin Cœur avec la couronne d'épines cruelles !

    Non, vous ne l'aimez pas, puisque vous ne craignez pas de le blesser, et que vous ne cessez de faire ce qui lui déplaît infiniment.

    Et maintenant, aimez-vous ce qu'il aime ? Trouve-t-il quelque sympathie en vous : la conformité de pensées, de sentiments, de langage ?... Y a-t-il quelque rapport ou ressemblance entre les caractères, entre votre vie enfin et celle de votre Dieu ? Répondez-donc, et jugez vous-même.

    La sympathie d'esprit ou la conformité des mêmes pensées fait comme la base de la vie intime des âmes, parce qu'on aime à se dire, à se communiquer ses idées et ses plus grands secrets... Avez-vous cette union avec Jésus ? Mais ce serait la prière ; aimez-vous la prière ?... Aimez-vous à vous entretenir avec votre Dieu ? Allez-vous quelquefois le voir, le visiter ?

    Sympathie de cœur ou de sentiments, principe de l'amitié sincère, source des intelligences de deux âmes, qui goûtent ensemble les joies ou les douleurs !... Avez-vous cette vie commune avec Jésus ? Ce serait évidemment le goût des choses célestes, de la parole divine, de sa grâce et des sacrements qui nous la communiquent... Aimez-vous les choses pieuses ? la divine Eucharistie surtout ? Vous voit-on souvent au pied des autels, à la table sainte ?

    Enfin sympathie et conformité de langage. La bouche parle de l'abondance du cœur ; si votre cœur est plein comme celui de Jésus-Christ, il doit parler comme ce divin Cœur.

    Mais hélas ! n'y a-t-il pas opposition plutôt et contradiction entre vos paroles et celles de ce bon maître ?

    Assurément le monde ne parle pas comme l'Évangile. Vous aimez le monde ; vous parlez comme le monde, et Jésus-Christ ne l'aime pas, il le condamne, il le maudit... Déjà vous n'oseriez plus dire que vous aimez Dieu !...

    Mais il y a encore un moyen plus sûr et plus facile de décider la question ; il suffit d'interroger les œuvres de la vie : ce sont les œuvres surtout qui sont la vraie preuve et la règle infaillible de l'amour ; et l'œuvre par excellence de l'amour, c'est le sacrifice ; c'est là sa vie, son bonheur même : souffrir pour celui qu'on aime, c'est le sort le plus digne d'envie. Aussi Jésus qui nous a aimés infiniment, a-t-il voulu souffrir, mourir pour nous, et mourir sur la croix , il y est mort avec joie, dit l'Apôtre : Proposito sibi gaudio, sustinuit crucem (Hebr. Xii, 2). Dilexit me, et tradidit semelipsum pro me (Galat. u, 20).

    Ah ! si nous l'aimions, nous le lui prouverions bien, nous travaillerions pour lui : Omnia vestra in charitate fiant (I Cor. xvi, 14), toutes nos actions seraient animées de cet esprit de charité ; mais surtout nous souffririons pour Notre Seigneur, pour sa gloire et pour son amour. Les plus grands sacrifices mêmes ne pourraient plus nous coûter ; ainsi que saint Augustin l'a dit et éprouvé, dès que son cœur fut dominé par ce doux tyran d'amour, Dakis tyrannus amor, et entraîné par ce poids mystérieux, Amor meus, pondus meum !

    Car, c'est dans le transport même de la joie du sacrifice, qu'il a écrit cette sentence qu'on ne peut jamais trop répéter, ni jamais assez méditer : Ubi amatur non laboratur, mit si laboratur, labor amatur : Quand on aime on ne souffre pas, ou si l'on souffre, on aime à souffrir.

    L'auteur de l'Imitation a exprimé la même pensée, peut-être avec moins de bonheur, mais avec autant de force et de précision : Amor non sentit onus; amans currit, volât et lsetalur... L'amour ne sent pas la peine ; quand on aime, on court, on vole, on est heureux ! Eh bien ! maintenant, répondez à Jésus-Christ. Il vous demande si vous l'aimez : Amas me ?

    Vous terminerez cet exercice en vous humiliant devant Dieu, et vous demanderez, par l'intercession de saint Joseph, la grâce, fruit de notre méditation, un tendre amour pour Notre Seigneur Jésus-Christ.

    Je vous conseille de répéter souvent, pendant le cours de cette journée, votre acte de charité ; mais lentement et de manière à bien goûter chaque parole... Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur, etc.

    — Ou, si vous le préférez, vous pourrez dire celui de saint Ignace, comme il se trouve au livre des exercices et à la fin de la contemplation de l'amour de Dieu, sujet admirable de méditation, d'où nous avons tiré la plupart des pensées que vous venez de lire.

    Voici cet acte d'amour :

    Recevez, ô Seigneur, l'offrande de tout mon être. Acceptez ma mémoire, mon entendement, ma volonté. Tout ce que j'ai, tout ce que je possède, c'est vous qui me l'avez donné ; c'est à vous que je le rends en entier : tout est à votre disposition, à votre bon plaisir. Votre amour, votre grâce, donnez-moi cela seulement, et je suis assez riche, et je ne demande rien de plus.

    Ainsi soit-il.

    Suscipe, Domine, universam meam libertatem. Accipe memoriam, intellect um, a tque voluntatem omnem. Quidquid habeo, vel possideo, mihi largitus es : id tibi totum restituo, ac tua; prorsus voluntati trado gubernandum. Amorem tui solum cum gratià tuâ mihi dones, et dives sum satis, nec aliud quidquam ultra posco. Amen.

    TREIZIÈME JOUR

    LA PRUDENCE

    Celui qui garde la prudence, trouvera tous les biens. (Prov. un, 8.)

    Après les trois vertus théologales que nous avons étudiées dans le cœur de saint Joseph, nous allons apprendre de lui à pratiquer celles que l'on appelle ordinairement cardinales, parce qu'elles sont comme la base et le principe de toute la perfection chrétienne.

    Il y en a quatre, et nous entrerons avec d'autant plus de bonheur dans la méditation de ces sujets importants, qu'il est plus rare de les voir traités, même dans les meilleurs livres de piété.

    Saint Joseph a été extrêmement prudent ; sa vie entière en serait la preuve la plus touchante. Il nous suffira de rappeler ici seulement deux circonstances, où il nous semble avoir atteint la plus haute perfection de cette vertu.

    La première, ce fut au moment des doutes qui s'élevèrent dans son esprit, et avant que le grand mystère de l'Incarnation lui eût été révélé.

    Que fait Joseph ? Il se tait. C'est le fait d'un homme sage et prudent, dit la sainte Écriture : Vir prudens tacebit (Prov., xi, 12). Il attend, il prie en silence, et la lumière du ciel est venue. L'Ange lui confia le secret de Dieu. Répétons-le : Se taire, ne pas juger, attendre et prier, c'est une preuve de haute sagesse et de prudence divine.

    La seconde circonstance n'est pas moins admirable, dans le mystère de la fuite en Egypte. Ici la prudence se révèle dans la fidèle obéissance de Joseph, malgré tous les vains prétextes que la raison semblait devoir opposer à l'ordre que l'Ange du Seigneur venait de lui donner. A l'instant même, il se lève et part avec l'Enfant et sa mère.

    I. Nous étudierons d'abord la nature de la prudence ; II, puis nous apprendrons à pratiquer cette vertu, qui deviendra la régle de notre vie.

    I. Il faut toujours commencer par définir la vertu dont nous avons à parler ; et c'est encore saint Thomas d'Aquin, l'ange de l'école, qui doit nous servir de maître et de guide : il dit en trois mots qu'elle dirige sûrement toutes nos actions ; c'est la régle de notre conduite : Recta agendorum ratio; et il explique aussitôt cette définition et interprète sa pensée. La prudence, dit-il, nous montre la fin, la vraie fin, et nous apprend à choisir et à prendre les moyens sûrs pour y arriver. C'est elle qui indique et ce qu'il faut faire et ce qu'il faut éviter. Ainsi, elle évite toujours les extrêmes et tout excès : elle tient le juste milieu entre ces extrêmes, qui ne conduisent jamais au but.

    La prudence, dit-il, ne marche pas seule : l'expérience, la circonspection, la prévoyance, la docilité, dirigent toujours ses actes et inspirent ses paroles ; ce sont comme ses compagnes fidèles. Mais rien ne lui est plus opposé que la témérité d'abord, et la négligence par défaut ; et puis par excès, la ruse ou l'astuce ainsi que la prudence de la chair, comme dit l'Évangile, et la trop grande sollicitude des choses temporelles et de l'avenir.

    C'est après avoir donné ces notions si précises sur la vertu de prudence, que le Docteur angélique s'écrie avec saint Augustin : 0 mon Dieu ! combien d'hommes passent pour sages et prudents sur la terre, et ne sont vraiment que des insensés devant vous ! 0 quam multi prudentes dicuntur plane insipientes coram Deo !...

    Voyez donc, ô mes frères, et vous, mon cher lecteur, examinez bien si vous marchez avec précaution, et où vous allez : Videte Uaque, fratres, quomodo caute ambuletis ; de peur qu'un jour vous ne soyez obligés de dire : Insensés que nous étions ! nous nous sommes donc trompés 1 Ne forte dicatis : Nos Insensati ! Ergo erravimus (Sap. v, 4, 6).

     

    Résumons en un seul mot toute cette doctrine et disons encore avec saint Thomas , que toute la prudence consiste à bien choisir la fin, et à prendre les moyens pour y arriver : Recta judi- care, recta velle.

    II. Maintenant, pour apprendre à aimer et pratiquer cette vertu, sans laquelle il ne peut y avoir de sécurité ni de bonheur, il nous faut avant tout rappeler les grands principes des actes humains.

    La fin d'abord, la seule fin nécessaire, c'est Dieu, notre salut, notre âme, notre éternité : Umm est necessarium (Luc. x, 42). Tout le reste n'est rien, ne peut servir de rien : Quid prodest ? Comprenez-vous ? le croyez-vous ? Eh bien ! jetez un regard sur le monde entier, et puis examinez votre cœur...

    Hélas ! combien d'insensés qui oublient, ou qui négligent absolument cette fin, qui ne mettent l'affaire de leur salut, les intérêts de leur éternité qu'en dernier lieu, après tout le reste ! Combien ne cherchent que l'or de la terre, la gloire du monde et les plaisirs de cette vie qui passe, et préfèrent la vanité à ce qui est éternel !... Plane insipientes coram Deo ! Ce sont des insensés aux yeux de Dieu.

    — Et vous, qui lisez ceci, que voulez-vous ? que désirez-vous ? Qu'avez-vous fait jusqu'à ce jour ? Où allez-vous ? Êtes-vous même dans le chemin qui conduit à la fin, à Dieu, au ciel ?

     

    Mais, parmi ceux qui prétendent vouloir se sauver et servir Dieu, combien n'y a-t-il pas encore d'imprudents qui n'en prennent pas les moyens ?... les moyens, dis-je, les plus sûrs et absolument nécessaires, comme la prière et les sacrements ? Combien d'indifférents qui marchent au hasard, sans savoir où ils vont, et qui finissent par se perdre ?... Combien d'autres imprudents et téméraires à l'excès, qui ne cessent d'aller au-devant des dangers et d'aimer le péril, où ils ont déjà trouvé la mort ? Leur triste expérience ne leur a servi de rien, ils vont périr !

    Les plus insensés de tous sont ceux qui, pensant réellement quelquefois à leur fin, disent et répètent sans cesse qu'ils iront un jour, qu'ils ne veulent pas se perdre, ni rester en route, mais qu'ils iront plus tard ! et ainsi ils remettent toujours à un lendemain que peut-être, que sans doute ils n'auront jamais. Comme s'ils avaient fait un pacte avec la mort, cette perfide qui trompe tout le monde, ils continuent à jouer avec elle ! Mais il est impossible qu'ils arrivent ; ils n'ont pas une chance sur mille, sur un million, puisqu'ils peuvent mourir tous les jours, à toute heure, à chaque instant... Quelle présomption ! quelle imprudence ! quelle folie ! et quel malheur ! Plane insipientes coram Deo !

     

    Nous avons indiqué le mal, tâchons en quelques mots de le prévenir et d'enseigner la sagesse. Nos conseils ont pour but d'apprendre d'abord ce qu'il faut éviter pour ne pas manquer de prudence, et puis ce qu'il faut faire pour arriver à la pratique de cette vertu.

    1° Avant tout, il faut éviter la présomption, et cette témérité fatale qui emporte et perd la jeunesse principalement. Ainsi, la lecture des livres dangereux, la fréquentation du monde, de ses vains spectacles, de ses plaisirs profanes, et ces conversations légères, et ces regards qui donnent la mort.

    Comment pouvoir espérer de vivre dans ce feu des passions ! c'est comme impossible ! Mais enfin, si vous y êtes obligé, si vous ne pouvez en sortir, au moins prenez garde, faites bien attention à nos derniers conseils, et vous pourrez encore éviter de mourir.

     

    2° Il faut réfléchir, veiller et prier. — Réfléchir, sur votre fin dernière et sur la vanité de tout ce monde : In omnibus respice fmem (Imit. Vanitas vanitatum... Quid prodest ?... Unum est necessarium... Répétez-vous souvent à vous-même quelques-unes de ces sentences divines: 0 vanité des vanités !... Qu'est-ce que cela auprès de l'éternité ?... Une seule chose est nécessaire.

    Veiller, demander conseil, et ne pas vous fier à votre prudence : Ne innitaris prudentise luse (Prov. in, 5). Vous défier toujours de votre faiblesse.

    Mais surtout il faut prier, car la lumière et la force viendront du ciel. Vous ne pouvez rien sans la grâce, Notre-Seigneur lui-même a donné à ses apôtres le grand conseil de la prudence parfaite dans ces deux mots : Vigilateet orale... Veillez et priez, afin de ne pas succomber à la tentation. N'allez pas au-devant du danger, car vous trouveriez la mort !

    Pour résumer et analyser toute cette méditation et en garder le souvenir dans votre âme, vous penserez pendant ce jour à la parabole des Vierges prudentes et des Vierges folles. Notre divin Maître n'a-t-il pas voulu nous présenter dans cette histoire l'image du monde entier ?

    Oui, sans doute... Seulement n'y a-t-il pas aujourd'hui bien plus d'âmes folles que d'âmes prudentes ?

    Vous gémirez sur le malheur de ces pauvres pécheurs qui restent dans l'imprévoyance jusqu'au jour de la mort ; car il n'y aura pas moyen de revenir. Vous examinerez si vous avez vous-même encore un peu d'huile dans la lampe mystérieuse que nous devons tenir à la main, quand l'époux viendra nous chercher. Mais soyez prêt, ne remettez pas même à demain, puisque cette nuit vous pouvez être appelé ; pas d'imprudence ! Il faut être prêt ; les vierges folles se préparaient, et la porte fut fermée pour elles ; le céleste Époux refusa de les reconnaître : Clausa est janua... Nescio vos (Math, xxv, 12).

    Vous terminerez l'exercice par une prière fervente à Marie, la Vierge très-prudente, et à saint Joseph qui, par ses conseils, a été comme la lumière de sa vie ; et vous demanderez à Dieu, par leur puissante intercession, cette vertu de prudence qui vous portera non-seulement à éviter le danger, en prenant toutes les précautions nécessaires, mais qui vous engagera à travailler avec ardeur, pour vous amasser quelque trésor au ciel et pour la vie éternelle.

    QUATORZIÈME JOUR

    LA JUSTICE

    Mais Joseph, époux de Marie, était juste. (Matth, I, 19.)

    Saint Joseph appelé à l'honneur incomparable d'être l'époux de la Vierge Marie, et le père nourricier de Jésus, devait posséder loutes les vertus.

    Pourquoi donc le Saint-Esprit ne lui donne-t-il que cette qualité d'homme juste ?

    C'est que la vertu de justice suppose, ou plutôt renferme toutes les autres.

    On peut dire qu'elle est la fidélité même, la sainteté et la perfection.

    Dieu est juste, dit le prophète David, et il aime la justice : Justus Dominus et justitiam dilexit (Ps. x, 8).

    La justice est la seconde vertu cardinale : elle nous fait une obligation sainte de donner et rendre à Dieu ce que nous avons reçu de lui.

    Dans ce sentiment du plus noble devoir, saint Joseph a réellement tout donné à Dieu, à Marie et au divin Enfant ; son dévouement, son travail constant et sa vie entière.

    I. Nous commencerons par exposer la notion de la justice. II. Nous verrons ensuite les conséquences pratiques à déduire de cette étude.

    I. Pour le point de doctrine, c'est toujours saint Thomas d'Aquin qui va nous éclairer. Il définit la justice : Constans et perpétua voluntas reddendi cuique suum ; une volonté ferme et constante de donner, ou de rendre à chacun ce qui lui appartient. Ceci est dit, en général, de toute justice, et peut s'entendre de la probité purement humaine et morale ; mais nous ne parlons, nous, que de la vertu religieuse, qui serait comme la probité envers Dieu et le prochain, une sorte d'honnêteté surnaturelle ; et le principe de cette justice étant supérieur et immuable, ses effets aussi et ses fruits seront bien plus précieux, et seuls dignes d'une éternelle récompense.

    Je ne veux pas dire que la justice naturelle et la probité humaine ne méritent pas nos éloges et notre admiration. Certes ! ces vertus commencent à devenir si rares dans le monde, qu'on ne saurait trop les encourager ; mais il ne faut pourtant pas non plus trop les exalter et en faire parade. Un homme parfaitement honnête, selon le monde, pourrait manquer absolument de la justice divine, et j'ajoute qu'il ne faudrait pas même s'y fier bien longtemps, quoique je reconnaisse volontiers, avec saint François de Sales, qu'il puisse y avoir des hommes qui n'ont jamais, ou presque jamais, rien fait pour mériter les galères, comme il le dit, et qui ont fait fort peu de chose pour mériter le ciel. La sainte Écriture les appelle des hommes stériles : Virum sterilem; ils n'ont rien fait, rien de bon pour l'éternité.

    La justice est une vertu si grande, que les livres saints semblent affecter de la confondre avec la sainteté même, comme on le voit dans une foule de textes sacrés : Justus, ut palma florebit (Ps. xci, 13). Beati qui esuriunt et siliuntjustitiam (Matth. v, 6). Justi autem in perpetuum vivent (Sap. vi, 16). Le juste fleurira comme un palmier... Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice... Les justes vivront éternellement. Nous pouvons assurer qu'il serait facile d'ajouter plus de cent autres passages semblables.

    Mais il suffira pour résumer toute la partie dogmatique de cet exercice, de rappeler une parole de l'angélique saint Thomas : Justilia exprimit cordis rectitudinem : c'est surtout la droiture du cœur qu'il faut entendre par ce mot de justice.

    II. Si maintenant nous jetons un regard attentif sur le monde, nous verrons, en gémissant, qu'il n'y a que bien peu de justes devant Dieu ; et, si nous voulons nous-mêmes rentrer dans notre cœur, nous serons bien humiliés en reconnaissant que nous n'avons pas été justes en sa présence. Tout, avons-nous dit, est renfermé dans ce mot : Suum cuique ; la justice consiste à donner, à rendre à chacun ce qui lui appartient, à Dieu ce qui est à Dieu, au prochain ce qui lui est dû. Mais que cela est rare !

    1° Voyons d'abord envers Dieu. Que lui devons-nous ?

    — Ego Dominus, je suis le maître, dit-il... et il répète si souvent cette parole au livre de ses lois suprêmes, qu'on pourrait croire que c'est comme la signature apposée à ses décrets éternels : moi Dieu : moi le roi ! Il a donc sur nous et sur toute la création les droits les plus sacrés les plus inaliénables, les plus imprescriptibles, et sur notre corps et notre âme le plus haut domaine qui puisse se concevoir ; Nous lui devons tout ; notre vie entière lui appartient.

    Il est notre souverain maître ; nous devons le servir, mais il est aussi notre père, nous devons l'aimer.

    Comblés de ses bienfaits et doués par lui des facultés les plus admirables de l'intelligence et du cœur, nous sommes obligés de lui rendre l'hommage de ses dons, et tenus de vivre pour sa gloire et pour son amour.

    Nous devons l'honorer de la substance même de notre être, c'est-à-dire par toutes les puissances de notre âme et de notre corps, ou de nos sens.

    Voilà les droits de Dieu ; le devoir de justice pour tous les hommes... Nous avons tout reçu de Dieu, nous lui devons tout.

    Eh bien ! la plupart des hommes, infidèles à ce devoir sacré, cœurs ingrats, lui refusent tout ! Mais, pour ne parler que des injustices les plus criantes, n'est-il pas vrai que l'on commence presque toujours par donner aux vains plaisirs le plus beau temps de la vie, les années de la jeunesse, comme si le Seigneur n'y avait aucun droit ? Et puis, on se réserve de lui consacrer les restes d'un cœur usé et dont le monde même ne voudrait plus !... N'est-ce pas là une horrible injustice ? Est-ce que tous les âges n'appartiennent pas à Dieu ? N'a-t-il pas expressément déclaré qu'il tenait surtout à ce droit des prémices mêmes de la vie ? Primitifs tuas non tardabis reddere (Exod. xxu, 29); et qu'il ne voulait pas que l'on donnât ces premières années à son cruel ennemi ? Ne des annos tuos crudeli (Prov. v, 9).

    Mais, indépendamment de ce droit essentiel et divin qu'un si grand nombre d'hommes oublient et méconnaissent, il y a une autre sorte d'injustice et d'improbité qui se commet sans cesse contre le Seigneur, et qui consiste à lui refuser ce qu'on lui avait promis librement, ce qu'on avait juré même de lui donner.

    On rougirait de manquer de parole à un homme, on craindrait avec raison de passer pour un malhonnête et de compromettre son honneur ; et tous les jours on manque de parole à Dieu même, on oublie les promesses les plus solennelles, on trahit les serments les plus sacrés ! On s'est engagé au service de JésusChrist, on a promis d'obéir à sa loi, on a juré de ne plus l'offenser, et puis, on ne fait rien pour lui, on méprise ses commandements, on retombe toujours dans les mêmes fautes ; c'est indigne, c'est manquer d'honneur et de probité ! Ah ! qu'il était bien autrement fidèle et chrétien ce grand maréchal de France qui, interrogé un jour par son confesseur, s'il n'avait pas encore commis une faute dont il avait obtenu un premier pardon, répondit avec un peu de surprise et de vivacité : « Mais, mon Père, je vous avais promis, et à Dieu, de ne plus le faire ! je ne manque pas à ma parole ! »

    2° Et maintenant envers le prochain : Suum cuique; il faut aussi nous examiner et voir si nous n'avons pas manqué à la justice, à la parfaite équité. Il a droit à sa vie, à sa fortune, à son honneur : Suum cuique. Vous y tenez, et avec raison, pour vous, mais il a le même droit, il y tient aussi ; l'avez-vous respecté toujours ?

    La vie. — Il y en a tant qui disent : je n'ai ni tué ni volé, et qui font consister en cela l'essence de toute justice humaine.

    Or, quoique cette idée et cette définition singulière et toute personnelle de l'équité ne soit pas précisément sublime et parfaite, quoiqu'elle nous semble un peu trop vague et restreinte, il faudrait encore savoir si c'est bien vrai dans la bouche de ceux qui le disent.

    Ils n'ont pas tué ! soit ; mais ces haines, cette soif de vengeance, et ces sentiments honteux inspirés par la cupidité et l'impatience d'un héritage, ces désirs dont on rougit et que l'on n'ose s'avouer, n'est-ce pas quelque chose qui ressemble à une pensée de mort, à un meurtre devant Dieu ! Mais, si votre dureté envers les pauvres les a jetés dans le désespoir, si vous les avez laissés mourir,

    vous serez plus coupables que vous ne croyez... Il y a un saint Docteur qui dit que, ne pas les secourir, c'est leur donner la mort, les tuer ; Non pavisti, occidisti. i

    Les biens. — Vous n'avez pas volé ; non ! Voyons pourtant, si dans les affaires, dans les grandes industries, dans les jeux, voyons s'il n'y a pas eu quelquefois de petits secrets, des ruses, des indélicatesses même et des mensonges pour faciliter les affaires, pour aider au succès des entreprises et assurer les bénéfices les plus clairs, toujours à votre avantage et au détriment d'un concurrent, d'un ami, d'un parent même. Il y a, dans ce genre, des choses qui ne seront pas certainement portées au tribunal de première instance ou de commerce, mais que la conscience juge, et que Dieu un jour condamnera publiquement par un arrêt terrible et une sentence éternelle.

    L'honneur. — Sans doute vous n'avez pas à vous reprocher de ces calomnies abominables qui ravissent la réputation, ce trésor plus précieux même que la vie ; mais dans le monde, pourtant, que de médisances et de railleries ! Que de paroles imprudentes ! On dit que les femmes entre elles se déchirent cruellement ; Il est encore plus affreux peut-être de voir des hommes sans cœur, par une parole légère, perfide, par un lâche mensonge de vanité, attaquer, blesser même, et quelquefois perdre, ravir, tuer l'honneur d'une femme vertueuse, d'une épouse fidèle, d'une mère chrétienne.

    Ah ! mille fois malheur au monde ! où l'on méconnaît, pour ne pas dire que l'on méprise partout le grand principe de justice et de charité : Ne faites pas à votre prochain, ne dites pas de votre frère ce que vous ne voulez pas que l'on fasse pour vous, ou que l'on dise de vous. Dans les salons dorés, dans ces belles réunions du soir, on lie parle donc pas seulement de vanités, on s'y entretient souvent du mal et des défauts du prochain ; et plus je contemple ce monde, celui qu'on appelle le beau monde, le monde comme il faut, plus j'y vois de ruines, les ruines de toutes les vertus, et même celles de la probité et de l'honneur. Il y en a partout, on n'y fait presque plus attention.

    Oui, parmi les chrétiens de nos jours, on en voit bien peu qui méritent la couronne de justice, bien peu dont la justice soit plus abondante que celle des païens. Mais vous, aujourd'hui, mon cher lecteur, après cet examen qui a dû vous humilier devant Dieu, tâchez d'abord de réparer ce que vous auriez pu faire de tort à Dieu et à votre prochain ; efforcez-vous, avant de mourir, d'acco mplir ce devoir de haute et parfaite équité : Ante obitum tuum, operare justitiam (Eccl. xiv, 17). Ce sera pour vous la source même de la paix, et l'espérance de la vie, comme dit la sainte Écriture : Fructus justitise in pace seminatur (sac. m, 18). Opus justi ad vitam (Prov. x, 16).

    Mettez ces bonnes et saintes résolutions sous la protection du juste Joseph, en finissant l'exercice par un colloque fervent.

    QUINZIÈME JOUR

    LA FORCE

      Vous avez été la force du pauvre et la force de l'indigent, au jour de ses tribulations. (Is. XXV,4.)

    C'est avec bonheur que nous appliquons ces paroles à saint Joseph, qui a été, dans le temps, la force d'un Dieu pauvre et anéanti, le soutien et l'appui de Jésus enfant et de sa sainte mère, la Vierge Marie. Heureux, mille fois heureux Joseph, d'avoir trouvé la femme forte par excellence, ce trésor précieux et si rare dont parle le livre de la Sagesse ! plus heureux encore d'avoir lui-même reçu de Dieu cette belle vertu de la force divine, ce mâle courage, cette constance qui mérite le ciel et assure la couronne de gloire ! mais infiniment heureux d'avoir été la force et l'appui de son Dieu sur la terre et dans les souffrances de la pauvreté : Factus es fortitudo pauperi.

    De toutes les vertus cardinales, la force est la plus nécessaire ; car la vie de l'homme et du chrétien surtout est un combat et une douleur : il faut beaucoup de force pour lutter et souffrir, toujours lutter, toujours souffrir.

    Mais qu'elle est belle cette vertu dans notre saint patron ! Il l'a montrée surtout dans trois circonstances qui remplissent sa vie entière.

    D'abord, dans la peine d'une condition pauvre et humiliée ; puis, dans la manière dont il porta la gloire de ses titres incomparables, c'est-dire dans l'accomplissement de ses devoirs sacrés auprès de Jésus et de Marie, sa céleste épouse ; et enfin, dans sa très-sainte et très-heureuse mort : trois pensées que le pieux lecteur doit retenir et méditer dans son cœur pendant cette journée.

    Bien comprises, elles suffiraient pour nous donner le sujet et le plan d'un panégyyique à la gloire de saint Joseph.

    Tous ceux qui sont dans le ciel ont pu dire comme lui : Ma force est en Dieu, mon Dieu est ma force, toute ma force ! Deus meus factus est fortitudo mea (Is. XLIX,. 5) ; mais seul il peut ajouter : Et moi aussi j'ai été la force de mon Dieu, quand il s'est fait pauvre et indigent sur la terre : Fortitudo pauperi et fortitudo egeno, in tribulatione suâ.

    Deux parties dans cette méditation : I. Une étude théorique ; II. Un examen pratique sur la vertu de force.

    I. Dans cette étude nous ne pourrions jamais trouver un guide plus sûr, un maître plus habile que saint Thomas d'Aquin. Il expose toujours sa doctrine avec un ordre et une clarté admirables, mais surtout dans le traité des vertus. Il commence naturellement par définir celle dont il va parler : ainsi pour la force deux mots lui suffisent : Sustinet et aggreditur. La force est un courage puissant, dans l'épreuve comme dans le combat ; calme à la vue du danger, patient au milieu des douleurs.

    Après la définition, le saint Docteur a coutume d'énumérer les principales qualités qu'il appelle parties intégrales de cette vertu et qui concourent à ses actes. Ici c'est la confiance et l'intrépidité, la constance, la patience et la magnanimité sans lesquelles, en effet, il est comme impossible de concevoir la force, et, sans lesquelles jamais elle ne pourrait agir.

    Enfin, il fait connaître tous les défauts opposés à cette vertu, moyen simple mais excellent pour compléter la notion doctrinale qu'il en donne. Il indique ici deux vices opposés à la force, l'un par défaut, c'est la timidité ; l'autre par excès, et vous apprendrez avec surprise que c'est l'audace ou la présomption, et pourtant rien n'est plus vrai. Ainsi, dit-il, quoi de plus faible qu'un enfant ou un insensé ? et cependant rien de plus hardi, de plus présomptueux ; aussi ne peuvent-ils rien faire, manquant absolument de force et de constance.

    La force, vertu morale que l'on désigne plus habituellement sous le nom de force de caractère, est déjà un don bien précieux de la nature, ou plutôt de son auteur, c'est la qualité qui fait les grands hommes, les héros, les conquérants. Mais nous ne parlons ici que de la force surnaturelle, vertu sainte et divine, infifiniment supérieure dans son principe et dans ses effets ; car sa source est Dieu même : Quia tu es, Deus, forïitudo mea (Ps. Xlh, 2).

    Cette grâce divine de force peut très-bien s'allier, et de fait, elle s'allie parfaitement avec la vue et le sentiment de notre faiblesse et de notre misère. Que dis-je ? la connaissance même de notre faiblesse en est comme la base et le fondement : Cum infirmor, tune potens sum (Il Cor. Xii, 10), dit l'apôtre saint Paul ; c'est alors que je suis puissant, quand je suis faible... c'est-à-dire, lorsque je sais que je suis faible : et saint Augustin dit positivement que toute la force est dans l'humilité : Omnis fortitudo in humilitate.

    Mais aussi, quelle force le Seigneur n'a-t-il pas donnée aux âmes douces et humbles ? Quelles conquêtes et quels triomphes ! Les Apôtres d'abord, nos pères dans la foi, et tous les fondateurs de nos églises les ont cimentées dans leur sang et illustrées par leur mort.

    Après eux, un grand nombre de nos frères aînés, glorieux martyrs ont triomphé du monde et de l'enfer, ils ont méprisé les menaces et la rage des persécuteurs ; ils allaient en chantant à la mort. On a vu des enfants, des femmes, des vieillards, plus forts que tous les empereurs de Rome et ses tyrans, monter avec joie sur les bûchers ardents, ou descendre dans les arènes pour y être dévorés par les lions, les tigres et les léopards ; et ils avaient trouvé cette force en Dieu ; Dieu qui s'unissait à leur âme dans l'ardeur d'une prière fervente, que dis-je ? qui se donnait à eux dans la vertu même de la sainte Eucharistie, ce vrai pain des forts. Car ils avaient la coutume de se nourrir de ce pain sacré dans leurs sombres cachots, et c'est sur leur poitrine déjà souvent blessée par le fer des bourreaux, que les prêtres, ces premiers soldats et disciples de Jésus, célébraient les augustes mystères ; autel bien digne de l'agneau qui a été tué pour nous.

    II. Venons maintenant à l'étude pratique de cette vertu. Déjà nous en avons indiqué les sources vives et fécondes : la prière, une prière pleine d'humilité et de confiance ; la sainte Eucharistie, la communion surtout, ce sont là les deux premiers moyens pour acquérir la force de Dieu. J'ajoute l'esprit de sacrifice, l'habitude de se vaincre soi-même : Vince te ipsum, c'est la devise des forts, et le secret des plus glorieuses victoires.

    Mais, afin que cette leçon devienne encore plus directe à tous nos lecteurs, et par conséquent plus pratique et plus efficace, je me propose de donner ici des conseils particuliers aux hommes et aux femmes.

    1° Pour les hommes d'abord. La plupart usent et perdent toutes leurs forces dans les plaisirs et dans les affaires de ce monde. Les plaisirs commencent par affaiblir la jeunesse imprudente et légère ; puis, ce sont les affaires, les intérêts matériels de cette vie qui épuisent l'âge mûr. Mais ce qui est certain, c'est que dans cette classe, chez les hommes, on voit partout des cœurs amollis, des esprits fatigués ; partout des âmes sans ressort, sans énergie, sans volonté.

    Une autre cause de faiblesse et de lâcheté pour les hommes, je le dirai, quoique cet aveu me coûte et me fasse honte, c'est le respect humain. Il y a des chrétiens qui ont des peurs incroyables : lâches soldats de Jésus-Christ, qui rougissent de lui et de son Évangile, odieux et infâmes apostats de la foi ou de la loi de Dieu, et devant qui ?... il ne s'agit pas d'un persécuteur, d'un bourreau, mais d'un petit incrédule ou d'un libre penseur ! Il n'est pas question du supplice ni de la mort, mais d'un bon mot ou d'un sourire ! Illic trepidaverunt timore, ubi non erat timor (Ps. xm, 5). Quelle faiblesse ! quelle lâcheté !...

    Souvent aussi c'est l'imprudence, la présomption qui est la cause des défaillances et des faiblesses des hommes. Ils vont comme des téméraires et des insensés se jeter au milieu des ennemis, s'exposer au danger et à la mort dans les vains plaisirs et les spectacles d'un monde profane et corrompu ; Malheureux !... Êtes-vous donc plus saints que David.... plus forts que Samson ? ; plus sages que Salomon ?... Ils sont tombés ! et vous allez périr !

    Conclusion. Les hommes perdent leur force et succombent toujours, ou par timidité ou par présomption. Ce sont les deux défauts signalés par saint Thomas d'Aquin. Pour leur rendre un peu de courage et les relever, il n'y aurait vraiment que la prière et les sacrements. Mais hélas ! ils ne prient pas, ils ne communient pas, ils seront donc toujours vaincus.

    Pour vous, mon cher lecteur, si vous voulez éviter ce malheur, il faut prier, veiller et combattre, mais combattre légitimement, c'est-à-dire avec constance et jusqu'à la fin, c'est la condition pour remporter la victoire et mériter la couronne d'immortalité : Vigilate et orate (Matth. xvi, 41). Non coronabitur nisi qui legitime certaverit (II Tim. n,-ô).

    2° Les femmes. Je commencerai par dire qu'il y en a vraiment beaucoup de fortes et de courageuses, quoique le plus sage des Rois ait demandé, avec une sorte d'ironie, où l'on pourrait en trouver une ? Mulierem fortem quis inveniet (Prov. xxxi, 10) ? Il y en a dans l'Église. il y en a beaucoup qui souffrent avec courage, qui savent lutter avec constance. On en voit triompher de la douleur et vaincre dans les combats les plus redoutables. Elles ne sont presque jamais assez faibles ou assez lâches pour devenir esclaves du respect humain, et cela de tout temps.

    Déjà au jour de la Passion du Sauveur, elles s'étaient montrées plus courageuses que les hommes, et même que les disciples de Jésus : elles l'ont suivi au Calvaire, elles ont pleuré au pied de sa croix et à son tombeau. Aujourd'hui encore, il y en a peu qui succombent à cette épreuve du respect humain.

    Je vous dirai bien pourquoi elles ont plus de force que nous ; c'est certainement parce qu'elles prient mieux, parce qu'elles communient plus souvent que les hommes. Dieu les soutient, Dieu les bénit.

    Mais il y a aussi pour elles des causes de faiblesses étonnantes, et la première, c'est leur sensibilité même : elles sont faibles par leur cœur, qui est en même temps toute leur force. La seconde, c'est la légèreté et l'inconstance de leur esprit : elles changent souvent ; elles se découragent facilement.

    Avec la prière qui les préservera toujours, et qui leur donnera la victoire, elles doivent recourir au travail. Le Saint-Esprit, dans le portait admirable qu'il a tracé de la femme forte, au livre de la Sagesse, a révélé ce grand secret de vie parfaite et de ses plus beaux triomphes. Que fait-elle donc de si extraordinaire, cettefemme, que l'on serait heureux de trouver, et dont le prix est au-dessus de tous les trésors de la terre ? Ce qu'elle fait ? Elle travaille ; ses doigts tiennent l'aiguille, et sa main tourne le fuseau. C'est elle qui met l'ordre dans sa maison ; la joie, l'honneur y habitent avec elle. Ses domestiques surveillés avec soin sont heureux, bien vêtus, bien nourris ; et son mari est fier et glorieux des vertus d'une si douce et si fidèle compagne.

    Donc, c'est dans l'amour du devoir, dans, l'ordre et le travail, dans le dévouement même de sa vie que se trouvent la force et le triomphe de la femme parfaite, de la mère chrétienne, de l'épouse bien-aimée et d'une sœur chérie.

    Demandons à Dieu cette grâce, nous qui sommes les frères ou les enfants des martyrs. Adressons-lui cette prière de Samson, au moment de sa dernière victoire et de sa mort glorieuse :

    O mon Dieu, rendez-moi toute ma force : Redde mihi mine fortitudinerà pristinam (Judic. xvi, 28). Goncussisque fortiter columnis, cecidit domus super omves... (Ibid.) et les colonnes du temple se brisant sous sa main puissante, l'immense édifice s'écroula sur la tête de ses ennemis, et il en tua plus en mourant qu'il n'en avait tué pendant toute sa vie. Il est certain que souvent il a suffi d'un seul acte de courage pour assurer le salut et la sainteté d'une âme : lisez la Vie de saint Louis de Gonzague, de sainte Elisabeth, du P. de Beauvau, et de tant d'autres, et vous verrez ce que peut un acte héroïque de vertu.

    Mais n'oubliez pas qu'il n'y a pas d'autres moyens pour aller triompher dans le ciel ; il faut se vaincre, se faire violence, combattre et souffrir : et violenti rapiunt illud (Matth. xi, 12). Il faut vaincre ou mourir. Courage donc, foulez aux pieds le respect humain, combattez, résistez par la force de la foi : fortes in fide, jusqu'à la fin, jusqu'à la mort.

    — La mort ! c'est le dernier combat, la lutte suprême. Demandez à Jésus, Marie, Joseph, de venir à votre secours en ce jour-là, à cette heure décisive, et de vous donner la victoire de l'éternité.

    Jésus, Marie, Joseph !

    Assislez-moi dans la dernière agonie.

     

    SEIZIÈME JOUR

    LA TEMPÉRANCE

    Vivons dans la tempérance, la justice et la piété. (Tit. II, 12.)

    Nous abordons aujourd'hui un sujet difficile, et dont on parle rarement dans les livres qui traitent de la perfection chrétienne.

    C'est pourtant une belle vertu que la tempérance, une des quatre vertus cardinales, c'est-à-dire essentielles ou fondamentales. Cette étude peut être regardée comme l'une des plus importantes pour la réforme de nos mœurs et pour notre salut.

    Saint Joseph s'est élevé à la plus sublime perfection de cette vertu, comme il sera facile de s'en convaincre dans l'exposition même de la doctrine de saint Thomas d'Aquin sur ce sujet.

    Non-seulement il l'a pratiquée, fidèlement par un don spécial de la grâce divine, èt par un attrait particulier ; mais, s'il est permis de s'exprimer ainsi, par la nécessité même de sa condition.

    Il a fait de nécessité vertu, car il était pauvre et simple artisan ; il mangeait donc le pain de chaque jour à la sueur de son front. Et quelle pureté, quelle simplicité, quel amour du silence, pendant tout le cours de sa vie !

    I. Commençons par la notion de cette vertu admirable de la tempérance. Saint Thomas d'Aquin en définit la nature, les caractères et les effets en quelques mots pleins de lumière : Temperantia est moderata passionum circa bona sensibilia concupiscentise dominatio, prxsertim gulse ; la tempérance est une vertu qui nous apprend à dominer et modérer toutes les passions qui flattent la sensualité, mais surtout la gourmandise ; et nous pouvons dire que cette définition renferme tout un traité, avec les principales divisions du sujet.

    Il y a, d'après ce saint Docteur, une foule de petites vertus qui dépendent de la tempérance et qui concourent à la perfection de ses actes. Ainsi l'abstinence, la sobriété, la retenue, la décence, la pudeur, la modestie, la clémence, la douceur, la discrétion, etc., toutes ces qualités qui composent un ensemble de vie parfaitement chrétienne et sainte, ont des nuances particulières qu'il serait trop long d'indiquer ici, mais elles ne sont que les sœurs et les fidèles compagnes de la tempérance elle-même ; et les fruits de ces vertus sont pleins de douceur.

    Enfin, par opposition, et pour nous faire mieux comprendre la nature de cette vertu, saint Thomas, selon sa coutnme, énumère les vices principaux qui lui sont contraires. C'est donc ici, d'après ce grand Docteur, la gourmandise directement ; puis l'incontinence, la vaine curiosité, l'abus ou l'excès dans les jeux et divertissements, le luxe immodéré dans la toilette, dans les vêtements, dans l'ameublement et toute la vie extérieure ; et il définit également tous ces défauts, en prouvant qu'ils sont opposés à la vertu de tempérance, dont il exalte le mérite et l'excellence.

    II. Ces principes bien établis, et la définition une fois bien comprise avec l'explication de l'Ange et maître de l'école sacrée, l'étude pratique de cette vertu de tempérance deviendra facile au lecteur de bonne volonté.

    Nous dirons d'abord ce qu'il faut éviter, pour ne pas tomber dans une foule de fautes opposées à la vertu, et ce qu'il faut faire pour tâcher d'arriver à la perfection: quid vitandum. quid agendum, c'est encore une formule ordinaire de notre saint Docteur.

    1° Quid vitandum. Ce ne sont pas seulement tous les excès honteux dans le boire ou le manger, vices hideux dont l'homme seul est capable par l'abus de sa raison, mais la recherche immodérée, le luxe somptueux des festins, où l'on étale à grands frais tout ce qui peut flatter la sensualité, les mets les plus rares des pays étrangers, les fruits exotiques qui souvent ne valent pas les nôtres, les primeurs qui n'ont guère que le mérite de n'avoir ni leur maturité, ni leur saveur, ni leurs parfums naturels ; les vins exquis, les liqueurs de grand prix, et qui viennent de l'autre monde...

    Tâchez d'éviter ce luxe, ce faste exagéré de la table, et ne consacrez pas à cet acte matériel autant d'heures que certains peuples du Nord : cela est coutraire à la tempérance, au moins pour tous les autres pays du monde.

    Quid vitandum. Donnant au mot de tempérance un sens plus général et plus étendu, avec saint Thomas, nous dirons que le Chrétien doit éviter la vaine curiosité, qui porte à faire tant de lectures frivoles, dangereuses et propres à jeter le trouble dans les intelligences et à gâter la vie des cœurs. C'est pour plusieurs comme une fatale ivresse, et qui peut aller jusqu'à la mort de l'âme.

    Quid vitandum. Les entraînements passionnés pour le jeu, que des hommes insensés prolongent pendant des nuits entières, avec la fièvre du gain ou le désespoir des pertes immenses, d'une ruine consommée ; quelquefois même avec le remords d'une injustice toujours si difficile à réparer, ou qui aurait compromis l'honneur d'un nom et d'une famille.

    Quid vitandum. Ces excès d'un luxe effréné dans les habillements et surtout dans les modes et parures du soir. Quelle intempérance par excès et par défaut dans ces belles robes qui descendent trop bas et ne montent pas assez haut, sans parler du prix incroyable de ces brillantes soieries !...

    Quid vitandum. Mais, toute cette abondance, ces flots, ces torrents de paroles vaines, inutiles, trop souvent aussi légères et curieuses, parfois méchantes et inspirées par l'envie, la jalousie, l'orgueil, le mensonge, peut-être même par l'irréligion ou par une sorte d'incrédulité de bon ton.

    Quid vitandum. Ce qu'il faut éviter, pour ne pas s'exposer à tomber dans toutes les sortes d'intempérance que je viens de signaler, je le dirai simplement : eh bien ! il ne faut pas trop aimer ce qu'on appelle de nos jours le confortable ; mot hideux, qui finira certainement par devenir français, mais qui ne sera jamais ni chrétien ni évangélique ; car, s'il n'y a pas toujours intempérance dans ce qui est purement confortable, on en est bien près assurément, on y sera bientôt et comme infailliblement conduit. Evitez donc cette mollesse et cette sensualité des gens du monde ; le Chrétien doit être mortifié, crucifié avec Jésus-Christ, par amour pour Jésus-Christ, pour triompher un jour dans la gloire avec Jésus-Christ.

    2° Quid agendum. Et maintenant que faudrat-il faire pour arriver à la pratique, à la perfection de cette vertu de tempérance ? Les détails ici deviendraient infinis, si nous voulions parcourir toutes les sortes de tempérance, et les vertus qui en dépendent. Afin donc de nous borner, ne parlons que de la modération dans le boire et le manger : prsesertim guise, dit saint Thomas d'Aquin ; et, pour prévenir tout excès à cet égard, toutes les fautes de gourmandise, donnons quelques règles sûres et faciles.

    La première régle est tirée de l'Évangile même et se résume en deux mots : Simplicité, mortification. — Simplicité : Manducate quse

    II.

    apponuntur vobis (Luc. x, 8).: Mangez ce que l'on vous sert, dit Jésus-Christ, sans rechercher, sans choisir ce qui paraîtrait mieux ; mais aussi certainement, en se conformant aux prescriptions légales, aux préceptes de l'Église.

    — Mortification : Il faut bien faire pénitence : pœnitentiam agite (Act. 11, 58). Le jeûne, l'abstinence, sont extrêmement utiles au salut de notre âme ; c'est, disent les saints Docteurs et l'Église même dans une des plus belles prières de sa liturgie sacrée, c'est le moyen le plus sûr de vaincre nos passions, d'élever notre esprit à Dieu, d'acquérir toutes les vertus et de mériter la gloire : vitia comprimit, mentent elevai, virtutem largitur et prœmia.

    La seconde règle est renfermée dans les conseils donnés par les Saints, et pourrait en effet suffire, non-seulement pour éviter à jamais toutes les fautes de ce genre, mais pour nous porter en peu de temps à la vraie perfection de la vertu. Et d'abord, c'est saint Jean Climaque et saint Augustin, qui engagent le disciple de Jésus-Christ, au moment du repas, à penser souvent à la Passion du Sauveur, au fiel et au vinaigre qu'on lui donna au Calvaire : memoria passionis Christi, aceti et fellis.

    Puis, c'est saint Ignace de Loyola qui, dans le livre des Exercices, nous propose deux moyens, l'un plein de force et l'autre plein de douceur, pour arriver au même but d'une parfaite tempérance.

    Le premier moyen est indiqué dans les règles qu'il donne de cette vertu, et qui tendent à mortifier pleinement la sensualité, en se privant autant que possible et par degré : quanto plut, dit-il, le plus que l'on pourra ; c'est donc la mortification progressive dans la nourriture : on retranche tous les jours un peu, et principalement dans les choses qui flattent le goût.

    Le second moyen est de nous représenter Jésus-Christ même et sa sainte Mère auprès de nous, à table avec nous. Cette pratique pleine de douceur et qui plaît extrêmement aux âmes intérieures, aux personnes pieuses, les élève au-dessus de cet acte matériel, et les dégage complètement. Non-seulement cette pensée vous préservera de tout excès blâmable ; mais elle vous portera sans cesse aux petits sacrifices qui réjouissent le cœur de Dieu, et méritent une augmentation de charité et de gloire.

    Nous ne craignons pas d'assurer, que celui qui voudra prendre une de ces régles saintes, et suivre celui de ces conseils qui lui plaira le plus, n'aura jamais à parler de ses repas, dans la confession, jusqu'à la fin de sa vie.

    Je finis, en priant le lecteur, conformément au conseil de saint Ignace, de se figurer souvent qu'il prend sa nourriture avec la sainte famille, avec Jésus, Marie, Joseph, et de ne jamais sortir de table, sans leur avoir offert une légère mortification, mais avec simplicité, et en faisant bien attention, pour que cette petite pénitence ne puisse être remarquée ou aperçue que des anges seulement.

    DIX-SEPTIÈME JOUR

    LA PURETÉ

    Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu.

    (Matth. T, 8.)

    La pureté... Quel nom donner à cette vertu ? Souvent on l'appelle simplement la belle ou l'aimable vertu, ou bien encore la vertu des anges, parce qu'elle nous rend sembables à ces esprits célestes ; et puis, parce que comme les anges voient sans cesse la face de Dieu, ainsi les âmes pures le contemplent avec bonheur dans la lumière de la foi vive : Deutn videbunt !

    Après la sainte vierge Marie, mère de Jésus, Reine des anges et la plus pure des créatures de Dieu, le plus chaste des hommes, c'est saint Joseph, et c'est par cette pureté incomparable qu'il a mérité la gloire d'être choisi pour devenir l'époux de la Vierge immaculée. Nul doute qu'il n'ait voué à Dieu une perpétuelle virginité, comme Marie elle-même, quoi qu'aient pu dire certains livres apocryphes et les écrits des rabbins, auxquels, de nos jours, on a eu le malheur de donner quelque attention, et dont on n'a pas craint de répéter les erreurs et les impostures, même dans des livres de piété, heureusement devenus très-suspects.

    I. Nous méditerons sur l'excellence de la pureté. II. Nous apprendrons à aimer et à imiter cette vertu des anges.

    I. Définir la vertu de pureté, c'est en dire la gloire et le bonheur. Saint Thomas d'Aquin nous a donné cette définition générale : Libéra abdicatio omnium delectationum, voluptatis prsecipue ; c'est le renoncement libre et volontaire à tout plaisir, de la chair surtout, ou à la volupté. La perfection de cette vertu est la virginité, qui renonce même aux plaisirs permis ou légitimes. Il y a une pureté de corps, une pureté de cœur et une pureté d'esprit ; les trois réunies constituent la pureté absolue, la parfaite chasteté.

    D'après saint Thomas, cette vertu ne peut exister dans une âme, sans la modestie, la pudeur, la retenue, qui en sont comme les parties intégrales, et qui, la gardant comme de fidèles compagnes, révèlent toujours sa présence en nous.

    Cette vertu est d'autant plus glorieuse, qu'elle est plus difficile aux hommes ; car les hommes, qui sont nés de la terre et qui touchent à la terre, sont bien différents des anges, purs esprits, qui sont du ciel et dans le ciel.

    C'est aussi pour cela que Dieu l'a toujours tant aimée, et qu'il la comble de ses plus grands bienfaits. Ceux qui sont purs vivent dans sa lumière, dans sa paix et dans la joie de son divin Esprit. Mais tous ne sont pas appelés à cette haute perfection de la virginité : non omîtes capiunt verbum istud (Matth. xix, 11). Aussi faut-il bien distinguer entre le précepte et le conseil.

    Le précepte : On doit éviter tout ce qui peut blesser la vertu de pureté et de chasteté : les pensées, les sentiments, les désirs, les regards, les paroles, les actions. Hélas ! et c'est pour manquer à ce précepte saint, que la plupart des hommes se perdent, a dit le grand pontife de Reims, saint Remi : propter vitium camis pauci salvantur.

    Le conseil porte celui qui l'a entendu et compris, à se priver pour toujours de tous les plaisirs même permis. Alors on vit dans l'état de virginité parfaite, à l'imitation de Joseph et de Marie, et c'est une gloire et un bonheur incomparables, même sur la terre.

    Remarquez bien qu'il est de foi définie au Concile de Trente, que cet état de virginité est non-seulement plus saint, tout le monde le croit facilement, Sanctius, mais aussi plus heureux que l'état de mariage, et Beatius ; et c'est ce que peu de personnes savent et peuvent comprendre : sed quibus datum est .... Oh ! oui, elle est belle cette génération pure : oh ! quam pulchra est ! belle même ici-bas ; on la voit s'élever comme le lis au milieu des épines, au sein de la boue, mais qu'elle est belle surtout dans les cieux, où sa gloire sera immortelle devant Dieu et devant les hommes ! Oh ! quam pulchra est casta generatio cum claritate, immortatis est enim... (Sap. iv, 1). On ne peut s'empêcher d'admirer cette grâce de la pudeur sur le front d'un jeune homme ou d'une jeune fille ; la pureté, dit saint Bernard, est comme l'éclat d'une pierre précieuse, comme le feu d'un diamant superbe, qui brille dans les traits de ces anges de la terre : Quam pulchra et splendida gemma verecundia in vultu adolescentis !

    Mais hélas ! cette vertu sainte n'est-elle pas précieuse aussi parce qu'elle est extrêmement rare ? Comment pourrait-il en être autrement, pour ceux qui sont condamnés à vivre au milieu des dangers de ce monde pervers ! Comment y garder et sauver ce trésor de l'innocence, quand tout cherche à nous le ravir ? quand tout ce que l'on voit, tout ce que l'on entend, quand l'air même que l'on respire est comme rempli et imprégné de ce poison du mal, et souillé par le vice impur ?

    Nous allons pourtant essayer de défendre et de protéger les âmes contre cet ennemi, le plus redoutable de tous.

    II. Pour arriver à la perfection de cette vertu de pureté, commencez par vous persuader d'une chose, c'est qu'il n'y a pas de combat plus difficile dans la vie chrétienne, et que sans cesse il vous faudra lutter : contendite, resistite, efforcez-vous, résistez de toutes vos forces, dit le saint Apôtre.

    Mais avec quelles armes ? Jésus-Christ même l'a révélé en deux mots : vigilate et orale, veillez et priez ; cette parole nous apprend tout ce qu'il faut pour être purs, ce qu'il faut faire : la vigilance, quid vitandum; et la prière, quid agendum.

    1° Quid vitandum : Il faut éviter le monde, fuir les occasions du péché qu'on y trouve partout, dans ses fêtes et ses plaisirs les plus vantés. Oui, malheur au monde : Vse mundo ! Malheur, parce qu'il séduit et trompe, parce qu'il entraine et perd une foule d'âmes !... Ah ! mon frère, que je vous plains d'être obligé de vivre au milieu de tous ces dangers, et comme dans le feu ! mais aussi pourquoi vous exposer ? Pourquoi aller chercher la mort dans ces soirées brillantes, dans ces bals et ces spectacles ! ne savez-vous donc pas qu'il n'y a rien de plus inflammable que le cœur de l'homme ? On en a vu brûler même au désert et loin de toutes ces vanités. On se souvient encore de ce qu'on a vu, et quelquefois on désire, on souffre, on lutte avec peine, on regrette ce que l'on a aimé, malgré les larmes et le sang de la pénitence... Jérôme s'en plaignait amèrement ; les plus grands saints en ont gémi, et vous, comment pourrez-vous faire ? comment espérer de ne pas brûler, quand vous vous jetez au milieu des flammes ! Elles vont vous dévorer certainement, si vous n'avez pitié de votre âme.

    Quid vitandum. Vigilate, veillez sur votre cœur, mais aussi gardez vos yeux. Ne touchez pas à ces livres, à ces romans où déjà vous avez trouvé la mort ; craignez ces entretiens dangereux et ces danses voluptueuses ; évitez, fuyez le péril, ou vous allez mourir. Vous goûterez comme tant d'autres ce fruit amer, ce fruit cruel de la volupté, oui, plus amer que le fiel, dit saint Jérôme, et plus cruel qu'un glaive acéré : Quam acerbus est fructus luxurise, elle amarior, crudelior ferro !... N'a-t-elle pas fait plus de victimes dans le peuple que toutes les pestes, plus de victimes dans nos armées que toutes les guerres et les batailles les plus sanglantes.

    2° Quid ayendum. Je l'ai dit : priez, pour vaincre le mal : Orate, Deus adjuvat utvincas, dit saint Augustin, et Dieu vous donnera la victoire. Recourez, comme ce saint docteur, aux plaies de Jésus, cachez-vous dans son Cœur : Ad vulnera Christi confugio. Je vous recommande surtout la prière à Marie : Trois Are Maria en l'honneur de sa Conception immaculée, le Souvenez-vous ; la petite prière : Per sanctissimam virginitatem, etc. Par voire sainte virginité, etc., ou l'invocation si contre -.O Marie conçue sans péché, etc. Toutes ces prières font des miracles chaque jour et suffisent pour éteindre le feu impur... Faites-en donc l'essai au premier choc de l'ennemi, et vous verrez !

    Je ne puis m'empêcher de dire aussi un mot des sacrements. La confession prévient ou guérit ces tristes blessures. La communion, pain des anges, pain des forts, purifie le cœur, y fait germer la virginité même ; vous serez étonné de la facilité de la victoire ; essayez.

    Un autre moyen encore, c'est le travail ; le démon n'a pas de prise sur une âme occupée, il ne peut entrer dans une place ainsi défendue et fermée. Quand on est sur ses gardes, il a peur, et n'ose même pas s'approcher : setnper te occupatum diabolus inveniat, dit saint Jérôme. Courage donc ; travaillez avec ardeur, et vous serez pur.

    Enfin, un peu de mortification : Jésus-Christ même a dit : Ce n'est que par la prière et le jeûne que l'on peut chasser ce genre de démons : Hoc autem genus (dsmoniorum) non ejicitur, nisi per orationem et jejunium (Matth. xvii, 20). Il faut donc mater le corps, mortifier cette chair rebelle, et vous serez chaste. Dieu alors vous aimera à cause de l'innocence de votre cœur : Qui diligit cordis munditiam..., habebit amicum regem (Prov. xxu, 11).

    Terminez cet exercice par un colloque fervent à Jésus, Marie, Joseph, pour obtenir cette belle vertu.

    — A Jésus, agneau de Dieu que les vierges suivront partout dans la gloire,

    — à Marie immaculée, reine des anges et reine des vierges,

    — à Joseph, lis de la terre et chaste époux de la Vierge sainte. La seule invocation de ces trois noms bénis : Jésus, Marie, Joseph, suffit souvent pour ramener la paix dans un cœur, et assurer la victoire sur l'enfer. Dites-les avec confiance, à l'heure de la tentation.

    DIX-HUITIÈME JOUR

    L'HUMILITÉ


    Celui qui s'humilie, sera exalté.

    (Luc. XIV, 11.)

    Pour le dernier jour de cette neuvaine, nous devons donc étudier la vertu d'humilité, dans les exemples de saint Joseph, notre glorieux protecteur. Mais, dans l'ordre des dons célestes, on peut dire que cette vertu tient le premier rang, et qu'elle est peut-être la plus excellente de toutes celles que nous avons admirées dans ce grand saint. Ce n'est pas une vertu cardinale, puisqu'on n'en compte que quatre, mais, s'il fallait la désigner par un nom particulier et qui pût, en quelque manière indiquer ses fonctions dans l'œuvre de la sanctification des âmes, il nous semble qu'on devrait l'appeler une vertu capitale ou fondamentale, la plus essentielle de toutes enfin, Car les saints Pères n'ont pas hésité sur ce point : caput virtutis humilitas, dit saint Jean Chrysostome ; c'est la source et le fondement de la sainteté ; et saint Basile enseigne qu'elle renferme le trésor le plus sûr de toutes les perfections : tutissimus virtutum thesaurus.

    Il n'y a rien de plus admirable, et, j'oserais dire, de plus regrettable que l'humilité de saint Joseph. Qu'a-t-il fait cet homme juste ?... Qu'a-t-il dit ?... Nous ne savons presque rien de cette vie céleste. Nous n'avons pas un mot de lui. Et cependant, nous pouvons croire qu'il fut le plus saint, le plus parfait de tous les hommes, puisqu'il a été choisi pour être l'époux de la sainte Vierge, et le père nourricier, le gardien, et en quelque sorte le maître de son Dieu.

    C'est précisément, parce qu'il était le plus humble, qu'il a été appelé à cette gloire. Quelle vie que celle de Nazareth ! Quels prodiges de sainteté ! Et pas un mot ! On ne sait rien ; l'Évangile garde le silence ; mais aussi quelle perfection, quels mérites dans le ciel ! Jésus, Marie, Joseph, cachés, inconnus et humiliés sur la terre, sont exaltés, glorifiés ensemble dahs les cieux ; si vous méditer bien ces paroles, elles seront une lumière pour votre àme : Qui se humiliat, exaltabituri

    Il faut apprendre aujourd'hui I. à connaître, Il; à aimer, III; à pratiquer la vertu d'humilité.

    I. Connaître : Qu'est-ce que l'humilité ?

    C'est, en un mot, le mépris de soi-même et plus simplement encore, c'est la vérité. Ce mépris a pour raison la connaissance de notre misère, de notre néant, et le souvenir de la grandeur même de Dieu. Lorsque l'ange superbe a dit dans son cœur : je monterai, ascendam, et qu'il a voulu prendre la place de ce grand Dieu, il a menti : in veritate non stetit (Joan. vu, 44) ; et il a été aussitôt humilié, précipité de la gloire.

    Au contraire, quand la Vierge Marie a dit : Je suis la très-humble servante du Seigneur : Ecce ancilla Domini (Luc. i, 38 ), elle a été fidèle à la vérité, et elle a été exaltée, glorifiée : le Seigneur fait aussitôt en elle de grandes choses ; elle a mérité de devenir la mère de son Dieu.

    Il y a une humilité d'esprit et une humilité de cœur.

    La première, c'est la pensée, la vue et même le sentiment de notre faiblesse, de notre néant ; et il faudrait être aveugle ou insensé pour ne pas voir, comprendre et sentir cela ; aussi bien n'est-ce pas la vertu proprement dite, quoique ce soit déjà une grâce de Dieu, et elle n'est pas donnée à tous.

    La seconde,l'humilité de cœur est l'acquiescement à cette vue, à ce sentiment, intime de notre misère, et aussi aux justes conséquences de cet état, c'est-à-dire, au mépris de nous-mêmes, qui nous fera rester à notre place d'abord, et désirer même de nous abaisser. Pénétrée de cette pensée et du sentiment vrai de sa faiblesse, de son néant, l'âme fidèle n'aspire qu'à se soumettre aux autres ; elle obéit avec bonheur, elle accepte en silence, avec joie, les humiliations, les mépris du monde ; et nous verrons que ce sont là en effet les œuvres principales et les degrés même de cette belle vertu.

    Cette définition de l'humilité suffit aussi pour apprendre à distinguer la vraie vertu dela fausse : est Veritas. La vraie se tait, l'autre aime à parler ; l'une se cache, l'autre veut paraître. Il y a des personnes qui veulent absolument parler d'elles-mêmes, qu'on s'occupe d'elles ; elles en diraient du mal plutôt que de se taire : c'est évidemment un orgueil mal déguisé ; faites seulement semblant de les croire, et vous le verrez bien, elles s'emporteront aussitôt : tandis que Marie, avec humilité et reconnaissance, ne craint pas de dire : Fecit mihi magna qui potens est..., et Respexit humilitatem ancills e sux (Luc. i) ; Le Seigneur tout-puissant a fait en moi de grandes choses, etc. Voilà l'humilité vraie, qui reconnaît d'une part son indignité, mais qui rend grâces à Dieu de ses bienfaits.

    Le vice opposé à cette vertu est l'orgueil, et c'est le plus dangereux de tous, puisqu'il détruit tout bien, et enfante mille iniquités dans le cœur de l'homme : initium omhis pecccati superbia (Eccl. x, 15).

    Autant Dieu aime l'humilité, autant il déteste l'orgueil ; il a en horreur ces pauvres superbes et il les jette dans la nuit, ou bien il les laisse tomber dans la boue, c'està-dire qu'ils deviennent incrédules ou libertins, impies ou de grands impudiques, le plus ordinairement même ils sont l'un et l'autre... et toujours bien misérables, dit saint Augustin : magna miseria homo superbus.

    D'après saint Thomas, les parties intégrales de l'humilité sont la simplicité, la réserve, la retenue, la discrétion, la modestie ; l'orgueil au contraire enfante dans une âme mille et mille misères, de vanité, de présomption, d'arrogance, d'ambition, d'envie, de jalousie, de mensonges, etc., etc., etc. Initium omnis peccati superbia.

    Il Pour apprendre à aimer cette vertu d'humilité, il suffira de la montrer et de l'étudier dans le Cœur de Jésus, et de prouver combien il l'aime dans le nôtre. Et d'abord, c'est toute la leçon de notre maître. Apprenez de moi, dit-il, que je suis doux et humble de cœur. Toute sa vie n'a été qu'un exemple d'humilité, d'anéantissement : humiliavit.., exinanivit semetipsum (Phil. n, 8).

    — Méditez les mystères de sa vie cachée à Nazareth : erat subditus (Luc. n, 51). Il était soumis ; un Dieu, pauvre ouvrier pendant trente ans !

    — Méditez les mystères encore plus étonnants de la mort de ce Dieu sur une croix ! Il a été outragé, flagellé, traité de fou, crucifié ; et il se taisait !... Comment après de tels exemples un homme, un ver de terre oserait-il s'élever et s'enfler d'orgueil ?... Comment pourrait-on ne pas aimer à se cacher, à s'humilier avec Dieu et pour Dieu !... Ama nesciri et pro nihilo reputari (Imit.).

    Voici une autre considération moins élevée peut-être, mais plus directement personnelle encore et dans nos intérêts les plus essentiels. Je veux dire que l'humilité est la condition sine qua non de notre salut, de notre bonheur, de notre gloire. Dieu même l'a dit, il résiste aux superbes, mais il donne sa grâce aux cœurs humbles. Il ne connaît que de loin ce qui est fier et orgueilleux. Toutes ces paroles sont divines, et saint Augustin les interprétant, ajoute : Si vous vous humiliez, Dieu descend jusqu'à vous ; si vous vous élevez, il s'enfuit loin de vous, si loin qu'il ne vous verra et ne vous entendra plus... Citons les textes, cela est trop important, pour ne pas obliger le lecteur à y penser un peu sérieusement. Deus superbis sistif, humilibus autem dat gratiam (Jac. iv, 6). Deus alla a longe cognosdt (Ps. cxxxvn, 6). Humilias te, Deus descendit ad te; erigis te, et fugit a te (Saint Aug.).

    Mais la raison capitale en ce sujet, c'est la loi même et la règle de la conduite de Dieu avec les hommes ; loi juste et éternelle, régle générale et sans exception. Voici le texte de cette loi, la formule étonnante de cette régle... qui se humiliat exaltabitur, ou, si vous aimez mieux : Deposuit potentes, et exaltavit humiles (Luc. i, 52) : encore plus simplement et avec plus de force : ea quse non sunt (I Cor. i, 28).

    — C'est-à-dire que Dieu glorifie ce qui est humble, que Dieu rejette ce qui se croit capable, puissant, pour exalter ce qui est petit et faible ; qu'il n'emploie que ce qui n'est rien, qu'il ne se sert jamais que de ce qui n'est rien, qu'il ne travaille qu'avec et sur le néant : ea quse non sunt ! C'est la loi, la régle, la condition même ; loi sans exception, règle éternelle, condition nécessaire, essentielle : ea qux non sunt !

    Si vous voulez faire quelque chose de grand, et que Dieu daigne un jour se servir de vous, humiliez-vous, abaissez-vous, anéantissez-vous, commencez par n'être plus rien.

    Plus vous serez petit, anéanti, plus vous serez digne d'être associé à l'œuvre de Dieu. Dans toute l'histoire du monde, dans les annales des siècles, et dans tous les ordres des opérations divines, au livre de l'Ancien Testament comme dans le Nouveau, je vous défie de trouver une seule exception : eu qus e nonsunt... et exaltavit humiles. Rappelez-vous seulement quelques noms : Moïse, Samuel, David, Judith, Esther ; et plus près de Jésus : Marie, Joseph, les apôtres ; et encore plus près de nous : Geneviève, François d'Assise et de Borgia ; et nos derniers saints, un mendiant, une petite servante : Benoît-Joseph Labre,Germaine Cousin !

    Plus vous méditerez ces lois saintes, plus vous aimerez l'humilité, et plus vous désirerez travailler à conquérir cette belle vertu.

    III. Pour arriver à la pratique de l'humilité vraie, de l'humilité du cœur, il y a plusieurs moyens. Le premier, c'est la réflexion ; quoiqu'il semble d'abord qu'elle ne peut nous conduire qu'à l'humilité d'esprit, elle finit toujours par loucher aussi le fond de l'âme. Vous méditerez seulement ces mots : Quis ut Demi... Quid est hotno ?... Tuquis es ?... Quo vadis ?...Quidsuperbis, terra et cinis ?... Qui est semblable à Dieu ?... Qu'est-ce que l'homme ? Et vous, qui êtes-vous ?... où allez-vous ?... Cendre et poussière devant Dieu, malheureux pécheur aujourd'hui et demain peut-être damné !.. De quoi pourriez-vons donc vous glorifier, vous enorgueillir ? HumiHatio tua in medio tui (Mic. vi, 14). C'est ainsi que vous trouverez dans votre sein la raison de vous humilier et de vous anéantir, lors même que vous auriez été comblé des dons de Dieu, car enfin, si vous avez tout reçu, de quel droit vous élèveriez-vous ? Si vero accepisti, qaid gloriaris ? (I Cor. iv, 7).

    Le second moyen, c'est la prière. Ne soyez pa ? un pauvre honteux devant Dieu ; ce sont les plus malheureux de tous, ceux qui cachent leur misère et n'osent demander. Le Seigneur vous aurait en horreur : Pauperem superbum odit (Eccl. xxv, 4). Priez, priez sans cesse, adressez-vous au Cœur de Jésus : Jesu, mitis et humilis corde, fac cor meum secundum Cor tuum... Au cœur de Marie, si douce et si humble : Mer omnes mitis, mites fac et castos... Invoquez notre bon saint Joseph et les autres saints, qui à son exemple ont excellé dans cette vertu.

    Le troisième moyen, c'est l'action, ou la vie pratique de l'humilité même. Faites monter votre âme par les degrés admirables de cette vertu jusqu'à la perfection.

    Or, voici les principaux degrés, d'après l'Ange de l'école, saint Thomas d'Aquin : Avant tout éviter l'orgueil, la vanité, l'ambition, l'amour-propre et ne point parler de soi-même.

    Craindre Dieu, Se soumettre à sa volonté, obéir à sa loi, se plier aux ordres de ceux qui ont autorité sur nous.

    — Souffrir les mépris sans murmures, en silence.

    — Aimer, rechercher les humiliations ; les goûter avec bonheur, s'en rassasier avec joie : Tacitus pati, libenter ferre ! Ama nesciri et pro nihilo reputari ; aimer à vivre dans l'oubli, se réjouir d'être regardé comme rien ; c'est la perfection et le vrai bonheur.

    0 malheur ! ô honte des esprits superbes, des cœurs orgueilleux ! Dieu rejette et maudit ces animaux de gloire : oui, ils tomberont dans la nuit ou dans la boue. Que dis-je? ils y ont été précipités... C'est là toute la philosophie de l'histoire du monde : l'orgueil enfante le libertinage, et l'impureté plonge le flambeau de la foi ou l'éteint dans la fange.

    0 bonheur ! ô gloire de l'humilité ! Dieu se révèle aux esprits humbles ; Dieu se donne aux cœurs simples ; il les exaltera et les glorifiera dans le ciel, en proportion même de leurs abaissements et de leurs anéantissements sur la terre.

    Vous terminerez cet exercice par une prière fervente à Jésus, Marie, Joseph, pour obtenir cette belle vertu, et souvent pendant le cours de cette journée, vous répéterez cette oraison jaculatoire : O Cœur de Jésus, etc.

    Cœur de Marie, abîme d'humilité, priez pour moi... O saint Joseph, méprisé des hommes, mais si grand aux yeux de Dieu, priez, priez pour moi !

     

    TROISIEME NEUVAINE

    OU NEUVAINE DES PATRONAGES DE SAINT JOSEPH

    DIX-NEUVIEME JOUR

    Saint Joseph protrecteur spécial des quatre âges

    Vous m'arracherez au piège parce que vous êtes mon protecteur. (Ps. XXX. 5.)

    Une confiance sans borne, voilà le but de cette troisième neuvaine, que nous appellerons la neuvaine des patronages.

    Or, la base, la raison même de cette confiance, c'est la puissance et la bonté de saint Joseph : nous l'avons déjà dit au jour de l'ouverture de ce mois.

    Il ne s'agit donc plus maintenant pour nous que de considérer l'exercice de ce glorieux protectorat, ou l'action directe et incessante de cette puissance et de cette bonté de saint Joseph sur le monde, sur la famille, sur l'Eglise entière, pour prouver que tous peuvent et doivent toujours espérer en lui. Ces sujets de méditations éminemment pratiques nous feront toucher à la vie intime de ceux, qui voudront y entrer sérieusement avec nous.

    Aujourd'hui, nous dirons simplement que saint Joseph est l'ami et le défenseur des chrétiens, dans les quatre âges de la vie : l'enfance, la jeunesse, l'âge mûr et la vieillesse. C'est comme si nous disions qu'il est le protecteur de tous les hommes, et tous, en effet, ont un besoin extrême de son puissant secours.

    La vie de l'homme sur la terre est pleine de misères : c'est une guerre à mort, un combat sans trêve, sans relâche (Job, VII. 1)

    A tout âge, il y a des dangers, des douleurs et des ennemis ; il nous faut donc un guide sûr, un ami fidèle, en un mot un bon protecteur : c'est saint Joseph ; c'est lui qui nous apprendra à combattre, à souffrir, pour éviter les pièges de l'enfer et les menaces de la mort.

    Nous trouverons toujours dans la vie de ce grand saint les exemples des vertus qui conviennent à ces différentes époques de notre existence, et, par conséquent, des raisons particulières et spéciales pour augmenter notre confiance en lui.

    I. L'enfance - Le saint Evangile, la tradition même n'a rien conservé des premières années de saint Joseph ; mais nous ne pouvons douter que sa naissance n'ait été immaculée. Ce privilége était dû à la gloire des destinées de ce saint patriarche, dit Suarez.

    Marie seule a été conçue sans tache. En qualité de mère de Dieu, il était impossible qu'elle fût, même un seul instant, souillée du péché : cette vérité, toujours crue dans l'Église de Dieu, a été solennellement définie comme article de notre foi par l'immortel Pie IX.

    Nous ne disons pas que saint Joseph ait participé à cette gloire incomparable ; jamais l'Église ne l'a enseigné, mais nous ne pouvons nous empêcher de répéter, avec un grand nombre de pieux auteurs, qu'il a été au moins sanctifié dans le sein de sa mère, comme l'ange précurseur de Jésus, puisqu'il devait être le père nourricier et le gardien fidèle de ce Dieu-homme.

    Cette grâce antécédente, ou prévenante, ainsi que parle la théologie, était bien justement réservée, elle était due en quelque sorte à cet homme éternellement prédestiné pour être l'époux de la Vierge très-pure et le protecteur même d'un Dieu, qui lui donnera le nom de père.

    De quelles grâces fut donc remplie l'âme de Joseph ! et de quelles vertus il dut être orné dès le berceau ! C'est une raison touchante pour lui consacrer les petits enfants, pour se hâter de les mettre sous sa puissante protection, et pour leur apprendre à l'invoquer, aussitôt que leur langue, dégagée des premières entraves, pourra prononcer ce nom si doux de Joseph.

     

    De plus, il a élevé lui-même l'Enfant-Dieu... Joseph a été le témoin heureux de ses rapides progrès dans la sagesse et dans toutes les vertus de cet âge. Il a pu admirer la ferveur de sa prière, la perfection de son obéissance... Il a nourri, soigné, protégé le divin Enfant Jésus. Il l'a sauvé de la fureur d'un roi jaloux, du cruel Herode. Il l'a porté mille fois sur son cœur, et alors, quels regards ! quels sourires pleins de tendresse !... Jésus lui parlait avec une douceur ravissante et le caressait avec amour. Joseph était fier et heureux d'avoir un enfant si beau, si affectueux et si parfait.

    Eh bien, c'est encore une raison pour qu'il soit invoqué comme le protecteur et l'ami des petits enfants. Il les protégera contre mille dangers qui les menacent dès le berceau. Il les sauvera de la rage de l'enfer, qui déjà voudrait pouvoir altérer en eux l'image du Dieu créateur. Il leur fera éviter tous les piéges que le démon va se hâter de tendre sous leurs pas... Pères et mères qui lisez ce livre, vous vous empresserez donc de lui consacrer vos enfants ; vous leur apprendrez à le prier. Que les noms de Jésus, Marie, Joseph soient sur leurs lèvres ; qu'ils aiment à les prononcer ; que souvent ils baisent leur image sainte. Ils seront bénis de Jésus, chéris de sa mère, et Joseph les délivrera, les protégera, les sauvera !

     

    II. La jeunesse. — C'est l'âge le plus terrible bien certainement ; c'est, comme on dit l'âge des passions. Il y a tant de victimes de ces premiers délires et des séductions de la vie, que les parents chrétiens ne peuvent voir, sans trembler, leurs enfants grandir. Dans ces justes préoccupations et ces alarmes, ils ne cessent de demander qui pourra protéger leur innocence, et sauver ces chères âmes du danger. C'est saint Joseph encore : educes me de laqueo.

    Il y a en effet deux grandes passions qui s'élèvent en même temps, et qui troublent l'esprit et le cœur de la jeunesse : un désir étonnant de liberté et un amour effréné des plaisirs sensuels. Je vais dire pourquoi saint Joseph doit défendre les jeunes gens contre ces deux ennemis.

    Et d'abord, le désir de la liberté. Bien que cette remarque ait été faite de tout temps et chez tous les peuples du monde, on ne peut encore s'empêcher d'en être toujours surpris, car cette passion éclate soudain à quinze ans, quelquefois même à douze, comme un feu de volcan. Le jeune homme, impatient du joug, résiste à toute autorité et voudrait briser toute loi. S'il ne peut s'affranchir pleinement, il échappe avec adresse, ou bien il s'agite avec violence ; il n'obéit qu'avec murmure ; il ne cède qu'à la crainte ; il ne se courbe que par force. Dans cette soif d'indépendance, il y a des enfants qui, aussitôt après la première communion, veulent déjà sortir seuls, au mépris même des convenances de leur position, malgré les ordres répétés de leurs parents, et les plus justes exigences de famille. La vue, la compagnie d'un précepteur les irrite : ils s'éloignent, pour faire croire qu'ils ne sont plus sous la surveillance... Que dis-je ? il y a des enfants qui préfèrent sortir seuls, plutôt qu'avec leur mère ; ils l'aiment bien encore pourtant, mais ils aiment mieux la liberté... C'est un danger immense, qui entraîne ordinairement la jeunesse imprudente, et qui la brise contre le second écueil.

     

    L'amour des plaisirs. — Un feu, un feu impur commence à s'allumer dans le cœur, et menace de tout dévorer... On voit le reflet de ces flammes dans le regard, qui paraît sombre et inquiet... et la fumée va bientôt couvrir de nuages les pensées mêmes de la foi... Que de folies à cet âge ! que d'âmes se perdent ! et combien, après avoir bu quelques gouttes à ce calice empoisonné de la volupté, tombent dans une honteuse ivresse et vont mourir dansla fange !... Qu'ils sont rares ceux qui échappent à ce piége, à cette mort ! Qui pourra servir de guide, de protecteur à la jeunesse ?

     

    Pères et mères, enfants, qui lisez ce livre, n'en doutez pas, c'est saint Joseph qui vous sauvera de ce malheur. Joseph heureux témoin de l'adolescence de Jésus, témoin de ses vertus, et tout-puissant sur son divin Cœur, vous couvrira du manteau de sa protection. Il obtiendra à ces jeunes âmes la double grâce de l'obéissance et de la pureté.

    Nous pouvons ici parler avec d'autant plus de confiance, que nous avons eu souvent l'occasion de constater ce fait, et que nous avons été nous-même témoin de ces merveilles. On lit dans le livre de Patrignani que, dans les collèges de la Compagnie de Jésus, la dévotion à saint Joseph, et plus particulièrement les prières qu'on lui adressait pendant le mois de mars, et surtout les neuvaines que l'on faisait pour préparer les élèves à ses deux fêtes, du 19 mars et du patronage, étaient un des moyens les plus efficaces, pour donner à ces maisons l'esprit de régularité, et inspirer à toute cette jeunesse l'amour des deux vertus les plus précieuses à cet âge, l'obéissance et la pureté.

    Le pieux auteur de ce livre ajoute que, tous les ans, à cette époque, on remarquait un grand nombre de conversions, et qu'on admirait une augmentation de ferveur dans les enfants de ces pensionnats ; grâces que l'on ne pouvait attribuer qu'à la protection singulière de saint Joseph.

    Eh bien, ce que dit Patrignani, je puis l'affirmer moi-même avec vérité. Dans le séminaire de Saint-Acheul, où j'ai eu le bonheur d'être élevé ; plus tard, au collège du Passage en Espagne, où j'ai été comme professeur, tous les ans, à l'époque de la fête de saint Joseph, et de ses deux neuvaines solennelles, il m'a été donné de constater les mêmes effets de la grâce dans le cœur des jeunes élèves : les victoires leur étaient devenues si faciles, qu'on ne pourrait l'expliquer, sans un secours tout-puissant dû à l'intercession de ce bon saint Joseph.

    III. L'âge mûr. — Ce devrait être l'âge de la parfaite raison et de la force. L'homme a déjà un peu d'expérience ; déjà il a combattu et souffert : il doit avoir triomphé du monde et de ses folles passions... Mais hélas ! à cette heure de la vie, il n'arrive que trop souvent de voir les chrétiens succomber à des périls nouveaux. Les uns ferment les yeux à la lumière de la foi... et les autres donnent leur cœur aux préoccupations de la terre, ou bien ils usent leurs forces dans le vain travail des affaires. C'est encore saint Joseph, qui pourra protéger et défendre ces pauvres enfants de Dieu et les sauver.

    Donc, pour les uns, c'est le danger de l'incrédulité. Des hommes, dont la vie même est un profond mystère, se prennent à raisonner sur la parole de Dieu et sur les vérités de la religion ; et, comme les passions font monter des nuages dans leur esprit, et que ces nuages finissent bientôt par obscurcir le flambeau de la foi, ils commencent à douter ; ce doute leur plaît, parce qu'ils auraient intérêt à croire que ce qu'on leur a dit n'est pas vrai, l'enfer, par exemple, et l'éternité. Ils s'habituent à répéter dans leur cœur que peut-être Dieu n'est pas, qu'il n'y a pas d'enfer, pas d'éternité ; et c'est là, pour tous ceux qui tombent dans l'impiété,la vraie source du mal... On n'a pas encore vu un seul incrédule qui ait pris une autre route pour arriver à ces ténèbres.

    Eh bien, saint Joseph préservera de la cause d'abord de ces doutes funestes ; et, dans le cas où déjà on aurait eu le malheur de perdre la foi, si on l'invoque avec confiance, il ramènera les esprits dans la voie de la vérité, lui qui a conservé ce don du ciel avec tant de fidélité et dans un cœur si pur. Priez-le donc, ô vous qui voyez déjà les saintes splendeurs de la foi diminuer dans votre âme, et vous, qui avez perdu cette divine clarté, pauvre aveugle, priez saint Joseph, il vous sauvera de la nuit de l'incrédulité, il vous reconduira dans l'admirable lumière des enfants de Dieu.

    Les autres, sans avoir vu s'éteindre en eux ce flambeau sacré de la foi, ont été exposés à un danger plus grand encore peut-être, c'est celui de l'indifférence ; ils ont détaché leurs yeux du ciel, pour les fixer sur la terre ; ils ne pensent plus qu'à cette vie matérielle et du temps : il n'y a plus rien pour l'âme, rien pour Dieu, rien pour l'éternité. Ils veillent et ils s'épuisent dans un vain et incessant travail pour acquérir, amasser, conserver les richesses de la terre ; ils usent toutes les forces de leur esprit et de leur cœur dans les affaires et les intérêts du monde. La pensée de leur âme, le soin du salut n'entre plus pour rien dans leur vie ; ils sont indifférents, insensibles à ces choses, dont ils n'ont plus ni l'idée, ni le goût ; ce sont des âmes mortes, des cœurs éteints. N'est-il pas vrai que c'est là le danger de l'homme parvenu à cet âge mur, à quarante ans ?

    Eh bien, je dis que la dévotion à saint Joseph préservera de ce malheur de l'indifférence tous ceux qui le prieront, et ceux pour qui on l'invoquera avec confiance. Lui aussi, en effet, et à cet âge précisément, il a bien été obligé de se préoccuper des affaires matérielles et des intérêts de sa petite famille. Il a été obligé de travailler pour gagner sa vie, pour nourrir sa céleste épouse Marie et son divin Enfant Jésus ; mais il n'a jamais cessé de vivre pour Dieu, et de mériter pour l'éternité. Il travaillait avec d'autant plus d'ardeur, qu'il était plus animé de cette pensée de foi et du désir d'amasser des trésors dans le ciel.

    C'est pour cela même, et afin d'honorer cette admirable fidélité de Joseph, et pour nous animer par le souvenir de ses vertus, qu'il a toujours été choisi pour patron et protecteur spécial de toutes les associations d'hommes et des pères de famille, qui veulent, à son exemple, servir Dieu et se sanctifier par le travail. Il n'y a pas, dans l'Église de Dieu, une seule association ou confrérie d'hommes qui ne l'honore d'un culte particulier et qui ne l'invoque comme le premier et le plus puissant protecteur.

    IV. La vieillesse a toujours été regardée comme l'âge de la sagesse et de l'expérience.

    Il semble, en effet, qu'au lieu d'avoir besoin de secours et de protection, le vieillard devrait plutôt servir de guide et de lumière aux autres par ses conseils. On dit dans toutes les langues : un sage vieillard, un vieillard prudent, comme si l'on ne pouvait séparer ces deux idées... Mais, hélas ! que de vieillards enfants ! enfants de cent ans : puer centum annorum (Is. Lxiii, 20), qui n'ont rien appris, et surtout qui n'ont rien fait de grand ou d'utile pour l'éternité !

    D'abord, il est écrit que, même en vieillissant, l'homme ne sort guère de la voie où il a commencé à marcher : adolescens juxta viam suam etiam cum senuerit,-non recedet ab ea (Prov. xxu, 6). Or, comme l'enfance et la jeunesse surtout s'engagent témérairement dans les sentiers de l'iniquité, et s'égarent dans la route des plaisirs coupables, bien peu d'hommes, sur le déclin de la vie, reviennent à Dieu et renoncent à ces vanités et à ces désordres.

    De plus, on en voit d'autres qui, après avoir évité ces premiers dangers de la jeunesse, après avoir su s'affranchir de l'esclavage des grandes passions de la volupté et de la richesse, se laissent tromper aux derniers jours, et tombent dans la boue. C'est ainsi que Salomon, si sage, si prudent, les premières années de sa puissance, s'est laissé séduire dans la vieillesse et a souillé ses cheveux blancs.

    La foi nous donnera bien des raisons qui expliquent le mystère de ses chutes déplorables ; mais il nous suffira d'en indiquer deux. La première est sans doute la vaine présomption ou l'orgueil des pensées, qui s'empare de ces hommes. Ils se croient à l'abri des tentations, au-dessus des passions humaines ; ils mettent leur confiance en eux-mêmes ; ils négligent de prier et de veiller. Dès lors Dieu se retire et les abandonne à leur propre faiblesse ; ils ne peuvent plus que tomber.

    Et puis, l'ennemi de Dieu, le perfide Satan, qui avait laissé ces âmes dans la paix pendant quelque temps, voyant que les jours se précipitent, et que bientôt l'heure de l'éternité va sonner pour elles, se hâte de leur livrer des combats plus terribles, et s'efforce de les faire tomber dans ses pièges ; car, s'il remporte la victoire, il est presque sûr qu'elles ne se relèveront plus. Il faut donc à cet âge de la vieillesse un secours puissant, il faut un protecteur. C'est saint Joseph qui la sauvera.

    Nous pourrions encore donner une autre rai son toute spéciale de la protection de ce grand saint. Le vieillard ne peut être loin de la mort, il marche devant elle, il n'en est séparé que d'un pas, et saint Joseph étant le patron des chrétiens à l'heure de la mort, doit nécessairement protéger la vieillesse.

    Aussi n'y a-t-il pas un seul asile de vieillards dont il ne soit le premier et le principal patron. On voit sa douce image partout dans ces pieuses maisons où l'on recueille la vieillesse indigente. Quand les petites sœurs des pauvres ont commencé à prendre pour enfants tous ces vieillards, hommes et femmes, qu'elles nourrissent avec tant de charité et de tendresse, c'est saint Joseph qu'elles choisirent pour leur père. Il est le protecteur de tous leurs établissement, et jamais il n'a manqué de justifier pleinement ces titres par des grâces de choix et des prodiges de miséricorde.

    Donc, ô mon cher lecteur, qui que vous soyez, quel que soit votre âge, consacrez-vous à saint Joseph. Choisissez-le pour patron, invoquez-le tous les jours, et, jusqu'à la fin de la vie, mettez en lui votre confiance. Il vous protégera, il vous sauvera !

    VINGTIÈME JOUR

    SAINT JOSEPH PROTECTEUR SPÉCIAL DES PAUVRES
    ET DES RICHES

    Il est notre défenseur, notre protecteur. (Ps. XXXII, 20.)

    Tous les âges, nous l'avons dit, trouvent en saint Joseph un appui, un secours ; il veille sur l'enfance au berceau ; il sauve la jeunesse des folles passions et la préserve des flammes impures ; il apprend à éviter les ténèbres de l'incrédulité et la mort de l'indifférence, dans l'âge mûr ou des affaires ; il protége le vieillard et le conduit à la porte des cieux. Tous peuvent donc recourir à lui avec confiance. Aujourd'hui, nous arrêtant encore à une pensée générale, nous allons présenter saint Joseph, comme le protecteur des deux conditions principales de la vie humaine, c'est-à-dire des pauvres et des riches.

    Nous savons bien qu'entre ces deux conditions il y en a une que l'on regarde même comme la plus heureuse, cette aurea mediocritas tant louée par les poëtes ; mais cet état n'est à proprement parler que relatif : les pauvres appellent riches ceux qui jouissent de cette douce aisance, et les riches ne manquent pas d'appeler tout simplement pauvres et mal à leur aise, ceux qui ne comptent pas comme eux par millions et qui ne roulent pas sur l'or.

    Il est évident que saint Joseph, honnête artisan et vivant de son travail, pourrait être regardé comme appartenant plutôt à cette classe moyenne, que rangé parmi les riches ou les pauvres proprement dits, et qu'il la protégera également, mais il sera plus simple de prendre les deux extrêmes, et nous allons prouver que, pauvres et riches, tous peuvent et doivent espérer en lui, et qu'il sera pour eux un bon et puissant protecteur.

    I. Les pauvres. — Oui, il convient de commencer par cette condition qui a été plus honorée par Notre-Seigneur Jésus-Christ... et puis enfin Joseph était certainement plutôt pauvre que riche ; il doit avoir pour eux un amour particulier. N'en voyez-vous pas de suite la raison ?

    Joseph a connu la souffrance, il a partagé les peines, les inquiétudes de cette vie, et les privations de l'indigence, surtout pendant les jours de son exil en Egypte avec la Mère et l'Enfant, qu'il fallait nourrir du fruit de son travail. Comme les pauvres de la terre et les simples artisans, Joseph devait gagner le pain de chaque jour à la sueur de son front ; il doit aimer surtout et protéger cette humble et bienheureuse condition de la vie.

    De plus, saint Joseph sait, et sait par expérience les dangers tout particuliers de cet état. Quoique plus près du ciel, et plus chéris de Dieu, les pauvres n'en sont pas moins exposés à de grandes épreuves ou tentations. Il leur apprendra par ses exemples à ne jamais succomber, et par sa protection il leur assurera un triomphe facile.

    Quelles sont donc ces épreuves ? Ah ! demandez-le aux pauvres de la terre... Ce sont des pensées, des désirs d'envie ou de jalousie ; des sentiments de tristesse, d'abattement, de découragement, de désespoir même, et de là les plaintes et les murmures... Le cœur des pauvres souffre si cruellement, surtout le cœur d'un père, d'une mère, quand ils ne peuvent donner que des larmes à leurs enfants qui leur demandent du pain ! et, si dans ces jours de douleur, ils voient le luxe de la richesse et les profusions de l'opulence... oh ! qu'il leur sera difficile de ne pas envier ces biens du monde ! difficile de ne pas se laisser abattre sous le poids de la souffrance, et sur le penchant même de l'abîme du désespoir !...

    O saint Joseph, vous serez l'appui, le secours de ces pauvres : adjutor et protedor... Ils vous invoqueront avec confiance, vous qui avez souffert aussi, et sans vous plaindre, toute la vie, mais surtout lorsque vous avez été obligé de fuir en exil, et de mendier peut-être, pour nourrir l'Enfant Jésus et sa mère, avant d'avoir pu trouver de l'ouvrage sur cette terre étrangère. 0 Joseph, souvenez-vous de vos souffrances, et ayez pitié des pauvres !

    Mais surtout, saint Joseph connaît quels mérites et quelle gloire on peut acquérir dans l'indigence, puisqu'il a pratiqué avec la plus grande perfection les vertus qui semblent comme l'apanage de cet état.

    Ces vertus sont principalement l'humilité et la patience.

    Sans doute que les riches de la terre ont aussi besoin de ces vertus ; mais qu'elles sont rares dans leur condition ! Entourés d'amis et de flatteurs, ayant moins à souffrir, ils vivent dans l'abondance et les plaisirs ; ils s'élèvent dans la gloire, tandis que les pauvres, inconnus ou méprisés, gémissent sous le poids de la misère et des privations...

    Si, à l'imitation de saint Joseph, ils se cachent et se taisent, s'ils souffrent pour Dieu, dans le silence et avec amour : oh ! c'est alors qu'ils sont grands aux yeux du Seigneur, et que les anges du ciel comptent leurs larmes : c'est alors qu'ils courent par la patience à la glorieuse récompense de l'éternité. Qu'ils n'oublient donc pas d'invoquer saint Joseph ; qu'ils imitent ses belles vertus. Il sera le protecteur des pauvres au jour des tribulations : adjutor in tempore tribulationis... (Ps. xxxvi, 39).

    Si saint Joseph est l'ami et le défenseur de tous les pauvres, nous ne craignons pas d'assurer qu'il est encore plus spécialement le patron et le père des pauvres honteux et des pauvres ouvriers.

    1° Des pauvres honteux d'abord. Ce sont les plus malheureux de tous, car ils sont obligés de cacher leur misère... Ou bien, en effet, ils se cachent eux-mêmes, et n'osent se montrer, parce que leurs vêtements trahiraient cette triste position qu'ils veulent dérober à tous les regards ; ou bien ils se privent de tout et même de la nourriture nécessaire, pour paraître encore avec convenance dans le monde qui ignore leur malheur. Que de larmes secrètes ! que de plaintes étouffées ! quels désespoirs couverts sous la vaine apparence de la vie !

    Saint Joseph aura bien pitié d'eux, car il a connu lui-même cette infortune. Il était de bonne maison et de la race même des rois, de la noble famille de David, et cependant il était sans fortune ; il vivait du travail de ses mains ; un pauvre artisan a toujours bien à souffrir : on lui parle avec peu d'égards ; on lui commande avec hauteur ; on lui refuse quelquefois avec injustice le prix de ses journées ; on dispute sur le prix de ses sueurs ! Et jamais il ne s'est plaint, jamais il n'a murmuré. Pauvres honteux, imitez ses vertus, son silence ; ayez recours à lui, il vous protégera.

    Que de faits, que de miracles nous pourrions citer ici, qui attesteraient la puissance et la bonté de saint Joseph pour ces pauvres, les plus chers à son cœur ! Qu'il nous suffise de rappeler ce trait merveilleux, et de nos jours.

    Une famille entière allait mourir de faim ; elle préférait la mort à ce qu'elle appelait la honte de mendier... Elle devait être ce jour-là même jetée dans la rue, et, comme on dit, sur le pavé ; on allait vendre le peu de meubles qui restaient encore, et cette vente n'aurait pas payé la moitié des dettes contractées depuis plusieurs termes : il fallait deux mille francs. Le père infortuné se détermine enfin à confier ce fatal secret à une bonne personne, à une dame de charité... Celle-ci va se jeter avec confiance aux pieds de saint Joseph... et lui demande mille francs. 0 femme de peu de foi, pourquoi n'avoir pas demandé tout de suite les deux mille ? cela n'aurait pas plus coûté à saint Joseph, dit-elle dans la lettre, qui nous annonce ce prodige !... Enfin elle n'en avait demandé que mille, mais elle les avait reçus une heure après ; ils lui furent donnés par un inconnu, qui lui dit seulement que c'était pour l'aider dans ses bonnes œuvres. La famille fut sauvée... Aussi aime-t-elle bien le bon saint Joseph, qui depuis ce jour ne lui a jamais manqué.

    2° Les pauvres ouvriers doivent aussi, et bien particulièrement, invoquer saint Joseph comme leur protecteur et espérer toujours de lui un puissant secours... Que dans leurs prières ils s'efforcent de l'imiter, et qu'ils recourent à lui dans leurs besoins et les pressantes nécessités de la vie !... Ils ont parfois des jours si durs à passer !... quand ils manquent d'ouvrage, ou quand on refuse de payer à temps leur travail, et quand une maladie vient briser tout à coup leurs bras et arrêter les ressources ordinaires, en augmentant encore les frais d'un pauvre ménage. Quelle inquiétude alors ! quelles craintes et parfois quels désespoirs !... Joseph aura pitié de vous, il a dû souffrir comme vous, et je me contente d'indiquer encore ici la circonstance de l'exil sur la terre d'Egypte... Mais il a souffert avec patience et humilité. Que les pauvres ouvriers l'invoquent donc avec confiance ; il sera leur père et leur ami : adjutor in tempore tribulationis.

    II. Les riches. — Saint Joseph sera aussi leur protecteur spécial, et, s'ils ont un extrême besoin de son puissant secours pour aller au ciel, il est certain qu'avec son appui, ils pourront y mériter une gloire immense. - Il y a en effet, dans cette condition moins estimée dans l'Évangile, et que Jésus-Christ semble même un jour avoir comme réprouvée et maudite, il y a des dangers infinis et des douleurs bien grandes ; mais il y a aussi des mérites singuliers ; il peut y avoir des vertus extraordinaires.

     

    Nous allons exposer ou du moins indiquer rapidement ces pensées de foi, pour consoler et encourager le lecteur, s'il a le malheur d'être riche... et saint Joseph, qu'il invoquera avec confiance, le sauvera aussi, car il préservera son âme du danger, le consolera dans les épreuves, et, par ses exemples, il le portera à la pratique fidèle et à l'amour de ses belles vertus.

    Et d'abord, dangers de la richesse... C'est l'orgueil, la cupidité et l'amour des plaisirs.

    — L'orgueil, tout y pousse malheureusement les riches de la terre. Ils ne peuvent se croire comme les autres, puisque les autres semblent nés pour les servir et les flatter. Ce qu'ils voient, ce qu'ils entendent les porte à ce vice odieux ; ils peuvent tout, ils ont tout, même de l'esprit et de la vertu, car lorsqu'ils n'en auraient pas, on est toujours prêt à leur en donner... Ils sont donc portés à se complaire en eux-mêmes, suffisants, fiers et dédaigneux. C'est un danger immense que l'orgueil, car Dieu le méprise et le hait ; il se retire de ces cœurs trop pleins. Qui pourra donc les sauver ?

    Danger de la cupidité ou de l'avarice ; les riches du monde trouvant tout avec de l'or, s'y attachent ; ils n'aiment plus que l'argent, et ils adorent pour ainsi dire la fortune. Ils servent ce dieu Mammon ; ils se consument dans les vains désirs et le travail incessant des intérêts de la terre, pour conserver, pour augmenter leurs trésors, toujours avec la pensée et le désir de se reposer et de jouir sans jamais trouver de repos ni de bonheur. Oh ! qu'il y en a peu d'assez sages, d'assez forts pour éviter ce second danger ! Qui pourra donc les préserver ?

     

    L'amour des plaisirs. Comment les riches pourraient-ils s'en défendre ? rien ne s'oppose aux désirs de leur cœur ; on flatte toutes leurs passions, on prévient même leurs caprices. Ce sont les enfants gâtés du monde, à qui l'on ne peut rien refuser. Le luxe des vêtements, la pompe des banquets, la magnificence des appartements, la joie des spectacles, l'harmonie des concerts, tout est pour eux. Oh ! que la terre est belle, que la vie est douce... Qu'il est difficile à ces âmes de regarder le ciel, et de songer même à une autre vie ! Qui pourra donc éviter ce danger ? Qui les sauvera ?

    Oui, c'est saint Joseph ; il sera le protecteur du riche, qui voudra l'invoquer avec confiance et méditer sur la vie de cet homme de Dieu, si humble, si pauvre aux yeux du monde et cependant si grand, si puissant et si riche même aux yeux des Anges. Saint Joseph éclairera les esprits, en leur montrant la vanité de ces faux biens de la terre ; il détachera les cœurs, les élèvera par le sentiment de l'amour de Dieu ; et changeant en bénédictions célestes les richesses qui avaient été maudites par le Seigneur Jésus, il en fera la source féconde des plus grands mérites, et l'occasion des plus belles vertus, un gage même d'élection et de prédestination, comme nous le verrons tout à l'heure... Mais il faut dire un mot des douleurs et des souffrances de la richesse, autre sorte de danger pour ces âmes.

     

    C'est une chose étrange, en effet, mais aussi une vérité frappante ; tandis que tous envient le bonheur des riches, et qu'ils semblent si heureux ; il y a pour eux des peines profondes. On ne pourrait s'imaginer combien leur cœur renferme de larmes et cache de blessures ! il saigne presque toujours : je n'ai rien vu de si malheureux que les favoris de la fortune ; plus ils ont d'or, plus ils sont las, dégoûtés, et parfois désespérés de la vie. Ce sont eux qui ont le plus de désirs et d'illusions, eux qui ont plus de noirs chagrins et de maladies cruelles. Souvent ils n'ont pas d'enfants, et plus souvent encore, quand ils en ont, ce sont des fils ingrats ; nés pour le malheur de leur mère ou pour la honte de leur père. Enfin, je vous dis que les riches sont très-malheureux ! Quand j'écris ces lignes, je pense à bien des noms propres, je me souviens de bien des choses que je ne puis dire... Le cœur du prêtre sait et garde le secret de tant de douleurs ! J'invite seulement le lecleur à se rappeler aussi la vie, la mort des riches qu'il a pu connaître, et il comprendra. Eh bien, je le répète, la dévotion à saint Joseph, la prière à ce saint protecteur pourra toujours les soutenir, les fortifier et même les consoler : adjutor et protector eorum est.

     

    Mais hâtons-nous de dire quelques mots au moins des vertus glorieuses que ce grand saint apprendra, par ses exemples, à pratiquer aux riches de la terre ; et, pour leur rendre un peu de courage, prouvons qu'il y a

    — des vertus qui leur sont plus faciles même qu'aux pauvres

    — des vertus qui ont en eux plus de mérite que dans les pauvres

    — et enfin des vertus que seuls, et par le privilége même de la fortune, ils peuvent pratiquer.

    D'abord, n'est-il pas évident que, comblés de tant de bienfaits et de grâces, les riches de la terre pourront facilement aimer Dieu ?

    La reconnaissance et l'amour devraient être les premières impressions de leur cœur, et comme le sentiment naturel de leur âme. Qu'ils voient et qu'ils comparent ; il est impossible qu'ils ne soient pas touchés : Quidquid habeo vel possideo, tu milii largitus es... id tibi totum restitua... amorem tui solum cum gratia tua mihi dones, et dives sum satis, nec aliud quidquam ultra posco !.. C'est l'acte sublime d'amour tiré des Exercices de saint Ignace, et il nous semble que ce devrait être la prière de tous les riches : « Tout ce que j'ai, ô mon Dieu, tout ce que je possède, c'est vous qui me l'avez donné, c'est à vous que je le dois... eh bien , je vous le donne, je vous le rends... accordez-moi seulement de vous aimer, donnez-moi votre amour et votre grâce, et je ne vous demande rien autre chose ; avec elle je suis assez riche. »

     

    El maintenant, il y a des vertus qui ont plus de mérite pour les riches que pour les pauvres : ce sont les vertus d'humilité, de détachement surtout et de pénitence. Puisque tout les porte à l'orgueil et les flatte, et qu'ils trouvent dans la fortune même les plus séduisantes illusions de la vie, on comprend que la victoire sera plus glorieuse pour eux et la récompense plus belle. Ainsi, Louis de Gonzague, ainsi François de Borgia, nés tous deux au sein de l'opulence, ont mérité par leur humilité profonde, leur pauvreté volontaire, et leurs austérités, une gloire plus éclatante.

    Enfin, il est une vertu, la plus douce et la plus belle de toutes, la seule même à qui le royaume des cieux ait été, non pas promis mais donné, une vertu toute divine, que par un privilège unique les riches seuls peuvent pratiquer, dont seuls ils peuvent goûter les fruits délicieux. C'est la charité ; la charité, dont les œuvres sont si admirables, qu'elles assurent la félicité des âmes dans le temps et leur gloire dans l'éternité : la charité sans laquelle on n'est rien, avec laquelle on peut tout.

    Sans doute les pauvres peuvent avoir la charité essentielle, qui justifie ; l'amour de Dieu et l'amour du prochain ; ils peuvent souffrir pour Jésus-Christ, et c'est leur gloire, ils peuvent aimer leurs frères en Dieu et pour Dieu, mais ils n'ont pas le pouvoir de leur faire du bien, de faire la charité en un mot ; c'est un privilège qui appartient aux riches. Toutes les œuvres de miséricorde corporelle, les seules dont Jésus-Christ doive parler au dernier jour, leur sont comme réservées.

    Heureux ceux qui auront eu l'intelligence de donner l'aumône aux pauvres de Dieu, heureux celui qui aura pitié de leur misère !... C'est à Dieu même qu'ils auront fait du bien, et ce Dieu fidèle et reconnaissant doit s'en souvenir au dernier jour, et les récompenser pendant toute l'éternité. Il dira : J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire !... Entrez dans mon royaume...

    Et remarquez, je vous prie, ces traits touchants de ressemblance entre les riches charitables, et Joseph le père nourricier de Jésus... N'est-ce pas lui qui a nourri Jésus enfant, et qui lui a donné le pain des premières années ?... De quelle protection spéciale n'environnera-t-il pas ceux qui partageront en quelque sorte sa gloire, en le nourrissant à leur tour dans les pauvres qui le représentent, et avec quelle confiance ces âmes ne pourront-elles pas recourir à lui ?

    Concluons donc cet exercice comme le précédent ; que tous invoquent saint Joseph, que tous aient confiance en lui, pauvres et riches, que tous espèrent : il sera leur ami, leur père, leur vrai protecteur : adjutor et protector eorum est.

    VINGT ET UNIÈME JOUR

    SAINT JOSEPH PROTECTEUR SPÉCIAL DE LA FAMILLE

    Quel est, pensez-vous, l'économe sage et prudent que le Seigneur a chargé du soin de sa famille ?

    (Luc. XII 42.)

    Ici encore, nous donnons à la parole sainte une interprétation libre ; et nous appliquons ce texte au sujet de nos méditations, pendant ce mois béni de saint Joseph ; nous le faisons sans crainte, autorisé que nous sommes par l'exemple des saints Docteurs et de l'Église même, qui cite ce mot de l'Évangile dans l'office de notre bon et puissant protecteur. Sans doute que le Seigneur a dû choisir l'homme le plus digne de cette haute mission, le plus juste, le plus saint en un mot : Quis putas?... C'est Joseph, prédestiné à cette gloire d'être l'époux de la mère d'un Dieu, et le gardien, le père nourricier de ce Dieu-homme ; Joseph réellement préposé chef et maître dans la sainte Famille : quem constituit Dominus supra familiam suam.

    Or, si c'est en vertu de la puissance et de la bonté de ce glorieux patriarche que tous les âges et les toutes conditions peuvent espérer en lui, c'est surtout en raison de ce titre nouveau, que saint Joseph doit être regardé comme le protecteur de toutes les familles chrétiennes. Et c'est le sujet qui va nous occuper au moins pendant trois jours, parce que nous devons y trouver une abondante nourriture de grâces.

    La famille se compose de quatre éléments : le père, la mère, l'enfant et le serviteur ; eh bien, nous allons voir que saint Joseph est le protecteur de tous, et que tous peuvent également l'invoquer avec confiance.

    Pour prouver cette proposition, il nous suffira de dire quelques mots sur les devoirs et sur les vertus de ces quatre membres qui constituent la famille et qui forment une maison ; et puis, de montrer dans Joseph le modèle et le patron des uns et de autres ; l'ami, le protecteur de tous et de chacun en particulier.

    I. Le père.

    — C'est le chef, le maître : saint Joseph l'a été d'office à Nazareth, il l'a été au choix de Dieu, par l'élection du ciel. Il l'a été surtout par son cœur ; il a toujours rempli cette mission avec fidélité, avec prudence à Bethléem, en Egypte, à Nazareth, enfin partout : fidelis dispensator et prudens...

    Or nous savons que Dieu, dans la gloire, honore ses élus en leur donnant le pouvoir d'accorder des grâces analogues à celles qui ont le plus éclaté en eux pendant le cours de leur vie mortelle : avec quelle confiance donc un père de famille ne pourra-t-il pas invoquer le secours et la protection de saint Joseph, qui seul a mérité cette gloire d'être le père, le maître de la famille sainte !... Supra fumiliam suam.

    Le père a l'autorité, la force du commandement. Cette force ne peut avoir d'autre source que la puissance même de Dieu, ni d'autre base que la vertu ; et ses fruits précieux pour tous sont l'ordre et le travail. Joseph a été choisi, parce qu'il était juste, c'est-à-dire saint : cum esset justus. Qu'on le sache bien, sans l'exemple des vertus solides, le père ne peut plus avoir de puissance ; il perd, non ses droits, qui sont sacrés, mais son autorité, puisqu'on le voit lui-même mépriser un pouvoir supérieur, la loi de son Dieu, qui est la source éternelle d'où découle et procède toute paternité dans les cieux et sur la terre : ex quo omnis paternitas in cœlis et in terra (Eph. ni, 13.)

    Si donc le père, infidèle et imprudent, vient à oublier ce devoir essentiel, tout manque à la fois, tout tombe autour de lui. La mère n'a plus qu'à verser des larmes ; les enfants ne tardent pas à se moquer de tout ce qu'on leur dira ; ils vont briser et secouer le joug, et les serviteurs ne manqueront pas de se révolter, et de voir un ennemi dans leur maître. Le trouble commence à s'introduire, le désordre va bientôt régner dans la maison entière, et les cœurs seront divisés...

    Au contraire, là où le père de famille, s'efforçant d'imiter les vertus de saint Joseph, ne cesse de l'invoquer comme son protecteur, on voit descendre la paix du ciel, et toutes les grâces ornent le foyer domestique. Les vertus naissent dans le travail de tous, et l'ordre en fait la force et le charme.

    II. La mère.

    — C'est d'elle surtout que semble dépendre le bonheur de la famille. C'est la femme, dit un vieux proverbe, qui fait la maison.

    — Elle en est la gloire et la force, la joie et la douceur, la vie même ! et l'espérance : vita dulcedo, spes !... Nous ne craignons pas d'appliquer à l'épouse chrétienne et vertueuse ces paroles que l'Église répète dans ses chants sacrés à la vierge Marie, à la sainte épouse de Joseph. C'est la mère qui sauvera tout, le père même et l'enfant, les serviteurs aussi.

    Or c'est dans la bonté, dans la douceur que Dieu a mis la force et la puissance des mères. L'ordre en toutes choses, l'activité dans le travail, une piété solide, et surtout aimable, voilà les grands moyens qu'elles peuvent employer pour assurer la prospérité, la gloire de leur maison.

    — Le Saint-Esprit a révélé tous ces secrets dans le tableau admirable de la femme forte, au livre de la Sagesse.

    C'est là une des plus belles pages de nos livres sacrés, et ce texte si simple et si sublime a déjà donné le sujet le plus fécond de bien des livres composés pour l'instruction des mères chrétiennes. Il nous suffira de prier ici le lecteur de lire et de méditer ce chapitre des Écritures, que l'Église répète à la messe des saintes femmes : Mulierem fortem, etc., et nous allons dire de suite pourquoi saint Joseph est le protecteur des mères de famille.

    Ah ! c'est qu'il a eu le bonheur incomparable de pouvoir étudier de près cette vie sainte, de contempler ce divin tableau, de posséder enfin ce trésor céleste dans la Vierge immaculée, sa fidèle épouse... Il la voyait chaque jour prier avec tant de ferveur, travailler sans cesse avec tant d'ardeur, et entretenir si bien l'ordre et la propreté dans leur petite maison de Nazareth ! Il a vu ces prodiges de sainteté de la plus humble et de la plus douce des vierges, et les tendresses et les dévouements de la plus pure et de la plus sainte des épouses, et toutes les vertus enfin de la mère d'un Dieu !... Vir ejus laudavit eo.m (Prov. xxxi, 28).

    Heureux époux de Marie, il a connu cette gloire et cette félicité : c'est donc à ce titre qu'il est, et qu'il sera toujours le patron, le protecteur des mères chrétiennes. Il a trouvé la femme forte, et il obtiendra d'elle, au nom de Jésus, toutes les grâces qu'on lui demandera à lui-même au nom de Marie. — Adjutor et protector eorum est.

    III. L'enfant.

    — Saint Augustin dit que l'enfant est un lien d'amour entre le père et la mère : vinculum amoris. Il est la joie, la gloire, le vrai bonheur de l'un et de l'autre, ou il devient leur honte, leur douleur et leur désespoir. Tout dans la famille dépend de la conduite de l'enfant ; et cependant ses devoirs les plus essentiels sont exprimés en un seul mot de l'Évangile : la soumission, l'obéissance.

    La condition de la vie pour ses parents est nécessairement attachée à l'accomplissement de ce précepte divin, que nous avons admirablement paraphrasé dans le vieux style des commandements : Père et mère honoreras... Loi sacrée, si oubliée, hélas ! si méprisée de nos jours ! et c'est la cause de tous les malheurs qui pèsent sur la société entière, la cause de la ruine des plus riches maisons et de la chute des plus nobles familles.

    Les enfants n'obéissent plus, et cette chaîne d'amour : vinculum amoris ; ces liens si doux, qui devaient unir le père et la mère, se sont brisés presque partout à la fois... et les cœurs divisés se désolent sans espoir, et meurent dans la solitude des tombeaux.

    Pères et mères qui lisez ces choses, ne vous laissez pas abattre ni décourager ; invoquez saint Joseph, et il deviendra le protecteur de vos enfants, il les sauvera... Vous-mêmes, enfants qui êtes purs et fidèles encore, implorez le secours de ce grand saint, il vous préservera contre ce danger du siècle, cet amour effréné de la liberté, cette soif d'indépendance dont nous avons parlé. Et vous aussi, vous enfin qui auriez commencé à briser peut-être quelques anneaux de la chaîne d'amour, vous qui déjà auriez blessé le cœur de vos parents par des actes affectés d'insubordination et par la révolte de l'esprit, il est temps encore : demandez à saint Joseph de vous délivrer de ce mal, priez-le de guérir votre âme ; il vous obtiendra cette grâce, et vous vivrez dans la joie, en voyant renaître l'espérance et le bonheur au sein de la famille.

    Serait-il encore nécessaire maintenant de dire pourquoi saint Joseph, entre tous les saints du ciel, doit être invoqué comme le protecteur des enfants ?

    Le pieux lecteur l'aura bien compris et son cœur a répondu à cette question : Joseph n'a-t-il pas eu pour fils le divin Enfant Jésus, son Dieu ? Et que nous dit le saint Évangile de cet enfant béni de la Vierge ? Une seule chose !... erat subditus ; il était obéissant, il était soumis... Voilà le lien d'amour entre Marie et Joseph, vinculum amoris ! Mais aussi quelle paix ! quel bonheur dans cette petite maison de Nazareth !... Tout s'y faisait doucement avec ce lien d'amour ; la prière et le travail. L'Enfant obéissait toujours : au premier mot de sa mère, il s'endormait dans son berceau... erat subditus... ou bien il travaillait sous les ordres de Joseph... erat subditus... et la paix du ciel habitait dans tous les cœurs.

    Voilà pourquoi Joseph, si heureux de cette vie de Nazareth, Joseph, qui a prodigué à l'Enfant Jésus ses plus douces caresses, quand il le portait dans ses bras, et qui a vu grandir cet enfant plein de grâces sous ses yeux, Joseph qui l'a vu travailler sous ses ordres, et toujours si doux et si obéissant, aime à orner l'âme des petits enfants des vertus qu'il a admirées dans le sien. Il a pitié des parents qui pleurent sur les désordres d'un fils unique... Il prie avec un sentiment profond de compassion ; le souvenir de son bonheur le rend encore plus sensible à la peine des autres... Invoquez-le donc, et priez avec confiance : adjutor et protector eorum est.

    IV. Le serviteur.

    — Les serviteurs sont aussi de la famille, et les anciens auteurs ne se contentaient pas de leur donner le nom de domestiques, domestici, ce qui voudrait dire seulement qu'ils appartiennent à la maison, qu'ils en font partie, mais bien familiales, pour faire comprendre qu'on doit les regarder comme des membres de la famille et les aimer.

    Il n'y avait pas de domestique, ni de servante dans la maison de Joseph. La vierge Marie, la fille de David, la reine des cieux en remplissait les fonctions ; Joseph, son glorieux époux, et, plus tard, l'Enfant-Dieu lui-même, l'aidaient dans cet humble travail... Spectacle digne de Dieu et de ses anges ! Le Père céleste abaissait sur cette sainte maison ses regards d'éternelle complaisance, et Jésus sauvait le monde par ses anéantissements.

    Mais, si Joseph était trop pauvre pour avoir un seul domestique ou une petite servante, à Nazareth, comment pourra-t-il être le protecteur spécial de ceux ou de celles qui vivent dans cette condition ? Il me semble que c'est précisément pour cette raison qu'on pourra l'invoquer : les maîtres, pour avoir de bons et fidèles serviteurs, et les domestiques aussi, pour avoir de bonnes places, comme ils disent, c'est-à-dire de bons maîtres.

    Si on a de la peine à trouver aujourd'hui les vertus essentielles dans ceux qui servent, ne serait-ce pas parce qu'il est bien rare de rencontrer aussi les qualités nécessaires dans ceux qui commandent ?

    — Sans doute.

    — Eh bien, la dévotion à saint Joseph assurerait le bonheur de tous, parce que les uns et les autres trouveraient, dans son exemple et dans sa protection, l'amour des vertus et le trésor des grâces propres à la situation de chacun.

    Les maîtres seront doux, humbles, patients ; les serviteurs, soumis, pieux et fidèles ; tous se sanctifieront par la pratique des devoirs de leur état ; et la pratique de ces vertus d'intérieur contribuera singulièrement au bonheur et à la gloire même de la famille chrétienne. Il est en effet honorable à une maison et heureux pour tous ceux qui l'habitent, d'avoir de bons serviteurs et depuis longues années attachés à la famille. C'est une consolation, une grande sécurité pour les pères et mères, une joie véritable pour les petits enfants, que le changement étonne au contraire, et afflige souvent bien plus qu'on ne pourrait le croire.

    Je dirai, en finissant, que j'ai vu mille exemples de la protection de saint Joseph, et de la bonté avec laquelle il répond aux prières qu'on lui adresse dans les familles...

    J'ai vu des pères convertis ; la santé de plus d'une mère miraculeusement rétablie ; des enfants surtout sauvés de toutes les passions du monde. J'ai vu des familles dans l'embarras trouver des domestiques excellents, et j'ai vu de pauvres servantes, injustement renvoyées d'une maison, en trouver aussitôt une meilleure, par l'intercession de saint Joseph. J'ai exposé les raisons, je puis affirmer le fait. Souvenez-vous-en, mon cher lecteur, et, toutes les fois que vous aurez besoin de quelques-unes de ces grâces spéciales, invoquez saint Joseph avec confiance, il sera votre protecteur.

     

     

    VINGT-DEUXIÈME JOUR

    SAINT JOSEPH PROTECTEUR SPÉCIAL DE LA FAMILLE

    Il sera leur protecteur aux jours de la prospérité et aux jours de l'adversité. (Ps.IX, 10.)

    Nous allons continuer le sujet de l'exercice précédent, et parler encore de la puissante protection de saint Joseph sur la famille chrétienne.

    Le lecteur pieux comprendra l'importance de cette méditation, et les esprits sérieux saisiront la raison de la confiance que ce grand saint inspire aux parents vertueux qui l'invoquent.

    Chef de la Sainte Famille, comment pourrait-il être insensible aux vœux qu'on lui adresse ? Il a connu toutes les joies et toutes les peines de cette vie, on peut tout confier à son cœur ; il fera éclater sa puissance dans les jours de bonheur et dans les jours d'amertume : in opportunitatibus, in tribulalione.

    1. Et d'abord, saint Joseph protégera la famille qui l'implore, pour les jours de bonheur... Je dirai plus, c'est par lui que l'on obtiendra ces jours de prospérité : in opportunitatibus.

    — Il y a pour les familles deux joies principales... c'est le jour de la naissance d'un enfant désiré... et le jour du mariage de ce même enfant. Eh bien, c'est à saint Joseph que les parents doivent recourir, pour avoir du ciel cette double bénédiction.

    1° Pour la naissance d'un enfant d'abord. Sans cette grâce, le mariage même serait comme une sorte de solitude, et la vie ressemble à un beau et vaste désert. Entre ces deux cœurs il manquerait le doux lien d'amour dont parle saint Augustin : vinculum amoris, un enfant dans les yeux duquel le père et la mère se reconnaissent et s'entendent. Il y a des pèlerins de la vie qui, n'ayant pas eu ce bonheur, n'ont pu traverser le désert sans y goûter les eaux amères des larmes ; d'autres y ont rencontré une foule d'ennemis contre lesquels ils ne luttaient pas sans peine, sans dangers, et, si la manne des cieux ne les avait consolés et fortifiés, quelques uns y seraient morts avec douleur et sans espérance.

    C'est que vraiment la naissance d'un petit enfant est pour le père et la mère, pour toule la famille, la cause d'une grande joie ; et ce jour n'est à proprement parler que le commencement d'une foule d'autres bonheurs...

    Ainsi, le premier sourire d'un enfant chéri à sa mère la comble d'une joie ineffable ; le premier mot de ce petit être bien-aimé fera tressaillir le cœur du père et de la mère... Le premier pas qu'il aura fait, pour aller se jeter sur sa mère, sera compté parmi les jours mémorables... Il n'y a rien de petit dans cette existence ; tout est grand, charmant aux yeux de la tendresse. On n'oubliera pas même un trait, ou une circonstance, pas un mot.

    Eh bien, c'est à Joseph que les jeunes époux doivent recourir, pour obtenir cette douce bénédiction du ciel.

    On en voit aussitôt la raison ; c'est parce qu'il a eu lui-même toutes ces joies saintes et pures. Jésus, ce divin Enfant, a souri à son père, à sa mère bien des fois, et sans doute au premier jour même de sa naissance, dans l'étable de Bethléem, puisqu'il avait déjà toute la plénitude de son intelligence, et qu'il aimait si tendrement la Vierge immaculée sa Mère et Joseph son père nourricier. Joseph l'a vu avec bonheur... il a entendu avec transport le premier mot de cet Enfant béni ; quel jour ?

    Nous n'osons pas dire aussi hardiment notre pensée, mais il ne put sans doute faire attendre longtemps Joseph et Marie, dont il connaissait la douce impatience... Et quel fut le premier mot de Jésus ? Ah ! je ne craindrai pas ici de dire ce que mon cœur m'inspire de répondre, ce fut le nom de Marie, le nom de sa mère, qu'il prononça avec amour... Et, quant au premier pas, j'aimerais assez la pensée ingénieuse d'un poète religieux. Il suppose que ce fut saint Joseph qui fit marcher cet Enfant pour la première fois, en lui montrant de loin une petite croix. Jésus, transporté d'amour, s'élança aussitôt pour la prendre et la baiser !.. .Quelles douces émotions ! quels souvenirs touchants ! quelles saintes allégresses pour le cœur de saint Joseph et de la sainte Mère de Jésus !

    Nous n'hésiterons donc pas à le dire ; au ciel même saint Joseph ne peut pas être indifférent, lorsque, dans leurs prières ferventes, de jeunes époux lui rappellent ces beaux jours de Bethléem et de Nazareth, et qu'on lui demande la grâce ou la bénédiction de la fécondité. Ayez confiance, ô vous qui, depuis plusieurs années peut-être, adressez au ciel des vœux ardents ; recourez à Joseph et vous serez exaucés.

    Combien d'exemples je voudrais citer ici de cette merveilleuse protection ! Mais je ne puis m'empêcher de rappeler au moins ce trait touchant arrivé dans l'Association de la Bonne Mort établie dans notre église du Jésus, à Paris même.

    Pendant la neuvaine préparatoire à la fête du Patronage, en 1865, le P. Directeur s'était efforcé d'exciter la confiance dans tous les cœurs des pieux associés, et il avait signalé en passant les grâces que l'on pouvait surtout demander et espérer...

    La bénédiction des enfants n'avait pas été oubliée...

    Or, il y avait là, dans l'auditoire, deux jeunes ménages qui sollicitaient cette grâce, l'un depuis six ans, l'autre, depuis quatre seulement.

    Tous les deux firent en même temps leur prière, et tous les deux furent exaucés, mais d'une manière si frappante qu'il est impossible de ne pas reconnaître d'où venait cette grâce ; car les deux enfants naquirent le même jour, et ce jour était le 19 mars 1866, fête de saint Joseph ; c'étaient deux beaux petits garçons, et on leur donna à l'un et à l'autre le nom chéri de leur saint protecteur, le nom de saint Joseph, à qui ils devaient la vie, et à qui sans doute ils devront leur salut et leur bonheur.

    C'est donc à lui que dans la famille on aura recours, pour obtenir du ciel cette bénédiction des enfants, et nous avons déjà dit que, par son intercession puissante, on devait demander et qu'on obtiendrait la grâce de les bien élever, de les conserver purs et innocents, jusqu'au jour, où l'on devra s'occuper de leur avenir... C'est alors surtout qu'il faudra invoquer ce grand saint avec confiance. C'est alors qu'il fera éclater les effets les plus touchants de sa protection sur la famille chrétienne.

    2° Le jour du mariage d'un fils unique, d'une fille chérie, est aussi un jour de joie, d'espérance au moins pour tous les membres d'une famille, et cette espérance ne sera pas trompée ; ce bonheur durera dans celle où l'on aura imploré le puissant secours du bon saint Joseph. C'est principalement à lui que l'on devra cette grâce, si rare aujourd'hui, d'un mariage tout à fait heureux.

    Tout le monde se plaint en effet, on répète partout qu'il est extrêmement difficile de marier les enfants, de les bien marier. Les pères de famille s'inquiètent longtemps d'avance, les mères se préoccupent, se troublent et s'agitent.

    Ceux qui ont la foi, celles qui ont de la piété, ne peuvent voir grandir leurs enfants sans crainte ; et, il faut bien le dire, ces craintes ne sont que trop fondées.

    Dans ce siècle d'or et de luxe, à cet âge d'indifférence pour tout ce qui tient à la vie éternelle, le bonheur de la terre et le salut même peuvent être compromis à la fois... On a vu des parents si malheureux d'avoir été trompés ! on sait que tant de belles fortunes se sont évanouies ; tout a été joué, perdu, englouti !...

    On a vu tant de jeunes épouses qu'il a fallu sauver, en les séparant, par la justice des lois, de celui qui avait surpris leur cœur, et trompé celui de leur père et de leur mère ! Tant d'avenirs ont été brisés ! tant d'âmes ont été plongées dans le désespoir !

    Quels dangers et quelles craintes ! Comment éviter ces malheurs ?... Qui pourra donc en préserver nos enfants ?

    — Ah ! c'est saint Joseph, le véritable patron de la famille chrétienne...

    Que les pères et mères l'invoquent avec confiance ; que les enfants eux-mêmes le prient avec ardeur, et le jour du mariage sera un jour de joie pure, et ce jour sera suivi de mille jours, de toute une vie sans nuages.

    C'est lui, en un mot, qui prépare et arrange tous les beaux mariages.

    Disons d'abord la raison de ce privilége glorieux, et puis, nous constaterons, nous prouverons le fait même de l'intervention de saint Joseph dans ces alliances chrétiennes.

    Joseph a été si heureux dans l'union qu'il a contractée avec la vierge Marie !... Jamais mariage béni des cieux, ne fut mieux assorti sur la terre... Tous les deux appartenaient à une famille noble, antique, à une maison royale ; ils étaient de la tribu de Juda, de la race de David. Ils étaient pauvres tous les deux, mais si riches de vertus !... Ils avaient les mêmes goûts, une sympathie parfaite : égale convenance d'âge, surtout si l'on se rappelle que Joseph devait être le gardien fidèle de la virginité de Marie... Les anges seuls ont connu, admiré le bonheur céleste de cette union des cœurs de Marie et de Joseph, et le charme ineffable de leur prière commune et de leurs entretiens les plus intimes...

    Mais qui pourrait, même parmi les anges, exprimer ou concevoir le bonheur, la joie de ces deux âmes, quand le ciel, par le plus grand des mystères d'amour, leur donna l'Enfant-Dieu, ce vinculum amoris !... et que, de son petit berceau, Jésus sortait en souriant pour reposer entre les bras de Joseph, ou sur le sein de sa mère chérie !... Peut-il y avoir, au ciel même des cieux, une plus grande félicité que de voir Dieu, de l'aimer, de le posséder !... Et celui qui a été si heureux, pourrait-il ne pas se laisser toucher à la prière de ceux qui imploreront son secours, et lui demanderont de protéger et de bénir l'union de leurs enfants.

    Saint Joseph ne manquera pas de répondre à ces vœux de la famille chrétienne : il est surtout sensible aux larmes des mères qui ont recours à lui dans ces circonstances.

    Nous le savons et nous conservons, dans les archives de l'Association de la Bonne Mort, dont nous parlions tout à l'heure, plusieurs témoignages touchants de cette protection singulière de saint Joseph...

    Tantôt, ce sont des mariages inespérés qui ont été obtenus, et tantôt, ce sont des alliances qui allaient se faire et qui ont été miraculeusement rompues, pour le bonheur d'une jeune fille et de sa mère.

    Quelquefois ce sont des ménages parfaitement réconciliés.

    Pour ceux qui savent lire et comprendre, on n'a qu'à voir les ex-voto suspendus aux autels de ce bon saint Joseph... on y verra la preuve écrite de ce que je dis en ce moment, et, si on pouvait ouvrir les cœurs d'or qui sont attachés aux murs sacrés de sa chapelle, on y verrait ce même témoignage de la reconnaissance, exprimé ne termes bien plus clairs encore et plus naïfs.

    Ayez confiance encore une fois, ô vous, pères et mères de famille, qui sollicitez cette grâce pour vos enfants, la grâce d'un bon mariage, c'està-dire d'un mariage heureux et chrétien, et vous l'obtiendrez de saint Joseph.

    II. C'est encore lui qui est le protecteur des familles, aux jours de peines et de douleurs : in tribulatione.

    Cette vie est pleine de misères, et souvent même ceux dont on envie le bonheur se trouvent plongés dans les amertumes et vivent dans les larmes.

    Nous ne pouvons indiquer toutes les causes de tant de souffrances ; il suffira d'en montrer les deux sources principales...

    C'est : 1° le déréglement des coeurs, et 2° le dérangement des affaires ; et nous disons que saint Joseph préservera de ce double malheur la famille qui l'invoque, ou du moins, il la consolera toujours.

    1° Le déréglement des cœurs.

    Quand il n'est plus à sa place, comme dit l'Écriture sainte, quels tourments ! quelles angoisses !

    Ce désordre dans les mouvements du cœur, dans ses affections, ce trouble dans le sentiment d'amour est une agonie douloureuse, c'est-à-dire une vie mourante, une mort vivante, un supplice incessant.

    Si un mari est infidèle à ses serments, si une femme est inconstante, une mère, sans tendresse, si un enfant s'égare et n'aime plus... tous les cœurs souffrent de la blessure d'un seul ; tous, brisés par la douleur, laissent couler leur sang le plus pur et s'épuisent en gémissements... Le sang du cœur, ce sont les larmes, et alors ne tombent-elles pas jour et nuit par la plaie ?

    0 saint Joseph ! C'est vous qui prévenez ces malheurs... c'est vous qui les réparez, et qui avez mille fois consolé ces âmes plongées dans une tristesse mortelle.

    C'est en effet le sujet le plus ordinaire des demandes que l'on fait à votre saint autel ; c'est le sujet des actions de grâces que l'on ne cesse de vous adresser. Les annales de l'Église, les archives des familles, les Mois de saint Joseph, les journaux même que l'on a fondés à la gloire de notre saint protecteur, sont remplis de ces faveurs extraordinaires, de ces miracles obtenus par la prière... et les familles reconnaissantes, pour garder la mémoire de ces bienfaits, en gravent le souvenir touchant sur le marbre ou sur la toile fidèle.

    Ce sont les ex-voto qui partout ornent et couvrent les murs des sanctuaires consacrés à la gloire de saint Joseph.

    Il était si heureux ! il aimait si tendrement Jésus et Marie ! il était si tendrement aimé de Jésus et de Marie ! voilà en deux mots, la raison qui doit l'intéresser au bonheur des familles, et en même temps le motif de la confiance des prières qu'on lui adresse à cette intention.

    2° Et maintenant, terminons par un mot, un mot seulement sur une autre sorte de peines qui souvent suffit pour jeter bien du trouble dans les âmes. C'est le dérangement des affaires, la perte de la fortune, les embarras matériels de la vie, ou la gêne. Ah ! si du moins dans cet état les cœurs pouvaient conserver l'affection et l'amour, la peine serait bien adoucie ; mais il est d'expérience que rien ne contribue à refroidir les cœurs, souvent même à les séparer, comme cette cruelle épreuve et la série d'inquiétudes et de misères qui l'accompagnent. Quelquefois aussi, bien des fautes et des fautes graves en sont la triste et nécessaire conséquence.

    Ah ! c'est quand on prévoit ce malheur, et que l'on se sent comme entraîné vers cet abîme, qu'il faut surtout invoquer saint Joseph ; c'est à lui qu'il faut recourir avec confiance, lorsque déjà on est dans la peine et qu'on souffre... La raison en est frappante ; Joseph était le chef de la Sainte Famille, il était pauvre artisan, tout reposait sur lui ; on vivait de son travail à Nazareth, la Mère et l'Enfant. Il a bien certainement connu ces inquiétudes de la vie, il a souffert cruellement plus d'une fois, et plus particulièrement, quand il fallut partir pour l'Egypte, et pendant son exil sur cette terre infidèle... Il s'en souviendra donc ; il sera touché de vos peines.

    Aussi tous les ans, et principalement pendant le mois qui lui est consacré, et pendant ses neuvaines, on voit des familles entières sauvées de la misère comme par miracle.

    Des secours inespérés, des places avantageuses, quelquefois même des successions sur lesquelles on ne pouvait compter, arrachaient au désespoir une maison qui allait tomber ! Et ces fidèles serviteurs de saint Joseph venaient à leur tour témoigner leur reconnaissance à leur glorieux protecteur, et en perpétuer le souvenir par un ex-voto suspendu à ses autels.

    Toutefois nous croyons devoir rappeler au pieux lecteur que, pour ces sortes de demandes, et quand il s'agit des choses de la terre, on ne doit guère prier que conditionnellement, et, s'il est permis de parler ainsi, sous le bon plaisir du saint ; car il est possible que, dans la lumière de Dieu, il voie qu'il nous est plus utile de souffrir ici-bas, comme il a souffert lui-même ; et alors, en paraissant sourd à nos vœux, il nous exauce encore d'une manière plus parfaite.

    Tous les ans aussi, nous avons eu des preuves de cette vérité ; mais toujours la grâce de soumission, de résignation, de patience et d'amour était augmentée dans ces cœurs fidèles et généreux, grâce bien plus précieuse que toutes les richesses de la terre.

     

    VINGT-TROISIÈME JOUR

    SAINT JOSEPH PROTECTEUR SPÉCIAL DE LA FAMILLE

    Invoquez-le, priez, afin qu'il dirige vos voies dans la vérité,

    (Eccl. XXXVII. 19.)

    Nous allons terminer le beau sujet de la protection de saint Joseph sur la famille chrétienne, par une question bien importante, et d'où dépend, pour presque tous les hommes, le bonheur de la vie présente et le bonheur même de la vie future ou de l'éternité ; c'est la vocation des enfants.

    Oui, il y a un jour où il faut se décider pour un état, pour une carrière, un jour où il faut songer à s'établir, comme on dit, dans le monde.

    Je sais bien que la plupart des jeunes gens marchent un peu à l'aventure et ne pensent guère à consulter le ciel. Mais ces âmes ne s'exposent-elles pas à ne pas entrer dans la voie de la vérité, et dès lors ne doivent-elles pas se perdre ? Il est donc bien nécessaire d'être conduit, et que nous ayons quelqu'un pour nous diriger... ut dirigat in veritate viam tuam.

    Or nous avons d'abord pour guides, deux anges de Dieu ; l'ange des cieux, cet ami du berceau, qui a protégé notre innocence, et qui souvent a versé sur nous des larmes amères... et puis l'ange des autels, le prêtre du Seigneur, qui nous a nourris dans notre enfance du lait de la pure vérité, et plus tard du pain sacré des forts, dans un jour de bien doux et pieux souvenir ; mais nous n'entendons plus depuis longtemps la voix du premier ange ; et ils sont bien rares les chrétiens qui consultent le second, le voyant, l'homme de Dieu, avant de se décider dans la circonstance d'une vocation.

    Il reste donc à ce jeune homme un autre conseil, c'est la direction de ses parents, d'un père, d'une mère ; et il est juste qu'il interroge les auteurs de ses jours : ceux-ci ont grâce pour diriger les pas de celui qui va entrerdans la vie. Mais d'abord, combien peu consultent leurs parents dans ces projets d'avenir. On se contente de leur demander, on leur arrache quelquefois un consentement nécessaire aux yeux de la loi, et l'on s'engage, sans savoir où l'on va. Pour d'autres, ce sont les parents eux-mêmes qui manquent à leur devoir, et qui laissent, disent-ils, à leurs enfants la liberté de faire ce qu'ils veulent, et ils prétendent ainsi s'affranchir de toute responsabilité.

    Eh bien, je conjure le lecteur pieux de se souvenir de ce que nous allons dire et affirmer ici, avec la plus grande certitude, c'est que, dans ces circonstances importantes, et dans le choix d'un état de vie, c'est surtout à saint Joseph que les enfants de Dieu doivent s'adresser. Il sera toujours une lumière, un guide sûr, un protecteur fidèle : adjutor et protector. Si vous le priez bien, il dirigera vos pas dans la vérité : ... Deprecare... ut dirigat in veritate viam tuam.

    Il n'y a en effet, à proprement parler, que deux chemins, deux grandes divisions dans la vie : le mariage et le célibat... Divinement prédestiné à ces deux vocations, ayant toujours vécu de la manière la plus parfaite dans ces deux conditions, du mariage et de la virginité, Joseph a mérité d'être le modèle et le protecteur de tous les chrétiens et leur guide dans le choix d'un état ; c'est à lui qu'il faut recourir pour connaître notre vocation et pour répondre aux desseins de Dieu sur nous.

    I. Commençons par la vocation la plus ordinaire, le saint état de mariage.

    Nous en avons parlé dans un autre exercice, mais il nous reste encore bien des réflexions utiles à faire.

    D'abord, il ne faut pas entrer dans cette vie, sans avoir imploré la protection de ce grand saint, qui appellera toujours sur ceux qui l'invoquent avec confiance les bénédictions du ciel : benedictio desuper, c'est-à-dire les bénédictions de foi, d'espérance et d'amour...

    Si on lui adresse de temps en temps cette petite prière : Notam fac mihi, viam, in qua ambulem (Ps. Cxlii, 98) : Faites-moi connaître la route que je dois prendre ; il éclairera les cœurs et dirigera toutes les démarches dans la vérité même de Dieu, dans l'ordre de sa volonté sainte et pour le bonheur de ses enfants.

    Qu'on n'oublie donc pas de prier, avant le mariage.

    Il faudra bien moins encore y manquer le jour même et à l'autel où l'on recevra ce grand sacrement de l'Église.

    Dans plusieurs pays catholiques, c'est à la chapelle de Saint-Joseph que se célèbre ordinairement la messe solennelle des noces, et cet usage commence à s'établir parmi nous.

    Je vous conseillerai au moins de ne pas sortir de l'église sans avoir été faire une prière à ce sanctuaire vénéré. Comme après le baptême des petits enfants, on va les consacrer à la vierge Marie, allez, jeunes époux, demander la protection spéciale de saint Joseph, et il vous bénira.

    Une fois engagé dans ce saint état de mariage, que les chrétiens ne cessent d'invoquer ce puissant protecteur.

    — Il y a des devoirs sacrés à remplir : avec son secours, ils y seront fidèles.

    — Il y a des dangers : avec son appui, ils sauront les éviter ;

    — il y a surtout des peines : avec son aide, ils en seront préservés, ou du moins jamais ils ne seront abattus... Qu'ils imitent les vertus de ce glorieux patriarche, et ils seront bénis ; Jésus viendra visiter leur demeure et y habiter par sa grâce.

    II. Mais je me suis proposé de parler plutôt aujourd'hui de la vocation au célibat, à la virginité, et c'est avec bonheur que j'entre dans ce sujet de la protection spéciale de saint Joseph sur ceux que le Seigneur daigne appeler à cette vie plus parfaite, et plus particulièrement encore sur les familles religieuses des disciples de Jésus ou de ses chastes et fidèles épouses.

    Joseph est le protecteur de tous ces asiles sacrés de la perfection : protectorpotentiae,lirmamentum virtutis...

    Il l'est de droit, puisqu'il a donné au monde le sublime exemple des trois grandes vertus de pauvreté, de chasteté, d'obéissance dont on fait vœu dans ces saintes maisons... Mais aussi il l'est de fait, puisque tous les ordres religieux, sans exception, l'ont reconnu et invoqué comme leur premier patron, et leur père

    Or cette protection de saint Joseph se manifeste particulièrement en trois circonstances que nous allons étudier : dans le principe même de la vocation ; dans le progrès, et enfin dans la consommation de ce grand travail de la perfection évangélique. Oui, c'est vous, ô Joseph, qui protégez ces âmes d'élite dans le tabernacle sacré, dans l'arche sainte où elles vivent avec Dieu : protège eos in tabernaculo (Ps. xxx, 21).

    1° Et d'abord, pour le principe de cette élection divine ; aux yeux de tous les maîtres de la vie spirituelle, c'est déjà un signe certain de vocation religieuse, que d'avoir une tendre dévotion à saint Joseph. Jamais on ne manque d'interroger un novice sur ce point, comme sur sa piété envers la très-sainte Vierge.

    C'est à lui que, dans les maisons de noviciat, on s'adresse par de ferventes prières et des neuvaines, pour obtenir des sujets, et faire naître de belles vocations dans les âmes. Nous connaissons des monastères qui se sont relevés et renouvelés par cette pieuse industrie. Il était impossible de ne pas reconnaître la merveilleuse intervention de ce grand saint, et le miracle paraissait encore plus évident aux yeux de ceux qui, par office, remontaient à l'origine de ces vocations dans les nouveaux candidats.

    Aussi partout dans ces maisons saintes de probation, et dans les noviciats des ordres religieux, on ne cesse d'implorer le secours et la protection de saint Joseph. Son image y est vénérée dans tous les lieux et offices de la communauté, avec celle de la Vierge immaculée.

    Pour connaître une vocation, pour l'affermir, si elle venait à chanceler, pour fortifier une volonté inconstante dans un si saint projet, pour assurer à une âme la grâce de la fidélité ou de la persévérance dans une si noble et si généreuse entreprise, dans ce glorieux sacrifice, c'est à saint Joseph que l'on a recours ; c'est lui que l'on invoque avec ardeur et toujours avec fruit.

    On comprend bien en effet que l'enfer, jaloux de ce bonheur et de cette gloire, doit faire de grands efforts pour arrêter ces âmes ardentes, et leur livrer de rudes combats.

    C'est surtout à la veille du sacrifice, avant le jour d'immolation par les vœux, qu'il cherche à effrayer les cœurs, en troublant l'imagination par la vue de mille croix. C'est comme l'heure de l'agonie terrible... On en a vu trembler, regarder en arrière et reculer. Sans doute qu'ils n'étaient pas propres au royaume de Dieu...

    Mais la victoire est accordée à ceux qui invoquent en ce moment le glorieux saint Joseph, et le triomphe de l'amour est assuré à ses fidèles serviteurs.

    Il faudrait, pour prouver toutes ces propositions, parcourir les archives des ordres religieux, les annales des plus célèbres monastères ; et le lecteur serait singulièrement édifié de ces faits merveilleux.

    Mais ce travail nous entraînerait trop loin, et il nous suffira d'indiquer seulement la vie de sainte Thérèse de Jésus, l'illustre mère du Carmel.

    2° Saint Joseph est encore le protecteur spécial de la vocation religieuse, dans le progrès de cette vie plus parfaite. L'action constante de la grâce est bien nécessaire pour avancer dans ces voies sublimes, mais elle est admirablement sensible pour les âmes, qui ont mis leur confiance en ce grand saint.

    Hâtons-nous de dire qu'il y a pour ces élus deux sortes de luttes à soutenir, deux sortes de victoires à remporter, pour arriver au terme, c'est-à-dire à la conquête des cieux. D'abord, le travail intérieur de la sanctification de leur âme, par la victoire sur eux-mêmes, et puis, le travail extérieur du zèle pour la conversion des autres, et pour la propagation de la foi. C'est saint Joseph qui les protégera dans ces combats mystérieux, et qui les fera triompher.

    Commençons par la lutte intérieure de l'âme consacrée à Dieu. Elle va rencontrer bien des ennemis, elle en est tout environnée ; jusque dans son propre cœur, elle doit en trouver de redoutables, sans parler même des attaques qui viennent du dehors et de l'enfer jaloux. Je ne veux signaler ici que deux de ces dangers principaux, en indiquant immédiatement, comme moyen de se prémunir et de vaincre, la dévotion à saint Joseph.

    Ainsi, contre l'esprit de dissipation et de légèreté que l'on aurait pu apporter du monde dans ces saints asiles, ou qui parvient quelquefois à s'y glisser ; contre la faiblesse et l'inconstance de la volonté, que l'on remarque surtout à cet âge d'une vocation, qui doit être encore éprouvée, il faut absolument chercher un remède et donner des armes qui promettent la victoire. Quels remèdes et quelles armes ?

    Il suffira d'invoquer saint Joseph, et il inspirera aussitôt le goût, l'amour du silence, du recueillement, de l'oraison, et les âmes seront bientôt initiées aux plus intimes secrets de la vie spirituelle et intérieure.

    Ainsi, contre le danger de se familiariser avec les choses saintes, contre cet esprit de routine qui conduit en peu de temps à la tiédeur, il faudra bien encore chercher et trouver quelque remède, et s'efforcer de prémunir ceux que la vie régulière, commune et uniforme de la religion exposerait bientôt à l'ennui, au dégoût et aux défaillances même de la piété.

    Ce remède, on le trouvera toujours dans la prière et la dévotion à saint Joseph, qui, loin de se familiariser à la présence de son Dieu à Nazareth, ne cessait de faire des progrès dans la ferveur de sa foi.

    C'est lui qui protége les religieux et les épouses de Jésus-Christ contre cette tentation, ou qui leur donne la victoire ; c'est lui qui conserve et augmente l'ardeur des saints désirs et la ferveur de l'amour dans les âmes consacrées à Dieu.

    Et maintenant, pour les luttes extérieures, ou l'action du zèle, pour ces grands travaux des apôtres ; nous ne pouvons nous empêcher de le publier avec la plupart des disciples de Jésus-Christ, et tous ces soldats intrépides qui appartiennent aux différents corps de l'armée de la foi, c'est encore saint Joseph qui est comme leur chef et leur glorieux patron.

    Il prépare les belles conquêtes, il soutient au milieu des combats, il assure tous les triomphes de la grâce.

    Demandez-leur, et ils vous diront qu'avec le nom de Jésus et de Marie, partout ils ont porté le nom de Joseph ; que c'est lui qu'ils donnent pour protecteur à leurs saintes missions ; et le premier nom qu'ils s'empressent d'imposer aux nouveaux catéchumènes.

    Lisez les annales des grands ordres, de saint Dominique, de saint François d'Assise, de saint Ignace de Loyola. Lisez les lettres pieuses et édifiantes que la Propagation de la foi publie chaque année, chaque mois, et vous trouverez mille traits qui attestent la vérité de ces observations. Oui, saint Joseph est le protecteur des apôtres, le modèle de tous les religieux. C'est lui qui les sauve, et, par eux, il sauve des milliers d'âmes : adjutor etprotector eorum est.

    3° Mais c'est surtout dans la consommation de ce grand travail de la perfection que notre saint patron fait éclater sa puissance. Joseph, selon l'expression des divines Écritures, n'a pas cessé de faire des progrès dans la sainteté : Filius accrescens Joseph... filius accrescens (Gen. Xlix, 22). C'est donc lui qui apprend aux anges de la terre à s'élever par degrés, à monter dans les sentiers de la justice parfaite : ascetisiones in corde... disposuit (ps.lxxxhi,6).

    On a remarqué que plus une âme est intérieure, plus elle aime ce grand saint, et découvre de trésors dans la méditation de sa vie si humble et si peu connue des personnes du monde. Il suffira de rappeler ici encore le nom de Thérèse de Jésus et ses révélations sublimes.

    La persévérance dans la vie religieuse jusqu'à la fin, c'est-à-dire jusqu'à la mort précieuse des saints, est encore une grâce toute particulière que, dans le cloître, on demande, et qu'on obtient par l'intercession de saint Joseph. Sans doute on peut l'espérer, comme le fruit de tant de sacrifices ; Jésus-Christ même a promis à ceux qui renonceraient pour son amour aux biens de la terre, le centuple ici-bas et la vie éternelle ; il a promis, il a donné le ciel aux pauvres d'esprit et de cœur, à ceux qui sont purs, à ceux qui ont faim et soif de la justice, et par conséquent, ses disciples et ses épouses fidèles peuvent et doivent espérer cette grâce de la persévérance finale et une sainte mort..

    Mais, ne l'oublions pas, cette grâce ne peut être méritée que par la prière : suppliciter mereri potest ; la prière surtout à la vierge Marie et au glorieux saint Joseph.

    Aussi l'image sacrée de notre saint patron est-elle toujours placée sous les yeux de ceux qui souffrent et qui meurent dans ces bienheureuses solitudes.

    Elle orne toutes les cellules des infirmeries religieuses, et quand la dernière heure approche, quand déjà les ombres de la mort descendent, quand vient à commencer la lutte suprême de l'agonie, il y a trois noms que l'on se hâte de faire répéter au mourant, et ces trois noms le consolent, le fortifient, et vont conduire doucement son âme au ciel : Jésus! Marie ! Joseph !... Jésus, ô mon sauveur ! Marie, ô ma tendre mère !... Joseph,ô mon saint protecteur !... je vous donne mon cœur ; je vous donne ma vie !... — Cette invocation n'a jamais manqué de rendre la force et la joie même de l'espérance à ces élus du ciel.

    Pour vous, mon cher lecteur, que Dieu n'a pas appelé à cette vie de sacrifice et toute de perfection, efforcez-vous au moins de vous sanctifier dans le monde et d'arriver à la sainteté de votre état. Tous peuvent imiter saint Joseph ; et tous ceux qui espèrent en lui seront protégés : protector est omnium sperantium in se, il ne laissera périr aucun de ceux qui l'auront invoqué avec confiance.

    VINGT-QUATRIÈME JOUR

    SAINT JOSEPH PROTECTEUR SPÉCIAL DES PAUVRES
    PÉCHEURS

    Vous êtes tout mon secours, et mon sauveur. (Ps. LXIX, 6.)

    Voilà une belle prière ; mais est-ce un cri de détresse et d'espérance dans la bouche du roi prophète ? ou bien plutôt ce texte ne serait-il pas un transport de joie et de reconnaissance ?

    Il nous semble que c'est à la fois l'un et l'autre sentiment exprimé avec bonheur.

    — Ayez pitié de moi, venez à mon secours, ô vous qui seul pouvez me sauver, me défendre et me délivrer... Adjutor meus et liberator meus es tu ! N'est-ce pas la prière, le cri naturel d'un cœur malheureux, qui tremble à la vue du danger, mais qui n'a pas encore perdu tout espoir ?

    —Ah ! soyez béni, mille fois béni, c'est vous qui m'avez sauvée ! vous qui m'avez délivrée !... Adjutor meus et liberator meus es tu .... s'écrierait aussi une âme arrachée à l'abîme de la mort.

    Eh bien, c'est avec ce double sentiment que nous mettrons aujourd'hui ces paroles sur les lèvres d'un pauvre pécheur qui, en proie aux remords de l'enfer, implore avec confiance la protection de saint Joseph, et qui espère : adjutor meus !... et puis, au moment où touché de la grâce, converti à Dieu, il vient d'obtenir son pardon, il dira aussi avec transport cette belle prière au grand saint qui l'a sauvé et qui vient de le délivrer de la mort : adjutor meus et liberator meusestu !... C'est vous, ô Joseph, qui êtes toute mon espérance ! vous êtes mon libérateur !

    Voici en deux mots le sujet de cet exercice : saint Joseph est le protecteur des pauvres pécheurs. Qu'ils le prient ; qu'ils espèrent en lui ; il les défendra, il les sauvera.

    Cette proposition doit être méditée avec soin.

    Les raisons les plus graves, les exemples les plus frappants vont la démontrer au lecteur attentif et pieux. C'est ce qu'on appelle ordinairement la preuve de droit et la preuve de fait.

    I. Preuve de droit, ou raison de cette protection spéciale de saint Joseph sur le pécheur.

    Commençons par dire une chose qui pourra paraître étrange, mais qui est très-vraie et positive, c'est que saint Joseph, comme la sainte Vierge, doit aimer singulièrement les pauvres pécheurs, puisque sans le péché, il n'était pas nécessaire qu'il y eût de rédemption, et par conséquent, Marie n'aurait pas été mère d'un Dieu, Joseph n'aurait pas été le père nourricier de ce Dieu fait homme, ni le glorieux époux de la Vierge ; et nous ne craignons pas de dire que, dans ce sens, le péché d'Adam et nos propres péchés ont été pour lui des fautes heureuses, puisqu'ils lui ont mérité en quelque sorte cette gloire : felix culpa!...

    C'est pour cela, dit saint Liguori, et plusieurs saints docteurs avec lui, que la vierge Marie est le refuge et l'avocate des pécheurs ; et saint Joseph, au même titre, sera leur défenseur et leur appui : adjutor et protector eorum est.

    Mais, voici maintenant les deux raisons toutes particulières, pour lesquelles Joseph doit les protéger : Ie le malheur et 2° le danger de ce triste état.

    1° L'excès de ce malheur... Le péché donne la mort à une âme, en la séparant de Dieu. Il lui fait perdre l'amitié de Dieu, et pour parler encore plus juste et dans la vérité du dogme idéologique, le péché lui fait perdre Dieu ! Et Dieu étant la vie de l'âme, elle tombe aussitôt dans la mort ; c'est pour cela que nous disons un péché mortel ; avec Dieu, elle perd la vie de la grâce et de l'amour ; elle est morte !

    Perdre Dieu ! malheur infini, dont la pensée seule doit faire frémir le cœur de Joseph, et va le toucher de la plus profonde compassion pour nous... Ah ! ne savez-vous pas, mon cher lecteur, que Joseph un jour a eu le malheur de perdre Jésus ! non point par sa faute assurément, mais enfin il l'avait perdu ; lorsque ce divin Enfant était resté à Jérusalem, et que de retour à Nazareth, Joseph et Marie s'aperçurent qu'il n'était plus avec eux, ni avec ceux qui les avaient accompagnés à la ville. Quelle douleur, et quelles larmes !... Ils le cherchèrent avec anxiété, et finirent par le retrouver au temple.

    — Joseph a donc senti cette peine d'être séparé de son Dieu, quelques instants de l'avoir perdu ; et le souvenir de ce chagrin immense le touche de pitié, quand il voit une âme condamnée, et comdamnée par sa faute, à ce même malheur. Il priera pour elle, il demandera sa grâce ; il conjurera Jésus de revenir à ce cœur.

    Mais, si le pauvre pécheur surtout commence lui-même à sentir la perte qu'il a faite, si de son côté, gémissant sur ses fautes, il rappelle Dieu, s'il le cherche avec douleur et regret, s'il le cherche comme Marie et Joseph, avec Marie et Joseph, oh ! bientôt il le retrouvera : il est impossible, dit Origène, que Jésus tarde longtemps à revenir : quserenscum Joseph Mariaque, reperies, c'est-à-dire que les prières de Marie et de Joseph toucheront le cœur de Dieu, et obtiendront le pardon et la miséricorde à cette âme infidèle.

    Joseph, le saint patriarche Joseph, a été touché de voir ses frères malheureux et repentants, lorsque, prosternés à ses pieds, ils demandaient grâce au nom de leur vieux père Jacob et de leur jeune frère Benjamin ; à cette vue, à cette humble prière, il n'a pu retenir ses larmes...

    Ah ! Joseph notre protecteur puissant et notre père, pourrait-il rester insensible, quand il verra un pécheur contrit et humilié, qui le conjure d'obtenir son pardon !

    Non, il parlera au Cœur de Marie sa glorieuse épouse, il parlera au Cœur de Jésus qui lui obéissait sur la terre, et il arrachera cette âme à la mort, en lui rendant l'amour même de Dieu.

    2° Le danger de ce triste état de péché doit surtout exciter l'intérêt et la pitié de saint Joseph. Ce danger est la menace imminente de la mort seconde, c'est-à-dire de la mort éternelle, de l'éternelle damnation, ou séparation de Dieu. Du haut des cieux, Joseph contemple ces victimes infortunées de leurs passions, il les voit déchirées par le remords, et sur le point d'être précipitées dans l'abîme ; pourrait-il ne pas être touché de ce malheur, si surtout on l'invoquait avec confiance ? Si le pauvre pécheur lui disait avec larmes, comme les frères de Joseph, l'ancien patriarche : Salus nostra in manu tua est (Gen. Xlvu, 25) : Notre sort est entre vos mains, ayez pitié de nous !... pourrait-il fermer l'oreille à cette prière ? n'obtiendrait-il pas aussitôt de Jésus une sentence de miséricorde ?

    Cette interprétation des saintes Écritures est conforme à la pensée des saints Docteurs, qui se plaisent à comparer le fils de Jacob, le premier Joseph, au grand saint notre protecteur ; elle est conforme au sentiment de l'Église qui, dans l'office du glorieux époux de Marie, ne cesse de lui appliquer ces textes sacrés. Et je veux encore à ce propos répéter la réflexion que je faisais au commencement de cette méditation : ... Joseph, notre bon saint Joseph, ne pourra jamais abandonner les pécheurs, à qui il doit même la gloire de ses plus beaux titres et son bonheur.

    N'est-il pas vrai que le patriarche Joseph n'aurait pas été placé sur les degrés du trône d'Egypte, et préposé à tous les trésors de Pharaon, sans la faute de ses frères ?...

    Cette faute a été, sinon la cause, au moins l'occasion de son élévation et de sa puissance ; et il n'a pu résistera leurs prières, ni retenir ses larmes ; il leur a pardonne, il leur a rendu tout son amour.

    Eh bien, c'est ainsi que Joseph aura toujours pitié des pauvres pécheurs qui auront recours à lui ; il leur doit son pouvoir dans le ciel et sur le cœur même de Dieu. Il priera donc, et Dieu, qui ne peut rien lui refuser, accordera la grâce, et fera tout ce que son père nourricier lui dira de faire : ... quodeumque dixerit... faciet.

    II. Nous n'avons plus qu'à prouver cette vérité par quelques exemples ; c'est la preuve de fait que nous avons annoncée au commencement de l'exercice de ce jour. Mais ici, quel est notre embarras, et, parmi tant de traits de la protection de saint Joseph sur les pauvres pécheurs, lequel choisir ? Les livres sont pleins de ces merveilles de la puissance et de la bonté de saint Joseph.

    Le plus célèbre de ces ouvrages est sans contredit celui du P. Patrignani, de la Compagnie de Jésus.

    Ce pieux auteur n'a pas peu contribué à la gloire de saint Joseph et à l'extension de son culte.

    Parmi les prodiges qu'il raconte de la protection de saint Joseph , il est remarquable que la plupart ont été opérés en faveur des pécheurs ; et l'on peut partager en deux classes tous ceux qui ont été comblés de ces grâces extraordinaires : Ou bien c'étaient des cœurs déjà repentants, et qui avaient invoqué eux-mêmes ce grand Saint, pour obtenir leur conversion ; ou bien c'étaient des hommes indifférents et encore endurcis, qui ne pensaient pas à leur salut et qui résistaient à Dieu, mais pour lesquels des âmes pieuses avaient prié saint Joseph avec confiance.

    Ce saint Protecteur avait répondu à tous, au pécheur déjà touché de la grâce, et lui envoyant une lumière de foi plus vive, un remords plus pénétrant, qui le conduisait bientôt à la douleur sincère, et finissait toujours par une vraie conversion et le bonheur d'un pardon divin.

    — 0 pauvre pécheur, qui lisez ces lignes, commencez à prier, aujourd'hui même, faites pour votre âme la neuvaine de saint Joseph, la grande neuvaine des sept Pater et des sept Ave... et j'ose vous promettre qu'elle ne se terminera pas, sans que vous ayez obtenu la grâce de votre conversion, mais d'une conversion sincère et durable...

    Au lieu de prendre des exemples dans le livre de Patrignani, que tous peuvent consulter, je me contenterai de citer un fait que je puis attester, puisque j'ai connu moi-même celui qui a reçu cette faveur extraordinaire.

    C'était un malheureux jeune homme, encore esclave des passions de son cœur, mais cependant bien résolu de se sauver. Souvent il nous a raconté sa conversion, et, bien qu'il soit mort aujourd'hui, nous ne pensons pas pouvoir dire son nom dans ce livre.

    D'après le conseil d'un sage directeur, il fit donc pour lui-même la grande neuvaine des sept Pater et des sept Ave ; le dernier jour, non-seulement il sentit sa chaîne se briser, mais il comprit soudain et en même temps que son âme, devenue libre, commençait à se détacher du monde.

    De fait, il y renonça quelques mois après, pour se consacrer au Seigneur, et, devenu membre d'un ordre religieux, il a imité les vertus des saints et mérité bientôt une belle couronne dans les cieux.

    — Tous les ans à l'époque de la fête de saint Joseph, il faisait de nouveau sa grande neuvaine, tantôt pour la conversion d'un pécheur, tantôt pour obtenir quelqu'autre grâce spirituelle et il nous a souvent répété lui-même que jamais saint Joseph n'avait été sourd à cette prière. Mais aussi quelle belle, quelle douce mort il a obtenue de son saint Protecteur ! On assure que saint Joseph lui avait apparu, et lui avait fait un signe pour l'appeler au ciel.

    Et maintenant, ajoutons un mot seulement sur les grâces obtenues en faveur des pécheurs, qui n'ont pas invoqué eux-mêmes le bon saint Joseph, mais pour lesquels on avait prié ce grand Saint.

    Le pieux auteur dont j'ai déjà cité le nom, raconte une foule de traits admirables et bien propres à exciter notre confiance. Ce sont des mères qui ont prié pour la conversion de leur fils et qui l'ont obtenue ; des femmes vertueuses qui ont demandé le retour à Dieu d'un mari infidèle, indifférent ou impie, et qui ont été exaucées. Ce sont des enfants qui ont invoqué saint Joseph, pour obtenir à un père mourant la grâce de revenir à Dieu et de recevoir le pardon, avant de tomber dans l'éternité, et cette faveur leur était accordée, comme par miracle.

    La justice de Dieu faisait aussitôt place à la miséricorde : ces âmes égarées revenaient à la foi, et retrouvaient de l'espérance et de l'amour.

    Je puis affirmer encore ici que tous les ans, à l'époque de la neuvaine, qui se fait dans notre église du Jésus, pour la fête du Patronage, nous avons eu des preuves touchantes de la puissance de ce grand saint.

    Il me serait facile d'extraire du livre même des archives de notre pieuse Association de la Bonne Mort, bien des témoignages de ces faveurs extraordinaires.

    Ces lettres ont un cachet de vérité, qui ne laisse pas de place à un seul doute ; nous les conservons précieusement comme un petit trésor de famille qui appartient à nos associés, et dont un jour il nous sera donné peut-être de les faire jouir.

    Toutefois ici, je me permettrai de citer seulement quelques lignes de ces annales, par un sentiment de reconnaissance d'abord à notre saint Protecteur, mais surtout pour donner de la confiance à ceux qui nous liront.

    Presque toutes ces lettres commencent par des mots semblables à ceux que je vais fidèlement transcrire : « La reconnaissance me fait un devoir de vous dire que le bon saint Joseph a exaucé les deux demandes que je lui avais faites pendant la neuvaine, etc.. »

    Une autre : « Je viens vous demander de vouloir bien porter à l'autel toutes nos actions de grâces, car dès le premier jour de la neuvaine, le bon saint Joseph nous a obtenu, etc... »

    Une autre : « Gloire et actions de grâces au bon saint Joseph !... un pauvre pécheur pour lequel nous l'avons prié, est déjà touché de la grâce, etc.. »

     

    Une autre : « Je vous prie d'avoir la bonté de rendre grâces à Dieu pour une faveur presque miraculeuse, puisqu'on la regardait comme impossible, etc.. »

    Une autre : « Mon premier mot sera, comme pourtant d'autres, un mol de reconnaissance envers le bon saint Joseph. Pendant la neuvaine du patronage je lui avais demandé, etc.. »

    Une autre : «... Je viens vous demander des prières d'actions de grâces à saint Joseph : dès le premier jour de la neuvaine, etc..»

    Une autre : « C'est avec bonheur que je viens vous apprendre la grâce obtenue par un de nos associés, etc.. »

    Je ne puis pourtant résister au plaisir d'en copier deux tout entières, parce qu'elles sont plus courtes, et que, de plus, elles me semblent avoir un caractère de simplicité et de naïveté telles, qu'il est impossible de ne pas y reconnaître le langage de la vérité même.

    « Mon révérend Père, « J'ai l'honneur de vous annoncer que je suis satisfait de vos paroles véridiques. J'ai effectivement reçu deux grâces spirituelles du bon saint Joseph pendant la neuvaine ; ainsi que de l'argent dont j'avais besoin, à partir du 15 avril... » N...

     

    « Mon révérend Père,

    « Je veux acquitter un devoir de reconnaissance envers le bon saint Joseph et vous remercier de la confiance que vous m'avez inspirée en lui. Elle m'a fort bien réussi, je viens d'obtenir, contre toute espérance, une grâce que j'ai sollicitée, pendant la neuvaine de préparation à la fête du Patronage de ce bon saint. Ce n'est pas que je lui ai fait beaucoup de prières, mais à différentes reprises, je me contentais de dire : Bon saint Joseph, je compte tout à fait sur vous. Et en effet, il m'a admirablement exaucée, j'en suis toute à la reconnaissance, et je me suis fait un devoir de vous l'exprimer, regrettant de ne pouvoir le faire plus chaleureusement encore. » N...

    La plupart de ces prières avaient été adressées au Saint, pour obtenir la conversion de quelques pauvres pécheurs.

    Une foule d'ex-voto fixés à notre autel de saint Joseph, et dans ses plus vénérés sanctuaires, attestent que les mêmes grâces ont été partout obtenues par sa puissante intercession. Il reste donc prouvé qu'il est le protecteur des pécheurs.

     

    Invoquez-le avec confiance, ô vous qui gémissez encore sous le poids du péché... Et vous à qui déjà le ciel a pardonné, priez pour vos frères malheureux, priez Jésus leur sauveur, Marie leur avocate et leur mère ; priez, priez Joseph, leur ami et leur protecteur.

     

     

    VINGT-CINQUIÈME JOUR

    SAINT JOSEPH PROTECTEUR SPÉCIAL DES MALADES

     

    J'ai invoqué le Père de mon Seigneur, de mon Dieu, afin qu'il ne me délaisse pas au jour de la tribulation, et sans secours. (Eccl. II, 14.)

    Il nous semble que ce beau texte peut directement être appliqué à saint Joseph, père nourricier et gardien de Jésus Notre-Seigneur, Patrem Domini, et le protecteur de tous ceux qui ont recours à lui, dans la tribulation : Je l'ai invoqué dans la souffrance, dit le Sage : Invocavi in die tribulationis, et, ajoute-t-il aussitôt avec un sentiment de reconnaissance, vous m'avez délivré de la mort, vous m'avez sauvé de tous mes ennemis : Et liberasti me de perditione, et eripuisti me de tempore iniquo (Eccl. LI, 16).

    Il serait difficile de trouver deux versets dans le Testament divin, qui renferment aussi bien toute la pensée de l'exercice de ce jour ; car nous allons considérer Joseph comme le protecteur des chrétiens dans la maladie, au jour des tribulations et de la douleur.

    C'est alors surtout qu'il faut à l'homme un appui, un secours ; mais il le trouvera dans la protection de saint Joseph : c'est lui qui le délivrera de la mort, et le prémunira contre les dangers de cette lutte suprême. Il n'abandonnera jamais sans consolation, sine adjutorio, le malade qui a recours à lui, mais il le préservera du mal et le fera triompher de tous ses ennemis : de perditione, et de tempore iniquo.

    Deux pensées : I. Considérer ce qu'il faut à ceux qui souffrent, aux malades. — II. Prouver qu'ils le trouveront toujours par l'intercession de saint Joseph.

    I. La maladie est certainement un don de Dieu, comme la santé, et, même dans un sens, plus que la santé, puisque c'est l'action directe du Seigneur qui trouble ainsi pour un temps l'harmonie de nos facultés ; c'est sa main qui touche à ces ressorts admirables de la vie, et qui peut-être va les briser pour toujours. Mais si la maladie est un don du ciel, elle est aussi une épreuve terrible, et il y a beaucoup d'hommes qui succombent dans cette lutte.

    Nous allons voir d'abord quels sont les dangers, qui alors environnent et menacent les âmes, et de quelles grâces toutes particulières on a besoin pour en triompher.

    Un peu de réflexion suffira pour nous éclairer sur tous ces points ; l'expérience d'ailleurs nous en aurait bientôt instruits.

    1° Le premier danger, c'est le découragement. On se laisse facilement abattre. Il y a entre l'âme et le corps une si parfaite union, une dépendance si grande, qu'elle s'afflige de ses souffrances, et perd ses forces en même temps que lui et dans la même proportion.

    Quelquefois, c'est l'excès de la douleur qui l'énerve ou l'irrite, et, plus souvent, c'est la durée de la maladie qui l'attriste ou la désespère.

    Ceux qui n'ont jamais souffert, ou qui n'ont que bien rarement été malades dans le cours de la vie, sont encore plus exposés que les autres, et se laissent plus facilement décourager à cette épreuve. S'ils parviennent à triompher de ce premier danger, il est bien rare qu'ils ne succombent pas au second, dont nous allons parler.

    Le deuxième danger pour une âme, dans la maladie, c'est la tristesse ; elle en a tué beaucoup, dit la sainte Écriture : Multos enirn occidit tristitia (Eccl. xxx, 25) ; mais c'est surtout au jour de la souffrance... Il est certain que le chagrin nuit singulièrement à la santé, contrarie, empêche l'efficacité des remèdes, et que souvent il a causé la mort, contre toutes les prévisions des hommes de la science.

    On peut affirmer que, dans les mêmes circonstances, dans la même maladie, avec les mêmes remèdes, là où un sujet qui se laisse aller à la tristesse et s'abandonne à la mélancolie, succombera ; un autre qui aura conservé la paix, la joie de son caractère, triomphera facilement.

    Nous le voyons tous les jours, nous prêtres de l'Église, que notre ministère appelle, comme les médecins, auprès du lit de la douleur, et il n'est pas rare que notre présence, qui donne toujours la paix et cause une joie véritable au malade, lui rende aussi la santé et la vie.

    Je n'ajouterai plus qu'un seul mot sur ce danger : l'expérience même nous a révélé que c'était surtout dans les maladies intérieures, que l'âme était plus portée à s'attrister.

    Quand la cause du mal est secrète, et que les plaies sont cachées, on s'affecte plus facilement, on se décourage bien plus que dans le cas où l'on peut en suivre la marche, ou constater les progrès de la guérison.

    C'est donc alors qu'il faut lutter avec plus d'énergie et de constance ; alors aussi que les personnes, qui sont auprès des malades, doivent faire tous leurs efforts pour les consoler et les égayer par des paroles pleines d'affection, par de pieux et joyeux propos, et même par la vue des fleurs, en un mot, par tout ce qui peut distraire et réjouir l'âme ; c'est le conseil des saints.

    Le troisième danger, c'est l'impatience, qui va quelquefois, dans un pauvre malade, jusqu'à la plainte et le murmure, soit contre le mal, soit contre ceux qui le soignent, soit même contre Dieu.

    Le lecteur intelligent comprendra bien que nous ne voulons pas ici condamner les gémissements arrachés par la douleur, ni défendre ou interdire même les cris à ceux qui souffrent.

    Loin de nous cette pensée ; non-seulement il n'y a pas de faute à exhaler ainsi ses plaintes, mais il faut plutôt engager les malades à ne pas se contraindre, puisque c'est un véritable soulagement et qu'il n'y a rien là de contraire à la vertu de soumission, de résignation parfaite à la divine volonté.

    J'ai souvent prié moi-même de pauvres enfants de ne pas se gêner devant moi ; je les engageais doucement à se plaindre dans le moment de leurs crises, et quand les douleurs devenaient plus cruelles et plus aiguës ; mais je tâchais que leurs cris devinssent une sorte de prière ; je leur suggérais de dire : 0 mon Dieu... ayez pitié de moi... oh ! que je souffre !...

    Par ce moyen, non-seulement vous préviendrez les impatiences, mais vous adoucirez la souffrance et vous ramènerez peu à peu le malade à la pratique des vertus les plus nécessaires dans ces jours d'épreuves.

    2° Mais quelles sont donc les grâces nécessaires dans ces circonstances ?

    La raison et la foi nous apprennent que dans l'état de maladie, le chrétien a surtout besoin de deux grâces bien spéciales : la force et la confiance.

    Nous verrons en effet que tout peut se résumer en ces deux mots ; car si la force donne la patience au pauvre malade, la confiance lui donnera l'amour, et même la joie ; d'où je conclus de suite que ces deux vertus suffiront toujours, pour lui faire éviter les dangers dont nous venons de parler.

    Commençons par la vertu de force.

    Elle vient de Dieu, de Dieu seul : tu es, Deus, fortitudo mea ; et le premier effet de cette grâce dans une âme sera de la prémunir contre les faiblesses et les langueurs du découragement, de la préserver des excès de la tristesse. Mais le fruit principal de cette belle vertu est la patience, d'après saint Thomas d'Aquin... La force, dit-il, souffre avec un grand calme et sans se plaindre : sustinet ; elle garde la paix dans le cœur au milieu des plus atroces douleurs, et elle triomphe du mal par la patience même : sustinet et aggreditur.

    Mais c'est par la prière seulement que l'on peut obtenir du Ciel cette grâce de force, ce don de l'Esprit-Saint.

    Le malade devra donc surtout recourir au Seigneur, et lui demander avec humilité,

    — ou de diminuer des souffrances qu'il ne peut plus supporter,

    — ou d'augmenter sa force et sa patience, afin qu'il puisse encore souffrir davantage pour sa gloire et pour son amour. Les saints amis de Dieu nous ont laissé la pensée, et, pour ainsi dire, la formule même de cette prière, pour le temps de la maladie.

    La seconde et la plus précieuse grâce aux jours de la souffrance, c'est la confiance ; et, pour nous en rendre la pratique plus facile et plus douce, il faut nous rappeler que Dieu est notre Père, qu'il ne peut rien nous arriver sans son ordre ou sans sa permission, que toujours il se propose de tirer le bien du mal pour ceux qu'il aime.

    Touchée de ces belles vérités de la foi, et déjà pleine d'amour pour son Dieu, l'âme fidèle, non-seulement évitera les murmures et les désespoirs, mais elle s'abandonnera pleinement à la conduite de son Père céleste : parfaitement soumise à sa volonté sainte, elle goûtera la paix, elle souffrira avec espérance ; que dis-je, avec une sorte de joie, et dans ce sentiment elle dira, comme le grand artisan de la gloire de Dieu par ses douleurs, le prophète Job : Àrtifex glorix Dei, Job (Tert.) : Oui, quand il me tuerait, j'espérerais en lui, et je l'aimerais : Etiam si occideret me, in ipso sperabo (Job xiu, 15).

    — Ainsi la confiance adoucira toutes nos douleurs, et l'amour nous rendra les croix et la mort même infiniment aimables.

    Mais, hâtons-nous de le dire, c'est surtout à la puissante intercession de saint Joseph que nous devrons ces grâces ; c'est lui qui est le protecteur des malades ; et nous allons le méditer dans la seconde partie de cet exercice.

    II. Deux faits principaux révèlent la protection de saint Joseph dans cette épreuve : sa puissance s'exerce directement contre la maladie, et en faveur des malades. Il combat le mal ; il guérit et sauve ceux qui en sont atteints.

    1° Pour la maladie d'abord, ou bien il en préserve ses fidèles serviteurs, ou bien il en adoucit les rigueurs pour ceux qui I invoquent ; deux faveurs singulières dont nous allons donner les preuves en peu de mots.

    Il préserve. Je pourrais citer ici un grand nombre de miracles authentiques, la plupart rapportés parle pieux et savant P. Patrignani ; entre autres ce qui arriva en 1658, pour la ville de Lyon, qui a été préservée de la peste par un vœu solennel fait en l'honneur de saint Joseph. La ville.de la sainte Vierge a été sauvée de la mort par l'intercession de son glorieux époux.

    j'aime mieux signaler un fait plus récent, et de nos jours. Je me garderai de le qualifier : on n'y verra pas un miracle, si on veut, mais on ne pourra s'empêcher au moins d'y reconnaître la preuve d'une protection admirable de ce grand Saint, sur ceux qui l'invoquent.

    Depuis la fondation de l'Association de la Bonne-Mort dans notre Église, Association dont il est le protecteur spécial, déjà deux fois le choléra-morbus a fait invasion sur la ville de Paris, et il a frappé bien des victimes, mais il semble que ce fléau ne puisse atteindre aucun des membres de cette pieuse confrérie, puisque, de fait, à peine si nous avons eu quelques décès à déplorer ; ce n'est pas un sur dix mille !

    Il adoucit singulièrement les souffrances de la maladie pour ceux qui ont recours à lui avec confiance, par les grâces célestes d'espérance et d'amour, et par les vertus de force et de patience qu'il leur obtient.

    C'est encore un fait dont nous avons été plus d'une fois témoin, et on en peut lire la preuve touchante dans les Annales de l'Association dont j'ai déjà parlé.

    Elles contiennent le récit simple et authentique de la mort de ces pieux et fidèles serviteurs de saint Joseph, et on y voit à chaque page des marques sensibles de la protection de ce grand Saint. Son nom seul, répété avec celui de Jésus et de Marie, a paru charmer les plus cruelles douleurs, diminuer les horreurs de la mort, et quelquefois même guérir soudain la maladie et dissiper tout danger.

    2° Pour les malades.

    — Oui, souvent ce bon saint les a guéris, quand on lui a demandé cette grâce, et qu'elle pouvait être utile à ceux qui sollicitaient cette faveur.

    Vous en trouverez mille exemples dans le livre déjà cité de Patrignani, et dans celui du P. Lallemant.

    — On publie depuis plusieurs années un journal qui recueille avec soin les récits des miracles opérés par notre glorieux Protecteur, et parmi ces prodiges, on remarque souvent des guérisons inexplicables aux yeux de la science.

    Pour ce qui nous concerne personnellement, nous pourrions produire ici, comme dans l'exercice du jour précédent, une foule de lettres des associés de la Bonne-Mort, qui attesteraient la puissance de saint Joseph et sa bonté.

    Ces documents précieux, je l'ai dit, sont conservés avec soin dans nos archives, et seront peut-être un jour publiés pour l'édification de tous, et pour la gloire de saint Joseph.

    Il m'est pourtant impossible de ne pas dire en un mot ce qui se passait au Jésus, pendant la neuvaine de 1866... Mais je le répète, sans prétendre qualifier ce fait, sans assurer qu'il y a là un miracle. Nous ne sommes pas juge, mais simple témoin.

    Le troisième jour, dans une réunion très-nombreuse de l'Association, le Directeur parlait de la confiance avec laquelle il faut invoquer saint Joseph ; il venait de dire qu'aux pieds de sa statue on pourrait obtenir des miracles, quand on voudrait, qu'il n'y avait qu'à prier et espérer.

    En ce moment, une personne présente fixe ses regards sur l'image de notre glorieux et puissant Protecteur, et elle disait en elle-même : Nous allons bien voir si cest vrai, u bon saint Joseph, guérissez-moi ! Et à l'instant, elle fut guérie d'une maladie terrible qui, de l'avis des plus habiles médecins, devait la conduire en peu de temps au tombeau.

    Rien de plus simple et en même temps de plus touchant, que la lettre par laquelle le lendemain, cette personne, nommée Elisabeth Valentin, rendait compte de cette guérison.

    Et l'année suivante, à la date du même jour, le troisième de la neuvaine du Patronage, elle en écrivait une seconde au Directeur de l'Association, pour le prier de remercier encore saint Joseph, et elle assurait que, depuis le jour où elle avait été si bien guérie, elle n'avait pas ressenti la moindre atteinte de ce mal cruel.

    Il nous resterait encore à dire comment saint Joseph secourt les malades eux-mêmes jusqu'à la fin, et quelles grâces il leur obtient du Ciel ; grâces bien autrement précieuses que la guérison du corps, puisque la vie de l'âme en dépend, et son salut éternel ; c'est la grâce décisive d'une bonne et sainte mort.

    Oui, qu'elle soit subite ou non, elle ne peut jamais être que très-précieuse aux yeux de Dieu, pour les serviteurs fidèles de saint Joseph...

    Mais, c'est là une question trop importante, pour ne pas lui réserver un jour tout entier de méditation, et nous allons garder ce sujet pour l'exercice de demain, où nous devons considérer saint Joseph comme le protecteur spécial des mourants.

     

    Nous terminerons cette lecture par une prière fervente à saint Joseph, pour tous les malades, principalement pour ceux qui ont le plus grand besoin de son secours, et qui ont eu pour lui une plus tendre dévotion.

    On trouvera à la fin de ce livre beaucoup de prières ; il y en a pour toutes les intentions ; celle des malades nous a paru une des plus belles, et, si nous prions pour eux, nous pouvons espérer qu'un jour aussi on priera pour nous.

     

     

    VINGT-SIXIÈME JOUR

    SAINT JOSEPH PROTECTEUR SPÉCIAL DES MOURANTS


    Vous êtes mon protecteur, mon espérance de salut, mon défenseur... je vous invoquerai avec confiance, et je serai délivré de mes ennemis. (Ps. XVIII 3, 4.)

    Voici le plus beau sujet de nos méditations ; la grâce la plus imporlante de toutes, celle qui décide du salut, d'où dépend notre éternité.

    Nous voulons parler de la grâce d'une bonne mort, de la protection de saint Joseph sur ses fidèles serviteurs, en ce moment suprême. Oui, tout est là : bien mourir, mourir dans la grâce, dans l'amour, en prédestiné des Cieux.

    0 saint Joseph ! sauvez, sauvez ceux qui doivent mourir en ce jour, ceux qui meurent en ce moment ! Erue eos qui ducuntur ad mortem (Prov. XXIV, 11).

    0 bon saint Joseph, puis-je espérer que vous prierez pour moi au dernier jour de ma vie, à ma dernière heure !... Oui, je veux garder cette espérance dans mon cœur, et quand déjà je commencerais à entrer dans les ombres de la mort, je ne craindrais rien, parce que vous seriez, parce que vous êtes avec moi ! Si ambulavero in medio umbrse mortis, non timebo mala, quoniam tu mecum es (Ps. XXII, 4).

     

    C'est à la mort surtout que saint Joseph est le protecteur de ceux qui espèrent en lui: Protector est omnium speruntium in se (Ps. XVII, 31). Nous donnerons trois preuves de cette proposition : une preuve de droit, une preuve d'autorité, une preuve de fait.

    I. Preuve de droit divin, ou raison théologique. Ici l'espérance du chrétien se fonde sur la plus sainte des convenances religieuses. C'est un fait que Dieu honore ses saints dans le ciel, en leur attribuant une certaine partie de sa puissance, et en leur communiquant le don de ses grâces, mais de grâces spéciales et le plus souvent en rapport d'analogie avec celles qu'ils avaient eux-mêmes reçues de lui, pendant les jours de leur pèlerinage.

    Nous avons déjà eu l'occasion de faire plusieurs fois cette remarque dans le cours du mois ; et l'on peut dire que toutes les dévotions particulières aux saints, se fondent sur ce principe d'analogies spirituelles de vertus, de grâces ou de mérite.

     

    Cela posé, il nous semble que c'est surtout à l'heure de la mort que nous devons espérer la protection de saint Joseph, et je ne crains pas d'assurer, qu'entre toutes les grâces dont le Seigneur a voulu le faire comme le trésorier et le maître, c'est principalement celle d'une bonne mort, qu'il doit obtenir à ceux qui auront recours à lui.

    N'a-t-il pas eu en effet la plus douce, la plus sainte de toutes les morts ?... Entre Jésus et Marie, sous les yeux mêmes de la Vierge immaculée sa glorieuse épouse, entre les bras de Jésus, qui lui donnait le doux nom de père ! N'est-ce pas mourir dans le ciel ?

    Contemplez un instant ce tableau de saint Joseph rendant le dernier soupir : Marie prie et pleure auprès de lui, à genoux, et les yeux fixés sur ce noble visage déjà couvert des ombres dela mort... Et Jésus d'une main soutient la tête vénérable du mourant, et de l'autre il le bénit, et lui montre les Cieux...

    Entre toutes les morts, c'est la plus sainte, la plus douce, la plus précieuse, comme dit le prophète : Pretiosa in conspectu Domini mors sanctorum ejus(Ps. CXV, 15).

    Heureux, mille fois heureux ceux qui meurent dans le Seigneur : Beati mortui qui in Domino moriuntur (Apoc. xiv, 13).

    Mais vraiment, il n'y a que Joseph qui soit tout à fait mort dans le Seigneur, près de lui, soutenu, encouragé, béni par le Seigneur Jésus.

    II. Preuve d'autorité.

    — C'est pour ces raisons que de tout temps, et dès les premiers âges de la foi, on invoquait saint Joseph comme le patron de la bonne mort. Un grand nombre de saints docteurs lui ont donné ce nom, et se sont plu à reconnaître en lui ce glorieux privilège.

    L'Église, dans ses prières les plus belles, s'adresse à saint Joseph pour obtenir cette grâce d'une bonne et sainte mort. On en trouvera plusieurs formules dans la seconde partie de ce petit ouvrage.

    Mais ce qui nous fait encore plus particulièrement connaître la pensée de l'Église sur ce point, c'est que toujours et partout elle a donné saint Joseph pour patron aux pieuses Associations dites de la bonne mort, c'est-à-dire à tous ceux de ses enfants qui, dans leurs prières, s'unissent de cœur pour obtenir du Ciel cette grâce, la plus précieuse de toutes, puisqu'elle nous assure le bonheur éternel.

    C'est lui qui est le prolecteur spécial de toutes ces confréries, approuvées par le Saint-Siége et enrichies de nombreuses indulgences par la plupart des Pontifes romains, vicaires de Jésus-Christ sur la terre et, en cette qualité, nos maîtres dans la foi.

    III. Preuves de fait.

    — Nous en avons de deux ordres. D'abord un fait général, universel, qui embrasse tous les siècles et tous les peuples de la terre ; et puis une série de faits particuliers, plus récents et de nos jours, je dirai même un fait permanent, que nous avons vu mille fois, et que chaque jour nous touchons pour ainsi dire de nos doigts.

    Le fait général, c'est l'ensemble même de tous ces prodiges de grâces obtenues à la mort par l'intercession de saint Joseph, depuis le commencement de l'Église.

    Ce fait se révèle à chaque page de ses annales. Les archives des ordres religieux sont remplies des exemples admirables de la protection de ce grand saint sur les serviteurs de Dieu, à l'heure de mourir. La vie des saints est pleine de ces mêmes récits.

    Pour les pauvres pécheurs, ce sont des grâces de conversion, mais des grâces miraculeuses à cette heure suprême, et obtenues, tantôt par la fervente prière d'une mère, d'une épouse, ou d'un enfant, et tantôt par la seule invocation du nom de saint Joseph, de la part d'un malade à l'extrémité.

    Pour les âmes justes, ce sont des grâces de consolation, des sentiments de confiance toute filiale, d'amour pur ou de joie céleste.

    D'après le témoignage de saint Jérôme, la vierge Marie vient, à l'agonie, chercher ses enfants, pour les conduire au Ciel : pourquoi craindre d'assurer que saint Joseph descend aussi de la gloire et vient consoler ses fidèles serviteurs ? au moins qui pourrait nous empêcher de l'espérer ?

    Nous en avons vu de nos yeux plusieurs, qui paraissaient si heureux en ce moment, et qui répétaient avec tant de confiance le nom de ce grand et puissant Protecteur, qu'on ne pouvait s'empêcher de croire qu'il se passait là quelque chose d'extraordinaire.

    Quelques-uns même ont dit positivement et répété avec des larmes de bonheur, qu'ils voyaient ce bon Saint, qui les appelait et qui les bénissait.

    Il y en a bien des exemples dans le livre des Annales de l'Association de la Bonne-Mort, et rien ne pourra nous prouver que ces âmes étaient dans le délire ; qu'elles se trompaient, bien moins encore qu'elles voulaient nous tromper. Et je me trouve ainsi tout naturellement amené à parler ici de ces exemples d'une protection particulière et de ce que j'ai appelé un fait permanent, dans les associations établies en l'honneur de ce grand Saint, et pour obtenir cette grâce d'une bonne mort.

    Oui, c'est un fait incontestable, un fait qui se renouvelle sans cesse dans ces pieuses confréries.

    Ceux qui en font partie peuvent espérer le puissant secours de saint Joseph, pour cette heure solennelle et décisive de leur éternité.

    Depuis bien des années déjà, nous ne connaissons pas une mort de ces pieux associés, qui puisse nous causer de l'inquiétude.

    Quiconque voudra lire avec attention le recueil de ces pièces authentiques et que nous oserions appeler officielles, puisqu'il n'y a pas un détail, pas un seul mot ajouté à ces lettres, en sera convaincu comme nous. Est-il possible de dire quelque chose de plus glorieux pour saint Joseph ? de plus consolant pour ses enfants ? Leur mort est toujours précieuse ; il leur obtient toujours cette grâce.

    Ouvrez et lisez. Il y en a qui ont été frappés subitement ; oui, plusieurs même, car ce genre de mort étant plus fréquent de nos jours, ces exemples n'ont pas été plus rares dans notre association qu'ailleurs ; mais toujours c'étaient des âmes pures et ferventes, qui étaient ainsi appelées par le Seigneur... et nous n'avons pu jusqu'à présent trouver une seule exception. La notice ajoute quelquefois... Mais c'était un excellent chrétien, mais il avait communié le jour même... ou quelques heures avant d'être frappé... Je pourrais en citer bien des exemples, que dis-je, tous vraiment, puisqu'il n'y a pas une seule exception dans les deux volumes d'Annales.

    Plusieurs sont morts doucement, et, comme ils l'avaient désiré et demandé, le jour même de la fête de Saint-Joseph leur protecteur, le 19 mars, ou le jour de son patronage ; on peut encore voir ces détails dans les deux volumes des mêmes Annales, pour les années 1860-1866.

    Mais c'est surtout dans l'invocation du nom de saint Joseph,que la plupart ont trouvé la force, la paix et la joie. Les uns se réjouissaient à la vue de son image vénérée, et ne pouvaient se lasser d'y coller leurs lèvres, comme pour y laisser leur dernier soupir ; les autres, la tenant dans leurs mains, y fixaient avec amour leur dernier regard.

    Quelques-uns ont demandé à garder sur leur cœur cette image précieuse après leur mort, et ont voulu l'emporter dans la tombe.

    On trouvera encore ces détails dans le livre des Annales de l'Association, et rien ne prouve mieux que ces faits la vérité de la proposition de cette méditation : saint Joseph est le véritable protecteur des mourants.

    Je ne puis résister au plaisir d'en citer au moins un trait.

    Ces jours derniers (juin 1867) un des plus dignes magistrats de la première cour de Paris, en proie à des douleurs si cruelles que l'on pouvait bien croire que c'était l'agonie même de la mort, répétait dans ses souffrances les noms sacrés de Jésus et de Marie... C'était sur ses lèvres une douce prière qui charmait en quelque sorte la violence de ses crises : à la troisième invocation de ces noms bénis, que nous répétions avec lui, nous ajoutâmes celui de Joseph... Jésus,Marie, Joseph !...et soudain nous l'avons vu répéter ce dernier nom avec un sourire inexprimable...Oh ! bien, dit-il, Jésus, Marie, Joseph et depuis, il n'a jamais cessé de répéter ces trois noms dans sa prière, ayant soin d'articuler devant nous le dernier nom avec plus de force, comme pour nous prouver qu'il ne pouvait plus et ne voulait plus jamais l'oublier...

    Il l'a répété en effet jusqu'à la dernière heure, et il nous serait impossible de dire avec quelles grâces de foi, d'espérance et d'amour il est mort ! Sa prière était si belle !... Je crois et j'adore ! j'aime et j'espère ! Jésus, Marie, Joseph !! je vous donne mon cœur !

    IV. Nous n'avons plus qu'à tirer les conséquences de ces faits et à recueillir quelques fruits de ces réflexions.

    La principale : si le lecteur n'est pas encore entré dans une de ces pieuses Associations qui, sous la protection de saint Joseph, s'efforcent d'obtenir la grâce précieuse d'une bonne mort, nous l'engageons à réfléchir un instant et à voir s'il ne ferait pas bien de s'y enrôler au plus tôt. C'est un gage de salut, un signe de prédestination ; c'est au moins une douce assurance pour le bonheur éternel.

    Que si déjà vous êtes membre de cette confrérie, et associé depuis quelque temps, examinez comment vous en remplissez les devoirs et les engagements : si vous êtes fidèle à réciter les petites prières prescrites ; car enfin, si vous ne mettez pas à la masse, de quel droit pourriezvous prétendre à jouir des priviléges accordés ? N'est-il pas juste de contribuer aussi pour votre part au bien général, et de verser dans le trésor commun de l'association ?

    Ce n'est pas assez. Un membre zélé de l'Association de Saint-Joseph fait de la propagande ; il tâche de faire participer les âmes à tous ces avantages, et, par ce moyen, il assure le salut de plusieurs.

    C'est surtout auprès des malades que ce zèle peut s'exercer avec succès.

    On leur dit que, dans ces pieuses associations, on priera bien pour eux, pour leur guérison, et ils s'empresseront aussitôt de donner leur nom pour en faire partie.

    Il n'est pas rare d'en voir qui, à dater de ce moment, ont été soulagés dans leurs souffrances, et toujours au moins, ils ont trouvé dans cette union de prières une augmentation de force et de grâces pour souffrir avec soumission et mourir avec confiance.

    Enfin la conséquence pratique pour tous en général, associés ou non, c'est de nous rappeler ce titre de saint Joseph, Protecteur des mourants, et de l'invoquer souvent avec cette pensée, pendant la vie d'abord, et surtout quand viendra pour nous l'heure suprême de la maladie et de la mort.

    Il y a des chrétiens fidèles qui ne passent pas un seul jour, sans faire une prière fervente à saint Joseph, à cette intentiond'obtenir la grâce d'une bonne mort. Vous la trouverez dans ce livre (page 407).

    D'autres ne manquent jamais, avant de se livrer au repos dela nuit, de réciter au moins l'Ave Joseph, qui finit comme l'Ave Maria par ces mots : « Priez pour nous, maintenant et à l'heure de notre mort. » Pourquoi ne prendriez-vous pas dès ce jour cette bonne habitude ?

    Mais souvenez-vous-en surtout, quand viendra pour vous le jour des souffrances, l'heure de la dernière lutte ; à la mort, souvenez-vous de prier le bon saint Joseph. Répétez aussi ces trois noms bénis : Jésus, Marie, Joseph !... Demandez son image, baisez-la aussi, comme la médaille de Marie...Quand un chrétien à la mort tient son crucifix, sa médaille miraculeuse ou son chapelet et l'image de saint Joseph, il n'a rien à craindre, et il peut dire comme Berchmans : « Avec cela, je mourrai en paix : Cum his tribus libenter moriar... »

    C'est alors que l'on peut espérer que ce saint protecteur descendra des cieux pour consoler son fidèle serviteur et le conduire dans l'éternité.

    Cette grâce a été accordée, plus d'une fois, je l'ai déjà dit, aux associés de la Bonne-Mort, el je finirai en citant ces mots extraits d'une notice sur les dernières heures d'une femme vertueuse, qui mourut en souriant, la veille même de la fêle du Patronage : Saint Joseph m'attend, il m'appelle, quel bonheur ! que je suis heureuse de mourir dans ses bras !... Il m'attend !... Il m appelle !...

    Terminons cet exercice par une prière pour les agonisants du jour : Erue eos qui ducuntur ad mortem. O bon saint Joseph, protégez, sauvez tous ceux qui sont en ce moment appelés par la mort !

     

    VINGT-SEPTIÈME JOUR

    SAINT JOSEPH PROTECTEUR SPÉCIAL DE L'ÉGLISE ENTIÈRE ET DU PATRIMOINE DE SAINT PIERRE

    C'est vous qui êtes mon Sauveur, mon protecteur, et je ne serai pas banni... (Ps. LXI, 7.)

    Nous allons, en ce dernier jour de la neuvaine des Patronages, élever nos pensées, et c'est sur les lèvres et dans le cœur même de l'Église notre mère, que nous mettons cette parole de reconnaissance à saint Joseph : Salvator meus, adjutor meus, non emigrabo ! Vous êtes mon protecteur... je ne serai jamais vaincue, je ne périrai jamais ! Sans doute, c'est Jésus-Christ, son divin Époux, qui est son véritable Sauveur ; c'est lui qui a bâti sur la pierre inébranlable cet édifice sacré, lui qui le soutient et le défend contre Ions ses ennemis. Mais comme il a mis une Tour inébranlable, qui doit le protéger, je veux dire sa sainte Mère, la vraie Tour de David ; comme il a chargé de sa défense, Marie, aussi terrible qu'une armée rangée en bataille, Marie, dont le pied victorieux a écrasé la tête hideuse du serpent, et dont le nom suffit pour disperser et détruire toutes les hérésies ; ainsi, dans sa providence, il a voulu lui donner un secours et un puissant protecteur dans saint Joseph, qui avait été sur la terre son père nourricier et son gardien fidèle ; saint Joseph, le seul appui, la vraie force de la maison de Nazareth.

    Oui, saint Joseph, de fait et de droit, après Jésus et Marie, est le protecteur spécial, le premier protecteur de la sainte Église, mais plus particulièrement de son chef visible, du successeur de Pierre, et de ses Pontifes et de ses Prêtres, en un mot, de tous ceux qui ont autorité et puissance dans la sainte hiérarchie, charge ou emploi dans l'administration de l'Église de Jésus-Christ.

    I. Commençons par dire les raisons de ce protectorat glorieux.

    C'est la preuve de droit. Je le répète : Jésus seul est le fondateur, le Roi et en même temps le divin Époux de cette Église sainte, c'est l'œuvre de son sang. Il a été, il est, il sera éternellement le seul chef de cette armée des Élus... Il en a confié le gouvernement à un chef visible sur la terre, à Simon, qu'il a appelé Pierre, et aux successeurs de cet apôtre jusqu'à la fin des temps. C'est le Pontife romain, le Pape, c'est-à-dire le Père commun de tous les fidèles, aujourd'hui le saint, l'immortel Pie IX. Mais, dans le ciel aussi, il a voulu donner à cette Église des protecteurs ; et, après Marie, mère de Jésus, et Reine de la gloire, c'est saint Joseph : nous ne pouvons en douter, et il suffit de réfléchir un instant pour en voir la raison.

    Saint Joseph n'était-il pas le chef de la maison de Nazareth, de la sainte Famille ? le soutien et même le seul protecteur alors du Dieu fait homme, et de sa Mère ?... N'est-ce pas lui qui avait été préposé à la garde de l'un et de l'autre ? et n'a-t-il pas été fidèle à ce mandat sacré ? N'a-t-il pas rempli sa haute mission avec justice, avec courage, avec succès ?... Mais quelle récompense a pu mériter aux yeux du Seigneur l'accomplissement d'un devoir si grave, si ce n'est la marque d'une confiance absolue et la gloire d'une nouvelle charge, et, s'il était possible, d'un ministère encore plus honorable et plus important ?

    — Eh bien ! c'est sur ce principe de justice et de convenance que repose toute l'espérance de l'Église en saint Joseph, et c'est à tous ces titres qu'elle le regarde comme son plus puissant protecteur.

    4° Et d'abord il doit l'être plus spécialement de celui que Jésus-Christ a voulu donner pour chef visible à cette Église sainte et pour premier Pasteur à nos âmes : quem pastorem Ecclesis e tuœ prseesse voluisti (Lit.).

    Oui, le souverain pontife, le pape aura un droit tout particulier à cette protection de Joseph. Joseph, du haut des cieux, doit non-seulement veiller sur sa personne sacrée, mais il défendra aussi son royaume, sa capitale, sa fortune même, et le glorieux patrimoine de Saint-Pierre qui lui appartient, puisque cela est nécessaire à l'indépendance du Pasteur suprême de l'Église.

    Ne craignez pas, ô vous qui vivez aujourd'hui sous la conduite de ce saint pontife, l'immortel Pie IX ; il sera toujours protégé par la Vierge immaculée, dont il a proclamé la gloire ; il sera sauvé par le chaste époux de la Vierge très-pure, par saint Joseph, dont il aime à bénir le nom et à propager le culte... Et c'est sur les lèvres de ce saint pontife de Rome, que nous voulons mettre en ce moment le texte placé au commencement de cet exercice : Vous êtes mon protecteur, ô Joseph, vous êtes mon espérance, je ne quitterai pas ces lieux sacrés... je ne serai jamais banni, jamais exilé de la ville sainte, de la ville éternelle... je n'en sortirai point ! Adjutor meus, non emigrabo ! (Ps. LXI, 7.)

    2° Les évèques.

    — Ils sont aussi pères et pasteurs, non pas de l'Église universelle,mais d'une portion de ce troupeau du Christ ; ils sont chargés de veiller sur les âmes confiées à leurs soins ; ils les dirigent et leur donnent la nourriture dela grâce et de la vérité. Saint Joseph, que le Seigneur avait choisi pour être le gardien et l'économe de sa maison à Nazareth, doit être aussi leur protecteur et leur modèle : et prinàpemomnispossessions ejus (Ps. civ, 21).

    3° Les prêtres enfin, ministres de Dieu, sont sûrs de trouver en lui un secours puissant, avec les exemples de toutes les vertus essentielles à leur sainte vocation.

    Outre la raison qui a été indiquée, en parlant des ordres supérieurs, et qui peut s'appliquer aussi aux fonctions des simples prêtres, mais dans des proportions plus restreintes, puisqu'ils n'ont qu'une bien faible partie d'autorité dans l'Église de Dieu, nous pouvons faire encore cette considération, que saint Joseph a été comme le premier prêtre, lorsqu'il a offert Jésus-Christ au temple et sur l'autel, au jour de la Purification. 

    Et combien de fois aussi en qualité de père, n'a-t-il pas porté le divin Enfant sur son cœur, et par conséquent touché de ses mains, comme les prêtres, le corps adorable de son Dieu ? Mais avec quel respect, avec quel amour ! et qui ne verrait dans ces relations intimes et incessantes de Joseph avec Jésus-Christ, une raison, pour qu'il devienne le modèle, le protecteur de tous les bons prêtres ? Ne le portent-ils pas comme lui ? ne touchent-ils pas de leurs mains sacrées et vénérables l'hostie vivante des autels, le corps du Christ-Sauveur ?

    II. Aussi, de tout temps, ce grand saint a t-il manifesté sa puissance par des bienfaits éclatants sur l'Église entière, mais surtout aux jours de ses plus cruelles tribulations, dans les temps de persécution ou de calamité. C'est la preuve de fait sur laquelle nous devons nous arrêter un instant avec bonheur.

    Ainsi, pour garder le même ordre que dans première partie de cet exercice, nous allons rappeler quelques traits de la protection de saint Joseph envers les pontifes romains, les évèques et les êtres, et en disant ce qu'il a fait, nous indiquerons ce qu'il fera toujours pour eux.

    1- Les papes d'abord.

    Quelques mois suffiront pour rendre notre pensée de foi et dire nos saintes espérances. Ces pensées nous paraissent grandes, pleines de consolation, ces espérances sublimes, mais elles ne nous appartiennent pas...

    Nous avons pris toutes ces belles considérations, et puisé ce sentiment de confiance, dans un livre charmant du R. P. Nampon, de la Compagnie de Jésus. Ce petit livre, intitulé Neuvaine en l'honneur de saint Joseph, parut en 1865 et commence à devenir très-rare. Voici ce qu'on y lit, dans la préface :

    « Je dois dire le motif qui m'a déterminé à publier ces méditations, et le profit que j'en attends. J'ai lu que Gerson, le chantre si pieusement inspiré du saint époux de Marie, dans son poëme intitulé Josephina, avait employé avec succès la dévotion à saint Joseph pour éteindre le malheureux schisme d'Occident. Voici comme il s'exprime : Mon grand désir est de voir se célébrer dans l'Église une solennité nouvelle, soit en l'honneur du mariage de saint Joseph, soit en mémoire de sa bienheureuse mort, afin que, par les mérites de Marie et par l'intercession d'un patron aussi puissant, qui exerce une sorte d'empire sur le cœur de son épouse, l'Église soit rendue à son unique époux, le pape certain, qui tient auprès d'elle la place du Christ. Or ce moyen réussit : l'intercession de Joseph fut efficace, et Gerson vit la paix rendue à l'Église, divisée depuis plus de soixante ans. »

    « J'ai vu dans ce fait, poursuit le P. Nampon, un précieux renseignement que nous donnait la Providence. Saint Joseph fut l'économe et le gardien du temporel de la Sainte Famille. Or la Sainte Famille se continue dans l'Église romaine, mère et maîtresse de toutes les autres. Le patronage dont saint Joseph couvre l'Église, s'étend donc d'une manière toute spéciale sur le patrimoine de Saint-Pierre, aujourd'hui menacé par d'ambitieux voisins. »

    «Rassemblés autour de Pie IX, le 9 juin 1862, les évêques ont déclaré, dans une adresse à jamais mémorable, que l'autorité temporelle du saint-siége était une institution de la divine Providence, nécessaire, dans l'état présent des choses humaines, pour le bon et libre gouvernement de l'Église et des âmes. C'est là ce que pensent, avec leurs évêques, tous les dociles enfants de l'Église. Ce qu'ils doivent faire maintenant, c'est de recourir par d'unanimes et ferventes prières à celui qui a sauvé, au milieu de tant de périls et de sang répandu, la vie de Jésus et le modeste patrimoine de Nazareth. Le bras de Dieu n'est pas raccourci, et la puissance d'intercession accordée à saint Joseph doit croître avec la confiance des catholiques et la ferveur de leurs prières. »

    Il finit en disant : « Puisse cet opuscule fournir un aliment de plus à cette confiance et à cette ferveur, et puisse la protection de saint Joseph, implorée avec plus d'ardeur et d'unanimité, conserver au pontife suprême de l'Église cette souveraineté temporelle, qui n'est pas seulement son droit certain, mais la seule garantie imaginable de son indépendance, et par conséquent de la nôtre !... »

    Nous sommes heureux aussi de donner nous-même cette pensée à nos lecteurs, et d'exprimer ce pieux désir, ces douces espérances... Non, ce n'est pas en vain que les enfants de l'Église prieront ce grand saint de protéger leur père. Il lui conservera la vie dans la paix, et cette glorieuse indépendance du pontife-roi, avec le domaine de Saint-Pierre.

    2° Et maintenant, que dirons-nous pour les pontifes des Églises particulières, et pour les prêtres qui sont leurs auxiliaires dans le ministère de la parole divine et dans l'administration des sacrements ?

    Une seule chose, que l'expérience des siècles a révélée. C'est un fait constant que la dévotion à saint Joseph, est pour eux une source des grâces les plus abondantes ; et que le plus sur moyen d'attirer sur leurs peuples toutes sortes de faveurs célestes, sera d'étendre et de propager cette dévotion dans leurs diocèses, ou dans les Églises confiées à leurs soins.

    Pour eux d'abord, pour les pasteurs eux-mêmes, ils obtiendront une augmentation de foi et de ferveur, qui les mettra toujours à l'abri d'un danger déjà signalé dans une des premières méditations, je veux dire le danger de se familiariser trop facilement avec Dieu et avec les mystères les plus saints de la religion ; ils apprendront ainsi à imiter leur auguste modèle, qui s'élevait de jour en jour dans la perfection : filins accrescens Joseph... Ascensiones in corde suo disposait. (Ps. LXXXIII, 6.)

    Pour les autres, ils obtiendront des miracles de conversion.

    L'expérience d'un grand nombre de prêtres a déjà démontré qu'il pouvait suffire, pour faire changer de face à toute une paroisse, d'y élever un autel à saint Joseph ou d'y ériger une association en son honneur.

    Il faudra terminer cet exercice par une prière fervente à saint Joseph

    — pour l'Église entière,

    — pour son chef visible, le vicaire de Jésus-Christ

    — pour les évêques

    — et principalement pour celui du diocèse

    — pour les prêtres enfin, mais spécialement pour le pasteur de votre paroisse,

    — et surtout pour votre confesseur.

    Dominus conservet eum, et vivificet eum, et beatum faciat eum in terra, et non tradat eum in animam inimicorum ejus (Ps. Xl, 3).

    Que le Seigneur le conserve, qu'il lui donne la force et la vie, qu'il lui assure le bonheur de la terre, et qu'il ne permette pas que jamais il tombe dans les mains de ses ennemis.

    TRIDUUM

    CONTENANT TROIS SUJETS DE CONTEMPLATION

    SUR

    LES SEPT DOULEURS — LES SEPT ALLÉGRESSES ET LA MORT

    DE SAINT JOSEPH

     

    VINGT-HUITIÈME JOUR

    LES TROIS PREMIÈRES DOULEURS ET ALLÉGRESSES
    DE SAINT JOSEPH

    1er jour du tridum

    Autant la multitude de mes douleurs avaient inondé mon cœur, autant vos consolations ont réjoui mon âme. (Ps. XCIII- 19.)

    Il est dans les destinées de saint Joseph de partager toutes les gloires et les grâces, tous les titrés et priviléges de la sainte vierge Marie, son épouse immaculée. Il est réellement entré dans tous les mystères de sa vie ; il a connu toutes les douleurs et toutes les joies de son cœur !

    Nous ne devons donc jamais les séparer ; et l'Église, toujours inspirée par l'Esprit divin, n'a pas célébré une fête en l'honneur de Marie, sans en instituer une semblable en l'honneur de saint Joseph, son fidèle époux.

    Presque aussitôt que l'on a commencé à faire le mois de Marie, on a pensé au mois de saint Joseph...

    Aussitôt après le patronage de Marie, on a fixé la fête du patronage de saint Joseph, etc., etc.

    C'est pour entrer dans ce sentiment de foi et d'amour, qu'après avoir donné deux jours, dans le mois de la sainte Vierge, à la méditation de ses douleurs et de ses allégresses, nous désirons aussi en consacrer deux à méditer sur les sept allégresses et les sept douleurs de Joseph.

    En parlant des allégresses de Marie, nous avons fait remarquer qu'elles étaient toutes mêlées de quelques amertumes ; et ici, pour saint Joseph, nous ferons une observation analogue, et nous dirons que toutes ses peines et douleurs ont été accompagnées d'une consolation divine, ou d'une joie céleste, de sorte que les joies de la mère de Jésus étaient pour elle une source de douleur, et que les douleurs de Joseph devenaient pour lui une source de joie et de bonheur.

    — Le lecteur pieux, en voyant cette destinée de Marie et de Joseph, ne pourra s'empêcher de croire que la souffrance n'est pas un si grand mal, puisqu'un Dieu infiniment bon a voulu conduire au ciel, par cette voie de larmes, sa mère bien-aimée et son père chéri.

    Pour saint Joseph, il est comme impossible de séparer les douleurs et les allégresses ; nous en verrons donc trois dans le premier exercice et les quatre autres dans le second.

    I. Première douleur et première allégresse.

    — Le doute de saint Joseph,

    — et son bonheur en apprenant le secret du ciel, le mystère de l'incarnation.

    1° Le doute.

    — Ce fut pour le cœur de notre saint une douloureuse surprise, une bien cruelle inquiétude. Il était si heureux de vivre dans la plus intime et religieuse affection avec la Vierge très-pure et immaculée, son auguste épouse... Marie, par humilité, ne lui ayant rien révélé de son entretien avec l'ange de Dieu, ni de la grâce ineffable qui en avait été la conséquence, Joseph ne pouvait en aucune sorte s'expliquer le mystère dont les signes certains venaient de frapper ses regards. Témoin des vertus célestes de la vierge Marie, et sûr de sa pureté incomparable, que fera-t-il ? à qui pourrait-il confier le secret de ses incertitudes, de ce doute affreux ?... Joseph d'ailleurs si prudent, se rappelait le conseil du Sage, et voulait garder le silence : virprudens tacebit (Prov. XI, 12). Il n'en parla donc qu'au ciel ; il épancha son cœur dans le cœur de son Dieu ; et il ne songeait plus qu'à se séparer de Marie.

    Mais quelle pouvait être alors la pensée la plus secrète de cet homme juste et fidèle ? Le sens le plus simple et le plus naturel du texte sacré, nous l'avouerons, offre bien quelque difficulté à l'interprétation que nous préférerions de beaucoup ; tout semblerait en effet indiquer que Joseph, dans son doute, voulait simplement quitter Marie, parce qu'il ne pouvait expliquer et comprendre ce mystère ; mais d'un autre côté pouvait-il la croire coupable d'infidélité ? Oh ! non, non, c'est impossible !

    C'est pourquoi nous aimons à croire, avec de pieux interprètes, que ce fut dans un sentiment d'humilité. Sans chercher à pénétrer ce secret divin, mais comprenant qu'il y avait là quelque mystère du ciel, il allait se décider à rendre à Marie toute sa liberté, et peut-être la reconduire au temple du Seigneur et au pontife de Jérusalem.

    Entrez dans le cœur de ce saint patriarche, et vous pourrez à peine vous faire une idée de sa douleur...

    Le doute, l'incertitude, la perplexité, c'est une des peines les plus cruelles pour l'esprit d'un homme juste ; mais ici la tristesse du cœur nous paraît encore plus grande et plus amère.

    2° A cette immense et première douleur a succédé la joie la plus vive, la plus douce allégresse. Un ange du ciel, peut-être le même qui avait apparu à Marie lors du mystère de l'incarnation, un ange vint et dit à Joseph : N'ayez pas peur de garder pour épouse Marie ; c'est par la vertu de l'Esprit-Saint qu'elle est devenue mère, elle mettra au monde un fils à qui vous donnerez le nom de Jésus, car c'est lui qui délivrera son peuple du péché.

    A ces paroles, tout le poids qui pesait sur le cœur de Joseph, tomba, et il est impossible de se figurer de quelle joie son âme dut être inondée. Quel bonheur et quelle gloire pour lui de conserver Marie, ce trésor de toutes vertus, la mère du Dieu-Messie ! et lui, Joseph, est l'époux légitime de cette Vierge féconde, et de droit le père nourricier et le gardien de ce Dieu fait homme ! Méditez, entrez dans le cœur de Joseph, et, comme vous avez pris part à sa douleur, partagez sa joie et son bonheur.

    Remarquez la première parole de l'ange à Joseph : Ne craignez pas !... Il nous semble que, loin de s'opposer à l'interprétation que nous avons donnée plus haut, elle la favoriserait plutôt et la rendrait vraisemblable.

    II. Seconde douleur et seconde allégresse de saint Joseph.

    — Ce fut de voir la pauvreté extrême de Jésus dans l'étable

    — et la joie d'entendre les anges chanter sa gloire, et de contempler toutes les merveilles de cette nuit.

    1° Joseph avait en vain frappé à la porte des hôtelleries de Bethléem ; il n'y avait pas de place pour lui, ni pour cette pauvre femme qui l'accompagnait ; il fut donc réduit à chercher quelque abri pour la nuit, et le ciel lui fit trouver une étable. C'est dans cette étable que, vers minuit, la Vierge très-pure, dans une extase d'amour, mit au monde Jésus, son Dieu, l'enveloppa de quelques pauvres langes et le coucha sur la paille de la crèche... Joseph, prosterné aux pieds du petit Enfant, l'adora en silence pendant des heures entières.

    Mais qui pourrait dire les douleurs de son âme, à la vue de cette pauvreté souffrante de son Dieu ! les désirs de son cœur, pour venir en aide à la mère de Jésus, et pour adoucir les souffrances de l'un et de l'autre ! Au moindre mouvement de l'Enfant, au premier cri, inquiet il s'approchait de la crèche ; il interrogeait d'un regard la sainte Vierge, prêt à faire tout ce qu'il aurait pû pour adoucir leurs peines... Si vous demeurez quelques instants dans l'étable auprès de Joseph, si vous le contemplez avec foi, il vous sera impossible de ne pas entrer dans ses douleurs et ses craintes, et c'est un des fruits les plus doux que l'on puisse recueillir de ces méditations pieuses.

    2° Et puis, tout à coup la scène va changer sous vos yeux : Une sainte et religieuse allégresse succède à ce chagrin profond : une joie céleste brille sur le front de l'auguste Vierge et dans les yeux du saint patriarche Joseph !..

    Ils viennent d'entendre le cantique des anges, et cette douce harmonie qui remplit le ciel : Gloire à Dieu et paix sur la terre !...

    A la voix des esprits célestes, voici que les bergers de la montagne accourent en foule et viennent se prosterner aux pieds de Jésus, qu'ils adorent comme leur Sauveur, et ils s'empressent d'offrir à Marie et à Joseph leurs petits présents, bien précieux dans cette circonstance. Quelle joie et quel bonheur de contempler le spectacle de cette foi vive !

    Plus, tard, quand les rois mages apportèrent à leur tour leurs présents mystérieux, de l'or, de l'encens et de la myrrhe, ce fut encore pour le bon saint Joseph une plus douce allégresse...

    Et c'est ainsi que, dans le même mystère, vous trouverez une source abondante de toutes les grâces, parce que vous aurez partagé tous les sentiments de son cœur.

    III. Troisième douleur et troisième allégresse.

    — La Circoncision de l'Enfant,

    — et l'Imposition du nom de Jésus.

    1° Le huitième jour, l'Enfant fut circoncis, et on lui donna le nom de Jésus.

    Dans ce verset du Nouveau Testament, que vous méditerez avec attention, vous trouverez la cause d'une douleur bien sensible et en même temps d'une joie toute céleste pour le cœur de saint Joseph. La douleur, à la vue du sang qui coule sous le couteau de la circoncision, en même temps que les larmes de Marie.

    La Vierge-Mère et Joseph comprenaient bien que ce n'étaient que les prémices de ce sang précieux, qui devait être répandu pour les péchés du monde ; et leurs cœurs se brisaient à cette pensée.

    Peut-être que l'Enfant Dieu fit entendre un cri, une douce plainte qui retentit dans leur âme ! Méditez ; et vous aussi, vous serez touché de compassion à la vue de l'Enfant, de sa mère et de saint Joseph.

    2° Mais lâchez de comprendre quelle joie ce fut pour le cœur de Joseph, quand, au moment même de cette mystérieuse cérémonie de la circoncision légale, il donna à l'Enfant le nom de Jésus, ainsi que l'ange du Seigneur le lui avait ordonné : Vocabis nomen ejus Jesum (Luc. 1,31 ): nom sacré, dont le saint patriarche comprenait si bien toute la gloire et la puissance. Ce nom fut alors pour Joseph, ce que dit saint Bernard : il fut plus doux à ses lèvres qu'un rayon de miel : mel in ore... à ses oreilles il retentit avec la plus suave harmonie des cieux, in mire melos ; et dans son cœur, il fut une joie divine : in corde jubilns. Prenez part à cette allégresse.

    Puis vous terminerez cet exercice sur les trois premières douleurs et allégresses de votre saint patron, en lui demandant trois grâces particulières, qui vous paraîtront être les fruits de votre contemplation sur tous ces mystères.

    Par exemple, pour le dernier, la circoncision, ce serait la grâce de la mortification intérieure, et de mourir un jour en prononçant avec amour ce doux nom de Jésus, votre Sauveur !

    VINGT-NEUVIÈME JOUR

    SUITE DES SEPT DOULEURS ET DES SEPT ALLÉGRESSES DE SAINT JOSEPH

    (Second jour Du Triduum).

    Autant la multitude de mes douleurs avaient inondé mon cœur, autant vos consolations ont réjoui mon ame. (Ps. XCIII, 19.)

    Nous allons continuer l'exercice du jour précédent, et suivre l'ordre des autres mystères douloureux qui ont rempli la vie de saint Joseph, et en même temps, méditer sur les consolations ou divines allégresses qui n'ont jamais manqué d'inonder son cœur, après les souffrances...

    Telle est en effet la conduite du Seigneur envers les âmes qu'il aime : à la douleur succède la joie, et la consolation est un signe des épreuves qui ne pourront tarder longtemps : Ad vesperam demorabitur fletus, et ad matutinum, lsetitia (Ps. XXIX, 6). Extrema gaudii luctus occupat (Prov. XIV, 15).

    Le soir, les larmes cesseront à peine de couler, et à l'aurore, la joie s'élèvera dans les cœurs... Au moment où la joie finit, on commence à verser des pleurs... Entrons dans ce sujet :

    1. Quatrième douleur et quatrième allégresse de saint Joseph.

    — La prophétie de Siméon et le glaive.

    — La vie et la résurection des âmes.

    1° Dans le même mystère, nous trouvons en effet pour Jésus, Marie et Joseph, tant de douleurs et de joie qu'on pourrait, ce semble, le mettre également au nombre des mystères douloureux ou joyeux.

    Commençons par les douleurs, et pensons plus particulièrement à celles de Joseph.

    — Nous pouvons dire que son cœur a été blessé par un glaive à deux tranchants, au moment où le vieillard Siméon parla des destinées de Jésus et de Marie.

    Représentez-vous ce bon saint, entrant avec joie dans le temple sacré, pour la cérémonie légale de la Présentation de l'Enfant et de la Purification de sa mère. Il portait dans une petite cage les deux tourterelles, prix du rachat de l'enfant premier-né des pauvres, car c'est ainsi que toute la tradition monumentale nous le représente...Et puis soudain, le grand prêtre de Dieu, s'emparant de cet enfant et le portant vers le ciel, prononce des paroles tristes, lugubres...: Positus est hic in ruinam ; il est né pour la ruine d'un grand nombre... et, se tournant vers Marie, la mère de cet enfant, il ajoute : Et tuam ipsius animam pertransibit gladius (Luc.II, 5), et pour vous, femme, un glaive de douleur transpercera votre âme... Je vous demande si le cœur de Joseph n'a pas été atteint, percé par ce même glaive ; et vous méditerez combien il a dû souffrir.

    2° Toutefois, il est impossible que son âme n'ait pas aussi tressailli de joie, d'abord, en voyant les saints transports du pontife, et la céleste allégresse qu'il éprouvait à la vue du Messie promis et attendu depuis tant de siècles, à la vue de ce Dieu, la vraie lumière d'Israël.

    Et puis, cette parole d'espérance : In resurrectionem muttorum : Il est né pour la vie et la résurrection de beaucoup, retentit avec infiniment de douceur aux oreilles de Joseph...

    Enfin, ce fut pour lui une véritable joie de reprendre l'Enfant des mains du grand prêtre et de le rendre à sa mère, qui le pressa aussitôt contre son cœur...

    Ah ! prenez part à ces douleurs et à ces consolations immenses, et hâtez-vous de demander à Jésus, par les noms de Marie et de Joseph, d'être du nombre de ceux qui vivront et ressusciteront pour la gloire.

    II. Cinquième douleur et cinquième allégresse de saint Joseph.

    — La fuite en Egypte.

    — Jésus sauvé de la mort cruelle.

    1° Les craintes, les alarmes, les inquiétudes, les angoisses se succèdent et se pressent dans le cœur de saint Joseph, lorsque l'ordre lui est donné par un ange de partir sur-le-champ et de fuir en Egypte !...

    Et encore, on ne lui dit pas les raisons de ce départ si précipité, la cause de cet exil !... Sans parler de la préoccupation déjà assez grave et de la nécessité de pourvoir, par son travail de chaque jour, aux besoins de la Sainte Famille sur cette terre étrangère, que de périls dans le voyage ! que de difficultés dans le séjour ! et quelles craintes devaient s'élever dans son esprit, lorsqu'il venait à penser aux motifs secrets, qui avaient pu déterminer le ciel à lui donner un ordre si positif, mais si étonnant ! Ne pouvait-il pas, ne devait-il pas se voir déjà poursuivi, atteint par des ennemis à la fureur desquels on le chargeait de dérober cet Enfant et sa Mère !

    Ne parlons pas des grands exemples de vertus, d'obéissance et de foi que nous donne saint Joseph dans ce mystère.

    Déjà nous avons médité ce sujet ; ne pensons qu'à sa douleur : ce fut assurément une peine bien cruelle pour son cœur, je dirai même une épreuve terrible pour sa foi ; mais s'il a beaucoup souffert, il a triomphé par sa fidélité et sa patience pendant ce triste voyage...

    Ajoutons toutefois qu'il fut souvent consolé avec Marie par la visite des anges, qui, d'après la tradition des premiers temps, venaient pour diriger leurs pas et les servir dans le désert.

    2° La joie, la véritable allégresse n'a dû commencer à proprement parler pour Joseph, qu'au moment où il toucha la terre d'Egypte. En entrant dans ce pays, il comprit que l'Enfant était sauvé ! II sut, qu'à cet instant même, toutes les idoles venaient de tomber brisées dans leurs temples ; et son cœur se réjouit encore de ce triomphe du vrai Dieu, sur les destinées duquel il avait été chargé de veiller, et qui lui donnait le doux nom de père. Avec cet Enfant, il n'y avait plus d'exil pour Joseph ; il commençait à goûter les consolations même du ciel.

    Demandez par cette douleur et cette allégresse, la grâce de fuir toujours la mort du péché, en obéissant fidèlement à la voix de l'ange, qui ne manquera jamais de vous avertir.

    III. Sixième douleur et sixième allégresse de saint Joseph.

    — Au retour d'Egypte, la crainte d'Archélaùs.

    — L'arrivée et le séjour à Nazareth.

    1° Nous ne dirons qu'un mot sur cette douleur, quia dû être cependant une grande épreuve pour Joseph !... et d'autant plus grande qu'il devait moins s'y attendre.

    Sur la parole de l'ange il avait quitté l'Egypte, plein de confiance, car on lui avait dit que ceux qui en voulaient à la vie de l'Enfant étaient morts. II allait donc rentrer en Judée, quand tout à coup il apprend qu'Archélaùs, fils du méchant Hérode, y régnait à la place de son père... Il n'osa plus y aller, dit l'Evangile ; voilà la crainte qui agite son cœur... c'est la douleur de ce mystère ; mais averti de nouveau par l'ange du Seigneur, il sortit bientôt de cette cruelle incertitude et se dirigea vers Nazareth.

    2° Il y arriva avec un sentiment de joie vive, il y demeura avec bonheur.

    Voilà une vraie et bien sainte allégresse : cette vie dans le silence et la paix, ces jours de prière et de travail à Nazareth...

    Vous contemplerez la Sainte Famille, et vous ne pourrez plus sortir de cette petite maison, où vous trouverez toutes les vertus et les plus douces lumières. Et vous demanderez la grâce d'y vivre toujours en union et intelligence parfaite avec Jésus, Marie, Joseph.

    IV. Septième douleur et septième allégresse de saint Joseph.

    — Jésus perdu à Jérusalem,

    — et puis retrouvé dans le temple.

    1° Nous avons déjà médité sur ce mystère étonnant de la vie de saint Joseph, et nous y avons trouvé des enseignements bien utiles pour la conduite des âmes.

    Ici nous ne l'envisageons que sous le rapport de la douleur que dut éprouver le bon saint Joseph dans cette circonstance.

    Pour s'en former une idée, il faudrait comprendre l'amour de Joseph pour ce divin Enfant qu'il croit perdu, et son amour pour Marie qu'il voit dans les larmes.

    Assurément Joseph n'était pas coupable ; il, n'y avait pas de sa faute ; mais qui ne sait que dans un malheur, l'imagination inquiète et troublée contribue encore à augmenter le chagrin, en nous faisant croire que nous aurions pu, que nous aurions dû l'éviter ?

    C'est alors qu'on se persuade avec regrets, qu'il n'y avait que certaines précautions à prendre, précautions sages auxquelles on ne pense qu'après et lorsqu'il n'est plus temps ; et l'on se désole en vain.

    Ce qui est sûr, c'est qu'aussitôt que Marie et Joseph s'aperçurent que Jésus n'était pas revenu avec leurs parents, comme ils l'avaient pensé, ils furent profondément attristés ; qu'ils retournèrent sur leurs pas, interrogeant tout le monde avec inquiétude et douleur, et qu'ils ne cessèrent de le chercher ainsi pendant trois jours, jusqu'à ce que, rentrant dans le temple du Seigneur, ils l'y trouvèrent enfin. Et il s'en revint avec eux à Nazareth, pour y travailler sous leurs ordres.Si la douleur d'avoir perdu Jésus fut grande, grande aussi fut la joie de le retrouver.

    2° Quelle douce surprise pour Marie et Joseph, lorsqu'en trouvrant la porte du temple, ils virent Jésus et dirent ensemble : Le voilà !

    Il est vraiment impossible de se figurer un pareil bonheur. Il faudrait aimer comme eux ! et ils aimaient infiniment cet Enfant : Marie plus que toutes les mères, et Joseph plus que tous les pères ne pourront jamais aimer ; car cet Enfant était un Dieu ! leur Dieu à eux, leur trésor, leur gloire, leur bonheur, leur vie ; Jésus leur Dieu et leur enfant !...

    C'est ici qu'il faut méditer et tâcher, je ne dis pas de comprendre, mais de sentir et de partager tour à tour la douleur et la sainte allégresse de Joseph, notre bon et glorieux protecteur. 

    Et puis, nous lui demanderons la grâce de ne jamais perdre Jésus par notre faute ; et, si nous avions un jour ce malheur, de le perdre par le péché, nous demanderons la grâce de le chercher avec larmes, et de le retrouver bientôt avec notre pardon, pour ne plus nous exposer à le perdre de nouveau. Enfin nous prierons avec confiance saint Joseph par le souvenir de cette grande douleur et de cette joie si douce, de nous obtenir la grâce de trouver Jésus à la mort, sur le seuil de ce temple de l'éternité, où l'on ne pourra plus le perdre jamais ; c'est la grâce d'une bonne et sainte mort, la grâce du salut et du bonheur éternel.

    TRENTIÈME JOUR

    LA MORT DE SAINT JOSEPH

    (Troisième jour du Triduum).

    La mort des saints est précieuse aux yeux du Seigneur. (Ps. CXV, 15.)

    La mort du juste est le soir d'un beau jour ; la mort des saints est l'aurore de la vie, de la véritable vie... La mort de tous les justes, la mort de tous les saints, est précieuse aux yeux du Seigneur, mais surtout celle de son juste, justus meus ; et celle surtout de ses saints, sanctorum ejus, car si l'un vit de la foi, les autres ont vécu de son amour. Justus meus ex fide vivit, Pretiosa in conspectu Dommi mors sanctorum ejus.

    Or, qui jamais a pu se dire, et qui a jamais été plus réellement le juste de Dieu que saint Joseph ? qui a jamais été plus positivement le saint de Dieu, que celui qui a toute sa vie appartenu à Dieu, et à qui ce Dieu même a vraiment appartenu, tant qu'il est resté sur la terre ? Qui jamais a pu dire comme Joseph : Mon Dieu et mon Fils ? Et à qui Dieu a-t-il jamais dit : Mon Père ? Entre tous les enfants des hommes, seul Joseph a eu cette gloire !

    Pretiosa plane, oui, précieuse est la mort des justes et des saints, tanquam finis laborum, dit saint Bernard, tanquam victorise consummatio, tanquam vitse janua ; car c'est pour eux la fin des épreuves, la consommation de la victoire, la porte de la vie ; paroles qui, appliquées à saint Joseph, semblent renfermer une vérité frappante et aussi une sorte de contradiction, puisque la mort qui donne la vie, le ciel et Dieu même aux autres saints, devait le priver lui, de son Dieu et du ciel qu'il possédait sur la terre. Mais en même temps, quelle douce paix et quelle espérance ! quel bonheur et quel triomphe !

    Nous reviendrons nécessairement sur ces deux pensées, pendant le cours de cet exercice : car elles disent tout au cœur fidèle.

    Notre méditation renfermera deux parties. I. Rien de plus beau, de plus doux, de plus glorieux que la mort de saint Joseph. II. Rien de plus doux aussi que la mort de ses fidèles serviteurs et de ses enfants.

    I. Et d'abord, rien de plus beau que la mort de saint Joseph, je dis au jugement de la foi ; car qu'est-ce que le monde appelle une belle mort, une mort glorieuse ?

    C'est, par exemple, celle d'un général qui vient de remporter une victoire et que l'on ensevelit dans son triomphe ; celle d'un héros, qui, sans crainte, affronte le danger, et qui, en sauvant le drapeau de la patrie, tombe couvert de blessures et expire avec joie ;

    — celle du soldat intrépide qui monte le premier sur la brèche, y plante son étendard, et meurt après avoir décidé la prise d'une ville ennemie ;

    — celle du brave capitaine, qui, plutôt que delivrer aux ennemis le vaisseau qu'il commande, après avoir assuré la vie de sa troupe, le fait sauter ou le consume dans la flamme, et reste seul debout sur le pont jusqu'au dernier moment.

    Voilà de belles morts, des morts glorieuses et qui suffisent pour illustrer un nom sur la terre, mais dont peut-être il ne sera pas question dans l'éternité, et dont les anges n'auront pas même entendu parler.

    Aux yeux de Dieu voici de belles morts :

    —Si un juste plein de mérites, arrivé à la fin de sa course, souffre courageusement les douleurs de la maladie, et puis va prendre sa couronne d'immortalité avec amour et avec bonheur ; c'est la mort la plus ordinaire de nos saints, vraiment une belle mort !

    — Si un pieux enfant de la terre, un ange exilé ici-bas, et brûlant du désir de voir et d'aimer Dieu au ciel, demande à mourir, pour y aller, un beau jour de fête à Marie, et l'obtient ; s'il quitte le monde sans regrets, avec espérance, avec joie ; c'est une belle mort ! la mort de Stanislas !

    — Si un apôtre de JésusChrist, après de longs travaux et de grandes souffrances, au lieu de se réjouir à la pensée du ciel, qui lui montre une couronne, se plaint à Dieu et lui demande à travailler et à souffrir encore, et meurt en exhalant ce désir, en poussant ce cri de zèle : Amplius ! Encore plus ! c'est la mort de Xavier, une belle mort !

    — Si surtout un apôtre, un conquérant d'âmes, ou un saint pontife donne sa vie pour le salut de ses frères et pour la gloire de son Dieu, si cette victime de la charité ou de la foi est calme au milieu des tourments, et meurt avec joie dans les flammes, ou sous la dent des tigres et des lions, c'est la mort de nos martyrs ; oh ! oui, vraiment, voilà une belle, une sainte mort ; une mort glorieuse. On en parlera dans l'Église de Dieu et dans ciel.

    Eh bien, la mort de saint Joseph est incomparablement plus belle que tout ce que nous pouvons dire ou imaginer.

    Après avoir fidèlement servi Jésus et Marie, il vit arriver avec calme le ternie de sa vie mortelle, dans la petite maison de Nazareth, où il avait passé des jours si heureux... Et c'est là qu'il rendit le dernier soupir, sous les yeux de Marie, sa fidèle épouse, qui priait et pleurait auprès de lui ; et dans les bras de Jésus, qui, après l'avoir béni, lui montrait les cieux. Au-dessus de la couche de son dernier repos, les anges l'attendaient avec une couronne, et chantaient en chœurs harmonieux : Beati qui in Domino moriuntur !... (Ap. XIV, 13) : Heureux ceux qui meurent dans le Seigneur !

    Comprenez combien la présence d'une telle épouse et d'un tel fils dut rendre douce et heureuse la mort de ce saint patriarche.

    Il expirait sous les yeux et dans les bras de la vie !

    Qui jamais, s'écrie saint Bernard, pourra dire les délices pures, les consolations ineffables, les bienheureuses et douces espérances, les flammes d'amour que durent mettre en ce moment dans le cœur de Joseph, les paroles que lui faisaient entendre tour à tour Jésus, le Fils de Dieu, son enfant, et Marie sa très-sainte épouse ! Quantas consolationes, promissions, illuminationes, inflammationes et xlernornm bonorum revelationes accepit in transite suo , à sanctissima sponsa sua, et dulcissimo Filio Dei, Jesu !

    Et cependant, quelle différence entre la mort de Joseph et celle des autres saints !

    Je ne veux pas me contredire, mais il est impossible de ne pas voir que le mystère de la mort de saint Joseph, avec ces douceurs incomparables, renferme aussi des douleurs réelles, immenses, inconnues à tous les autres amis de Dieu, à tous ses élus.

    Car enfin pour ceux-ci, comme nous l'avons déjà indiqué plus haut, la mort, c'est la fin de l'exil, c'est le repos dans la patrie ; la mort, c'est la vie qui commence, le paradis qui s'ouvre, c'est Dieu qui vient et qui les appelle ! Au contraire, pour Joseph, qui vivait avec Jésus, qui le voyait tous les jours et qui ne cessait d'entendre sa voix si douce et tant aimée ; pour Joseph qui, à Nazareth, avait trouvé le ciel et possédait son Dieu. Cœlum erat dormis Ma, dit l'abbé Rupert, la mort allait réellement le séparer de Jésus, et le jeter dans une sorte d'exil, au moins pendant quelques années...

    Mourir, et laisser sur la terre Jésus et Marie, ah ! ce devait être pour le cœur fidèle et généreux de Joseph une peine bien amère, une séparation d'autant plus cruelle, qu'il les savait l'un et l'autre destinés à beaucoup de souffrances ; mais se soumettre à cette mort, sans se plaindre, l'accepter avec amour et avec confiance, dire à Jésus et à Marie ce dernier adieu, sans répandre une larme... c'est une gloire et un mérite au-dessus de tout ce qu'on pourra jamais concevoir ; c'est la plus belle, la plus sainte de toutes les morts.

    Et la plus douce, je le répète, malgré tant de sacrifices ; car la présence de Jésus et de Marie, leurs paroles saintes lui furent en ce moment d'une ineffable consolation. Non-seulement donc il n'y eut pas l'ombre d'agonie ou de crainte, mais son dernier regard paisible et suave d'espérance fut pour le ciel ; son dernier soupir fut un sourire d'amour, parce que sa vie avait toujours été pure ; et son âme, remplie de la grâce du Saint-Esprit, ne cessa pas un seul instant de goûter la paix et la joie. Il s'endormit doucement dans les bras de Jésus qui le bénissait, et sous le regard de Marie qui priait pour lui et ne pouvait retenir ses larmes : Beati qui in Domino moriuntur ; Heureux, mille fois heureux ceux qui meurent dans le Seigneur, et c'est la grâce que nous pouvons et devons tous espérer de notre saint patron.

    II. Rien de plus doux, en effet, et en même temps de plus saint que la mort des serviteurs et des amis de saint Joseph ; c'est-à-dire qu'ils meurent dans la paix et dans l'amour.

    Cette proposition est bien consolante ; elle doit nous inspirer la plus tendre dévotion et la confiance la plus entière en ce glorieux protecteur.

    Mais il n'est pas difficile de la prouver : nous n'avons qu'à rappeler ici la raison d'abord de cette protection puissante et spéciale de saint Joseph, au moment de la mort, et la multitude des faits qui en constatent l'exercice.

    Et d'abord, la raison ou la preuve de droit ; autrement pourquoi saint Joseph a-t-il ce pouvoir extraordinaire, et pourquoi dans l'Eglise l'invoque-t-on principalement comme le protecteur des chrétiens à l'heure de la mort ?

    C'est précisément parce qu'il a eu le bonheur de mourir lui-même dans les conditions les plus douces et les plus heureuses que l'on puisse imaginer :

    Dans les bras de Jésus, sous les yeux de Marie.

    Et c'est la première raison que nous avons déjà bien méditée.

    La seconde, c'est parce qu'il a sauvé Jésus enfant de la mort la plus cruelle, en le dérobant par la fuite à la fureur du roi Hérode.

    Notre confiance, appuyée sur ces deux motifs, ne peut se tromper, et la foi même nous apprend à recourir à ce bon et puissant protecteur, lorsque notre vie est en danger.

    Il ne manquera jamais de prier, ou pour nous délivrer, ou pour nous obtenir une bonne, une sainte mort.

    Aussi, de fait, on n'a jamais imploré vainement son secours, à la vue des plus grands périls, et tous ceux qui ont eu recours à sa protection ont reçu des marques sensibles de sa puissance et de sa bonté.

    Il a sauvé la vie à plusieurs, en dirigeant lui-même leurs pas dans les ténèbres et sur le penchant d'un précipice ; il a protégé les autres au milieu des dangers d'un long voyage ou d'un exil lointain ; il a préservé ceux-ci d'une mort certaine dans les combats meurtriers, et arraché ceux-là aux horreurs de la peste ou de la famine. Lisez sainte Thérèse, ouvrez Patrignani, et vous trouverez mille preuves de ces faveurs singulières.

    Mais la spécialité de ce grand saint, si j'ose m'exprimer ainsi, la grâce surtout qu'il aime à demander et qu'il obtient toujours pour ses fidèles serviteurs, c'est une bonne mort.

    Et il faudrait raconter ici une foule de prodiges qui seraient autant de preuves touchantes de cette vérité. Les livres en sont pleins. Dans le courant de ce mois, et dans la Neuvaine des Patronages, nous avons indiqué quelques-uns de ces ouvrages écrits en l'honneur de saint Joseph, Patrignani surtout, et le P. Lallemant, et nos Annales de la Bonne Mort ; vous y verrez à chaque page comment saint Joseph protège et console à la mort ceux qui espèrent en lui, comment il les sauve, en leur assurant une dernière et glorieuse victoire sur l'enfer. Souvent il adoucit et abrége, toujours il sanctifie les heures de cette lutte suprême par la grâce d'amour et par la miséricorde.

    Nous ne craignons donc pas de l'affirmer, comme la dévotion à la sainte Vierge, celle de saint Joseph est un signe de salut, un gage de prédestination, et nous appliquerons à ce grand saint la sentence de saint Bernard. Il disait : « Le serviteur de Marie ne périra jamais ; » nous dirons avec la même assurance : Le serviteur fidèle de Joseph ne périra jamais, il ne mourra pas dans le péché ; saint Joseph ne le laissera pas tomber dans l'enfer !...

    Invoquez-le donc avec confiance et ne cessez d'implorer son secours pour le moment de la mort ; et puis, lorsque vous serez auprès des malades, souvenez-vous de sa puissance merveilleuse à l'heure de l'agonie. Répétez souvent à voix basse, tâchez de faire répéter quelquefois au mourant cette douce invocation : Jésus, Marie, Joseph, je vous donne mon cœur !... vous calmerez ses souffrances, vous consolerez ses douleurs, vous pourrez lui assurer une belle victoire, et une sainte mort.

    Vous finirez cet exercice par une prière à saint Joseph, le Souvenez-vous, que savent et répètent souvent tous ceux qui aiment ce grand saint, ou bien la prière Ave Joseph, par laquelle nous allons terminer nous-même cette méditation.

    Je vous salue, Joseph, comblé de grâces, Jésus et Marie sont avec vous, vous êtes béni entre tous les hommes, et Jésus, le fruit de votre chaste épouse est béni. Saint Joseph, père nourricier de Jésus-Christ, époux de la Vierge immaculée, priez pour nous, qui avons recours à vous, maintenant et à l'heure de notre mort.

    Ainsi soit-il.

     

    TRENTE ET UNIÈME JOUR

    CLOTURE

    Allez à Joseph. (Gen. LXI,55.)

    Nous voici donc arrivés au dernier jour de ce mois béni.

    Un double sentiment doit remplir noire cœur ; un sentiment de reconnaissance d'abord pour tant de grâces que nous avons reçues par les mains de saint Joseph, et un sentiment de confiance et d'amour envers ce grand saint, que nous avons appris à mieux connaître.

    Mais enfin, quelle pensée, quels souvenirs voudrais-je laisser en ce moment au cœur fidèle, et imprimer dans l'esprit de nos pieux lecteurs ?

    I. Je désire d'abord que cette parole : lté ad Joseph retentisse doucement dans votre âme, et qu'elle soit pour vous la conséquence de ce que nous avons médité, depuis le commencement de nos saints exercices.

    Elle me semble en effet comme renfermer et résumer tout ce que nous avons étudié, pendant le cours de ce mois de grâces.

    Pensez que c'est Jésus-Christ lui-même qui, du haut des cieux, vous adresse cette douce invitation, et qui vous dit : lte ad Joseph ! Allez à Joseph !

    Allez ! il a tout pouvoir pour vous sauver : je lui ai confié la suprême intendance de mon empire ; il a sur mon cœur une puissance d'amour infini, car je l'ai fait entrer dans la gloire de tous mes saints mystères, et je lui ai donné des titres qui lui assurent dans le ciel un crédit et une autorité incomparables. Je l'appelais mon père, quand il était sur la terre, et je lui obéissais. Il peut encore maintenant m'appeler son enfant, et je ne puis rien lui refuser.

    — Allez ! et faites tout ce qu'il vous dira.

    lte ad Joseph ! Allez ; il possède le trésor de toutes les vertus ; vous n'avez qu'à parler à son cœur, et lui dire ce qui vous manque et ce que vous désirez... C'est lui qui vous donnera la lumière de la foi ; des rayons d'espérance tomberont de ses mains sur vous, et la flamme d'amour divin s'allumera dans vos âmes au feu de son regard paternel. Allez ; il est humble, il est pur. C'est l'homme juste par excellence ; il vous donnera la vertu qui vous est le plus nécessaire, en un mot, la grâce que vous lui demanderez.

    — Allez, mais faites ce qu'il vous dira.

    lté ad Joseph ! Allez, qui que vous soyez, enfants ou vieillards, riches ou pauvres, justes ou pécheurs, et vous-mêmes, anges de la terre, prêtres et pontifes, allez à Joseph !... il sera votre protecteur, il vous défendra contre tous vos ennemis ; il sera votre lumière, votre force, votre consolation et votre espérance, à la vie, à la mort ; il sera votre père !

    — Allez à Joseph ! lté ad Joseph ! et faites ce qu'il vous dira.

    Tout le monde en effet sait que l'Eglise, les Pères, et les plus grands Docteurs, nos maîtres dans la foi, ont toujours appliqué ces paroles à saint Joseph, notre glorieux patron.

    Le fils de Jacob, l'illustre patriarche Joseph, le grand ministre du roi Pharaon, n'était que la figure de cet homme incomparable, prédestiné à la gloire d'être l'époux de la Vierge immaculée, et le père nourricier de Jésus. Je ne crains pas d'assurer qu'un parallèle suivi entre les deux Joseph pourrait fournir non-seulement le sujet d'un beau discours, mais le fonds le plus riche pour tous les exercices d'un second mois, consacré entièrement à la gloire de notre saint protecteur.

    Mais il n'entre pas dans ma pensée, ni dans le plan de cet ouvrage, de finir par un éloge ou le panégyrique de ce grand saint.

    Je voudrais seulement, après avoir exprimé, en quelques mots et de la manière la plus simple, ce que je crois et ce que je sens sur le caractère même de ses perfections merveilleuses, laisser dans les cœurs une dernière réflexion pratique.

    II. J'ai donc réservé pour ce moment une pensée qui m'a frappé bien des fois, et qui, je puis le dire, n'a pas cessé un instant d'être présente à mon âme, depuis le commencement du mois.

    Cette pensée renferme tout, à mon sens ; elle peut suffire pour nous faire comprendre la sainteté et la puissance de Joseph, et pour inspirer une confiance sans bornes à ses fidèles serviteurs et à ses enfants. Méditez-la, et vous allez comprendre aussi.

    N'est-il pas vrai que Joseph vous a toujours paru bien à sa place dans le tableau de la Sainte Famille, auprès de Marie et de Jésus enfant ? Il y est non-seulement bien et dans de justes et belles proportions ; mais il y est nécessaire, et sans lui il manquerait quelque chose à cette douce image. Sans doute il est un peu dans l'ombre ; on dirait qu'il veut se cacher, il s'efface toujours et dans tous les mystères, à Bethléera comme à Nazareth, ou en Égypte ; mais il est là ; on ne peut sans lui concevoir ou représenter aucune scène de la divine enfance de Jésus.

    Eh bien, je vous dis qu'il en est de même dans la gloire des cieux. Il se trouve encore avec Jésus et Marie, auprès de Jésus et de Marie ; et il y est toujours dans de justes proportions. Son trône n'aura pas le même éclat, mais il n'est pas loin, et rien n'a pu les séparer pour l'éternité. Heureux ceux à qui les anges auront fait connaître ces mystères !... ils auront une confiance sans bornes, et ils obtiendront toutce qu'ils demanderont à Jésus, au nom de son père nourricier.

    Mais que cela est rare ! Il y a une foule de personnes, même parmi les chrétiens, qui remarquent à peine saint Joseph, dans ce tableau céleste de la Sainte Famille.

    Leurs regards s'arrêtent toujours au premier plan, c'est-à-dire sur Jésus et sur sa glorieuse Mère ; c'est à peine s'ils aperçoivent dans le fond cette noble et belle figure de saint Joseph ! Mais qu'il vienne un connaisseur, un véritable artiste, et, après avoir contemplé avec ravissement la Mère et l'Enfant, il ne pourra s'empêcher d'admirer encore ce beau vieillard. Quelle tête ! se dirat-il avec transport, quel front ! quel œil ! et quelles mains ! quelle pureté dans ces lignes ! quelle harmonie dans tous les traits de ce groupe merveilleux !...

    C'est ainsi, vous dis-je, que les plus grands saints et que les âmes les plus intérieures ont de tout temps reconnu et exalté la gloire de Joseph, ses vertus et ses bienfaits. L'esprit de Dieu leur a appris à ne jamais séparer dans leurs prières les trois noms de Jésus, Marie, Joseph. Allez donc à Joseph ! allez avec confiance : lté ad Joseph !

    III. Mais hâtons-nous de venir à la parole pratique de ce dernier jour, et apprenons de saint Joseph trois secrets importants, et qui seuls suffiraient pour nous conduire à la plus haute perfection ; je veux dire prier, travailler, souffrir.

    — Allez à Joseph ! et, si vous faites ce qu'il vous dira, vous aurez bientôt appris cette grande leçon de la sainteté.

    1° Prier.

    — Nous savons que c'est la condition même de la grâce divine et de la vie de Dieu en nous.

    Sans la prière, nous n'avons rien à attendre du ciel, et sans le secours du ciel, environnés de tant d'ennemis cruels et perfides, comment pourrions-nous éviter la mort ?

    La prière est d'ailleurs la fin de la création. Tout prie dans les cieux et sur la terre ; tout prie, de reconnaissance et d'amour, de douleur, d'espérance ou de crainte.

    Il serait bien coupable l'homme qui refuserait à Dieu cet hommage de son cœur! il serait bien insensé celui qui ne lui demanderait pas le secours de sa grâce ! il serait bien ingrat celui qui ne le remercierait pas de ses bienfaits !

    Or la vie de saint Joseph a été une prière continuelle. Comme les anges du ciel, qui voient la face de Dieu, ne cessent de l'adorer et de l'aimer, ainsi Joseph, près de Jésus, ne pouvait détourner un instant son esprit et son cœur de la plus sublime et de la plus douce contemplation.

    Mais non-seulement Joseph priait Dieu ; il priait avec Dieu. Rien de plus touchant que cette pensée de la prière en famille à Nazareth.

    C'était quelquefois Joseph, et plus souvent encore Marie, qui invitait l'Enfant Jésus à faire la prière du soir ou du matin.

    Oh ! pour apprendre à bien prier, il vous suffira de contempler en silence cette image de la prière à Nazareth !... elle ravira votre cœur. Voyez Jésus, considérez sa sainte mère, contemplez saint Joseph, entrez dans leurs cœurs. Il est impossible de n'être pas louché de la grâce. Jamais vous ne pourrez comprendre l'humilité de Joseph, la ferveur toujours croissante de sa prière, et l'union intime de ce saint patriarche avec le Cœur de l'Enfant-Dieu. Vous prierez avec lui et comme lui. lte ad Joseph.

    2° Saint Joseph vous apprendra encore un secret plus précieux : à travailler.

    — Remarquez bien ceci : la prière est déjà un acte saint et religieux ; mais le travail est plus parfait encore ; car travailler, c'est prier et agir tout ensemble, d'après cette parole célèbre de saint Augustin : Qui laborat, orat. Le travail est d'ailleurs un sacrifice d'expiation pour l'homme coupable ; c'est la première, la seule pénitence imposée par le Seigneur à nos premiers parents ; et, pour le chrétien, c'est l'arme la plus puissante qui le fera triompher de tous les ennemis de son salut.

    Mais vous comprenez que, pour avoir ce double mérite et nous procurer tous ces avantages, il faut absolument que le travail soit sanctifié, c'est-à-dire que vous devez travailler pour Dieu et en union avec Jésus-Christ.

    Or saint Joseph sera encore ici notre maître et notre modèle, Il était charpentier, et toute sa vie, ce pauvre artisan a travaillé de son état ; c'est à la sueur de son front qu'il gagnait le pain de chaque jour. Si ce fut pour lui une nécessité, ce fut aussi une grande vertu.

    Vous méditerez sur la sainteté, la perfection de cet homme juste, qui seul a eu le bonheur de travailler toujours avec Jésus, et pour Jésus.

    Avec Jésus, c'est-à-dire en présence de ce Dieu, mais en sa présence réelle, toujours auprès de lui, puisqu'il était son patron à Nazareth : avec Jésus, c'est-à-dire en union avec lui, mais en union véritable et sans jamais se séparer, puisque ce Dieu était son apprenti ; ils travaillaient donc toujours ensemble.

    — Et pour Jésus, mais directement, personnellement, uniquement pour lui et pour sa mère ; pour les nourrir enfin !...

    Or, quoique jamais vous ne puissiez aspirer à ce qu'il y a de plus merveilleux et d'absolument exceptionnel dans cette vie céleste de Nazareth, vous apprendrez au moins de saint Joseph à sanctifier et diviniser votre travail. Vous l'imiterez autant que vous pourrez, par la pureté d'intention, qui vous fera travailler aussi avec Jésus et pour Jésus. lté ad Joseph... En voyant Jésus-Christ même votre Dieu se faire ouvrier, apprenti, et travailler pendant trente ans avec Joseph et sous ses ordres, vous comprendrez que le travail peut avoir un mérite infini, et que saint Joseph est tout-puissant dans les cieux.

    3° Mais souffrir, voilà le plus précieux de tous les secrets que saint Joseph doit nous apprendre.

    — C'est en effet la plus sublime de toutes nos études en religion, la science la plus parfaite, et, disons-le aussi avec vérité, c'est la plus difficile de toutes les leçons.

    Prier, c'est bien ; travailler, c'est mieux ; souffrir, c'est la perfection même et la sainteté, c'est quelque chose de vraiment divin.

    N'est-ce pas en effet l'action de Dieu même en nous, mais l'action la plus directe et la plus positive ; nous n'avons qu'à nous soumettre, nous unir à Dieu et le laisser faire, pour coopérer à cette grâce.

    Or tous les hommes sans exception sont destinés à souffrir, beaucoup souffrir, toujours souffrir. Cette terre est appelée la vallée des larmes ; et c'est avec raison, car elle en est toute pleine.

    Les amis de Dieu souvent paraissent destinés à des douleurs encore plus grandes que les autres.

    Mais aussi quels mérites, s'ils savent les offrir à Dieu en union avec Jésus-Christ, et par amour pour lui ! Non-seulement alors ils ne se plaindront pas, et ils ne se laisseront pas aller au murmure, mais ils seront heureux, ils jouiront de la paix dans l'amertume ; ils iront jusqu'à l'ivresse de la croix, jusqu'aux transports de l'amour, même dans la mort.

    Saint Joseph nous apprendra donc à souffrir.

    Telle a été en effet la destinée de cet homme juste, et de Marie sa glorieuse épouse, et tel est le sort de tous ceux que le Seigneur aime.

    Joseph a beaucoup souffert, et bien que l'Eglise ne compte que sept douleurs pour lui, comme pour la sainte Vierge, on peut dire qu'il a souffert comme elle, pendant toute sa vie. Mais avec quelle soumission, quel abandon, quel courage, quelle confiance et quel amour!

    Vous ferez encore ici la même réflexion ; il a souffert pour Dieu et avec Dieu. Comme la sainte Vierge, mère de Jésus, il a partagé toutes ses douleurs, ses inquiétudes, ses humiliations, l'exil et toutes les privations de l'indigence. Contemplez ce saint modèle de paix dans les épreuves et tâchez de l'imiter. lte ad Joseph.

    Combien d'autres enseignements encore nous pourrions trouver dans la vie de ce grand saint ! 

    Après avoir appris à prier, travailler et souffrir, il nous dirait comment on peut aimer, et comment il faut mourir... et dans ces leçons, il ne serait pas seulement un maître pour nous, et un exemple, mais un puissant protecteur, un guide sûr et un appui.

    — Toutes ces considérations nous entraîneraient encore trop loin. Qu'il nous suffise de répéter la parole du Seigneur : lté ad Joseph : Allez à Joseph, et faites tout ce qu'il vous dira : lté ad Joseph ! et qusecumque dixerit vobis, facite.

    Recueillez-vous donc, et, vous prosternant aux pieds de son image, offrez-lui une sainte prière de reconnaissance et d'amour.

    Consacrez-vous aujourd'hui et pour toujours à ce bon saint, et demandez-lui avec confiance la grâce que vous désirez le plus.

    Déjà bien des fois pendant ce mois, vous lui avez confié ce secret de votre cœur ; mais voici le jour et l'heure d'une dernière et suprême bénédiction... Il vous sera fait comme vous aurez espéré ; demandez cette grâce, sans hésiter, pour vous ou pour l'Eglise entière ; allez à Joseph, et il vous répondra du haut des cieux.

    A cette intention vous pourrez simplement réciter le Souvenez-vous... ou les litanies de saint Joseph.

    FIN DU MOIS DE SAINT JOSEPH.

    Prières : page 399